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26/08/2023

GIDEON LEVY
Qusai, 16 ans, se rendait en scooter chez son oncle. Il a été exécuté par la police israélienne

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 26/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un adolescent palestinien de Jéricho se rendait chez des parents dans la banlieue de la ville lorsqu’il a été pris dans un raid de la police des frontières. Une seule balle l’a abattu et tué. « Deux terroristes ont été éliminés, dont le sujet de votre enquête », a déclaré la police à Haaretz

 

Le père endeuillé, Omar Walaji

 

Le scooter, un SYM 125 cc, est abîmé et éraflé à l’avant et sur les deux côtés. Des taches de sang séché parsèment le plancher, le siège et la carrosserie. Une photo de son conducteur - le jeune, ou plutôt le garçon - Qusai Walaji, est accrochée au guidon du véhicule cassé. Il est garé dans l’arrière-cour de la maison des Walaji, dans la rue Kitaf al-Wad, dans un quartier résidentiel de Jéricho. Cette semaine, il est devenu le mémorial à Qusai, qui y a été tué par balle. Il avait 16 ans au moment de sa mort.

 

Lorsque nous avons rendu visite cette semaine au père endeuillé, Omar Walaji, nous avons parlé pendant un bon moment de son fils et de son exécution par la police des frontières une semaine auparavant. Pendant tout ce temps, Omar s’est montré cordial, facile à vivre, parlant de son fils, qui avait été tué si peu de temps auparavant, comme s’il parlait de l’enfant des voisins. Mais vers la fin de notre conversation, lorsque nous lui avons redemandé s’il avait craqué et à quel moment - il avait d’abord éludé la question - son visage s’est soudain crispé et ses lèvres ont tremblé. Il a essayé de toutes ses forces d’étouffer ses larmes, mais sa retenue a cédé. Il a ouvertement versé les larmes amères d’un père qui pleure son fils bien-aimé.

 

« Vous avez ouvert sa blessure », a dit l’un des deux autres fils d’Omar, qui se trouvaient dans la pièce.

 

Omar a raconté qu’il n’avait pleuré que lorsqu’il avait vu le corps de son fils à l’hôpital de Jéricho, alors que les médecins essayaient, en vain, de le réanimer. Il n’avait pas pleuré depuis, mais là, les larmes coulent de manière incontrôlée. Embarrassé, il s’est précipité dans la salle de bain pour se laver le visage, comme un garçon puni qui a été renvoyé, et est revenu en se cachant le visage dans une serviette. Les pleurs ne se sont pas calmés facilement. Qusai n’est plus là.

 

Qusai a abandonné l’école en dixième année pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. Il a travaillé dans un magasin de légumes à Jéricho, qui appartient à son oncle, puis, la nuit, il a travaillé à la maison avec son frère pour préparer des feuilles de molokhia [ou mouloukhiya/mloukhiyé, corète, jute rouge] utilisées pour faire de la soupe, afin de compléter ses revenus. Lors de notre visite, des sacs de plantes étaient posés au fond du salon. La famille du jeune homme est originaire du village de Wallaja, à côté de Jérusalem. En 1948, ils ont perdu leurs terres et se sont réfugiés dans le camp de Deheisheh, près de Bethléem, avant de s’installer à Jéricho. La maison des Walajis est un immeuble de trois étages qui abrite la famille élargie.

 

Il fait extrêmement chaud à Jéricho au mois d’août, et les grands refroidisseurs d’air portables Emek Coolers, fabriqués en Israël, travaillent d’arrache-pied. Omar est un homme petit et trapu de 51 ans qui, jusqu’à la semaine dernière, avait cinq enfants. Ses fils aînés, Ahmed, 26 ans, et Mohammed, 22 ans, tous deux grands et beaux, servent à leurs invités du café amer et des dattes sucrées. Mohammed travaillait jusqu’à récemment dans une succursale de la chaîne de supermarchés Rami Levy dans la colonie de Mishor Adumim - dans « l’exécution des commandes », dit-il en hébreu. Cependant, lorsque la police des frontières a tué son frère, son permis de travail a été automatiquement révoqué. Les familles palestiniennes endeuillées sont toujours punies deux fois : une première fois par la mort d’un être cher et une seconde fois par la privation de leurs moyens de subsistance.

 

Mohammed, à gauche, et Ahmed Wajali, avec le scooter que conduisait leur frère Qusai lorsqu’il a été abattu.

Les frères de Qusai ont essayé de le persuader de retourner à l’école, mais il n’aimait pas étudier et n’y est jamais retourné. Il travaillait au magasin de légumes tous les jours de 16 heures à 2 heures du matin, avant de rentrer chez lui pour s’occuper des feuilles de molokhia. Pendant l’été, les gens préfèrent travailler la nuit et dormir le jour. En effet, lorsque nous avons traversé la ville sous le soleil brûlant de l’après-midi en début de semaine, les rues elles-mêmes semblaient s’être dissoutes sous l’effet de la chaleur.


Le dernier jour de sa vie, Qusai n’est pas allé travailler mais est resté à la maison pour se reposer, comme il le faisait à l’occasion. Seul Mohammed est allé travailler au magasin de leur oncle ; ils avaient l’habitude de s’y rendre ensemble sur le scooter de Qusai. Ce jour-là - le lundi 14 août - Qusai travaillait avec les feuilles, et vers 2h30 du matin le mardi, il est sorti pour acheter des cigarettes. Environ une heure plus tard, il a pris le scooter et s’est rendu au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, situé à la périphérie sud de Jéricho.

 Ces derniers mois, Aqabat Jabr est devenu un lieu militant et sanglant. Presque chaque nuit, les Forces de défense israéliennes et les troupes de la police des frontières font des descentes dans le camp pour exécuter des « opérations d’arrestation » aussi provocatrices qu’inutiles ; à certaines occasions, les soldats se montrent également dans la journée, comme nous l’avons vu lors de notre précédente visite en mars dernier.

Début février, à la suite d’un incident au cours duquel un restaurant appartenant à des colons au carrefour d’Almog Junction, près de la mer Morte, a été la cible de tirs - personne n’a été blessé - les forces des FDI et de la police des frontières ont lancé un assaut de grande envergure sur le camp, d’où elles pensaient que les suspects venaient, et ont tué cinq jeunes gens en une seule nuit, selon les autorités israéliennes. Mais les habitants du camp affirment qu’on ne sait toujours pas exactement qui et combien de personnes ont été tuées, car Israël a conservé les corps. Une mère, qui pensait que son fils avait été blessé, est arrivée dans un hôpital en Israël et a été consternée de découvrir que le patient dans le lit n’était pas son fils - qui, s’est-il avéré, avait été tué ("Jours tragiques dans les annales d’un camp de réfugiés palestiniens, 31/3/2023).

Au cours de l’année écoulée, 13 jeunes Palestiniens ont été tués à Aqabat Jabr - un nombre important pour un petit camp, autrefois considéré comme calme. Le 10 avril, des soldats y ont tué un jeune de 15 ans, Mohammed Balahan ; la semaine dernière, c’était un jeune de 16 ans.

 

Mardi à l’aube, Qusai se rendait chez son oncle et ses cousins, la famille Indi, dans le camp de réfugiés, où il se rendait fréquemment. Environ un quart d’heure après son départ, ses frères ont reçu un message d’un ami du camp indiquant que Qusai avait été blessé et transporté à l’hôpital de Jéricho. Avec leur père, ils se sont précipités à l’hôpital, apprenant quelques minutes plus tard que l’adolescent avait été déclaré mort. Qusai a été enterré aux premières lueurs du jour, car la famille ne voulait pas conserver son corps en chambre froide, nous disent-ils.

 

Cette nuit-là, la police des frontières avait organisé un raid à grande échelle sur Aqabat Jabr, pénétrant dans le camp peu de temps avant l’arrivée de Qusai. S’il avait su que les forces armées étaient entrées dans le camp, il ne se serait pas approché, affirment ses frères. La police des frontières avait pour mission de placer en détention un homme du Fatah, Abu al-Assal, une opération qui a suscité la résistance de militants armés. Les soldats ont pris position sur les toits.

 

Qusai Wajali

 L’oncle de Qusai habite non loin de la maison où l’homme recherché a été arrêté. Dans une autre partie du camp, la police des frontières avait déjà tué Mohammed Najum, un maître-nageur de 25 ans de la piscine de Jéricho, apparemment au cours d’échanges de coups de feu avec les militants. Mais Qusai, un jeune de 16 ans, venait d’arriver en scooter ; il est difficile de croire qu’il avait une arme ou qu’il a participé à la résistance. A-t-il jeté des pierres depuis le SYM 125 ? Cela défie l’entendement. Sa famille dit qu’elle ne peut même pas concevoir un tel scénario. Elle admet qu’elle ne connaît pas encore tous les détails de ce qui s’est passé ; elle n’a pas enquêté elle-même sur l’incident.

 

Selon Aref Daraghmeh, chercheur de terrain dans la vallée du Jourdain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Qusai est arrivé par hasard sur les lieux après être entré dans le camp et a été abattu à quelques dizaines de mètres de distance. Il est convaincu que Qusai n’était pas armé. Une balle a atteint l’adolescent à la poitrine et il est tombé sur le scooter. Des jeunes l’ont embarqué dans une voiture privée et ont filé à l’hôpital.

 

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine, en réponse à une question posée par Haaretz : « Le 15/8/23, les forces de sécurité sont arrivées pour procéder à l’arrestation d’un individu recherché et pour fouiller sa maison à la recherche d’armes. Dans le cadre des échanges de tirs qui ont eu lieu entre les forces et les terroristes, deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les forces ont été éliminés, y compris le sujet de votre enquête ».

 

L’objet de notre enquête était donc un terroriste.

 

« Il était jeune », dit son père en pleurs, la voix brisée. « Si jeune ».

 

 

02/04/2023

GIDEON LEVY
Qui se soucie de savoir si des Palestiniens sont morts ou vivants ?

 Gideon Levy, Haaretz, 2/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une famille est informée que son fils est tombé au combat. Une autre famille, de la même communauté, est informée que son fils a été blessé et capturé, et qu'il se trouve à présent dans l'hôpital de l'ennemi, de l'autre côté de la frontière. Pendant plus d'un mois, cette famille a essayé de rendre visite à son fils, tandis que l'autre famille pleure la mort de son proche, dont le lieu d'enterrement est inconnu. Finalement, le permis attendu arrive et la mère se rend au chevet de son fils blessé. Dès qu'elle entre dans sa chambre d'hôpital, son univers s'effondre : le jeune homme dans le lit n'est pas son fils. C'est le fils de ses voisins que l'on croyait mort. Les 40 jours de deuil rituel sont de toute façon écoulés.

C'est ce qui s'est passé ces dernières semaines dans le camp de réfugiés d'Aqabat Jabr, situé à la périphérie de Jéricho. Tayer Aweidat a été déclaré mort ; Alaa Aweidat aurait été blessé. Lorsque la mère, Nawal, s'est rendue à l'hôpital Hadassah de Jérusalem pour rendre visite à son fils, après un mois d'efforts pour obtenir un permis, elle a été stupéfaite de trouver un homme blessé qui n'était pas son fils. Depuis, elle et sa famille sont hors d'elles. Ils ne veulent savoir qu'une chose : qu'est-il arrivé à leur fils ?

L'État a en effet répondu : « La personne concernée n'est apparemment plus en vie et son corps est conservé au Centre national de médecine légale. ... Cela met fin à notre intervention », a écrit l'avocat Matanya Rosin, substitut au bureau du procureur de l'État, département de la Haute Cour de justice. L'avocat est catégorique : le fils est “apparemment” mort et c'est “la fin de notre implication”. C'est assez d'informations pour vous, sous-hommes, continuez à vivre avec vos doutes et n'osez plus nous déranger. L'avocat a également informé la famille, avec l'humanité qui caractérise si bien notre pays éclairé, que la famille peut se rendre à l'institut médico-légal pour identifier ce qui est supposé être le corps de leur fils.

01/04/2023

GIDEON LEVY
Jours tragiques dans les annales d’un camp de réfugiés palestiniens

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 31/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le cyclomotoriste qui s’est fait tirer dessus et qui a été arraché aux ambulanciers. La mère qui est allée rendre visite à son fils blessé et qui a découvert que le patient dans le lit était quelqu’un d’autre, qui avait été déclaré mort. Les enfants en bas âge utilisés comme boucliers humains. Histoires d’Aqabat Jabr

Nasser Shloun avec les jumeaux Mohammed et Ahmed. Les soldats ont ordonné aux personnes qui se trouvaient dans la rue de tenir les enfants en bas âge pour les protéger des jets de pierres.

 Quelqu’un dans la pièce a dit avoir entendu un coup de feu, quelqu’un d’autre a immédiatement vérifié les mises à jour sur les médias sociaux du camp de réfugiés. Les rapports indiquent que des soldats israéliens en civil se trouvent dans les ruelles.

L’armée avait de nouveau envahi le camp, cette fois en plein jour, afin d’enlever des personnes sans aucune autorisation légale - un acte connu en Israël sous le nom d’“arrestation d’activistes terroristes”. Tout le monde est devenu tendu et a commencé à quitter la maison prudemment, l’un après l’autre, en file. Dans la rue, les gens courent. Il se passe quelque chose, ailleurs dans le camp. Au bout de la rue, des habitants avertissent les automobilistes de faire demi-tour, des soldats sont là. Nous avons quitté le camp par une route de contournement.

C’est ce qui s’est passé lundi après-midi dernier, lorsque nous nous sommes rendus dans le camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, à la périphérie de Jéricho, pour documenter ce qui s’est passé dans cet endroit reculé au cours des dernières semaines. Alors qu’en Israël, les gens retenaient leur souffle dans l’attente de l’annonce par le premier ministre de la suspension de son paquet de “réformes” législatives, les habitants d’Aqabat Jabr retenaient leur souffle dans la crainte de l’armée israélienne, qui a commencé à y mener des raids fréquents, laissant derrière elle des morts et des blessés.

Jamais la ville de Jéricho, normalement calme, n’a semblé aussi éloignée de Tel Aviv. Deux récentes fusillades dont les auteurs venaient du camp - l’une n’a fait aucun blessé, l’autre a coûté la vie à un Israélien né aux USA, Elan Ganeles, 26 ans - ont amené à plusieurs reprises l’armée dans les ruelles étroites d’Aqabat Jabr.

Le 1er  mars vers midi, Nasser Shloun, 58 ans, s’est présenté au domicile de son frère Maher pour changer la serrure de la porte d’entrée. Nasser est un ancien prisonnier qui, en 1989, a été condamné à la prison à vie pour le meurtre d’un officier de police ; il a été libéré dans le cadre des accords d’Oslo de 1993. L’un de ses frères a été assassiné par des inconnus une semaine après sa propre libération d’une prison israélienne ; un autre frère a été libéré il y a des années dans un état mental instable dont il ne s’est pas remis.