Yael Darel, Haaretz, 6/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’accord de coalition que le Premier ministre Netanyahou a signé avec le parti ultra-orthodoxe Shas promet d’élargir le champ d’action des tribunaux rabbiniques d’Israël bien au-delà du droit de la famille - et de leur accorder un statut égal à celui des tribunaux civils.
Photo : Ohad Zwigenberg. Photoshop : Shani Daniel
En 2008, le mari d’une femme qui a accepté d’être identifiée par l’initiale G. a été reconnu coupable de l’avoir violemment agressée et condamné à deux ans de prison. Mais pendant des années, ni cette agression, que G. a décrite comme une tentative de meurtre, ni les innombrables menaces et tentatives d’agression - dont certaines l’ont conduite dans un foyer pour femmes - n’ont convaincu les juges d’un tribunal rabbinique de lui permettre de recevoir un get, un certificat juif de divorce.
« Mon ex-mari a réussi à convaincre quelques rabbins qu’il changeait, alors ils n’ont cessé de me demander de lui donner une autre chance, de suivre une thérapie de couple avec lui », raconte-t-elle. « À un moment donné, j’ai compris que l’establishment rabbinique était déterminé à ne pas me laisser divorcer. J’étais une jeune mère. J’avais peur que les enfants me soient enlevés, et je n’ai pas pu résister à la pression. Mais même lorsque j’acceptais de suivre une thérapie de couple, une minute avant que nous entrions dans la clinique, il me disait à voix basse : “Fais attention à dire la vérité” ».
De nombreux juristes ont mis en garde contre les conséquences dévastatrices qui se feront sentir dans tous les domaines de la vie si ces changements sont mis en œuvre.
L’histoire des tentatives de divorce s’est poursuivie pendant plus de dix ans. Seule l’intervention d’une organisation de défense des femmes privées de get a permis à G. d’obtenir un acte de divorce religieux et de mettre fin à son mariage violent et abusif. « Nous aidons beaucoup de cas de ce genre, car en Israël, chaque couple qui veut divorcer doit passer par les tribunaux rabbiniques. Il s’agit d’un système totalement masculin, dans lequel seuls les hommes peuvent travailler ou témoigner, alors que les femmes ne le peuvent pas. C’est là que le problème commence », explique Orit Lahav, directrice exécutive de l’ONG Mavoi Satum [Impasse].
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou, cette semaine. Photo : Olivier Fitoussi
« Les juges sont des hommes haredi [ultra-orthodoxes], dont la plupart n’ont pas d’interaction quotidienne avec les femmes, à l’exception peut-être des membres de leur propre famille, et le système juridique qu’ils administrent fonctionne selon des lois religieuses qui cherchent à faire reculer le statut des femmes de 500 ans », explique Lahav.
« S’il est vrai que l’on peut trouver ici et là des juges équitables qui font preuve de sensibilité, il s’agit en général d’un système qui discrimine automatiquement les femmes, qui les maltraite et qui les broie. Les tribunaux rabbiniques sont actuellement dans une collision frontale quotidienne avec le monde moderne, et il est clair que s’ils reçoivent de l’autorité dans des domaines supplémentaires, cette collision s’intensifiera et ce sont les femmes qui en souffriront ».
La collision frontale massive que Lahav anticipe n’est pas seulement théorique. La protestation publique actuelle contre le nouveau gouvernement se concentre sur les mesures proposées par le ministre de la Justice Yariv Levin [Likoud] pour affaiblir le système judiciaire, notamment les modifications apportées au comité de nomination des juges, la limitation des pouvoirs de la Cour suprême et le changement de statut des conseillers juridiques des ministères.
Mais un projet visant à accorder aux tribunaux rabbiniques un statut égal à celui des tribunaux civils et à créer un système juridique distinct et parallèle fonctionnant selon les lois religieuses juives passe inaperçu. Ce projet concentrerait également un pouvoir important et sans précédent entre les mains des tribunaux rabbiniques dans toutes les affaires civiles qui ne sont actuellement traitées que par le système judiciaire civil.
Les accords de coalition que le parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahuo a signés avec le parti ultra-orthodoxe Shas stipulent ces changements. De nombreux juristes ont mis en garde contre les conséquences dévastatrices qui se feront sentir dans tous les domaines de la vie si ces changements sont mis en œuvre.
Un système masculin
« Ce n’est pas la première fois que les ultra-orthodoxes tentent d’étendre les pouvoirs des tribunaux rabbiniques », dit l’avocate Batya Kahana-Dror, spécialisée dans le droit de la famille et les tribunaux rabbiniques et qui siège au comité du droit de la famille du barreau de Jérusalem. « De telles tentatives ont été faites depuis 2006 à travers une longue liste de projets de loi qui ont été torpillés. Je crains que cette fois-ci, elle ne réussisse, car elle a été intégrée aux accords de coalition.
Un panneau dans le tribunal rabbinique de Jérusalem. Photo : Ohad Zwigenberg
« Si cela se produit, cela signifie que les gens pourront se poursuivre les uns les autres dans les tribunaux rabbiniques comme s’il s’agissait de tribunaux à tous égards, y compris sur des questions telles que les délits, le droit du travail, les contrats et l’immobilier, et ils pourront donc appliquer la loi religieuse à chaque partie de la vie en Israël », dit Kahana-Dror. « Il y aura ici un État dans l’État ».
Les tribunaux rabbiniques (dont les jugements, comme on l’a noté, sont fondés sur la loi religieuse) font déjà partie du système juridique israélien et détiennent l’autorité exclusive sur le mariage et le divorce entre Juifs. Structurellement, le système comporte deux niveaux - les tribunaux rabbiniques de district et la Haute Cour rabbinique, une cour d’appel dirigée par l’un des grands rabbins.