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13/09/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Allende, cinquante ans après

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopia, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Cinquante ans ont passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs, ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière de démocratie et de liberté.


Discours prononcé par Salvador Allende à l'université de Guadalajara, Mexique, le 2 décembre 1972
PDF en espagnol
Extrait en français

Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant. Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or, de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.

Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une alimentation suffisante et à une éducation libératrice.

Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.  En même temps, ils étaient déterminés à prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de l'enseignement supérieur.

La proposition d'Allende incluait également la possibilité d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités. Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique, social et culturel du pays.

Un renversement annoncé

Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.

Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le pouvoir économique national.

Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11 septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des opprimés ont volé en éclats en quelques heures.

Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat, même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.

Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du cinéaste Miguel Littín.

La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final, méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.

Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens éminents.

Validité permanente

En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et leur dignité.

Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du système privé des ISAPREs [sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13, NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000 Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts. Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.

Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de notre capitale.

Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.  Son nom est également reconnu comme celui e l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui, ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement institutionnel imminent.

“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche, Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative de résistance au déchaînement militaire !

En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de l'Est a été vaine.

Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique. Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et sympathisants depuis longtemps.

Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui, bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement, leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période post-dictature.


Le problème de la gauche :
-Sur le fond on est d'accord
-Mais d'innombrables nuances nous séparent

L'avantage de la droite:
-D'innombrables nuances nous séparent
-Mais sur le fond on est d'accord

Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite, la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages, obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du soutien électoral.

Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier” avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application de certaines lois sur le travail.

Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien, bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des plus jeunes.

Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran et du voleur qui gouvernait de facto.

Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui, sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre vie politique.

S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la presse de droite elle-même est incapable de les éviter.

Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui nous anime est  le fait que, malgré tout, les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que son nom est un cri et un ferment d'espoir.