Hagit Ginzburg, Haaretz, 24/5/2023
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Hagit Ginzburg (1982) est une humoriste et journaliste israélienne.
L’humoriste israélien Barko Zaro n’a pas peur de plaisanter sur tous les sujets, des brutalités policières contre les Noirs israéliens au racisme dans les grandes surfaces israéliennes.
Barko Zaro. “Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien”. Photo : Jonathan Bloom
L’humoriste Barko Zaro prend le pouls de la nation. Chaque fois qu’il se passe quelque chose d’intéressant en Israël, vous pouvez toujours compter sur lui pour publier une vidéo en réponse.
Au début du mois, lorsque le propriétaire d’un café de Tel-Aviv a expulsé Nataly Dadon, mannequin et personnalité de télévision d’extrême droite, Zaro a publié une vidéo sur Facebook dans laquelle il accueillait Mme Dadon dans le club des personnes interdites d’entrée.
« Bien que ce café soit le seul endroit qui me laisse toujours entrer », plaisante-t-il, « après coup, les clients m’ont un peu engueulé : “Qu’est-ce que c’est que ça ? Pourquoi ce mauvais service ?” Mais ce n’est pas grave ».
Il a ensuite invité Dadon à un prochain spectacle de stand-up. La vidéo a reçu 9 500 likes et a été visionnée 156 000 fois.
Une fois, ils m’ont invité à un talk-show matinal pour promouvoir la série télévisée Nevsu, dans laquelle je ne jouais même pas. Ils ont simplement dit : « Faisons venir un Éthiopien pour en parler ».
« Je dis toujours que ceux qui me suivent sont à plaindre », dit-il en riant. « Je commercialise mes spectacles de manière à ce qu’ils ne s’y attendent pas. La vidéo de Nataly était totalement nulle, mais elle a explosé. Nataly a également réagi et a écrit que j’étais un roi ».
Ce n’est pas la première fois que l’une des vidéos de Zaro devient virale, mais cela le prend généralement au dépourvu.
Barko Zaro. “Nous, les Éthiopiens, sommes stigmatisés ; les gens pensent que nous sommes dans le besoin”. Photo : Jonathan Bloom
L’exemple le plus célèbre est celui d’une vidéo diffusée lors d’un de ses spectacles de stand-up au début du mois de mars 2020. Ce clip a été visionné 1,6 million de fois, et l’on a eu le sentiment que sa carrière était sur le point de décoller. Mais nous savons tous ce qui s’est passé peu après, avec le début de la pandémie de coronavirus.
« Une tonne de spectacles, une tonne de choses commençaient à ce moment-là - et puis le coronavirus est apparu », dit-il. « C’était une période où j’avais vraiment l’impression que ma carrière était en train de décoller, mais la pandémie a tout détruit. Aujourd’hui, j’en suis au point où je sens que ma carrière redémarr ».
Son ascension n’est pas le fruit du hasard. Depuis longtemps, Zaro prend soin de se faire filmer et de poster des vidéos, notamment celles où il s’adresse directement à la caméra ou se moque d’autres vidéos virales. Il est présent sur toutes les principales plateformes : Facebook, Instagram, TikTok.
Il est facile d’avoir l’impression qu’il n’est pas particulièrement intéressé par les chiffres. Il veut surtout toucher un public - et, si possible, pas seulement les membres de la communauté israélo-éthiopienne.
Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien, et ce n’est pas un hasard si certaines personnes choisissent aujourd’hui de donner à leurs enfants des prénoms amhariques.
« Si quelqu’un fait défiler son fil d’actualité et qu’un contenu apparaît, il verra soudain mon visage. Il s’arrêtera sur moi parce que je suis noir. Ils regarderont parce que c’est un peu différent pour eux », explique-t-il. « Mais ça dure exactement deux secondes. En fin de compte, c’est comme une star de la télévision qui se lève et fait de la comédie : elle a quelques secondes de grâce, puis elle doit prouver qu’elle peut tenir son rôle ».
Avez-vous l’impression d’avoir plus à prouver ?
« Ce n’est pas que j’aie plus à prouver, mais si les gens ont été attirés par ma vidéo parce qu’ils ont vu un Éthiopien, je veux que le contenu les retienne ».
Zaro est l’un des deux seuls humoristes issus de la communauté éthiopienne qui exercent actuellement leur métier en Israël, avec Shlomo Babybaby. Depuis que Zaro a commencé à se produire il y a huit ans, très peu de membres de sa communauté ont tenté leur chance comme humoristes - en particulier les femmes (“Je pense que le trac les retient”, explique-t-il).
Des manifestants arrêtés dans les rues de Tel-Aviv après la mort de l’Éthiopien-Israélien Solomon Teka en 2019. Photo : Tomer Appelbaum
Avant Zaro et Babybaby, Shmuel Baro et Yossi Vasa formaient un duo dans les années 1990, créant des sketches principalement en amharique. Baro a continué, se produisant encore aujourd’hui occasionnellement en stand-up. « Ils étaient les Eli et Mariano de notre communauté », explique Zaro, en référence aux humoristes Eli Finish et Mariano Edelman. « C’étaient de vrais humoristes, à une époque où l’on vendait encore des cassettes VHS. Il n’y a pas un seul de leurs sketches que nous n’ayons pas eu à la maison ».
“Examiner les principales questions”
Les numéros de stand-up de Zaro se concentrent souvent sur le racisme
auquel sa communauté est confrontée, discutant de la violence policière et des stigmates qui l’entourent depuis qu’il a immigré en Israël.
« Quels regards ! Tout le monde me regarde comme si le balayeur venait d’entrer
sur scène », a-t-il l’habitude de dire au début de son show. « Les
Éthiopiens sont stigmatisés ; les gens pensent que nous sommes dans le besoin.
Quand on voit un Éthiopien conduire une voiture de luxe, on se dit : “Super,
voyez comme il a progressé - c’est maintenant le chauffeur du patron” ».
À l’inverse, il craint aujourd’hui que toute l’interview ne porte sur le racisme. « La tendance est d’interviewer des personnes de notre communauté et de se concentrer sur cette question, sur le racisme. Cela fait partie de moi, mais ce n’est pas l’essentiel. Vous comprenez ? Je veux que les gens s’intéressent aux questions principales ».
Pensez-vous qu’il s’agit d’une autre forme de racisme - que les gens ne veulent parler aux Éthiopiens que du racisme dont ils sont victimes ?
« Il y a quelque chose là-dedans. Je n’y ai jamais pensé de cette manière. Mais le sentiment est que les gens disent : “Parlons du racisme et faisons appel à des Éthiopiens”. Une fois, ils m’ont invité à participer à un talk-show matinal pour promouvoir la série télévisée Nevsu [sur un homme israélo-éthiopien marié à une femme blanche] et je n’y jouais même pas. Ils ont simplement dit : “Faisons venir un Éthiopien pour en parler”. Je n’y suis pas allé, car je n’étais pas lié à la série ».
Ma couleur ne changera pas de sitôt, j’ai vérifié. Elle sera toujours là. Cela ne me dérange pas que les gens disent “Voilà le stand-up guy éthiopien” lorsqu’ils m’identifient.
L’humoriste Barko Zaro. Photo : Jonathan Bloom
Comment cela se manifeste-t-il par ailleurs ?
« Je suis souvent invité à des événements dont je sais à l’avance qu’ils sont liés aux Éthiopiens, comme la fête de Sigd. Ils m’ont également invité à participer à la Journée internationale de la femme. Je leur ai dit que c’était un excellent choix puisqu’ils avaient invité la seule personne qui gagne moins qu’une femme [rires]. Mais il n’y a pas beaucoup de fêtes ou d’événements éthiopiens. Lorsqu’il y a quelque chose comme le Sigd, ou que nous fêtons les X ans de notre immigration, je sais qu’on m’approchera, puis on me dira que je demande trop et que je devrais baisser mon prix. C’est pour les Éthiopiens, après tout ».
« Le racisme existe, mais il est structuré différemment. Aujourd’hui, pour ne pas embaucher un Arabe, on ne dit pas qu’on n’embauche pas d’Arabes. On dit qu’on cherche quelqu’un qui a servi dans l’armée. C’est comme ça que ça marche ».
Peut-on vraiment s’attendre à ce que vous demandiez moins d’argent ?
« Bien sûr, c’est irréel. C’est drôle qu’ils me demandent de prendre moins d’argent pour les événements associés au Sigd. Je leur dis que c’est comme le Jour de l’Indépendance, que je devrais gagner le double. Mais on s’attend à ce que ce soit un événement qui vous est destiné, alors prenez-en moins. Je plaisante à ce sujet dans mon show. Je dis que j’aime me produire devant un public ashkénaze parce que, contrairement aux Éthiopiens, les Juifs ashkénazes paient. Même les organisations éthiopiennes à but non lucratif me demandent de me produire gratuitement, en disant qu’elles s’efforcent de promouvoir les Juifs éthiopiens. Alors, faites-moi connaître ! »
D’une certaine manière, ces plaisanteries ne confirment-elles pas le stéréotype ?
« Je ne le soutiens pas, j’en
parle, car ce n’est pas comme si les Éthiopiens n’avaient pas d’argent. Mon
objectif est que mon spectacle ne s’adresse pas uniquement aux Éthiopiens et
que le public comprenne que je critique la société ».
Fête du Sigd à Jérusalem. Photo : Olivier Fitoussi
En tant que membre de la communauté éthiopienne, Zaro est confronté à un défi que peu d’autres humoristes rencontrent.
« J’ai affaire à deux types de public. Le premier est celui des Éthiopiens, qui n’ont pas l’habitude de se rendre à des spectacles ou à des concerts. En Éthiopie, nous avions des terres à travailler ; il n’était pas habituel d’être des consommateurs de culture. Ici, il y a une nouvelle génération, mais ce n’est pas la tranche d’âge à laquelle appartient mon public.
« La deuxième catégorie est celle des non-Éthiopiens, et je m’inquiète toujours de savoir s’ils s’identifieront au contenu et s’il leur parlera aussi ; je crains que le spectacle ne convienne qu’aux Éthiopiens. Je dois les persuader de venir, leur dire : venez, vous pouvez rire aussi. Récemment, j’ai senti qu’il y avait plus de diversité dans le public, que quelque chose s’était ouvert ».
Lorsqu’il a commencé à se produire en solo, Zaro s’est assuré de ne se produire que dans des endroits où il se sentait à l’aise. Des endroits comme Rehovot ou Kiryat Malakhi, « où il y a d’importantes communautés éthiopiennes. Je me suis dit : “J’ai besoin d’une scène et d’un public”. Si je me produisais à Tel Aviv, qui me connaîtrait ? Malgré toutes les difficultés rencontrées pour attirer un public, à la dernière minute, de nombreuses personnes ont acheté des billets et sont venues. Maintenant, je vais dans des endroits où la communauté n’est pas vraiment représentée, pour voir comment le public réagit.
« Parfois, pendant un show, j’ai l’impression que je parle trop de racisme au public, même si je n’ai aucun problème à leur mettre cette question sous le nez. Quelqu’un m’a dit que le public était composé de personnes âgées de 70 ans ou plus, des personnes qui étaient les plus racistes. Je le fais donc d’une certaine manière pour qu’ils comprennent que c’est à cela qu’ils ressemblent et qu’ils savent que c’est comme ça - sinon, cela ne les ferait pas rire. Si je les accusais de quelque chose dont ils ne sont pas coupables, ils ne riraient pas ».
L’un des 13 ou 14
Zaro a 40 ans (« J’ai atteint l’âge où les policiers arrêtent peut-être de frapper, mais j’ai encore l’air assez jeune pour qu’ils continuent à le faire »), il est marié à Mali et père de deux filles. Il est arrivé en Israël en 1991. Il ne se souvient pas vraiment de son enfance en Éthiopie, mais seulement qu’elle n’était pas si mauvaise. « Quand je regarde les gens qui vivent en Éthiopie, je vois des gens qui n’ont rien, mais c’est justement ça. Nous regardons ce qui se passe là-bas avec des yeux différents - je ne manquais de rien. Je sortais jouer avec mes amis, je vivais dans un village. Ma maison n’était pas un appartement à Givatayim, mais il y avait de la place pour dormir. Je n’avais pas l’impression qu’il manquait quoi que ce soit ».
L’humoriste Shlomo Babybaby. Photo Guy Nahum Halevi
Ses parents ont divorcé (“ça n’arrive pas souvent”) et il a grandi avec sa mère et ses trois sœurs aînées. Son père s’est remarié, ce qui a permis à Zaro d’avoir de nombreux demi-frères et demi-sœurs (“En tout, nous sommes 13 ou 14 ; ça se ramifie”). Ses deux parents sont décédés l’année dernière et il dit que 2022 a été l’année la plus difficile de sa vie. Il ajoute que le stand-up l’a aidé à s’en sortir.
Lorsqu’il est arrivé en Israël, sa famille et lui ont été envoyés dans un centre d’absorption à Tibériade, au bord de la mer de Galilée (lac de Tibériade). De là, ils ont déménagé dans un parc de caravanes près d’Elad, avant de s’installer à Rosh Ha’ayin. Son enfance à Tibériade a été une période d’acclimatation. « Nous venions d’un village qui n’avait rien. Les Juifs vivaient dans des villages isolés, où pour voir une voiture ou d’autres moyens de transport, il fallait marcher longtemps - jusqu’à un endroit où l’on voyait des voitures de sa fenêtre. Le plus grand choc initial a été de voir des gens profaner le shabbat. En Éthiopie, nous observons le sabbat religieusement ».
Sa mère ne travaillait pas et ils vivaient des prestations de l’État. Il a vécu le racisme différemment de ce à quoi on pouvait s’attendre. « Je ne me souviens de rien que j’aurais pu qualifier de racisme à l’époque. On en fait l’expérience, mais on ne le sait pas. Les choses sont différentes aujourd’hui ; tout le monde en parle et personne n’en a honte, il est donc beaucoup plus facile de voir le racisme et de dire : d’accord, c’est du racisme.
« Quand j’étais petit, si quelqu’un ne voulait pas s’asseoir à côté de moi, je ne voyais pas ça comme, disons, quelqu’un qui ne voulait pas s’asseoir à côté de moi parce que j’étais éthiopien. Plus tard, on commence à comprendre. Mon désir de m’intégrer était si grand que je supportais n’importe quoi. Ce n’est qu’en vieillissant que l’on devient moins naïf et que l’on a plus de choses à dire. On n’a pas honte de dire ce que l’on pense ».
Il poursuit : « Ma fille aînée, qui a 6 ans, souffrira plus que moi, car nous sommes arrivés dans une situation et avons dû y faire face. Nous ne sommes pas nés dans cette situation. Elle a grandi comme tout le monde ; elle ne se sent pas différente. À un moment donné, la question de la couleur a été soulevée à la maison - elle m’a même taquiné à ce sujet. Elle m’a demandé pourquoi tout le monde était blanc et elle brune. Je lui ai répondu que les enfants de la maternelle sont blancs parce que leurs parents sont blancs et qu’elle est brune parce que son père et sa mère sont bruns. Elle m’a alors dit : “Mais tu n’es pas brun, tu es noir”. Elle est maintenant dans une nouvelle école, la seule Éthiopienne, et elle reconnaît immédiatement la différence. Mais les autres enfants sont d’accord avec elle, et elle n’est pas dupe ».
L’acteur
Shalom Assayag : il une blague sur la police des frontières. Photo : Hadas
Parush
Zaro a effectué son service militaire dans la police des frontières. « C’est le truc le plus cliché à propos des Éthiopiens », dit-il. « L’acteur Shalom Assayag a une blague : un Éthiopien meurt et on lui demande s’il veut aller au paradis ou en enfer Il répond : Quoi, il n’y a pas la possibilité d’aller à la police des frontières ?
« J’y suis allé parce que mon entourage l’a fait. S’ils avaient suivi une formation de pilote, j’aurais tenté ma chance. C’est une des choses dont je parle dans mes spectacles, dans le contexte du racisme : le fait que les Éthiopiens ont toujours été concentrés dans certains quartiers, qui étaient de toute façon défavorisés. Cela a exacerbé la situation au lieu de l’améliorer. Lorsque vous prenez une population défavorisée et que vous la mélangez à une autre, vous les affaiblissez toutes les deux. Vous ne nous donnez pas l’occasion, à nous qui sommes venus pour grandir, de le faire. Si on nous avait placés dans une autre ville avec un niveau socio-économique plus élevé, je me serais efforcé de l’atteindre aussi. Mais on est influencé par l’environnement dans lequel on se trouve ».
Montrer un angle différent
Après l’armée, Zaro s’inscrit en licence de communication à l’université d’Ariel (« Amir Hetsroni était mon professeur », dit-il, en référence au romancier et à la personnalité médiatique) et rêve de travailler dans une agence de publicité. Il a ensuite suivi un cours de rédaction, où il a rencontré l’humoriste Eyal Brigg, qui lui a suggéré de faire du stand-up, ce qui ne lui avait jamais traversé l’esprit auparavant. Il se décrit comme timide, mais ajoute qu’il a toujours fait rire ses amis et qu’il aime l’humour noir. « Pas ce genre d’humour noir... vous comprenez ce que je veux dire ».
Un soir, il s’est produit lors d’une soirée “micro ouvert” dans un club de comédie qui venait d’ouvrir ses portes. L’engouement a été tel qu’il a décidé de poursuivre dans cette voie.
Pensez-vous que le public réagit différemment à un humoriste éthiopien ?
« Je monte sur scène et c’est le silence. On sent que les gens se disent : "Écoutons qui c’est". C’est un avantage. Lorsqu’un autre humoriste monte sur scène, ce n’est pas le cas. Ceux qui viendront après Shlomo [Babybaby] et moi-même auront la tâche beaucoup plus facile. Il y a un nouvel humoriste qui s’appelle Lev Nigatu, qui est incroyable. C’est un soldat et il a un style bien à lui. Sur TikTok, il y a Aster Aweke, qui se débrouille très bien, même si je ne sais pas si elle passera un jour au stand-up.
« Je ne sais pas si mon spectacle de stand-up entraînera un changement, mais je mets des choses sur la table et les gens en parlent. Je poste une blague et les gens en parlent ; on le voit dans leurs réactions. Parfois, je suscite des discussions et des débats. Aujourd’hui, lorsque je fais de l’improvisation dans des endroits où il n’y a pas d’Éthiopiens, on dirait qu’ils n’ont jamais parlé à un Éthiopien. Dans ces endroits, j’ai l’impression de leur montrer soudainement un angle différent. Lorsqu’ils montrent un Éthiopien à la télévision, c’est toujours à l’occasion d’une catastrophe ou lorsque quelqu’un a réussi quelque chose.
« Cette année, ils ont fait venir une Éthiopienne [Yehudit Negosa, qui a fondé l’académie prémilitaire Chance for Change] pour allumer une torche à l’occasion de la fête de l’indépendance. J’ai fait remarquer que lorsqu’un Éthiopien réussit, c’est tellement exceptionnel qu’il allume une torche. Je ne voudrais pas allumer une torche simplement parce que je suis éthiopien, mais parce que j’ai fait quelque chose d’important, en m’élevant au-dessus des autres - pas parce que j’ai fait mieux que les autres Éthiopiens ».
Il aborde régulièrement le racisme policier dans ses vidéos et ses numéros de stand-up. Il fait remarquer que les fourgonnettes de police constituent le service de covoiturage Gett Taxi pour les Éthiopiens et que les commissariats de police sont couramment utilisés comme point de référence pour donner des indications à des amis éthiopiens.
« J’étais à la manifestation, et ma mère aussi », a-t-il déclaré après que des juifs éthiopiens ont manifesté en juillet 2019 à la suite de la mort d’un Éthiopien aux mains d’un policier qui n’était pas en service. « Qu’est-ce que la police ne nous a pas lancé ? Du gaz lacrymogène, du gaz poivré, des grenades assourdissantes, de la farine. Ma mère l’a collectée et a fait du pain éthiopien avec »
Avez-vous personnellement été confronté au racisme de la police ?
« C’est là. Une fois, j’ai voyagé avec Shlomo Babybaby. Il conduisait. Nous avons été arrêtés pour un test d’alcoolémie. Le policier m’a demandé ma carte d’identité. Cela ne me dérangeait pas de la lui donner, mais je voulais comprendre pourquoi il la demandait. Pourquoi en avez-vous besoin ? Qu’allez-vous y trouver ? Le racisme existe donc, mais il est structuré différemment. Aujourd’hui, pour ne pas embaucher un Arabe, on ne dit pas qu’on n’embauche pas d’Arabes. On dit qu’on cherche quelqu’un qui a servi dans l’armée. C’est comme ça que ça marche ».
L’humour vous aide-t-il à faire face à la situation ?
« Il y a une histoire que je raconte lors de mes shows : je suis allé au supermarché et quelqu’un m’a abordé - nous sommes habitués à ce que les gens pensent toujours que nous travaillons là - mais elle ne m’a pas demandé si je travaillais là. Elle a juste dit : “Quoi, il n’y a pas de céleri ?”. Elle venait me voir pour se plaindre. Je l’ai ignorée et j’ai continué à marcher. Elle m’a suivi, persuadée que j’allais lui chercher du céleri. La fin de la blague est que j’ai essayé de l’aider mais que je ne savais pas à quoi ressemblait le céleri, alors j’ai trouvé un travailleur arabe ».
Préféreriez-vous qu’on ne vous qualifie pas de “stand-up éthiopien” ?
« Ma couleur ne changera pas de sitôt, j’ai vérifié. Elle sera toujours là. Ça ne me dérange pas que les gens disent ‘Voilà le stand-up guy éthiopien’ lorsqu’ils m’identifient. Cela fait partie de mon identité et j’en parle dans mes spectacles. J’ai récemment été invité à me produire à Eilat. Tout était réglé, et la personne qui m’avait invité m’a appelé pour me demander si mon spectacle parlait des Éthiopiens. J’ai expliqué que oui : “Je parle de ma femme, elle est éthiopienne. Je parle du travail ; c’est aussi lié aux Éthiopiens”.
« Le spectacle a eu lieu et ce fut l’un des meilleurs de ma vie. Avec le temps, nous avons appris à être fiers de notre héritage éthiopien - et ce n’est pas un hasard si certaines personnes choisissent aujourd’hui de donner à leurs enfants des noms amhariques, revenant ainsi aux noms éthiopiens d’origine qui avaient été changés à leur arrivée en Israël. Votre passé est votre pouvoir ».