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18/10/2022

MARK CURTIS/PHIL MILLER
Comment la Grande-Bretagne a aidé le régime islamique iranien à détruire l'opposition de gauche

Mark Curtis est un écrivain, historien et journaliste britannique ; spécialisé dans les documentaires d'enquête. Il a écrit cinq livres sur la politique extérieure du Royaume-Uni et des USA, tout au long du XXe siècle. Il est rédacteur en chef du site ouèbe Declassified UK. Bibliographie. @markcurtis30

Phil Miller est le reporter en chef de Declassified UK. Il est l'auteur de Keenie Meenie : The British Mercenaries Who Got Away With War Crimes. @pmillerinfo

La Grande-Bretagne a soutenu le nouveau régime islamique iranien dans l’écrasement de la dernière opposition restante à son règne en 1983 alors que le principal responsable britannique dans le pays a plaisanté sur les techniques de torture de l'Iran : c’est ce qu’ont révélé des dossiers déclassifiés.

L’Ayatollah Khomeini

Le service secret de renseignement britannique, le MI6, a travaillé avec la CIA pour fournir une liste d'agents soviétiques présumés en Iran au régime théocratique de l'ayatollah Khomeini, qui a pris le pouvoir après le renversement du Shah soutenu par le Royaume-Uni en 1979. Ces informations ont été utilisées par le régime pour exécuter des membres dirigeants du parti communiste iranien, le Tudeh.

Les dossiers britanniques soulignent également comment au moins un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères a envisagé la manière dont le Royaume-Uni pourrait bénéficier des aveux forcés faits par les membres de Tudeh à l'époque, que l’on pensait avoir été extraits sous la torture.

Les dossiers suggèrent que la politique britannique a été motivée par le désir d'obtenir des faveurs auprès des nouveaux dirigeants iraniens, plutôt que par des préoccupations concernant la géopolitique de la guerre froide ou l'influence soviétique en Iran, qui était reconnue comme minime.

La liste des personnes à abattre

La liste des Iraniens qui auraient travaillé pour l'Union soviétique en Iran avait été fournie à la Grande-Bretagne par Vladimir Kouzitchkine, un major du KGB qui a fait défection au Royaume-Uni en juin 1982, comme l'ont rapporté le New York Times et le London Times en 1986. Les informations obtenues par le MI6 de Kouzitchkine  – qui était responsable du maintien des contacts avec le parti Tudeh, la principale organisation de gauche en Iran, établie dans les années 1940 – ont également été partagées avec la CIA, et transmises à Téhéran.

Le régime iranien a raflé plus de 1 000 membres du parti Tudeh et en a finalement exécuté jusqu'à 200. Le parti a été interdit et forcé à la clandestinité.

Nicholas Barrington, haut fonctionnaire britannique en Iran à l'époque, affirme dans ses mémoires que les informations de Kouzitchkine ont simplement « trouvé leur chemin » vers les autorités iraniennes après la défection du Russe, sans préciser le rôle britannique.

Les dossiers de l'époque – lorsque Barrington était à la tête de la section des intérêts britanniques à Téhéran depuis que l'Iran et le Royaume-Uni avaient rompu les relations diplomatiques complètes – suggèrent que les responsables britanniques ont soutenu la répression de l'Iran contre le Tudeh.


Télégramme à Londres de Nicholas Barrington, plus haut haut fonctionnaire britannique en Iran, au Foreign Office, 9 mai 1983.. Archives nationales

« Une étape importante »

Alors que la répression en Iran était en cours, Barrington rencontra le 5 mai 1983 un haut responsable iranien qui voulait connaître les vues britanniques « sur l'action de son gouvernement contre le Tudeh », qui, selon lui, était la preuve de « l'indépendance iranienne vis-à-vis des grandes puissances ».

Barrington répondit, selon son mémo sur la réunion : « J'ai dit que je n'avais jamais douté de cette indépendance. Les dernières [actions] iraniennes m'ont semblé être un pas important. »

Le responsable iranien a ensuite mentionné à Barrington une « confession » forcée obtenue par le nouveau régime, qui avait été diffusée le soir  précédent à la télévision iranienne, d’ un membre Tudeh qui avait précédemment été emprisonné pendant 24 ans sous le Shah. Le responsable iranien a déclaré que le militant n'avait rien révélé auparavant « malgré toutes les tortures du Savak » – faisant référence au service de sécurité brutal de l'ancien régime.

Barrington a commenté : « J'ai dit, à moitié en plaisantant, que la torture de la République islamique était peut-être plus efficace que celle du Shah. »