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07/06/2023

MICHAEL SFARD
Protestataires israéliens, au lieu de “Démocratie”, scandez “Apartheid” !

Michael Sfard, Haaretz, 7/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Michael Sfard (Jérusalem, 1972) se définit comme « avocat israélien des droits de l’homme, et pourtant, optimiste ». Fils de dissidents polonais chassés de Pologne en 1968, petit-fils du sociologue Zygmunt Bauman, il travaille principalement à la défense des droits humains dans les territoires occupés par Israël depuis 1967. Il contribue aussi à divers journaux, dont Haaretz et le New York Times, qui l’a appelé en 2012 “le principal avocat de la gauche en Israël”. On peut lire de lui en français Le dernier espion (avec Marcus Klingberg, Nouveau monde 2015) et Le mur et la porte — Israël, Palestine, 50 ans de bataille judiciaire pour les droits de l’homme (Zulma 2020).

Cette semaine marque la fin de la 56e année d’occupation. Le fait que tant de temps se soit écoulé signifie que la grande majorité des millions d’êtres humains qui vivent sous l’occupation israélienne ont grandi sous celle-ci.

Willem, 2017

Ils n’ont jamais vécu un seul jour sans répression ni dépossession, et ne connaissent pas une réalité dans laquelle ils seraient des citoyens participant à la prise des décisions qui affectent leur vie.

Certains d’entre eux ont déjà des petits-enfants, qui sont eux aussi nés dans un monde où un Israélien armé décide de tout : s’ils pourront aller à l’étranger, s’ils seront autorisés à accéder au verger familial, s’ils pourront aller prier à Jérusalem, si le fils de Gaza sera autorisé à dire au revoir à sa mère mourante qui vit en Cisjordanie.

Mais le soldat n’est pas le seul problème pour les personnes vivant sous l’occupation. Car à côté de l’Israélien armé en uniforme, il y a aussi un Juif armé d’un fusil, d’un gourdin ou d’une pierre, qui ne porte pas d’uniforme. Et le Juif sans uniforme vole leurs terres, déracine ce qu’ils ont planté, s’en prend à leurs troupeaux, brûle leurs maisons, les blesse et même les tue. Le Juif sans uniforme mène une guerre totale pour anéantir la vie des Palestiniens dans les zones ouvertes de la Cisjordanie.

Voici un aperçu incomplet des événements qui se sont déroulés en l’espace de quatre jours il y a une semaine. Il montre que les Juifs sans uniformes ont une productivité qui ne ferait pas honte aux bandes antisémites de notre histoire.

Lundi, des colons sans foi ni loi ont achevé le nettoyage ethnique de la petite communauté bédouine d’Al-Samia, au nord-est de Ramallah. Ces 27 familles avaient loué la terre et s’y étaient installées il y a 40 ans, après avoir subi une série de déplacements forcés, dont le dernier pour permettre l’établissement de la colonie de Kochav Hashahar.

Je leur ai rendu visite il y a environ un an et demi avec des membres de l’organisation humanitaire Comet-ME, qui a installé un système d’électricité solaire et les a ainsi aidés à vivre avec un minimum de dignité. Au cours de cette visite, ils nous ont raconté que les colons violents de deux avant-postes agricoles érigés au sommet de collines voisines les empêchaient, par des actes de violence graves, de faire paître leurs troupeaux, vandalisaient leurs champs et profanaient leur espace de vie à l’aide de gourdins et de chiens.

Au cours des deux dernières années, les attaques étaient devenues plus sauvages et incessantes. Ce lundi-là, ils en ont eu assez. Une nouvelle attaque nocturne sur leurs maisons et la crainte pour la sécurité de leurs enfants les ont amenés à décider de démonter eux-mêmes leurs maigres cabanes et tentes et de partir, le diable seul sait où. Alors qu’ils étaient encore en train de charger leurs affaires dans un camion, un colon avait déjà commencé à faire paître son troupeau dans leur champ de blé.

Le mercredi de la même semaine, des colons ont perpétré un mini-pogrom dans le village de Burqa, sur les terres duquel se trouve l’avant-poste de Homesh. Ils ont incendié une caravane et quelques maisons en représailles au fait que les habitants du village avaient accueilli une délégation de l’Union européenne.

Jeudi, des colons ont commencé à aplanir illégalement les terres de Burqa, dans le cadre de leur plan de reconstruction de Homesh et pour empêcher les propriétaires palestiniens de ces terres d’y retourner. Le gouverneur de facto de la Cisjordanie, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, a ordonné aux autorités de ne pas appliquer la loi et de ne pas arrêter les travaux.

Le lendemain, les colons ont incendié des voitures et des terres agricoles dans deux villages au nord-est de Ramallah. Ils ont également tiré sur un Palestinien, le blessant grièvement.

Et c’est ainsi que l’un en uniforme et l’autre sans uniforme dépouillent les Palestiniens, couche par couche, de tout ce qui rend la vie humaine : la capacité de maintenir une vie de famille, de gagner sa vie, de jouir de la sécurité et de faire les choix qui constituent le parcours de chaque personne vers la réalisation de ses talents et l’atteinte de son bonheur. Que quiconque est prêt à vivre ainsi lève la main.

Un autre événement s’est produit cette semaine-là. Les éditeurs de l’édition hébraïque de wikipédia ont rejeté une proposition visant à rétablir l’entrée sur la “violence des colons”. Cette entrée a été supprimée en 2019 (elle existe toujours dans la version anglaise, sous le nom de "Israeli settler violence" [et arabe, sous le nom de عنف المستوطنين”, mais dans aucune autre langue, NdT]), au motif qu’elle reflète “une segmentation arbitraire de la population et un parti pris politique”, et parce que la violence en question “n’est pas caractéristique des seuls colons”.

Réjouissez-vous, chantez et dansez, il n’est pas nécessaire d’éradiquer le phénomène qui salit l’image d’Israël chez les Gentils ! Il suffit de l’effacer de wikipédia.

Mais contrairement aux films de science-fiction, dans la vie réelle, l’effacement de cette entrée ne ramènera pas les habitants d’Aïn Samia dans leur village, n’enlèvera pas la balle du corps du blessé, ne replantera pas les dizaines de milliers d’oliviers que les colons ont déracinés au fil des ans et ne remettra pas les voitures, les maisons et les magasins de Huwara dans l’état où ils se trouvaient avant cette orgie nocturne de violence raciste et fasciste, en février dernier.

C’est peut-être un cliché, mais on ne peut résister à la tentation de dire que les éditeurs de wikipédia en hébreu sont comme ce bébé qui se cache les yeux et qui est certain que le monde n’existe plus. Sauf que le bébé est innocent, et qu’eux ne le sont pas. Il ne fait que se voiler les yeux, alors que les éditeurs de wikipédia essaient de voiler les yeux de tout le monde.

En fin de compte, ce ne sont que d’autres juifs israéliens, cette fois avec des claviers, qui participent à l’effacement de la vie des Palestiniens. Non pas avec des gourdins ou des bidons d’essence, mais avec un acte politique offensif d’effacement - et donc de négation - du statut de victime de ceux-ci.

Néanmoins, il y a une part de vérité qui se cache derrière la suppression de l’entrée sur la “violence des colons”, même si ce n’est pas pour les raisons invoquées par ces rédacteurs nationalistes. Car ce n’est pas seulement la suppression, mais aussi l’accent excessif mis sur les colons en tant que source de la violence à l’égard de la nation occupée qui déforme une caractérisation correcte du mal de l’occupation.

La violence israélienne à l’égard des peuples vivant sous notre domination est une violence d’État. Il s’agit d’un projet national - une entreprise commune à toutes les composantes de la nation, chacune selon ses capacités et ses talents.

Les centaines de colons qui ont incendié Huwara l’ont fait avec l’aide des milliers de policiers qui n’étaient pas là et des bataillons de soldats qui étaient là mais n’ont rien fait. Le vol des champs d’Aïn Samia s’est produit grâce à une armée et à une police qui n’ont ni empêché le vol, ni arrêté les coupables par la suite, et qui, par principe, ne jugent pas les voleurs juifs.

Mais fermer les yeux n’est que le petit péché des autorités. La quantité de terres volées aux Palestiniens et transférées aux colons par le biais des mécanismes officiels d’expropriation et d’attribution est mille fois supérieure à la quantité volée par le biais de la violence “privatisée”. Les ressources pillées dans le territoire occupé par les entreprises israéliennes sont mille fois plus importantes que celles pillées par les avant-postes agricoles violents. Les avocats et les juges, tant militaires que civils, ont davantage contribué à l’élimination des droits fondamentaux de millions de personnes que tous les abus des “jeunes des collines” réunis.

Les Juifs israéliens armés de fusils, de gourdins, de claviers, de stylos et de portefeuilles sont les occupants ultimes. Et même si nombre d’entre eux se retrouvent parmi les manifestants qui protestent contre le bouleversement juridique prévu par le gouvernement dans la rue Kaplan à Tel-Aviv, là-bas, dans le royaume de l’occupation, ils ne sont pas vraiment en faveur de la “démocratie”, comme ils le scandent à Tel-Aviv. Là-bas, ils pérennisent, renforcent et appliquent l’apartheid.

Bienvenue dans la 57e année.

22/03/2023

Qui est à l’origine de la refonte judiciaire qui divise Israël ? Deux New-Yorkais

David Segal et Isabel Kershner, The New York Times, 20/3/2023

 Alain Delaquérière, du service de recherche du NYT, a contribué au reportage.

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Kohelet, le think tank autrefois discret qui a conçu et défend aujourd’hui un remodelage du système judiciaire israélien, est une importation usaméricaine.

Des dizaines de milliers d’Israéliens ont protesté contre le projet de refonte judiciaire du gouvernement le 11 mars. Photo : Amir Levy/Getty Images

Dans le cadre d’une récente “journée nationale de résistance”, un groupe de réservistes masqués a convergé vers le bureau de Jérusalem d’un think tank et a bloqué sa porte d’entrée avec des sacs de sable et des bobines de fil de fer barbelé. À l’extérieur, les manifestants ont mené un rassemblement bruyant dans la rue, brandissant des dizaines de pancartes et se partageant un micro pour une série de discours furieux.

« Le Kohelet Policy Forum s’est caché dans l’ombre », a crié un orateur, debout sur une voiture. « Mais nous les avons rattrapés et nous ne les laisserons pas gagner ! »

Pendant des années, Kohelet a discrètement produit des prises de position, essayant d’orienter la politique gouvernementale dans une direction plus libertarienne. Puis, à partir de janvier, il s’est fait connaître comme l’un des principaux architectes de la proposition de refonte judiciaire qui a plongé Israël dans une crise sur l’avenir de sa démocratie.

Si le projet aboutit, ce sera une victoire éclatante non seulement pour le think tank, mais aussi pour les personnes qui en sont à l’origine : deux gars du Queens.

Le premier est Moshe Koppel, un docteur en mathématiques de 66 ans qui a grandi à New York et s’est installé en Israël en 1980. Il a fondé Kohelet en 2012 et a rédigé des lois et produit des documents politiques conservateurs et libertariens avec une liste de chercheurs à temps plein et à temps partiel qui compte aujourd’hui 160 personnes.

« Je ne veux pas paraître arrogant », a-t-il déclaré à Ami, le magazine juif orthodoxe, en 2019, « mais dans un certain sens, nous sommes les cerveaux de la droite israélienne ».

Moshe Koppel, président de Kohelet, lors d’un événement à Jérusalem. Photo : Olivier Fitoussi

Kohelet n’est pas tenu de divulguer les noms des donateurs individuels et, pendant des années, Koppel a habilement éludé les questions relatives au financement.

Arthur Dantchik, un trader qui pèse 7,2 milliards de $

Mais l’une des sources de financement est un autre New-Yorkais : Arthur Dantchik, un multimilliardaire de 65 ans qui a donné des millions à Kohelet, selon des personnes familières avec ses dons philanthropiques. Dantchik n’a pas répondu à une demande de commentaire.

L’argent et les idées des USAméricains, de gauche comme de droite, ont toujours joué un rôle dans la politique israélienne. Aujourd’hui, les consultants usaméricains font régulièrement partie des campagnes électorales et le quotidien gratuit Israel Hayom, soutenu par des USAméricains, est le journal le plus lu du pays.

Jusqu’à récemment, cependant, peu de gens savaient que les propositions judiciaires qui bouleversent le pays étaient en grande partie une production usaméricaine.

 

Ce qu’il faut savoir sur la refonte du système judiciaire israélien

Une proposition qui divise. Un ensemble de propositions législatives visant à réformer en profondeur le système judiciaire israélien a déclenché des protestations massives de la part de ceux qui estiment qu’elles détruiront les fondements démocratiques du pays. Voici ce qu’il faut savoir :

Quels sont les changements proposés ? Le gouvernement israélien de droite souhaite modifier la composition d’un comité chargé de sélectionner les juges afin de donner une majorité aux représentants et aux personnes nommées par le gouvernement. La législation limiterait également la capacité de la Cour suprême à annuler les lois adoptées par le Parlement et affaiblirait l’autorité du procureur général, qui est indépendant du gouvernement.

Que disent les opposants au projet ? Le front des opposants à la législation, qui comprend des Israéliens en grande partie du centre et de la gauche, affirme que la refonte porterait un coup fatal à l’indépendance du pouvoir judiciaire, qu’ils considèrent comme le seul frein au pouvoir du gouvernement. Ils affirment que la législation ferait passer le système israélien d’une démocratie libérale avec des protections pour les minorités à une tyrannie de la règle de la majorité.

Quelle est la position de Benjamin Netanyahou ? Dans le passé, Netanyahou, l’actuel Premier ministre israélien, était un fervent défenseur de l’indépendance des tribunaux. Sa récente nomination de Yariv Levin, l’un des chefs de file de la refonte judiciaire, au poste de ministre de la Justice a marqué un tournant, même si MNetanyahou a publiquement promis que tout changement serait mesuré et géré de manière responsable.

Un compromis est-il possible ? Les hommes politiques à l’origine du plan se sont dits prêts à discuter et un groupe d’universitaires et de législateurs s’est réuni en coulisses pendant des semaines pour trouver un compromis. Le 15 mars, le gouvernement a rejeté un compromis proposé par Isaac Herzog, le président d’Israël, qui a été rejeté par Netanyahou peu après sa publication.

 Ce plan, qui a incité des centaines de milliers d’Israéliens à manifester chaque semaine, donnerait au gouvernement un contrôle beaucoup plus important sur la sélection des juges et rendrait plus difficile l’annulation par la Cour suprême des lois adoptées par les députés.

Les négociations - qui incluaient Kohelet - pour une version réduite de la refonte judiciaire qui satisferait une plus grande partie de l’opinion publique israélienne semblent être en suspens pour le moment. Le gouvernement est déterminé à faire passer au moins certaines de ses propositions au Parlement d’ici le début du mois d’avril.

Les opposants à la refonte affirment que les tribunaux sont tout ce qui empêche Israël de se transformer en un pays où le pouvoir du gouvernement n’est pas contrôlé et où les minorités ne sont pas protégées. Koppel et ses alliés estiment que la véritable menace pour la démocratie israélienne réside dans les juges activistes qui, selon lui, agissent désormais pratiquement sans contrainte.

Bien que très présent dans les cercles politiques conservateurs israéliens depuis des années, Koppel s’est longtemps efforcé de maintenir un profil aussi bas que possible.

« J’ai découvert que l’on obtient beaucoup plus de résultats », a-t-il déclaré lors d’une rare interview au siège de Kohelet, « si on laisse les autres s’attribuer les mérites que si l’on insiste pour annoncer sa propre contribution ».

Pendant des décennies, M. Dantchik est resté aussi invisible qu’un homme aussi riche peut l’être. (Avec une valeur nette estimée à 7,2 milliards de dollars, il est plus haut placé sur la liste Forbes 400 que des magnats de premier plan comme Mark Cuban et George Soros). Il est cofondateur du Susquehanna International Group, une société financière privée basée sur un campus tentaculaire dans la banlieue de Philadelphie, avec des bureaux dans le monde entier. La société n’a jamais fait appel à des investisseurs extérieurs, se limitant à ce qu’elle est tenue de divulguer publiquement sur les marchés sur lesquels elle opère - options, actions, crypto-monnaies et paris sportifs.

« Ils sont aussi silencieux qu’une souris d’église », a déclaré Paul Rowady d’Alphacution, un groupe de recherche spécialisé dans les sociétés de négoce pour compte propre. « Ces types n’aiment pas parler et ils ne veulent pas que quelqu’un se mêle de leurs affaires ».

Le lien de Dantchik avec Kohelet a été publié pour la première fois dans un article du journal israélien Haaretz, sur la base d’un rapport du Bloc démocratique, une organisation à but non lucratif en Israël qui surveille principalement les groupes de droite.

« Nous avons passé des mois à chercher un indice qui nous permettrait de remonter à l’origine de l’argent », a déclaré Ran Cohen, directeur du Bloc démocratique. « Il s’agissait d’un labyrinthe de sociétés et d’organisations caritatives américaines non transparentes ».

Les recherches du groupe ont révélé que les fonds destinés à Kohelet provenaient d’une organisation 501(c)(3) appelée American Friends of Kohelet Policy Forum, qui était à l’origine basée à Bala Cynwyd, la même banlieue que Susquehanna. Deux des directeurs de l’association sont des frères et sœurs de l’épouse de Koppel. Le troisième, Amir Goldman, travaille à Susquehanna Growth Equity, une branche de Susquehanna International spécialisée dans le capital-investissement.

Après la publication par Haaretz de son article en mars 2021, le Bloc démocratique a constaté que le principal canal de financement de Kohelet avait changé.


"Jeff Yass, prends ton argent sale et dégage !" : Manifestation devant les bureaux de Kohelet à Jérusalem le 9 mars. Photo : Eran Nissan/Mehazkim

Un rapport financier déposé en Israël par le think tank en avril de la même année a montré que plus de 90 % de ses 7,2 millions de dollars de revenus provenaient du Central Fund of Israel, une organisation familiale à but non lucratif qui a donné 55 millions de dollars à plus de 500 causes liées à Israël en 2021, selon son site web.

Jeff Yass, le roi de l’arnaque fiscale

Dans les rapports précédents sur le financement de Kohelet, Dantchik était cité comme l’un des principaux donateurs avec Jeff Yass. Yass est l’un des cofondateurs de Susquehanna et un donateur politique conservateur prolifique aux USA, dont la valeur nette a été estimée par Forbes à 28,5 milliards de dollars.

Mais les personnes qui connaissent les dons des deux hommes affirment que M. Yass n’a jamais été un donateur de Kohelet. Il a refusé de commenter cet article.

Les bureaux de Kohelet à Jérusalem. Photo : Avishag Shaar-Yashuv pour le New York Times

Si la refonte soutenue par Kohelet devait aboutir sous une forme ou une autre, Koppel deviendrait l’improbable parrain d’un système judiciaire israélien remodelé.

Il n’est pas juriste et n’a pas fait d’études de droit. Avant de se tourner vers la politique, il était spécialisé dans l’apprentissage automatique. Koppel, un homme maigre à la barbe grisonnante et aux petits restes d’accent new-yorkais, vit dans une colonie relativement huppée du sud de la Cisjordanie, où l’on trouve de nombreux USAméricains transplantés.

Même nombre de ses détracteurs l’apprécient personnellement, et la plupart d’entre eux le reconnaissent : « Il est brillant. » L’un de ses dons est de décrire ses positions politiques et sa propre personne de manière à ce qu’elles paraissent éminemment raisonnables.

« Vous voyez que je porte une kippa sur la tête, mais je ne suis pas en faveur de la coercition religieuse sous quelque forme que ce soit », a-t-il déclaré lors d’une récente interview sur le podcast “Two Nice Jewish Boys” (Deux gentils garçons juifs).

Koppel, au centre, interviewé par Eytan Weinstein, à gauche, et Naor Meningher sur le podcast “Two Nice Jewish Boys”. Photo : Two Nice Jewish Boys Podcast

Il n’a pas voulu dire comment il était entré en contact avec Dantchik, qui a grandi dans le Queens et a obtenu un diplôme de biologie à l’université d’État de New York à Binghamton.

Le colocataire de Dantchik était Yass, un ami du lycée, et les deux hommes se sont liés par une passion commune pour le poker. Après avoir obtenu leur diplôme, ils se sont installés à Las Vegas pour devenir des joueurs professionnels, avec un succès modeste. Plus tard, ils ont transporté des mallettes remplies d’argent provenant d’un “consortium” de joueurs partageant les mêmes idées, afin de faire des milliers de petits paris sur des combinaisons à long terme dans les hippodromes. En 1985, au Sportsman’s Park de Cicero (Illinois), ils ont gagné 764 284 dollars, l’un des plus gros gains de l’histoire des courses aux USA.

Ils ont créé Susquehanna en 1987 avec une poignée d’amis. Le poker, qui met l’accent sur les probabilités et la prise de décision sous pression, est tellement au cœur de la culture de Susquehanna que son programme de formation de plusieurs mois comprend des semaines de Texas hold’em [variante de poker].

D’anciens employés de Susquehanna disent que Dantchik est un personnage très apprécié dans l’entreprise - calme, chaleureux et exceptionnellement généreux.

« Il dirigeait le programme de formation lorsque j’ai commencé », a déclaré Francis Wisniewski, qui a rejoint Susquehanna en 1993 et y est resté pendant dix ans. « Mon grand-père est décédé pendant la formation et il m’a offert son Audi pour que je puisse immédiatement rentrer chez moi en quatre heures. Il m’a dit : “Je vais prendre un taxi. Tu prends ma voiture”. Il était comme ça ».

Si l’argent parle, c’est apparemment la seule façon pour Dantchik de le faire en public. Sa philanthropie publique révèle un homme désireux de soutenir des politiciens républicains modérés : il a donné environ 850 000 dollars à des candidats politiques et à des groupes qui divulguent leurs donateurs, selon les données fournies par OpenSecrets.org.

La majeure partie de ses dons est canalisée par la Claws Foundation, basée à Reston, en Virginie, et dont deux des directeurs sont Dantchiok et Yass. La dernière déclaration fiscale de la Fondation Claws à l’I.R.S., qui figure sur le site de ProPublica, indique que l’organisation a donné 36 millions de dollars à plus de 30 bénéficiaires, dont des théâtres, des hôpitaux, des synagogues, des universités et des groupes de réflexion libertariens, tels que l’Institut Cato et l’Institut Ayn Rand.

Sur le papier, Dantchik et Koppel ont beaucoup en commun, notamment une passion partagée pour Israël et les idées libertariennes. Koppel a commencé à s’intéresser à la politique il y a 20 ans, lorsqu’il a commencé à assister aux auditions de la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset. Lors de l’entretien, Koppel a déclaré qu’il avait rapidement appris que les politiciens, très occupés et à court de personnel, étaient reconnaissants à toute personne désireuse de les aider à rédiger un projet de loi.

« Cette personne a beaucoup de pouvoir, la personne qui tient le stylo », dit Koppel.

Après quelques tentatives infructueuses de rédaction d’une constitution officielle pour Israël, il a créé Kohelet - l’Ecclésiaste en hébreu - il y a plus de dix ans.

 

Le bureau de Jérusalem de Kohelet, que son fondateur a qualifié de “cerveau de la droite israélienne”. Photo : Avishag Shaar-Yashuv

Dès le départ, Kohelet a ciblé les piliers idéologiques érigés par les fondateurs socialistes d’Israël. Le groupe promeut le menu libertarien familier d’un gouvernement restreint, de marchés libres et d’une éducation privatisée. Au cours des dernières décennies, Israël s’est éloigné de la réglementation et a mis l’accent sur son hospitalité envers les entrepreneurs. Mais le libertarianisme de Kohelet est ressenti par de nombreux Israéliens comme une intrusion étrangère.

Décrivant les politiques de Kohelet comme une importation usaméricaine, Gilad Kariv, membre du parti travailliste et ancien président de la commission de la constitution, du droit et de la justice, a déclaré : « Non seulement ils reçoivent leur contribution financière des USA, mais ils y apportent une philosophie néoconservatrice d’extrême droite ».

L’un des triomphes de Kohelet s’est produit en 2019, lorsque l’administration Trump a annoncé que les USA ne considéraient pas les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée comme une violation du droit international, renversant ainsi quatre décennies de politique usaméricaine. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a délivré un message vidéo lors d’une conférence de Kohelet, remerciant le groupe d’avoir soutenu la nouvelle doctrine.

Mais le projet de refonte judiciaire représente l’apogée de l’influence de Kohelet. Lorsque Yariv Levin, le ministre de la Justice, a dévoilé le plan en janvier, il a publiquement remercié le directeur du département juridique de Kohelet pour son aide. Koppel s’est contenté de dire que les propositions judiciaires de Kohelet étaient “similaires” à celles du gouvernement.

« Nous ne pouvons pas leur dire ce qu’ils doivent faire, mais seulement leur donner des conseils », dit Koppel. « Ils ont suivi certains de ces conseils et en ont rejeté d’autres ».

Peu après cette interview, les tensions en Israël sont passées de l’état de frémissement à l’état d’ébullition, et le président a récemment mis en garde contre la possibilité réelle d’une guerre civile.

Lors de la manifestation organisée devant Kohelet ce mois-ci, un orateur a dénoncé les riches USAméricains qui exportent des idées en Israël « en provenance directe des franges délirantes du parti républicain ».

Les badauds ont lancé de faux billets de 100 dollars en l’air.

L’entrée des bureaux du Kohelet Policy Forum qui a été bloquée par des manifestants opposés à la refonte du système judiciaire prévue par le gouvernement israélien, à Jérusalem, le 9 mars 2023.Photo : Flash90