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Jaime Rafael Nieto López
El Reloj Político Latinoamericano 

Hoy sabemos que el mundo se está transformando desde el punto de vista geopolítico, obviamente también desde el punto de vista geoeconómico, lo cual reclama de los gobiernos progresistas una política regional e internacional cada vez más autónoma, soberana e integrada frente a los grandes poderes a nivel mundial… Es probable que aún no estén dadas las condiciones subjetivas para un giro revolucionario. Pero, ¿existe la voluntad política por parte del progresismo para efectuarlo?

Hamza Hamouchene
 Vietnam, Algeria, Palestine: passing on the torch of the anti-colonial struggle
 Vietnam, Argelia y Palestina: pasar la antorcha de la lucha anticolonial
Entre le Vietnam, l’Algérie et la Palestine, passer le flambeau de la lutte anticoloniale


Nir Hasson: A Massive Database of Evidence, Compiled by a Historian, Documents Israel's War Crimes in Gaza”

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19/12/2024

GIANFRANCO LACCONE
Les super-riches bousillent l’environnement

Gianfranco Laccone, climateaid.it , 17/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

De nombreuses études suggèrent que les super-riches ont un impact environnemental disproportionné par rapport à la majorité de la population. Cet impact est principalement lié à leur mode de vie, à leurs habitudes de consommation et à leurs investissements. Voici quelques études et rapports pertinents analysant l’impact environnemental disproportionné des super-riches : 1. Oxfam - « Confronting Carbon Inequality » (2020) : les 10 % les plus riches de la population mondiale sont responsables d’environ 50 % des émissions mondiales de CO2 entre 1990 et 2015. Les 1 % les plus riches émettent deux fois plus que les 50 % les plus pauvres de la population mondiale. La consommation des super-riches, notamment les jets privés, les yachts et les grandes propriétés, est l’une des principales causes de ce déséquilibre. 2) Stockholm Environment Institute (SEI) - « Carbon Inequality in 2030 » (2021) : si aucune mesure n’est prise, les 1 % les plus riches seront responsables de 16 % des émissions mondiales d’ici à 2030. Les émissions individuelles des super-riches dépassent de loin les niveaux supportables pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. 3. Cambridge Sustainability Commission - « The Case for Limiting the Consumption of the Rich » (2021) : l’étude souligne que la surconsommation de l’élite économique est une cause majeure de la destruction de l’environnement. Elle propose de taxer les produits de luxe et les émissions des super-riches afin de réduire l’impact sur l’environnement. 4) Transport & Environnement - « Private Jets : Can the Super-Rich Supercharge Climate Change » (2021) : Les jets privés émettent entre 5 et 14 fois plus de CO2 par passager qu’un vol commercial et 50 fois plus qu’un train. En 2019, les jets privés ont émis environ 2,1 mégatonnes de CO2 rien qu’en Europe. 5. Agence internationale de l’énergie (AIE) - « The Global Energy Perspective » (2023) : les ménages les plus riches consomment disproportionnellement plus d’énergie que les plus pauvres, en raison de l’utilisation de propriétés multiples, de piscines chauffées, de voitures de luxe et d’autres biens à forte consommation d’énergie. 6. Changement environnemental mondial - « Luxury emissions : The climate impact of the super-rich » (2022) : la consommation de produits de luxe (montres, voitures haut de gamme, yachts, etc.) a une empreinte environnementale beaucoup plus importante que la consommation de base. L’étude suggère la nécessité de politiques qui redistribuent la charge environnementale en réduisant la consommation des riches.

Comment les riches ravagent la planète — Et comment les en empêcher, de Hervé Kempf (scénariste) et Juan Mendez (illustrateur), aux éditions du Seuil, septembre 2024, 128 p., 20 euros

Laissons pour l’instant les réflexions générales sur les questions qui façonneront nos prochaines années : la guerre et l’attitude des autorités à l’égard du changement climatique. Les gouvernements sont dans une phase de grande crise et il semble que la seule réaction dont ils sont capables soit de limiter les actions de leurs citoyens par des restrictions économiques et des lois et moyens plus ou moins coercitifs, puis d’essayer de s’attirer leurs faveurs en leur garantissant - en paroles - la sécurité et des réductions d’impôts.
Examinons de plus près les comportements individuels en matière d’environnement, en les analysant avant tout sur la base des revenus car, dans une société où l’argent détermine les comportements, il est essentiel d’évaluer ce que les gens font en matière d’environnement sur la base des possibilités dont ils disposent.
Je pense qu’il est utile d’ouvrir une fenêtre sur le comportement des personnes qui ont accumulé de grandes richesses et qui vivent immergées (virtuellement) dans la structure centrale de la société planétaire, c’est-à-dire le moteur industriel qui génère des richesses grâce au système financier qui le soutient. Il s’agit d’une minorité distincte par rapport aux huit milliards (et plus) d’habitants qui, grâce à la capacité qu’ils ont de se comporter au-dessus (souvent au-delà) de la loi et du comportement des masses, conditionnent la vie de tout le monde. Nous découvrirons qu’ils conditionnent non seulement les personnes mais aussi l’environnement, c’est-à-dire tous les êtres vivants, animaux et plantes. Commençons par l’analyse réalisée par Oxfam, une organisation qui analyse et compare les inégalités afin de « mettre fin à la pauvreté et à l’injustice », car « un monde plus juste et meilleur est possible », comme l’indiquent les mots inscrits sur leur site web.
Leur dernier rapport (auquel l’hebdomadaire Famiglia Cristiana s’intéresse) stigmatise le comportement des milliardaires, en mesurant la consommation d’un milliardaire typique : les heures de vol, la consommation de super-yachts, de jets et de limousines privées, le chauffage de leurs résidences, le temps et l’argent utilisés pour des activités apparemment communes à celles des autres mortels, comme se rendre au travail, visiter les entreprises dont ils sont responsables, avoir des moments de détente, mais tout cela dans un style multimilliardaire.
Les données sont implacables : par exemple, un milliardaire parmi les 23 plus riches du monde émet dans l’atmosphère, en une seule année, une quantité de CO2 égale à celle qu’un autre être humain, considéré dans des conditions statistiques moyennes, émettrait en 300 ans, rien qu’en calculant le nombre de fois (184 vols) et le nombre d’heures (425) qu’il a passées en avion ! En utilisant le même critère de calcul annuel, les yachts de 18 milliardaires, qui font l’objet d’articles de presse non seulement dans les magazines people, émettent une quantité de dioxyde de carbone égale à celle qu’un citoyen moyen émettrait en 800 ans.
On pourrait penser que, compte tenu de leur mode de vie, nombre d’entre eux pourraient compenser ces dommages par des activités caritatives, des actions respectueuses du climat et la protection de la faune et des forêts. Tout cela arrive, mais ne sert qu’à soulager les consciences. Contrairement à l’opinion de ceux qui prônent la libre initiative au détriment des interventions des États et des organisations internationales (ONU et ses affiliés), l’analyse nous apprend que 40 % des investissements des ultra-riches concernent des industries très polluantes.
Depuis 1990, la quantité d’émissions produites par les choix des milliardaires et leur mode de vie a eu des conséquences dévastatrices pour la planète. Le statut de cette catégorie est exécrable en analysant ce qu’elle a provoqué dans trois domaines différents :

- L’augmentation des inégalités dans le monde, qui aurait entraîné une baisse du PIB mondial de 2,9 billions de dollars depuis 1990, avec le plus grand impact dans les pays qui ont été les moins responsables des émissions de CO2.
- L’augmentation de la faim et de la malnutrition, les émissions de CO2 étant à l’origine de pertes de récoltes et d’une baisse de productivité qui ont privé les populations, en particulier dans les régions pauvres, de leurs moyens de subsistance.
- Les victimes directes de la crise climatique, car la hausse des températures et la chaleur torride sur des périodes prolongées ont fait jusqu’à 78 % du nombre total de victimes, principalement dans les pays moyennement pauvres souffrant de sécheresse chronique.

Si telles sont les données, difficilement contestables, faut-il en conclure que la planète est entre les mains d’une poignée de malfaiteurs? Alors, après les avoir éliminés ou contrôlés, serions-nous en mesure de rétablir de meilleures conditions de vie à l’avenir ? Cette façon de penser peut donner lieu à une série de films à grand spectacle, comme « Star Wars », mais elle nous éloigne de la réalité. Le comportement des super-riches, en effet, est guidé par des règles et des comportements acquis à partir des règles morales et sociales qui guident aujourd’hui nos relations et qui voient une propension particulière se développer au fil du temps chez certains individus.
Il s’agit d’une vision de l’argent comme prolongement de soi et d’une sorte de délire de toute-puissance qui frappe aussi sous d’autres formes, comme l’exercice de la politique en tant que profession. Lorsque les propensions se rejoignent, on assiste alors à l’émergence de personnages qui poursuivent cet objectif jusqu’à la fin de leur cycle de vie, mais qui laissent ensuite les structures et les personnes dont ils avaient la responsabilité dans un état bien pire que celui dans lequel ils les avaient acquises. Je ne cite pas de noms, mais il sont faciles à trouver.
Un essai/enquête écrit par Vance Packard en 1989, intitulé « Les ultra-riches (The Ultra Rich) », nous aide dans notre analyse des super-riches. Déjà à l’époque, en plein hédonisme reaganien, l’auteur - bien connu des défenseurs des consommateurs pour son essai de 1958 « The Hidden Persuaders » - posait le problème de ce qui pourrait se passer si plus d’un tiers de la richesse d’un pays (les USA) était entre les mains d’un pour cent de la population : est-ce moralement et rationnellement justifiable ? Est-ce admissible dans une société véritablement démocratique ?
En analysant les propriétaires de plus de 330 millions de dollars et en interrogeant trente d’entre eux, il a dressé un tableau - à mon sens - étonnant. Leur richesse n’était pas vraiment perceptible psychologiquement pour eux. Leur train de vie était souvent très inférieur à leurs possibilités réelles, mais le besoin d’accumulation en soi persistait chez tous, ce qui constituait la principale satisfaction à côté de la propension générale à contourner l’impôt. La richesse est le support de l’ego, la preuve qu’ils sont toujours en compétition pour l’acquisition du pouvoir et du prestige, souvent avec des systèmes douteux ou malhonnêtes : c’est ce qui ressort des entretiens, même dans les cas où des philanthropes sont impliqués. À la lecture du livre, les événements de nombreuses telenovelas de l’époque (Dallas, Even the Rich Cry) apparaissent comme des contes de fées édulcorés pour enfants. Et je dois ajouter que j’ai eu la même impression lorsque, en 1987, j’ai eu la chance d’assister à la présentation d’un livre à la Trump Tower par l’épouse de Donald Trump à l’époque.
Vance Packard, libéral usaméricain et défenseur du libre marché, proposait alors des solutions drastiques, qui rappellent les événements européens d’aujourd’hui, visant à réduire les concentrations de capital : l’introduction d’un impôt sur la fortune, l’imposition d’un « plafond » sur la richesse individuelle avec l’obligation de dépenser le capital excédentaire dans l’intérêt de la communauté.
Bien sûr, à l’époque, on ne connaissait pas les conséquences environnementales du comportement des super-riches, mais ces conclusions tirées en 1989 devraient nous faire réfléchir sur le chemin parcouru par notre machine sociale et sur le chemin qui reste à parcourir pour unir une vision écologiste à une conscience sociale.

11/11/2024

GIANFRANCO LACCONE
Valence : la fin de la société industrielle

Gianfranco Laccone, Climateaid, 8/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Parmi les nombreuses images de la situation tragique de Valence, l’une d’entre elles m’a frappé par sa valeur symbolique. Il s’agit d’un amoncellement de voitures entre les immeubles, dans une étroite rue en pente de la ville espagnole ; empilées au hasard, comme si elles avaient été entassées dans une grande casse automobile, précédées et entremêlées de poubelles, elles sont regardées avec incrédulité, étonnement et résignation par les personnes qui se trouvent à sa base. Mais il s’agissait en fait de voitures neuves, garées le long des rues de la ville et entraînées vers le bas par la furie de l’eau qui s’était abattue pendant quelques heures et qui, en une seule journée, avait dépassé la quantité d’eau qui, en règle générale, tombe en un an.

Je dis « en règle générale », mais la règle n’est plus respectée désormais, sauf, approximativement, dans la quantité totale de précipitations qui, dans la zone méditerranéenne, arrivent sous des formes différentes que par le passé : peu de neige (mais quand elle arrive, elle est abondante), beaucoup de fortes pluies (qui mouillent souvent les gens plus par le bas que sur la tête en raison de la force avec laquelle elles tombent), beaucoup de grêle et de nombreux phénomènes divers tels que des tornades, des ouragans, des éclairs en quantités jamais vues auparavant.
Les images sont frappantes parce qu’elles concernent la destruction des signes de « notre » civilisation occidentale: voitures, autoroutes, supermarchés avec garages souterrains, villes couvertes de béton et d’asphalte, systèmes d’alerte électronique, la structure de la gouvernance. Tout ce qui a explosé en Espagne n’était pas « arriéré » et un vestige d’un système économique industriel obsolète ; au contraire, c’était le fruit de ce que notre civilisation a de mieux à offrir, y compris le mécanisme de consommation des services liés à notre vie. Progressivement, nos villes (l’Espagne n’est pas différente de l’Italie ou de l’Allemagne) ont abandonné la construction de services sociaux (hôpitaux, écoles, administrations) pour devenir des centres de repos (immenses quartiers dortoirs) et de tourisme de consommation rapide. Ce ne sont plus les vacances de la bourgeoisie naissante du XVIIIe siècle que Goldoni décrivait dans sa Trilogie de la villégiature, mais les vacances au pas de course que l’on prend le week-end, en dormant dans les chambres d’hôtes qui ont remplacé les maisons des centres historiques en provoquant la « gentrification » (transformation des quartiers populaires des centres historiques en structures haut de gamme ou commerciales) ou encore dans les bus verts phosphorescents qui sillonnent l’Europe de long en large.

Pour en revenir à la catastrophe espagnole, conséquence évidente du changement climatique, elle n’est pas très différente des catastrophes italiennes de ces dernières années, si ce n’est par l’ampleur des dégâts et des morts. En outre, la faible ampleur des catastrophes italiennes étaient dues au hasard, à la nature pédoclimatique des localités touchées, à la structure hydrographique et à la répartition de la population, et non aux structures socio-économiques existantes. En effet, il y a le paradoxe que les forces politiques de gouvernement - centrales et locales - des deux États, inversement réparties, ont accumulé le même échec et montré la même incapacité à « prévoir » et à « gouverner » le désastre. S’il n’était pas tragiquement criminel Si l’attitude des fascistes espagnols cassant des voitures et en tabassant des dirigeants n’était pas tragiquement criminelle, elle serait risible : qu’ont fait leurs petits copains du gouvernement central en Italie ? Ont-ils été beaucoup plus capables ? Ont-ils changé les choses maintenant qu’ils gouvernent ce pays ? En réalité, l’idéologie industrialiste qui guide nos élites (qu’elles soient de gauche ou de droite) est la même et elle est en faillite.
L’industrie et ses institutions : les associations professionnelles, les syndicats, les coopératives, les structures - étatiques ou privées - qui guident l’éducation, la santé, les secours et les urgences, ont toutes échoué, et en substance ce n’ était pas leur faute. Il est désormais clair que la catastrophe de 2005 USA - les inondations en Louisiane causées par l’ouragan Katrina, avec 1 392 morts et 125 milliards de dollars de dégâts - malgré la responsabilité considérable de l’administration Bush, n’était que partiellement due à l’incapacité administrative et à l’idéologie économique particulière qui croyait au progrès illimité fourni par le marché. La réalité d’aujourd’hui confirme l’incapacité de toute idéologie (socialiste ou capitaliste) à avoir une relation positive avec l’environnement, puisqu’elles placent l’industrie et le marché (social ou du capital) au-dessus de la relation de coopération entre les êtres vivants, du respect de leurs différents besoins, de la prise en compte des temps et des modes de relation avec la Nature. Nous avons déjà écrit que les eaux ont leur propre chemin et que leur respect est un impératif, indépendant de notre époque et de nos structures sociales. 


Ce n’est pas un hasard si l’une des vidéos sur la catastrophe espagnole montre la petite ville d’Almonacid de la Cuba sauvée des eaux par un barrage construit en bordure de la localité pendant l’empire romain, il y a deux mille ans (et qui, heureusement, n’a pas été démoli au cours des siècles suivants).

De plus, les connaissances que nous acquérons ne nous ouvrent pas les yeux sur situation réelle. Le phénomène de la DANA (Depresión Aislada en Niveles Altos - dépression isolée à niveau élevé, ou gouttefroide), que j’avais déjà mentionné en parlant des inondations en Romagne dans un article précédent (ici) est bien connu, à tel point qu’il est expliqué avec des mots simples, accessibles même aux administrateurs, dans un spectacle amusant de Giobbe Covatta « 6 degrés » qui présente ironiquement l’effet de l’augmentation future de la température de notre planète. L’Agenda 2030 a été créé dans le but d’éviter ou au moins de réduire tout ce qui est en train de se produire.
Il n’y a pas de solutions alternatives, les politiques foncières doivent être modifiées et nous devons dire adieu au symbole du progrès : la voiture alimentée par des combustibles fossiles. Comment construire cet avenir ? Il y a une image qui, au milieu de la douleur, nous redonne de l’optimisme : face à la situation d’abandon que tant de vivants (hommes et animaux) ont vécue en Espagne, en Italie, au Maroc, au Bangladesh, face au pillage auquel certains ont été tentés de se livrer, il y a des milliers d’hommes (et d’animaux) qui ont travaillé en coopération ; équipés d’outils rudimentaires, ils ont œuvré pour sauver et reconstruire. Les anges de la boue que nous avons vus à Florence après les inondations de 1966 ont été vus en Romagne et à Valence, et opèrent dans un esprit de coopération dans toutes les autres parties du monde, ridiculisant les énormes progrès technologiques qui sont censés changer nos vies, mais qui en réalité ne les améliorent en rien.
Soixante ans plus tard, ce sont toujours les mains, la pelle et l’esprit de solidarité qui donnent de l’espoir au monde.


 


08/10/2024

GIANFRANCO LACCONE
Au milieu de guerres et de crise climatique, le G7 de l’Agriculture sous présidence italienne s’est payé de mots

Gianfranco Laccone, climateaid.it, 3/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Je crois que lorsqu’on parlera un jour de cette période de l’histoire de l’humanité, on parlera d’une époque où les images éphémères régnaient et les « apparences » primaient sur la réalité des faits. Lorsque la réalité reprendra le dessus sur l’apparence, on parlera d’une période où l’hypocrisie prévalait dans les relations internationales, à tel point que les causes et les effets des actions des gouvernements de l’époque étaient dissimulés dans les documents signés.


Parallèlement au G7, se tenait sur l'île d'Ortigia une expo de promotion du Made in Italy baptisée "DiviNation" où Giorgina et son ministre Lollobrigida ont fait leur show

Cette prémisse était nécessaire pour recadrer les résultats de la réunion du G7 de l’agriculture, l’une des nombreuses qui marquent chaque année les relations entre les États les plus puissants de la planète. Elle s’est déroulée dans un climat d’incertitude, tant en ce qui concerne la situation géopolitique que la situation spécifique de l’agriculture. Pour tout dire, les participants à la réunion étaient l’expression de gouvernements démissionnaires, démis ou nouvellement formés pour la plupart des États (pensons aux récentes élections en France ou à celles à venir aux USA) et n’étaient pas en état de prendre des engagements concrets. Comme ces réunions ont lieu tous les ans, la réunion italienne aurait été l’occasion de faire un travail de couloir, de développer les connaissances des nouveaux participants et de conclure par d’éventuels engagements concrets avec les autres.

Au lieu de cela, on a préféré en faire un cirque Barnum, en l’associant à une autre foire commerciale, comme l’ont souligné de nombreux organes de presse, avec un effet promotionnel qui, dans les intentions des organisateurs, aurait renforcé l’image du Made in Italy.

Personnellement, j’ai de sérieux doutes quant aux résultats futurs, en particulier parce que les conditions climatiques et de marché dans le secteur agricole ne sont pas parmi les plus favorables et sont combinées à des conditions géopolitiques qui ont conduit à certaines crises de marché et à la détérioration des conditions alimentaires dans certaines régions de la planète.

Tout cela parce que le monde poursuit la guerre globale « en morceaux », renforçant la pratique actuelle qui consiste à déclencher des attaques non pas contre les armées adverses, mais contre la population du camp opposé, en semant la terreur. Dans ces camps, les malheureux habitants sont coupables de vivre là et sont souvent tués sous prétexte que « l’ennemi les utilise comme boucliers humains ». Dans cette lente mais inexorable escalade, d’autres pratiques guerrières détestables, utilisées dans le passé, telles que le siège et l’affamement de l’ennemi - aujourd’hui appelées par euphémisme « crises humanitaires » - sont mises en œuvre.

Pendant ce temps, les pays du G7, tout en discutant de l’agriculture, se déchargent de toute responsabilité directe et tentent de trouver la « quadrature du cercle » entre l’augmentation de la productivité (et donc de la consommation d’énergie) d’une part, et la réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique d’autre part.

Le communiqué publié à l’issue des travaux ne dit rien de nouveau sur ce que toutes les grandes institutions internationales (ONU, FAO, OCDE) disent depuis des années sur la relation entre faim / protection de l’environnement / développement socio-économique. Le G7 arrive bon dernier en admettant cette relation, selon laquelle il semble évident qu’il ne sera pas possible d’éliminer la faim dans le monde si cela ne se fait pas en parallèle de la protection de l’environnement et du développement socio-économique.

Mais depuis une décennie, l’Agenda 2030 a été mis en place, qui a placé cette relation à la base de ses objectifs, signé par tous les pays de l’ONU, mais tous les États sont à la traîne dans leur réalisation et les résultats que l’on pensait possibles en 2030 sont toujours repoussés.

Le communiqué de clôture du G7 ne laisse rien transparaître de cet échec global. Le ton déclamatoire du communiqué cache en réalité un manque d’action et dans les commentaires de la plupart des médias italiens, on vante la nature même du document, véritable manifeste de l’agriculture que nous voulons : rentable, résiliente, équitable et durable. Mais ils omettent de noter ce que la rigueur des données montre : depuis 1970, si une partie du monde a été libérée de la faim, ce n’est pas grâce à l’intervention des grandes puissances et des institutions économiques qu’elles dirigent, mais grâce à l’effort que la Chine a fait en interne pour amener le pays à ce qu’il est aujourd’hui. Pour le reste, l’aide apportée aux pays dans le besoin a été anéantie par le changement climatique et les guerres.

On ne sait pas dans quelle mesure la transformation industrielle de l’agriculture dans les pays dits « pauvres » a été un vecteur d’amélioration ou, peut-être, d’affaiblissement structurel supplémentaire face aux changements géopolitiques. Mais un minimum d’autocritique, sous la forme d’un changement des méthodes et de la voie adoptée jusqu’à présent dans les relations avec les autres pays (notamment en Afrique), aurait été nécessaire, ne serait-ce que pour réduire la distance politique qui existe aujourd’hui entre les sept puissances et le reste du monde.

Par exemple, toutes les motions déposées à l’ONU sur les conflits impliquant la Russie et Israël, votées par les sept grands et visant à condamner l’agression et le terrorisme, ont vu 35 États africains voter systématiquement contre ; un signe de dissidence à l’égard des politiques développées par les « grands » pays qui, malheureusement, tend à augmenter.

Comment pensez-vous impliquer tous les pays africains dans des relations économiques stables s’ils ont vu précisément dans les deux conflits - en Russie et au Moyen-Orient - la cause principale de la hausse des prix du pétrole, qui est à son tour la cause principale de la hausse des prix des denrées alimentaires ? Et comment veut-on augmenter la capacité d’autosuffisance alimentaire si le changement climatique oblige à abandonner de nombreux territoires sur les différents continents et que le développement économique dépend du mécanisme d’exportation ?

Dans de nombreux pays dits pauvres, les produits agricoles et la main-d’œuvre sont les seuls produits commercialisés. Mais lorsque les sécheresses réduisent la production agricole et que les politiques des pays riches empêchent l’entrée légale sur le marché du travail, comment sommes-nous censés améliorer les relations entre les nations et les conditions économiques générales ? Trop d’inconnues se cachent derrière le mécanisme d’aide au développement mentionné dans le document. Un petit exemple est la contradiction entre la protection des produits italiens et la nécessité d’ouvrir le marché et la production agroalimentaire aux produits des pays tiers, en premier lieu africains et ukrainiens, qui suscite la révolte de nos agriculteurs.

Les pays touchés par la crise climatique sont souvent les plus pauvres et, si l’on regarde les autres, ce sont les régions les moins riches des pays industrialisés qui sont les plus touchées par la crise. La crise climatique dans les régions riches est facilement déguisée en faible croissance du PIB : si le monde dans son ensemble n’est plus en mesure de « croître », c’est parce que l’exploitation des ressources et des terres a atteint ses limites, mais vous ne trouverez pas cela dans le communiqué. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions...

07/09/2024

GIANFRANCO LACCONE
L’agriculture biologique, un indicateur de l’avenir

Gianfranco Laccone, Climateaid, 5/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Les aliments biologiques n’utilisent pas d’intrants chimiques, préservent la fertilité des sols et sont plus respectueux du bien-être des animaux. La méthode de l’agriculture biologique protège l’environnement, les écosystèmes et la biodiversité, en favorisant un modèle culturel et de développement qui valorise les ressources naturelles en évitant la surexploitation des sols, de l’eau et de l’air. La production alimentaire durable et la sécurité alimentaire sont garanties par la stratégie « de la ferme à la fourchette » de l’UE.
Cependant, il existe certaines contradictions dans la production d’aliments biologiques : par exemple, certains additifs alimentaires sont permis et autorisés alors qu’on ne peut ignorer que plusieurs d’entre eux provoquent une hypersensibilité chez les jeunes consommateurs - même si les données sur les causes spécifiques et multiples des allergies ne sont pas certaines - et masquent les caractéristiques intrinsèques du produit alimentaire liées aux qualités organoleptiques (texture, couleur, arôme, palatabilité [appétibilité], etc.). Et ce, dans un contexte où les conditions de santé de la population ne cessent de se dégrader (surpoids, obésité, hypertension et maladies cardiovasculaires, diabète et cancer). C’est pourquoi l’évolution des produits biologiques doit s’orienter, sinon par la loi, du moins sur une base volontaire, vers une production excluant la présence d’additifs, comme le recommande la pratique de référence Uni/Acu 57:2019.

Les nouveautés et les changements surviennent souvent à l’occasion d’événements considérés comme mineurs et de faits qui ont une apparence de routine administrative. À mon avis, ce qui s’est passé dans le secteur biologique au début du mois d’août, avec la création de ConfagriBio, l’association de Confagricoltura [Confédération générale de l’agriculture italienne] dédiée à l’agriculture biologique, est l’un de ces événements qui signalent un changement en cours. Je le dis en connaissance de cause, car je suis le secteur biologique depuis les années 1970 et je suis membre d’une association (ACU) qui est depuis sa création, lorsqu’elle s’appelait Agrisalus, membre de l’IFOAM, la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, Je crois que l’agriculture et le secteur biologique en particulier ont besoin de signaux novateurs ; le fait qu’ils soient donnés par des entreprises qui ont joué un rôle, pour le meilleur ou pour le pire, dans l’introduction d’innovations dans l’agriculture, confirme le poids de la décision. En effet, Confagricoltura, une association qui a fait de la « culture d’entreprise » l’outil directeur de ses activités de production, a décidé en premier lieu de créer une section dédiée à l’agriculture biologique, et Paolo Parisini, un entrepreneur agricole dont le CV comprend la présidence de la Federazione Nazionale Prodotto Bio (Fédération nationale des produits biologiques), a été nommé président de l’association nouvellement créée.

Pour comprendre le sens que revêt dans le panorama agricole et dans l’histoire du secteur une nouvelle association regroupant des entreprises qui ont grandi dans la logique du marché, il faut se souvenir du passé, lorsque l’écologisme et ses domaines voisins (dont l’agriculture biologique) semblaient n’être qu’une entrave à l’avancée du progrès industriel. Je viens d’une région du sud de l’Italie - les Pouilles - qui a vécu tout cela de près, lorsque le plus grand centre sidérurgique d’Europe a été construit à Tarente, inauguré en novembre 1964, après que la réforme agraire et le plan vert du gouvernement italien eurent mis en production une grande partie des terres asséchées de la même zone (l’arc ionien-Tarente), qui avaient perdu leur disponibilité en eau et leur importance économique potentielle au profit de l’industrie sidérurgique. Aujourd’hui, à la tête d’un secteur d’entreprises biologiques, se trouve un ressortissant de la première région de production agroalimentaire qui a connu, avec l’inondation de la Romagne, un désastre écologique et productif de même ampleur, conséquence du manque d’intérêt de la plupart des institutions pour la région, suivi d’un désastre économique dû aux politiques économiques gouvernementales « inadéquates » pour le rétablissement des activités dans les zones touchées. L’association peut représenter, comme l’indique le communiqué de presse, « la valorisation et la diffusion de l’agriculture, de la zootechnie et de l’aquaculture biologiques et des pratiques agricoles connexes, ainsi que la promotion de la recherche, de l’expérimentation et du transfert de technologie. L’accent est mis en particulier sur l’extension de la production biologique dans les zones intérieures et les zones protégées, afin de soutenir le développement économique, social et environnemental de ces zones ». 

Ce sont des mots qui pourraient sembler rhétoriques s’ils n’étaient pas reflétés de manière adéquate dans l’activité pratique. C’est à cela que l’on mesurera la valeur de cette association et que l’on verra si elle réussit à donner, comme je l’espère, un coup de fouet au secteur biologique. Reposant sur une position d’image, le secteur biologique l’a vu s’effriter au fil du temps sous les coups de boutoir de l’inflation et des règles administratives (italiennes notamment) qui semblent faites pour empêcher le secteur de décoller. Car l’agriculture biologique a des potentialités dans tous les secteurs productifs : de l’alimentation à la santé, à l’équilibre écologique, à la restauration de l’environnement, mais elle semble enfermée dans une cage dont on l’empêche de sortir. Cette cage s’identifie à des aspects économiques (l’avantage des aides étant substantiel pour permettre à la production conventionnelle de résister à la concurrence), à des aspects administratifs qui pénalisent surtout la diffusion d’une certification transparente et lisible pour le consommateur, et au changement climatique.

 Phil Umbdenstock

Nous n’irons pas loin si la nouvelle association se contente de répéter les plaintes que d’autres associations ont formulées depuis des années et qui ont amené les consommateurs à les considérer comme injustifiées, face à une situation générale de souffrance de la population et de baisse des revenus. En revanche, si l’on s’attaque aux aspects structurels qui ont empêché l’agriculture biologique d’être le moteur du renouvellement du système de production, une voie différente s’ouvrira. Il me semble paradoxal qu’un type d’agriculture comme l’agriculture biologique, qui utilise moins d’intrants énergétiques, obtient de meilleurs prix et présente une meilleure qualité intrinsèque des produits, ne trouve pas le soutien des administrateurs et des entreprises et ne puisse pas devenir un banc d’essai pour la création d’un système d’entreprise différent dans la région. Car donner moins d’engrais chimiques et moins de pesticides est bon pour le palais comme pour l’environnement et prolonge la conservation d’une grande partie des produits, surtout si l’on greffe sur ces productions des économies circulaires qui ne sont encore aujourd’hui que des slogans. 

Si nous analysons la base des investissements, des orientations et de la diversification nécessaires au changement climatique, nous constatons que dans les entreprises biologiques, il y a une meilleure prédisposition au changement et une plus grande résilience. Je ne vois pas pourquoi le PNRR [Plan national de relance et de résilience] n’en a pas tenu compte et pourquoi les plans de cohésion ne trouvent pas des moyens opérationnels d’utiliser ces aides que le bio offre. Je pense qu’une nouvelle association, au cœur du système commercial, peut être en mesure d’utiliser ces possibilités.

Dans chaque secteur économique, il y a toujours une partie qui anticipe la nouveauté et c’est différent selon les périodes. Par exemple, dans les années 1990, lorsque la concurrence et le marché ont semblé s’imposer, le système des marques locales (codifié dans l’UE par le règlement CEE 2081/92 pour les AOP et IGP - à l’exclusion des vins et spiritueux) est devenu un système de plus en plus important, capable de garantir l’image du produit et son uniformité au consommateur et de permettre aux producteurs locaux d’affronter les marchés de l’UE et mondiaux. La dynamique d’évolution de ce secteur s’est ralentie avec la transformation des marchés mondiaux. La vente de produits locaux est de plus en plus liée à des systèmes de marketing et d’image et de moins en moins à la qualité réelle des produits eux-mêmes, qui, à son tour, devient de plus en plus chère à obtenir. On pourrait dire que le marché se détruit avec le temps si la logique reste uniquement celle du profit, et c’est l’une des contradictions que la société industrielle a produites lorsqu’elle a remplacé la société médiévale. 


Ce n’est pas pour rien que je parle de ce type d’aliments et de deux époques différentes, car les périodes de transition se déroulent selon certaines caractéristiques qui se répètent généralement après des siècles et qu’il faut savoir saisir. Aujourd’hui, l’agriculture conventionnelle est au point mort, à la fois en raison de la réduction de la production due à l’intensification des intrants qui ne s’accompagne plus d’une augmentation de la production, et en raison de l’incapacité à répondre de manière flexible au changement climatique. Le système des AOP/IGP était interne à ce type d’agriculture et ce n’est pas un hasard si la production biologique, réglementée encore plus tôt - règlement (CEE) n° 2092/91 - n’a bénéficié que d’un soutien partiel et a été considérée comme présentant un intérêt moindre sur le plan de la production. L’agriculture biologique peut manifester son potentiel dans un système d’entreprise qui s’oriente vers des économies circulaires, qui donne la priorité à la qualité sur la quantité, qui prévoit la reconstruction des connaissances en agriculture avec l’utilisation de l’agroécologie. Nous attendons de voir comment cette nouvelle association agira. Comme el dit le proverbe, « si ce sont des roses, elles fleuriront ; si ce sont des épines, elles piqueront ».

NdT

Environ 10% des terres agricoles dans l’UE, soit 16 millions d’hectares, sont cultivées biologiquement. Les trois pays de tête sont la France, l’Espagne et l’Italie, avec respectivement 17,4%, 16,6% et 13,7%. 5 des 75 millions de bovins (6,6%) sont élevés biologiquement, la Grèce, l’Autriche et la Suède venant en tête. En France, l'équivalent de Confagricultura, la FNSEA, dispose de sections bio et édite un "bulletin bio". Mais elle a émis un communiqué de prison de position face au Programme ambition bio 2027 du Ministère de l'Agriculture qui semble signifier un "bioexit" [lire ici]

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28/06/2024

GIANFRANCO LACCONE
Satnam Singh, martyr de l’agrobusiness

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 27/6/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Le 19 juin 2024, à l’hôpital San Camillo de Rome, Satnam Singh, un jeune homme de 31 ans d’origine indienne, est décédé des suites de très graves blessures subies sur son lieu de travail, une ferme de Borgo Santa Maria, dans la province de Latina. Quelques jours seulement avant sa mort, à la suite d’un accident dans le champ où il travaillait, Satnam a perdu un bras, sectionné par une machine à ensacher les récoltes. Selon les résultats de l’autopsie, publiés le 24 juin, Singh est mort d’une hémorragie et aurait probablement pu être sauvé si son employeur avait appelé les secours plus tôt. En effet, au moins une heure et demie se serait écoulée entre le moment de l’accident et l’appel au 112. Satnam Singh n’avait pas de permis de séjour et était exploité à la ferme, avec sa femme, au moins douze heures par jour, sans contrat régulier.

Je pense que tout le monde a entendu parler, au moins en termes généraux, de l’histoire tragique de Satnam Singh, un ouvrier indien décédé dans la campagne de Latina à la suite d’un accident de travail et du chemin de croix qui a suivi avec l’abandon de son corps “en morceaux” devant sa maison.

 

Cette tragédie, qui horrifie tout le monde et jette le discrédit sur le système agricole italien, est emblématique de tout ce contre quoi nous luttons en exigeant la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de l’ONU. Elle est emblématique de toutes les revendications et de toutes les batailles que nous avons menées pour construire les objectifs de l’Agenda et ensuite les vérifier à travers des indicateurs qui évaluent leur progression au fil des années ; elle est emblématique de la nécessité de lier les droits, les secteurs productifs et l’environnement à la société qui y travaille, pour limiter le changement climatique et ses effets ; elle est emblématique du fait qu’il n’y a pas de tragédies qui ne soient pas liées de manière souvent dramatique à l’évolution de la planète.

 

Bras volés par l'agriculture, par Manuel De Rossi

 

Commençons par un élément qui est une métaphore du côté négatif du développement industriel, relatif à la sécurité au travail. Enfants, nous avons ri en regardant le film de Charlie Chaplin Les temps modernes, lorsque l’ouvrier est avalé par la machine et commence son voyage à l’intérieur de celle-ci.  C’est ce qui est arrivé à Luana D’Orazio à Prato, avalée par l’ourdisseur, la machine qui démêle les fils du tissu et aspire la personne qui y travaille si sa main se trouve sur les fils ; c’est ce qui est arrivé à la campagne à Satnam Singh parce que, si la machine qui débarrasse le sol des couvertures qui permettent de protéger les cultures ne ramasse pas le plastique qui s’est enfoncé dans le sol, il faut s’en éloigner pour éviter qu’elle ne vous attrape le bras.   Mais ce qui rend encore plus odieux les décès liés au travail survenus dans les campagnes, c’est le contexte et, avec lui, la trame des réactions qui ont conduit inexorablement à l’issue tragique. Les conditions de travail dans les campagnes sont indignes, mais elles sont acceptées, et l’invisibilité des personnes qui vivent de ce travail, de leurs familles, de leurs conditions de vie, est encore plus grande que l’invisibilité des crimes qui se cachent dans la boîte de tomates pelées ou de légumes que nous achetons. 

 

06/05/2024

GIANFRANCO LACCONE
La réforme de la politique agricole commune de l’UE entre (quelques) lumières et (beaucoup d’) ombres

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Parlement européen, lors de la dernière session plénière de la législature à Strasbourg, a approuvé la réforme de la politique agricole commune. Les députés ont donné leur feu vert au projet de loi avec les amendements techniques proposés par le Comité spécial de l’agriculture du Conseil et approuvés par la Commission de l’agriculture du Parlement. Le règlement doit maintenant être approuvé par le Conseil européen. La révision de la PAC modifie les règles relatives à trois exigences de conditionnalité environnementale auxquelles les agriculteurs doivent se conformer pour bénéficier d’un financement. Elle donne également plus de souplesse aux États membres pour accorder des dérogations aux règles en cas de problèmes d’application et de catastrophes naturelles. Les petites exploitations de moins de 10 hectares seront exemptées de contrôles et de sanctions en cas de non-respect de certaines normes. Les États membres disposeront également d’une plus grande marge de manœuvre dans l’application du ratio de prairies permanentes par rapport aux terres agricoles supérieur à 5 % qu’en 2018. (ITALPRESS)


L’hypothèse de réforme de la Politique agricole commune (PAC) 2023/2027 proposée par la Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’urgence a été adoptée par le Parlement européen, à la fois pour donner un signal au monde agricole en révolte et pour éviter de renvoyer les décisions à « après les nouvelles élections parlementaires ». On attend maintenant des gouvernements qu’ils ratifient ce qui a été proposé au Conseil, afin que le nouveau règlement entre en vigueur à la « fin du printemps », comme le souhaite le cabinet de Frau Von Der Leyen. Il s’agit d’une question qui concerne de très près les citoyens de l’UE, même si les seuls à qui elle s’adresse semblent être les agriculteurs (une petite minorité), car elle a une incidence sur le calendrier du secteur agricole, sa transformation sous l’effet du changement climatique et le coût des denrées alimentaires.

Même les administrations des différents pays se livreront à une analyse intensive pour comprendre les effets des changements introduits à la suite de la protestation, qui sera suivie d’un travail de contact avec les services de la Commission pour évaluer l’efficacité de la réforme elle-même. Toutefois, les ajustements nécessaires et les modifications éventuelles ne changeront pas les orientations qui viennent d’être votées, mais concerneront le plan stratégique de chaque pays. Ainsi, même dans un cadre communautaire, une ligne d’intervention distincte sera maintenue pour chaque pays, afin de mieux adapter les politiques à la situation spécifique, mais aussi, disons-le, pour éviter de créer une situation de malaise généralisé qui déclenche, comme aujourd’hui, des protestations et des révoltes. C’est l’effet le plus évident de la contestation généralisée : chaque pays s’organisera pour développer une politique agricole commune qui prévoira, bien sûr, des mailles plus larges que l’actuelle.

Mais quels sont les changements dans la réforme qui vient d’être approuvée ?

Tout d’abord, un lot de consolation a été donné aux protestataires : à l’exemption temporaire pour 2024 de maintenir des terres en friche s’ajoute l’élimination complète du quota minimum de terres arables pour les zones non productives jusqu’en 2027. L’illusion que l’exploitation des 5 % supplémentaires de terres non cultivées permettra aux entreprises de joindre les deux bouts ne contribuera pas à couvrir les dommages causés par la culture intensive des terres (en particulier des terres marginales). Mais comme ces coûts pèsent sur l’ensemble de la société et pas seulement sur les agriculteurs, on a l’illusion de les rendre moins visibles. Le vainqueur de la contestation est le rapport de force politique actuel, qui voit la protection de l’environnement comme une option facultative et non comme un outil de base. Mais « le temps est un bon bougre » et les nœuds vont se défaire, surtout si les consommateurs font entendre leur voix (actuellement très faible) et si les forces environnementales sont convaincues qu’il est perdant de parler de protection de l’environnement sans parler aussi du revenu des producteurs et de la protection des consommateurs.

Pour contrebalancer la fin de l’environnementalisme agricole, la Commission a envisagé que les États membres mettent en place un éco-régime offrant un soutien aux agriculteurs « pour maintenir une partie des terres cultivables dans un état non productif » ou pour créer de nouveaux éléments de paysage, y compris des exemptions spécifiques pour la couverture du sol, les jachères et le travail du sol. En résumé, pour ne pas contrarier ceux qui estiment que le respect de la nature et des cycles saisonniers est productif, des possibilités de sortie sont prévues pour les situations qui « risquent d’être contraires à leurs objectifs ». C’est une façon de parvenir à des compromis qui satisfont les forces environnementales et les entrepreneurs qui ont investi dans le changement et la diversification de l’agriculture, surtout si la sécheresse ou d’éventuelles inondations balayent les illusions de revenus tirés de l’intensification des cultures. Il n’est venu à l’esprit de personne que l’augmentation de l’utilisation des terres pourrait également accroître les effets des catastrophes naturelles. La Commission s’efforce de proposer des solutions pour les situations catastrophiques qui devraient se répéter au fil du temps.

Les changements les plus significatifs, susceptibles de nous donner le véritable signe de la réforme, sont ceux relatifs à la réduction des contrôles et des sanctions pour les exploitations de moins de 10 hectares, à partir du décompte statistique, selon lequel cette mesure affecterait 65 % des bénéficiaires mais seulement 10 % de la superficie agricole de la Communauté. Nous aurions préféré une sélection parmi les différents contrôles et parmi les sanctions qui peuvent être éliminés, en respectant les indicateurs que l’Agenda 2030 de l’ONU utilise pour envisager un avenir pour la planète.

En outre, nous aurions préféré qu’un décompte similaire soit effectué pour la distribution des fonds communautaires, qui voit encore, trente ans après la réforme Mac Sharry, 80 % des fonds déboursés au détriment de 20 % des exploitations. Les réformes qui se sont succédé depuis lors jusqu’à aujourd’hui n’ont pas modifié cet aspect, véritable nœud (et gangant) de toute réforme, et nous ne pensons pas que celle qui est en cours d’application modifiera ces rapports de force qui sont actuellement à l’avantage des moyennes et grandes exploitations. L’absence de contrôle combinée à la possibilité d’une culture plus intensive ne rendra pas les petites exploitations plus compétitives, et dans les zones où elles représentent une entité significative (souvent des zones particulièrement perturbées), le début de l’absence de contrôle et une plus grande exploitation du sol entraîneront une augmentation probable de la perturbation hydrogéologique à laquelle elles sont soumises.

Que dire ? La réforme n’ira pas à l’encontre des tendances actuelles du marché alimentaire mondial ; au contraire, elle favorisera la spéculation et les variations de prix induites par les guerres et le changement climatique. La tendance à réduire le nombre d’exploitations et à les incorporer encore plus au système agroalimentaire voit dans la réforme actuelle un outil cohérent et les agriculteurs se rendront bientôt compte que le fait d’avoir apparemment plus d’initiative et de liberté d’action est une pieuse illusion, même si les contraintes et les contrôles sont supprimés. Le contrôle substantiel par les bas prix du marché mondial et les dettes de gestion sont les outils appropriés pour cela, des outils que la réforme actuelle ne remet pas en question.

Pour les consommateurs, la réforme actuelle de la PAC n’apporte rien d’autre que de vagues principes généraux, et les faibles revenus (un problème particulièrement important en Italie) pousseront les consommateurs à acheter les produits les moins chers, de moindre qualité et, en général, produits à l’étranger. Pour nous, l’image de la faillite de la réforme actuelle est déjà claire d’emblée. Elle n’a été lancée que pour bloquer les protestations et continuer à mettre en œuvre la véritable réforme agricole mondiale qui passe sous le radar. Cette dernière sera mise en œuvre en contrôlant la biodiversité par le biais de brevets et le système de production par le biais de la technologie et du contrôle du système financier et des chaînes d’approvisionnement, si les guerres le permettent.

Seule l’union des forces environnementalistes et consuméristes sera en mesure de nous offrir des perspectives différentes.


25/02/2024

Agriculteurs et consommateurs doivent s’allier pour un juste prix et un revenu équitable
Un point de vue italien

Ci-dessous 2 textes exprimant le point de vue de l’Association italienne des Consommateurs Usagers (ACU) sur les questions soulevées par la « révolte des tracteurs ». Le premier est du président national de l’ACU, Gianni Cavinato, expert agricole et technologue alimentaire et le second de Gianfranco Laccone, agronome et membre de la présidence de l’association.-Fausto Giudice, Tlaxcala

Déclaration de Gianni Cavinato, 8/2/2024

La protestation européenne et nationale des agriculteurs soulève le couvercle d'une cocotte-minute, sur la dynamique des prix des denrées alimentaires à la consommation, qui ne sont pas linéaires et cohérents avec l'évolution des revenus de ceux qui travaillent la terre.

Ainsi, de même que le travail agricole est sous-payé et que les denrées alimentaires issues de la terre ne sont pas suffisamment rémunérées par les acteurs de la distribution, de même le surplus de prix induit par les achats des consommateurs finaux ne revient pas aux producteurs agricoles.

Le fossé entre les consommateurs et les agriculteurs se creuse d'année en année.

L'alliance des consommateurs avec les agriculteurs peut inverser la direction de ce décalage. Ce processus social est sous-tendu par la valorisation de la qualité intrinsèque des produits de la terre. Cela permet de “peser” le produit non seulement en fonction de son contenu nutritionnel et de sa sécurité sanitaire, mais aussi en fonction de son intégration des éléments essentiels de l'environnement.

Tout cela est techniquement possible et se traduit par une prime décisive pour les producteurs agricoles, un avantage fondamental pour les consommateurs, en termes de santé, de soins de santé préventifs et de réduction des dépenses de santé publiques et privées.

Le gouvernement italien et les institutions européennes, s'ils le souhaitent, peuvent faciliter et initier cette voie, qui pourra être consolidée lors de la prochaine législature de l'UE, dans le cadre d'une réforme partagée de la PAC.

 Justes prix et revenus équitables

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 23/2/2024

Depuis l'après-midi du 15 février, journée de lutte qui a vu plusieurs manifestations dans la capitale italienne, les tracteurs semblent devenir un élément du paysage italien, placés aux différents points névralgiques du réseau routier. Les piquets se sont se sont multipliés, les organisations qui les réalisent aussi (montrant une division progressive mais aussi un protagonisme  des réalités locales), toutes demandant une rencontre avec le ministre à la recherche d'une interlocution qui semble toutefois vaine.

Ce que le gouvernement pouvait donner, à mon avis, il l'a donné avec le projet de loi de finances, et les revendications ne seront pas satisfaites (sauf par de petites reconnaissances) si des alliances et des soutiens durables ne sont pas articulés. D'autre part, les dix points du programme de lutte initial ont été remplacés au fil des jours par diverses plates-formes qui, au lieu de clarifier les alternatives, les ont embrouillées en ajoutant des détails. Si ces derniers permettaient d'identifier l'association qui les proposait, ils n'ont pas permis d'approfondir les raisons de la lutte. Le résultat a été que les agriculteurs, sans aucune distinction entre eux, reçoivent une solidarité générique de la part de la population qui voudrait dépenser moins pour l'alimentation et consommer des aliments locaux de meilleure qualité, mais qui, sans avoir d'alternatives concrètes, dépense en fonction de ses moyens. La situation que nous constatons est la recherche d'un meilleur prix pour tous : les agriculteurs cherchent donc à produire pour l'exportation ou pour une consommation de « niche » (produits diététiques, biologiques ou de haute qualité) qui obtiennent de meilleurs prix sur les marchés et les consommateurs achètent ce qu'ils peuvent se permettre, principalement des produits médiocres à bas prix et importés, au grand dam de la propagande sur le « Made in Italy ».

La demande de soutien des agriculteurs ne peut se limiter à l'appel et la contribution des consommateurs ne pourra pas se faire sans une base commune d'action. La première base commune nécessaire est la convergence des prix, entre ce que les consommateurs peuvent payer et le revenu que les agriculteurs demandent en compensation de leur travail. C'est le point clé que les plateformes n'abordent toujours pas et qui a peu de chance d'entrer dans les négociations officielles, car il remet en cause les fondements du soi-disant « libre marché » et les règles que la Politique Agricole Commune (PAC) s'est données depuis la réforme Mac Sharry, en acceptant d'entrer dans le système du marché international. Il faut demander une réforme de la PAC qui rétablisse certains critères abandonnés, à savoir le travail nécessaire à la production et la protection du prix à la production contre les coûts, protégeant ainsi le revenu, et demander un prix de marché à la consommation qui soit équitable pour l'acheteur.

Pour en revenir aux revendications, si l'on compare les différentes plateformes actuelles aux 10 points initiaux du programme, il est clair que la critique de l'environnementalisme a été dévalorisée, dépassée par les vrais problèmes de la crise économique et des coûts de production insoutenables. Le Green Deal tant critiqué n'est resté que sur le papier, et le prochain Parlement européen aura d'autres priorités, à commencer par les guerres à terminer et la reconstruction à entamer en Ukraine et en Palestine, sans parler des mutations industrielles et de la crise climatique qui s'annonce, que l'on préfère traiter comme un problème de sécurité et d'ordre public (lutte contre les migrants, assurance et indemnisation des dégâts causés par les catastrophes, contrôle de la faune et de la flore sauvages, qui semblent être les ennemis à combattre et non les réservoirs de ressources à exploiter).

Mais la protection de l'environnement et l'utilisation de moyens peu polluants ne sont pas des aspects étrangers à la formation des prix à la production et des coûts agricoles. Les agriculteurs qui ont réduit l'utilisation des moyens techniques et pratiqué l'agroécologie n'ont pas connu les crises constantes des autres agriculteurs ; en particulier, ceux qui ont pratiqué l'agriculture biologique, après avoir surmonté la phase initiale de reconversion nécessaire, ont mieux vécu de leurs revenus que ceux qui ont poursuivi l'augmentation de la production et la modernisation constante des structures.

On peut se demander si la théorie du marché qui fait de la protection de l'environnement un objet de profit ne fait pas partie intégrante du système de ruine du monde agricole et si les agriculteurs n'ont pas été poussés à critiquer la dimension environnementale pour éviter de critiquer l'industrie qui domine les campagnes.  La lutte contre les parasites, qui s'est achevée - après tout - par la défaite de la technique qui les a vus revenir toujours sous de nouvelles formes, est un exemple concret de la façon dont les territoires de monocultures (souvent monoclonales) sont la grande table dressée pour le banquet des phytoparasites et pour celui du système industriel qui fournit les moyens de production et distribue les produits destinés à la consommation.

En France, région qui semble aujourd'hui moins impliquée dans la révolte qui secoue le continent, le débat sur la transformation de l'agriculture paysanne en agriculture industrielle a des origines anciennes : Henri Mendras a publié en 1967 un essai au titre significatif, “La fin des paysans”. Dans cet essai, depuis les années 60, on pointe du doigt la modernisation continue du secteur agricole et l'abandon des cycles de production comme base d'une alimentation correcte, c'est-à-dire qu'on en arrive à une agriculture sans paysans, à une société sans histoire et sans passé, qui invite à produire pour consommer toujours plus.

En ce qui concerne le contenu des plateformes, Dario Casati, dans un article intelligent au titre sarcastique « La grande guerre des tracteurs a fini à Sanremo»publié sur le site de l'Accademia dei Georgofili*, saisit les trois aspects fondamentaux sur lesquels elles se fondent : les objectifs commerciaux, les objectifs économiques et la soi-disant « question du juste prix ». Si nous partageons largement les aspects de l'analyse, les raisons de la rébellion des agriculteurs dans le monde méritent une analyse plus approfondie : il n'est pas utile de sauver les conducteurs de la machine agricole chancelante européenne, et italienne en particulier, pour leur sens apparent des responsabilités, sans parler de la fin des représentations réduites à des bureaux de comptabilité et de conseil aux entreprises et du manque d'idées de ceux qui gouvernent l'agriculture.

Mais c'est dans le « juste prix » que se trouve la clé de l'ouverture à la société d'un combat aujourd'hui limité au secteur agricole. Dans son article, Casati identifie le concept de « juste » comme étant éthique et non économique, en situant le moment où le prix devient juste pour l'acheteur et le vendeur dans le prix du marché, résultat de la libre concurrence. À cette vision, il est nécessaire d'ajouter les aspects qui font de l'agriculture non seulement l'instrument de la production alimentaire, mais aussi l'instrument du réaménagement de l'environnement et de la lutte contre le changement climatique, en incluant dans le produit les aspects sociaux et environnementaux qui le rapprochent davantage d'un service que d'un lieu de production. Dans le cas contraire, la formation des prix se réduit à un jeu de parties sans temps ni histoire.  Ce n'est pas un hasard si l'ACU a lancé le slogan « juste prix - juste revenu », où le juste prix est largement déterminé par la capacité de la demande (pas l'agrégat analysé par Keynes, mais celui des consommateurs qui vivent dans une société spécifique, à une époque spécifique, qui ont une mémoire et une histoire) et le juste revenu est largement déterminé par l'offre (qui n'est pas non plus abstraite, mais composée de producteurs avec la culture, l'histoire, la mémoire qui se déversent dans la production). Il n'y a pas de frontières claires entre le prix et le revenu et leur détermination est le résultat du pacte social auquel ils sont liés et du niveau de démocratie qu'il exprime. Aujourd'hui, le pacte social qui a transformé l'agriculteur en rouage d'une société industrielle qui exigeait des aliments pour le marché (en quantité toujours plus grande et de qualité toujours plus faible) tout en offrant un bien-être (souvent limité à quelques-uns) s'est rompu. Il faut reconstruire le pacte en retirant du marché l'agriculture qui est un fait social, un service qui produit de la nourriture mais aussi quelque chose d'autre qui n'est pas quantifiable en valeur monétaire. En tant que service, elle est vouée à la « défaillance du marché », selon la définition économique du résultat obtenu par l'application des politiques de marché aux services.

Mais même si l'on voulait se limiter à la valeur de la production du point de vue du consommateur, il faudrait partir du besoin humain en nutriments (voir Apports nutritionnels et énergétiques de référence, LARN en italien) et de la nécessité de couvrir le besoin quotidien en protéines (biologiquement nécessaires). Pour ce faire, on peut faire diverses combinaisons, choisir la sienne, jusqu'à remplacer totalement les protéines animales. La combinaison classique et scientifiquement documentée de l'apport de céréales et de légumineuses permet d'atteindre l'objectif recherché.

En ce qui concerne le prix payé par les consommateurs, on peut se demander combien coûte une unité de protéine au consommateur ? Quels sont les avantages et les risques (y compris environnementaux) de ce processus de production-consommation ? Etc. En résumé, il s'agira de prouver que la consommation de céréales/légumineuses est bonne pour la santé et l'environnement, d'autant plus que des rotations sont utilisées pour cultiver ces cultures (une technique de culture dont les tractoristes et autres ne veulent pas, mais qui est à la base de la production biologique). Ce jeu de calcul pour une durabilité avancée permettrait de calculer « facilement » le bon prix - le bon revenu.

La conclusion d'un pacte entre consommateurs et producteurs et l'approfondissement de ces bases techniques sont certainement plus importants que la création d'une table technique initiée sur la PAC actuelle qui, en tant que table technique, ne remettra pas en cause les politiques existantes et ne fera, peut-être, que les rendre moins indigestes.

NdT

*L’Académie des Georgophiles [amis de l’agriculteur, du grec georgos, agriculteur] fondée à Florence en 1753 et dédiée à l’étude de l’agriculture. Devise : « Prosperitati Publicae Augendae » [Pour augmenter la prospérité publique]

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