Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est Naufrages de migrants. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Naufrages de migrants. Afficher tous les articles

10/07/2023

Une enquête de haute technologie suggère que les garde-côtes grecs sont responsables du naufrage du chalutier Adriana (646 disparus)

Katy Fallon, Giorgos Christides, Julian Busch et Lydia Emmanouilidou, The Guardian, 10/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les recherches menées sur le naufrage d’un chalutier ayant fait des centaines de morts contredisent fortement les comptes rendus officiels, tout en constatant l’absence de mobilisation des secours et la falsification des déclarations des survivants.

Un survivant utilise la modélisation 3D pour décrire ce qu’il a vécu la nuit où le chalutier a coulé. Photo : Forensis

Les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer un chalutier transportant des centaines de migrants pourraient avoir provoqué le naufrage du navire, selon une nouvelle enquête menée par The Guardian et des médias partenaires, qui soulève de nouvelles questions sur l’incident, qui a fait environ 500 disparus.

Le chalutier transportant des migrants de la Libye vers l’Italie a coulé au large des côtes grecques le 14 juin. Il y a eu 104 survivants.

Les journalistes et les chercheurs ont mené plus de 20 entretiens avec des survivants et se sont appuyés sur des documents judiciaires et des sources des garde-côtes pour dresser un tableau des occasions de sauvetage manquées et des offres d’assistance qui ont été ignorées. De nombreux survivants ont déclaré que les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer le navire avaient finalement causé le naufrage. Les garde-côtes ont vigoureusement nié avoir tenté de remorquer le chalutier.

La nuit où le chalutier a chaviré, à 47 milles nautiques au large de Pylos, dans le sud-ouest de la Grèce, a été reconstituée à l’aide d’un modèle 3D interactif du bateau créé par Forensis, une agence de recherche basée à Berlin et fondée par Forensic Architecture, qui enquête sur les violations des droits humains.


Des sacs mortuaires transportant des corps récupérés dans la mer arrivent à Kalamata. Photo : Stelios Misinas/Reuters

L’enquête menée conjointement par The Guardian, la chaîne publique allemande ARD/NDR [voir ici] et le média d’investigation grec Solomon [voir ici], en collaboration avec Forensis, a fourni l’un des comptes rendus les plus complets à ce jour de la trajectoire du chalutier jusqu’à son naufrage. Ils ont mis au jour de nouveaux éléments, tels qu’un navire de garde-côtes amarré dans un port plus proche mais jamais dépêché sur les lieux de l’incident, ainsi que le fait que les autorités grecques n’ont pas répondu, non pas deux fois, comme cela avait été signalé précédemment, mais trois fois, aux offres d’assistance de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Forensis a cartographié les dernières heures avant le naufrage, en utilisant les données du journal de bord des garde-côtes et le témoignage du capitaine du chalutier, ainsi que les trajectoires de vol, les données sur le trafic maritime, l’imagerie satellite et les informations provenant de vidéos prises par des navires commerciaux à proximité et d’autres sources. Les derniers mouvements du navire contredisent ceux des garde-côtes et révèlent des incohérences dans le récit officiel des événements, notamment en ce qui concerne la direction et la vitesse du chalutier.

L’enquête a montré que le chalutier surchargé a commencé à se diriger vers l’ouest lorsqu’il a rencontré l’unique navire des garde-côtes grecs envoyé sur les lieux. Selon plusieurs témoignages de survivants recueillis par The Guardian et les procureurs grecs, les garde-côtes avaient dit aux migrants qu’ils les conduiraient en Italie, ce qui contredit la version officielle selon laquelle le chalutier a commencé à se diriger vers l’ouest de son propre chef. L’enquête a également montré que le chalutier avait viré vers le sud et était resté presque immobile pendant au moins une heure jusqu’à ce que, selon les survivants, une deuxième tentative de remorquage, qui a été fatale, ait lieu.


Des survivants utilisent le modèle 3D du bateau pour décrire ce qui s’est passé dans la nuit du 14 juin. Photo : Forensis

Deux survivants ont utilisé le modèle 3D pour décrire le remorquage lui-même, tandis que trois autres, qui étaient assis à l’intérieur ou sur le pont inférieur du navire, ont décrit avoir été propulsés vers l’avant “comme une fusée”, alors que le moteur ne tournait pas. Cela suggère une tentative de remorquage.

Un autre survivant a déclaré séparément avoir entendu des gens crier qu’une corde était attachée par “l’armée grecque” et a décrit avoir été remorqué pendant 10 minutes peu avant que le chalutier ne coule. « J’ai l’impression qu’ils ont essayé de nous pousser hors des eaux grecques pour mettre fin à leur responsabilité », a déclaré un survivant après avoir examiné la carte des événements et réfléchi à ses souvenirs de la nuit.

Maria Papamina, avocate du Conseil grec pour les réfugiés, l’une des deux organisations juridiques représentant entre 40 et 50 survivants, a déclaré que deux tentatives de remorquage avaient été rapportées à son équipe. Les documents judiciaires montrent également que sept des huit survivants ont déclaré au procureur civil la présence d’une corde, d’un remorquage et d’une forte traction, lors de dépositions effectuées les 17 et 18 juin.


Modèles 3D du chalutier et du navire des garde-côtes. Photo : Forensis

Les circonstances exactes du naufrage ne peuvent être prouvées de manière concluante en l’absence de preuves visuelles. Plusieurs survivants ont déclaré s’être fait confisquer leur téléphone par les autorités et certains ont indiqué avoir filmé des vidéos quelques instants avant le naufrage. Des questions subsistent quant à la raison pour laquelle le navire des garde-côtes grecs sur les lieux, récemment acquis, n’a pas enregistré l’opération sur ses caméras thermiques. Ce navire, appelé le 920, a été financé à 90 % par l’UE pour renforcer les capacités de Frontex en Grèce et fait partie des opérations conjointes de l’agence européenne des frontières dans le pays. Frontex recommande que « dans la mesure du possible, toutes les actions entreprises par […] les moyens cofinancés par Frontex soient systématiquement documentées par vidéo ».


Le  920. Photo : Garde-côtes grecs

Dans des déclarations officielles, les garde-côtes grecs ont affirmé que l’opération n’avait pas été enregistrée parce que l’équipage se concentrait sur l’opération de sauvetage. Mais une source au sein des garde-côtes a déclaré que les caméras n’ont pas besoin d’être utilisées manuellement en permanence et qu’elles sont là précisément pour filmer de tels incidents.

La présence d’hommes masqués, décrits par deux survivants comme attachant une corde au chalutier, est également documentée dans le journal de bord du navire, qui comprend une entrée concernant une équipe d’opérations spéciales connue sous le nom de KEA qui s’est jointe au 920 cette nuit-là.

Selon des sources des garde-côtes, il ne serait pas inhabituel de déployer des KEA - généralement utilisés dans des situations à risque telles que des suspicions de contrebande d’armes ou de drogue en mer - étant donné le statut inconnu du navire, mais une source a déclaré que leur présence suggérait que le navire aurait dû être intercepté pour des raisons de sécurité et de sûreté maritime uniquement.


Une source a qualifié d’“incompréhensible” l’absence de mobilisation d’une aide plus proche de l’incident. Le 920 a été déployé depuis La Canée, en Crète, à environ 150 milles nautiques du lieu du naufrage. La source a déclaré que les garde-côtes disposaient de navires un peu plus petits mais toujours capables, basés à Patras, Kalamata, Neapoli Voion et même à Pylos. Le 920 a reçu l’ordre du QG des garde-côtes de “localiser” le chalutier vers 15 heures, heure locale, le 13 juin. Le contact a finalement été établi vers minuit. Un témoin oculaire a confirmé qu’un autre navire était stationné à Kalamata le 14 juin et qu’il aurait pu atteindre le chalutier en quelques heures. « Il aurait dû s’agir d’une situation où il aurait fallu envoyer tout ce que l’on avait. Le chalutier avait clairement besoin d’aide », a déclaré la source.

Les garde-côtes grecs et Frontex ont été alertés de la présence du chalutier dans la matinée du 13 juin. Les deux agences l’ont photographié depuis les airs, mais aucune opération de recherche et de sauvetage n’a été menée - selon la partie grecque, parce que le bateau avait refusé toute assistance. Les autorités ont reçu un SOS urgent qui leur aurait été relayé à 17h53, heure locale, par la ligne d’urgence pour les petites embarcations Alarmphone, qui était en contact avec des personnes à bord.


Le chalutier en mer avant le naufrage. Photo : Anadolu Agency/Getty Images

Deux des sources des garde-côtes ont déclaré au Guardian qu’elles pensaient que le remorquage était une raison probable du chavirement du bateau. Cette situation n’est pas sans précédent. En 2014, une tentative de remorquage d’un bateau de réfugiés au large de Farmakonisi a coûté la vie à 11 personnes. Les tribunaux grecs ont innocenté les garde-côtes, mais la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement accablant en 2022.

Des allégations ont également été formulées selon lesquelles les déclarations des survivants auraient été falsifiées. Deux séries de témoignages ont été présentées - d’abord aux garde-côtes, puis à un procureur civil - toutes deux vues par le Guardian. Les témoignages de deux survivants de nationalités différentes auprès des garde-côtes sont identiques, mot pour mot, lorsqu’ils décrivent le naufrage : « Nous étions trop nombreux sur le bateau, qui était vieux et rouillé... c’est pourquoi il a chaviré et coulé à la fin ».

Sous serment devant le procureur civil, quelques jours plus tard, les mêmes survivants décrivent des incidents de remorquage et accusent les garde-côtes grecs d’être responsables du naufrage. Le même survivant syrien qui avait déclaré dans son témoignage devant les garde-côtes que le chalutier avait chaviré en raison de son âge et de sa surpopulation témoignera plus tard : « Lorsqu’ils sont venus sur nous, et je suis désolé de le mentionner, notre bateau a coulé. Je pense que la raison en est le remorquage par le bateau grec ».


Survivants du naufrage au port de Kalamata. Photo : Angelos Tzortzinis/AFP/Getty Images

Bruxelles a demandé une enquête “transparente” sur le naufrage, tandis que Frontex, qui a proposé à plusieurs reprises des moyens aux autorités grecques - un avion à deux reprises et plus tard un drone - n’a pas reçu de réponse. Bien que Frontex soit de plus en plus sollicitée pour se retirer de Grèce, le Guardian croit savoir qu’elle envisage des mesures moins radicales, comme l’arrêt du cofinancement des navires des garde-côtes grecs.

Neuf Égyptiens qui se trouvaient à bord du chalutier ont été arrêtés et accusés d’homicide involontaire, d’avoir provoqué un naufrage et d’avoir fait passer des migrants clandestinement ; ils nient avoir commis des actes répréhensibles. Selon les informations du Guardian, les accusés ont déclaré qu’il y avait eu deux tentatives de remorquage, la seconde ayant entraîné le naufrage du bateau. Un frère de l’un des accusés a déclaré que son frère avait payé environ 3 000 livres sterling pour être sur le bateau, ce qui prouve, selon lui, qu’il n’était pas un passeur.

En Grèce et ailleurs, les survivants et les familles des victimes tentent de comprendre ce qui s’est passé. Trois survivants pakistanais ont déclaré avoir pris un vol du Pakistan vers la Libye en passant par Dubaï ou l’Égypte. Deux d’entre eux pensaient qu’ils allaient voler de la Libye vers l’Italie et ont été choqués en voyant le chalutier. « Je n’arrive pas à dormir correctement. Quand je dors, j’ai l’impression que je m’enfonce dans l’eau et que je vais mourir », raconte l’un d’eux.


Un survivant pakistanais du naufrage montre la photo d’un compatriote disparu. Photographie : Forensis

Près de la moitié des quelque 750 personnes à bord auraient été des citoyens pakistanais empruntant une nouvelle route de migration clandestine vers l’Italie. Les autorités pakistanaises estiment que 115 d’entre eux venaient de Gujranwala, dans l’est du pays, une région connue pour ses plantations de riz et ses champs de coton, mais profondément enlisée dans la crise économique pakistanaise.

Ahmed Farouq, qui vit à la périphérie de la ville de Gujranwala, a perdu son fils dans le naufrage de Pylos. Parlant du remorquage présumé, il a déclaré : « Ils voulaient que le bateau coule. Pourquoi n’ont-ils pas d’abord sauvé les gens ? S’ils ne veulent pas d’immigrés clandestins, qu’ils nous expulsent, mais qu’ils ne nous laissent pas nous noyer ».

 

The Pylos Shipwreck - Situated Testimony (long version) from Forensis on Vimeo.

04/03/2023

ANNAMARIA RIVERA
La vocation migranticide
Après la nouvelle hécatombe en Méditerranée

Annamaria Rivera, Comune-Info, 3/3/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

 

À l'heure où j'écris ces lignes, les victimes avérées d'un nouveau naufrage de migrants, survenu à l'aube du dimanche 26 février sur la côte de Steccato di Cutro, en Calabre, sont au moins 67, dont 15 enfants et 21 femmes. Mais leur nombre pourrait s'élever à plus de 100, s'ajoutant aux dizaines de milliers de morts de la mer Méditerranée, devenue un grand cimetière à ciel ouvert.


Les questions qui entourent ce naufrage sont particulièrement graves et inquiétantes : nous ne savons pas ce qui s'est passé après que l'avion de Frontex a aperçu et signalé le bateau à 22h30 la nuit précédant le naufrage ; nous ne comprenons pas pourquoi, bien que la présence d'un tel bateau dans les eaux ait été connue, aucune action rapide n'a été entreprise. Même le commandant de la capitainerie de Crotone, Vittorio Aloi, a déclaré que l'envoi de navires de sauvetage aurait été tout à fait possible.

 

Quoi qu'en pense l'infâme ministre de l'Intérieur Piantedosi, ce sont les “murs” qui créent les trafiquants et non l'inverse. Entre autres choses, il a rejeté la responsabilité du naufrage sur les victimes et a osé déclarer que « le désespoir ne peut justifier des voyages dangereux pour la vie des enfants ». Ce n'est pas un hasard si le ministre est l'inspirateur du décret, qui porte son nom, visant à appliquer des politiques de plus en plus persécutrices à l'encontre des navires des ONG, les empêchant de sauver des vies : une tâche qui devrait être assumée en premier lieu par l'État.

 

Aujourd'hui, après le tragique naufrage, il semble que l'objectif de Piantedosi soit de rétablir les décrets dits Salvini sur les ports fermés et les restrictions aux demandes d'asile et d'accueil.

 

Pour replacer ce que j'ai dit jusqu'ici dans un large contexte, je reprendrai ce que j'ai écrit ailleurs sur la vocation migranticide qui caractérise non seulement l'Italie, mais aussi une grande partie de l'Union européenne.

 

Comme on le sait, l'unité européenne a été conçue pour transcender non seulement les colonialismes, mais aussi la conception de la “nation” comme une communauté substantielle et homogène, tendant ainsi à exclure les autres, ainsi que les nationalismes et les crises économiques qui en ont résulté et qui ont également favorisé la naissance de régimes totalitaires.

 

Aujourd'hui, en revanche, les exilés forcés (tous, à des degrés divers, y compris les exilés économiques) atterrissent paradoxalement, lorsqu'ils y parviennent, dans un continent truffé de frontières blindées, de murs et de barrières de barbelés. Dans la plupart des cas, ils sont contraints de quitter leur pays à cause des persécutions, de la misère, de la famine, des catastrophes, y compris environnementales, ainsi que des conflits et des guerres civiles, le plus souvent provoqués ou favorisés par le néocolonialisme et l'interventionnisme occidentaux.

 

Ils arrivent dans un monde où les nationalismes agressifs sont résurgents, où il y a une compétition pour repousser autant de réfugiés que possible vers l'État le plus proche ou des efforts sont faits pour les déporter vers un douteux “pays sûr”. Un monde où, pour défendre son propre territoire, on ferme les frontières, on érige des barrières de toutes sortes, on déploie même des armées. À cet égard, je rappelle, pour ne donner qu'un exemple parmi tant d'autres, qu'en octobre 2015, le parlement slovène a approuvé, à la quasi-unanimité, une loi donnant à l'armée des pouvoirs extraordinaires, principalement celui de restreindre la liberté de mouvement des personnes.

 Don Francesco Lo Prete, curé de Le Castella, a recueilli des morceaux de l’embarcation échouée sur la plage de Steccato di Cutro, dont l’artiste local Maurizio Giglio a fait une croix, qui sera dressée dimanche 5 mars dans l’église de Steccato di Cutro au terme d’une Via Crucis Chemin de croix) en présence de Mgr. Angelo Panzetta , archevêque de  Crotone-Santa Severina


En outre, entre 2015 et 2016, afin de freiner l'afflux de réfugiés, certains pays de l'UE sont allés jusqu'à suspendre unilatéralement la Convention de Schengen et à réintroduire des contrôles aux frontières. Au lieu de promouvoir un engagement en faveur d'une réforme radicale de la Convention de Dublin, la Commission européenne a honteusement cautionné cette pratique, qui met à mal l'un des rares éléments, à la fois concrets et symboliques, qui peuvent donner aux citoyens du continent le sentiment d'une appartenance commune, néanmoins ouverte aux autres. Et ce, à un moment où nous assistons à une crise radicale en Europe.

 

En passant, il convient de noter à quel point la rhétorique insistante de l'intégration semble paradoxale, face à un contexte continental et des contextes nationaux le plus souvent caractérisés par des ordres politiques et sociaux fragmentés, inégaux, conflictuels.  

 

En bref, au fil des ans, l'Union européenne a perpétué, dans une certaine mesure, le modèle des anciens nationalismes, en reproposant les critères de la généalogie, de la descendance, des origines, légitimant ainsi la rhétorique sur laquelle se fondent presque toutes les formes de racisme. En fait, c'est un tel critère qui a été sanctionné, après tout, par les traités de Maastricht et d'Amsterdam, par le traité constitutionnel européen lui-même, signé à Rome le 29 novembre 2004, qui a réservé la citoyenneté dite européenne aux seuls nationaux.

 

L'UE pratique également une sorte de supranationalisme armé, pour la défense de ses frontières. Et ceci, à son tour, n'est pas seulement la cause principale d'une hécatombe de réfugiés aux proportions monstrueuses, mais a aussi indirectement contribué à encourager un nationalisme agressif, donc au succès de la droite, même de l'extrême droite, dans toute l'Europe : l'Italie est aujourd'hui le cas exemplaire d'un gouvernement dominé par l'extrême droite. 

 

En fait, comme je l'ai déjà écrit ailleurs, les lois, normes et pratiques européennes ainsi que celles des États individuels dans le domaine de l'immigration et de l'asile configurent une sorte de thanatopolitique, pour le dire à la manière de Michel Foucault. À tel point qu'il n'est pas exagéré d'affirmer, comme l'a fait Luigi Ferrajoli (Il suicidio dell'Unione europea, in “Teoria politica”, VI, 2016, pp. 173-192), qu'avec ses « lois raciales actuelles », l'UE « promulgue une gigantesque non-assistance à personnes en danger » et, par conséquent, « un nouveau génocide ».

 

La sémiotique du génocide peut de fait être trouvée dans un certain nombre de normes et de pratiques des États de l'UE. Il suffit de considérer l'utilisation de voitures blindées pour transporter les réfugiés à travers ses frontières, par  laquelle la Hongrie, dirigée par la droite nationaliste et raciste, s'est distinguée.  Ce pays, en effet, a répondu à la “crise des réfugiés” non seulement en blindant ses frontières, en criminalisant et en arrêtant les demandeurs d'asile qui tentaient de les franchir, mais aussi en accomplissant, à deux reprises au moins, un acte qui rappelle la déportation des Juifs hongrois eux-mêmes en 1944.   

 

En juillet 2015, un wagon de marchandises fermé, rempli de réfugiés, principalement des Syriens et des Afghans, y compris des femmes et des enfants, a été ajouté à un train quittant Pecs à destination de Budapest. Et le 23 septembre suivant, à la frontière entre la Hongrie et la Croatie, des centaines de réfugiés, privés d'eau et de nourriture, ont été chargés sur des wagons de marchandises également blindés, pour être transférés à la frontière autrichienne.

 

Tout cela contribue également à la grave crise européenne, qui n'est pas seulement économico-financière, mais aussi (et peut-être surtout) politico-idéologique et identitaire. En effet, à l'heure actuelle, la seule "“déologie” capable de mobiliser et d'unifier une grande partie des populations européennes “autochtones” est le rejet des réfugiés, des exilés, des Rroms, des immigrés et/ou des personnes “d'autre origine”, c'est-à-dire les “ennemis intérieurs et extérieurs” d'aujourd'hui. Ce sont elles et eux, aujourd'hui, qui constituent de plus en plus “un principe d'autodéfinition”, pour citer Hannah Arendt. Et, aujourd'hui comme à une époque sombre, cela sert à donner « aux masses d'individus atomisés (...) un moyen (...) d'identification » (Arendt, Les origines du totalitarisme, 1951).

 

De nos jours, l'ombre du sinistre passé s'étend même sur les conventions et les chartes internationales pour la protection des droits. Même la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CFREU) sont souvent violées en refusant les droits fondamentaux aux réfugiés ou en les comprenant non pas comme inconditionnels et dus à tous, mais comme devant être accordés éventuellement et seulement sous certaines conditions.

 

Un spectre du sinistre passé est, par exemple, l'accord signé le 18 mars 2016 entre l'UE et la Turquie, résultat d'un méprisable troc sur la peau des réfugiés. Comme on le sait, il stipulait que tous les réfugiés qui entrent “irrégulièrement” en Grèce par la mer Égée sont “rapatriés” en Turquie, en fait déportés dans un pays qui est tout sauf "“ûr”, car son régime est devenu de plus en plus autoritaire, sans compter qu'il est le théâtre de fréquentes attaques terroristes.

 

Cet accord - dont le caractère insensé est évidente, puisqu'il n'a pas du tout servi, comme on le prétend, à démanteler « le business des trafiquants », mais plutôt à forcer les multitudes en fuite à entreprendre des routes et des voyages de plus en plus dangereux - viole de manière flagrante le droit international.

 

Sans parler de l'accord indigne, qualifié d'inhumain par l'ONU elle-même, entre les différents gouvernements italiens et libyens, quasi-marionnettes ; ainsi que de la mission militaire italienne au Niger, visant à bloquer une étape décisive de l'exode ; ajoutez à cela la tristement célèbre loi Minniti-Orlando, décidément inconstitutionnelle, puisqu'elle vise à réduire drastiquement le droit d'asile et à rendre plus efficace la machine des rafles et des rapatriements forcés. Quant à l'actuel gouvernement italien, le plus à droite de l'histoire de l'Italie constitutionnelle et qui a comme Premier ministre et ministre de l'Intérieur, deux personnages tellement caricaturaux qu'ils semblent une parodie tragique et grotesque du/de la Raciste - il est la représentation parfaite de la décadence et de la thanatopolitique de l'UE.

 

On ne peut qu'espérer et se battre pour que la gauche dans son ensemble comprenne enfin la centralité stratégique de la lutte contre la discrimination et le racisme. Ce n'est certes pas d'hier qu'ils se manifestent en Italie, mais aujourd'hui ce processus semble être effréné, toujours plus pressant, et se diriger vers le pire. À moins que l'indignation qui habite pas mal de secteurs de la société civile, en particulier dans le militantisme antiraciste et antifasciste, ne parvienne enfin à trouver une voix et une stratégie communes pour faire face à une dérive aussi effrayante. 

NdT

Le maire de Crotone, Vincenzo Voce, a envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Giorgia Meloni, suite au naufrage de dimanche dernier sur la côte de Steccato di Cutro qui a fait à ce jour 69 morts.


Président Meloni,

Nous avons attendu une semaine, la communauté crotonaise, affectée par une énorme douleur, a attendu un message, un appel téléphonique, un signe de votre part.

 

Pendant cette semaine, les Crotonais se sont serré les coudes dans la douleur pour les victimes d’une terrible tragédie, et de toutes les manières, ne serait-ce qu’ avec une simple prière, une fleur ou un billet, ils ont voulu montrer leur proximité et leur solidarité.

 

L’humanité n’élèvera peut-être pas le classement de la qualité de vie, mais elle nous rend certainement fiers d’appartenir à une communauté qui a su démontrer que la solidarité et l’ouverture aux autres sont des valeurs inaliénables auxquelles on ne peut renoncer.

 

Ce peuple attendait un témoignage de la présence de l’Etat, qui est venue de très haut de la part du Chef de l’Etat.

 

Mais le gouvernement était absent, vous étiez absente, Président. Alors je vous demande, si vous n’avez pas senti que vous pouviez manifester votre proximité en tant que Président du Conseil, venez à Crotone et manifestez-la en tant que mère.

 

Venez voir ce qu’on a vécu dans une salle de sport destinée à la vie et qui s’’est transformée en un lieu de douleur et de larmes.

 

Venez partager, en tant que mère, la douleur d’’autres mères, d’enfants sans parents, de femmes, d’’hommes, d’’enfants qui avaient de l’espoir et qui n’ ont même plus cela.

 

Je ne vous reproche pas de ne pas être venue en tant que Présidente du Conseil, vous deviez avoir d’’autres engagements importants.


Alors venez en privé, si vous le souhaitez, en tant que citoyenne de ce pays. Venez dans cette ville qui a exprimé si fortement le sentiment de rester humain.

 

De considérer les personnes comme telles et non comme des numéros. Parce que ces cercueils qui n’’ont pas encore de nom ne sont pas des numéros. Nous vous attendons.
Source : CrotoneOK

https://www.crotoneok.it/wp-content/uploads/2023/03/PalaMilone-Minuto-di-silenzio-migranti-Redazione-27.02.2023-2.jpg