Je ne suis ni la voix de la gauche,
ni discrète et encore moins timide. Dites-le à ceux qui nous menacent et nous
accusent d'être des radicaux, simplement parce que nous ne nous alignons
pas sur le radicalisme belliciste des gentils ou le deux poids deux mesures qui
conduit des personnages infâmes comme Condoleezza Rice à affirmer que
l'invasion « viole les lois internationales ». Ou un George Bush encore
plus néfaste, qui a condamné Poutine pour avoir lancé une guerre “sans
provocation et sans justification." Ou le président Joe Biden, déclarant
que Poutine est “un criminel de guerre”, un titre qu'il n'accepterait jamais
pour aucun ancien président de son pays.
Sans compter
les doubles standards classiques des racistes camouflés qui ont magiquement
ouvert les frontières de l'Europe pour accueillir les réfugiés ukrainiens, une
politique qui aurait été tout à fait correcte si ces mêmes frontières n'avaient
pas été fermées à ceux qui fuyaient le chaos de l'Afrique et du Moyen-Orient,
chaos produit par les invasions, les pillages, les massacres et les guerres des
puissances nord-occidentales pendant deux siècles. Sans parler de l'ouverture
magique des frontières par Washington pour accueillir 100 000 réfugiés
ukrainiens, ou des rapports sur les facilités que les Ukrainiens trouvent pour
traverser la frontière avec le Mexique, cette même frontière qui a toujours été
fermée aux réfugiés du sud, enfants et femmes, réfugiés du chaos créé par
Washington en Amérique centrale, dans les Caraïbes et au-delà, avec ses
dictatures et ses massacres depuis avant, pendant et après la guerre froide.
C'est le cas d'Haïti, bloqué et ruiné depuis qu'il est devenu le premier pays
libre des Amériques en 1804 et saigné à blanc jusqu'à hier, par la France, par
les dictatures des Duvalier, par la terreur des paramilitaires de la CIA, les
coups d'État contre Aristide ou l'imposition néolibérale qui ont ruiné le pays,
pour ne citer qu'un exemple. Lorsque ces personnes ont fui le chaos, elles ont
été pourchassées comme des criminels. En 2021, nous avons assisté à la chasse
aux Haïtiens à la frontière, à cheval, comme on chassait les esclaves au XIXe
siècle.
Les
journalistes des chaînes occidentales ont été encore plus directs, qui ont
rapporté la tragédie des Ukrainiens comme quelque chose d'inadmissible, vu que
ce sont des "chrétiens blancs", des "gens civilisés", des
"blond·es aux yeux bleus". Ou des hommes politiques, comme le député
polonais du parti au pouvoir Dominik Tarczyński, qui a fièrement confirmé
qu'ils étaient ouverts à l'immigration ukrainienne parce qu'ils étaient des
"gens pacifiques", mais qu'ils n'accueilleraient pas un seul réfugié
musulman. Zéro. Sur des chefs nazis violents comme Artiom Bonov, réfugiés dans son
pays, silence radio.
Comme
exemple à suivre, Le Monde a salué "le jeune président chilien,
Gabriel Boric" qui a « condamné sans ambages « l’invasion de l’Ukraine, la violation de sa souveraineté et
l’usage illégitime de la force » ». En
d'autres termes, si vous ne comprenez pas que la réalité est un match de
football et que vous devez être à cent pour cent dans un camp sans critiquer
l'autre, c'est parce que vous êtes dans un camp sans critiquer l'autre.
Ce n'est pas
un hasard si, depuis des générations, les puissances impériales n'ont pas
accepté d'être appelées par ce nom. Pour elles, ce n'est pas le moment de
mentionner l'impérialisme occidental. Ce n'est jamais le bon moment pour parler
d'impérialisme, à moins qu'une autre puissance militaire ne songe à faire de
même.
Le Monde nuance lorsqu'il me cite à nouveau sur un
point que nous répétons depuis des mois avant la guerre : « Que l’on considère que l’OTAN est le
premier responsable du conflit en Ukraine ne signifie pas que l’on soutient
Poutine, ni aucune guerre… ». Mais dans sa façon de penser, ce
n'est là qu’un détail sans importance. La thèse est autre : la critique de
l'OTAN est due au fait que « l'anti-américanisme reste ancré dans le
sous-continent ». Comme le vieil argument enfantin selon lequel « ils
nous détestent parce que nous sommes riches et libres ».
Récemment,
John Mearsheimer, professeur à l'université de Chicago et expert de la région,
a accusé les USA d'être responsables de la guerre en Ukraine dans The
Economist et The New Yorker. Il y a quelques jours, Noam Chomsky m'a
rappelé que non seulement il avait mis en garde, il y a des années, contre le
danger d'une guerre si on ne maintenait pas la neutralité de l'Ukraine, mais
aussi que « George Kennan, Henry Kissinger, le chef de la CIA et
pratiquement tout le haut corps diplomatique qui connaissait un tant soit peu
la région étaient du même avis. C'est fou ».
C'est fou,
mais il y a une explication : la cupidité sans limite des marchands de mort, contre
lesqujels le président et général Eisenhower lui-même avait mis en garde dans
son discours d'adieu comme étant un danger majeur pour la démocratie et les
politiques des USA.
Maintenant,
que nous soyons d'accord avec Kissinger et la CIA elle-même sur les causes du
conflit ne signifie pas que nous soyons d'accord sur les objectifs. Un exemple
que j'ai signalé dans mon livre La Frontière sauvage résume tout : la
CIA a inoculé à la population latino-américaine l'idée que les dictatures
fascistes d'Amérique latine devaient combattre le communisme et que, par
exemple, Salvador Allende allait faire du Chili un nouveau Cuba, alors que ses
agents et analystes rapportaient le contraire : s'ils n'avaient rien fait, il
est fort probable qu'en raison de la politique de ruine de l'économie chilienne
menée par Washington, Allende aurait perdu les élections suivantes. Mais
l'objectif était de créer un laboratoire néolibéral sous la tutelle d'une
dictature, comme si souvent auparavant. La CIA a promu dans la presse
latino-américaine et même dans les rues avec des tracts et des affiches un
discours auquel elle ne croyait pas et dont elle se moquait même. Aujourd'hui
encore, la « menace communiste » inexistante est répétée avec
fanatisme par ses majordomes, des politiciens pro-oligarchie à la presse et ses
journalistes honoraires et mercenaires.
Pour se
faire une idée de la poursuite de cette manipulation médiatique, il suffit de
considérer que les agences secrètes occidentales disposent de budgets plusieurs
fois supérieurs à ceux qu'elles avaient en 1950 ou 1990 et qu'elles ne les
utilisent pas uniquement pour former des milices néonazies en Ukraine, ce
qu'elles ont appelé, comme dans tant d'autres pays, « autodéfense ».
Des forces d'autodéfense qui n'ont pas servi à empêcher une invasion russe ou
la chose même que le président Zelenski veut maintenant négocier, la première
exigence de la Russie : la neutralité de l'Ukraine.
Alors,
est-ce que ce sont les critiques de gauche qui sont piégés dans la guerre
froide ou les mercenaires des grandes entreprises, de l'OTAN et des multiples
interventions impérialistes ?