Une semaine après qu’une jeune fille de 16 ans a été abattue dans son lycée à Nashville, ses parents ont pris la décision déchirante de renvoyer son corps au Guatemala.
Christina
Morales (New York) et Emily
Cochrane (Nashville), The New York Times, 31/1/2025
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Josselin
Corea Escalante avait 9 ans lorsqu’elle, sa mère et son jeune frère ont quitté
le Guatemala pour demander l’asile aux USA, pensant qu’ils y seraient en
sécurité.
Ils se sont
retrouvés dans le Tennessee, où Josselin - que sa famille appelle Dallana, son
deuxième prénom - a fêté ses 15 ans en 2023 avec une quinceañera au printemps
dans une salle de bal de Nashville.
Mais la
semaine dernière, un autre élève a abattu Josselin, 16 ans, dans la cafétéria
de son lycée. Aujourd’hui, sa famille, qui attend toujours une décision en
matière d’asile, se demande si cela vaut la peine de rester. La principale
raison pour laquelle ils ont fait ce voyage éprouvant vers les USA - à pied
pendant près de deux mois - était la crainte que Josselin et son frère ne
soient enlevés ou tués par des gangs au Guatemala.
« Nous
rêvions d’une vie meilleure », dit son père, German Corea, en espagnol
cette semaine. « Mais la réalité, c’est que la vie n’est meilleure nulle
part. Au Guatemala, on n’a jamais entendu dire que quelqu’un avait tué quelqu’un
à l’école ».
Les professeurs et la famille de Josselin se souviennent d’elle comme d’une jeune femme pleine de vie, qui excellait en mathématiques et en sciences et qui aimait chanter. Photo Landon Edwards pour le New York Times
Un autre élève a tué Josselin à l’école le 22 janvier. Il y a eu au moins 15 fusillades sur ou près d’un campus scolaire cette année. Photo Landon Edwards pour le New York Times
Sa femme et
lui ont déjà pris une décision déchirante : renvoyer le corps de Josselin au
Guatemala pour qu’il y soit enterré, une façon de garantir qu’ils seront réunis
s’ils décident - ou sont contraints - de quitter les USA. M. Corea est arrivé
dans le pays avant sa femme et ses enfants et n’est pas concerné par la demande
d’asile ; il risque donc davantage d’être expulsé.
« C’est
le pays qui me l’a enlevée », dit M. Corea. « Et si un jour nous
retournons dans notre pays, elle sera là avec nous ».
Josselin s’épanouissait
à Nashville, où elle aimait chanter et jouer au football. Elle avait un jour
refusé un voyage de trois jours pour ne pas manquer l’école. Elle voulait
devenir médecin, dit son oncle, Carlos Corea : « Un médecin sauve des
vies, et ce n’était pas juste pour elle ».
Le 22
janvier, un élève qui, selon la police, avait adopté une rhétorique haineuse en
ligne, a apporté un pistolet au lycée Antioch, dans le sud de Nashville. Il a
ouvert le feu, tuant Josselin et blessant un autre élève avant de se suicider.
La police n’a pas précisé si le tireur visait Josselin.
Un mois
après le début de l’année 2025, on dénombre au moins 15 fusillades survenues
sur un campus scolaire ou à proximité, selon la base de données sur les fusillades dans les écoles (K-12 School
Shooting Database).
Les membres
de la famille ont déclaré que Josselin était la plus heureuse lors de sa fête
de la quinceañera, où elle a dansé avec son père et ses oncles. Photo Landon Edwards pour le New York Times
La perte de
Josselin, qui traduisait souvent pour sa famille, a poussé certains d’entre eux
à s’exprimer.
« Je n’ai
pas peur, je dis la vérité, je dis aux gens ce que je ressens », dit
Carlos Corea en espagnol.
C’est
pourquoi lui et un autre oncle de Josselin, Juan Corea, se sont retrouvés lundi
sur les marches du Capitole de l’État du Tennessee, entourés d’une foule de députés
démocrates, d’étudiants et de militants pour le contrôle des armes à feu. En
quittant l’église voisine où ils avaient célébré les funérailles de Josselin,
ils ont vu des gens rassemblés avec des photos de leur nièce et ont compris ce
qui se passait.
« Nous
n’avions jamais pensé que nous serions dans cette position, mais nous voulions
transmettre notre message aux gens » a déclaré Carlos Corea plus tard. Les deux
hommes portaient des photos de Josselin, coiffée du diadème de quinceañera et
vêtue d’une robe rouge scintillante.
Des manifestations en faveur du contrôle des armes à feu ont déjà eu lieu à Nashville, notamment en 2023, après la mort de trois élèves de troisième année et de trois membres du personnel dans une école chrétienne privée. Mais alors que les députés arrivent pour débattre de la création d’un tsar de l’immigration, la foule présente à cette manifestation n’a cessé de faire le lien entre la menace de l’application de la loi sur l’immigration et ses craintes de violence par arme à feu.
Carlos Corea
s’est impliqué dans une manifestation contre la violence des armes à feu après
avoir vu des gens rassemblés avec les photos de sa nièce près de ses
funérailles. Photo Landon Edwards pour le New York Times
Par l’intermédiaire
d’un traducteur, Carlos Corea s’est adressé à la foule au nom de sa famille.
Sous les applaudissements, il a brandi le poing.
Dans le
silence de la maison où ils se réunissent pour les repas hebdomadaires, les
proches de Josselin ne parviennent pas à se reposer. Son oncle Juan pense à la
danse qu’ils ont partagée lors de la célébration de son anniversaire, au cours
de laquelle il a dit à Josselin qu’il l’aimait. Son père envisage de militer en
son nom.
« Nous
avons du soutien, mais ce que je dis à tous les parents qui ont perdu leurs
enfants à l’école, c’est qu’il ne faut pas que ça en reste là », dit German
Corea : « Ne laissez pas les choses en l’état, continuez à faire ce que
vous pouvez pour que justice soit rendue à nos enfants. Si nous restons les bras
croisés, ça continuera à se produire ».
Bien que le
lycée d’Antioch ait rouvert ses portes, avec un agent scolaire supplémentaire
et de nouveaux détecteurs de métaux, les cousins de Josselin qui fréquentaient
l’établissement avec elle ont trop peur pour y retourner. Ils s’inscriront
bientôt dans une nouvelle école, ont indiqué des membres de leur famille.
Jeudi, le
cercueil rose de Josselin a été chargé dans un avion pour son retour au
Guatemala. Ses grands-parents et sa tante l’y attendaient.