Affichage des articles dont le libellé est Berlusconi. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Berlusconi. Afficher tous les articles

13/06/2023

PAOLO PERSICHETTI
Berlusconi, le 68 patronal et l’hédonisme de possédants

 Paolo Persichetti, l’Unità /Insorgenze, 13/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Qu’est-ce qu’a été le berlusconisme ? Comment a-t-il réussi à imposer son hégémonie ?

Repas de Noël à la Villa San Martino, le manoir du Cavaliere à Arcore, 2011

Depuis son entrée directe en politique en 1994, le dispositif de Berlusconi a agi comme une grande machine de diversion, un puissant aimant capable de capter des passions opposées. Une sorte de sortilège qui a permis au maître de la télévision commerciale de se placer immédiatement au centre de la scène, de perturber les alignements, de rebattre les cartes, de mettre sens dessus-dessous  la table de jeu. C’est peut-être en reconnaissant cette irrésistible capacité d’illusionnisme que l’on peut aussi réussir à expliquer l’essence contradictoire, cette combinaison de contraires qu’est l’antiberlusconisme.

C’est la seule façon de comprendre pourquoi des figures historiques de droite comme Indro Montanelli ou des populistes de droite comme Antonio Di Pietro sont devenus les champions du peuple de gauche, ou pourquoi un dandy réactionnaire comme Marco Travaglio a pu inspirer d’abord les courants justicialistes de gauche, des Girotondi (Chaînes humaines, 2002) au Peuple violet (2009-2013), puis au Mouvement 5 étoiles.

Berlusconi a certainement été en mesure d’intercepter et d’interpréter à sa manière ce nouvel esprit du capitalisme décrit par Luc Boltanski et Ève Chiappello dans un volume publié par Gallimard en 2000 et qui n’est arrivé en Italie qu’en 2014 avec Mimesis (Il nuovo spirito del capitalismo). Version italienne de cette nouvelle éthique de la valorisation du capital qui, selon les deux sociologues, après la phase puritaine originelle et l’ère de la planification et de la rationalité fordiste qui a suivi, a trouvé une nouvelle source d’inspiration et de légitimité dans une partie de la critique du mode de production capitaliste lors de la contestation des années 1970. La critique du taylorisme fordiste, de l’aliénation en série du travail, des relations sociales rigides et hiérarchiques, de la société du spectacle, a été absorbée et métabolisée au point de faire de la créativité et de la flexibilité les traits saillants du nouveau système de l’économie de flux, de la valeur ajoutée, du travail immatériel incarné dans le produit fini. L’inventivité, le plaisir et la folie - toujours selon l’analyse de Boltanski et Chiappello - sont devenus des ingrédients du succès capitaliste bien plus que les valeurs constipées du travail, de la prière et de l’épargne qui ont inspiré l’aube du capitalisme, mais aussi le calvinisme de la valeur-travail dont était imprégné le togliattisme [Palmiro Togliatti, 1893-1963, secrétaire général à vie du Parti communiste italien, NdT].

Si l’imagination n’a jamais accédé au pouvoir, elle a certainement trouvé sa place sur la Market Place., démontrant la capacité dynamique et innovante de l’“entreprenariat déviant”, selon une catégorie forgée par la sociologie criminelle. L’ambivalence du comportement de Berlusconi, à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre établi, a permis de mener des expériences, voire d’explorer des possibilités illégitimes. Une ressource nécessaire pour que l’initiative économique innovante puisse avoir lieu. De cette manière, l’homme d’Arcore a conservé « une légèreté distincte qui a permis à ses entreprises, d’une manière wébérienne, de s’élever au-dessus du bien et du mal », comme l’a écrit Vincenzo Ruggiero dans Crimes de l’imagination. Déviance et littérature, il Saggiatore, Milan 2005.

Le patron de la publicité avec ses télévisions a été le visage italien de cette révolution du capital. Par sa capacité à produire de l’idéologie, il a aussi su synthétiser des intérêts et des pulsions sociales différents, mais unis par une rapacité individualiste hypertrophiée. Vendeur de rêves et d’illusions, dealer de marques, vendeur d’un monde réduit à la domination du logo et de ses imitations. Une fois devenu système-monde, et une fois ocupée la société, il ne manquait à Berlusconi que la politique. Pas de la vraie politique. Il en a toujours fait, comme il s’en est vanté un jour dans une interview. Son réseau d’affaires n’était rien d’autre qu’un parti de type léniniste. Le seul qui reste. Le parti des professionnels de la publicité. Une structure de cadres sélectionnés, enracinés dans le territoire et les districts économiques, avec des relations et des alliances étendues avec les entreprises, les organisations commerciales et les entrepreneurs légaux et illégaux. Un véritable modèle d’organisation bolchevique de la bourgeoisie. Et en effet, à la fin de 1993, en quelques mois, il a réussi à en faire l’épine dorsale de Forza Italia pour lancer l’attaque contre la citadelle de la politique institutionnelle, contre les occupants de la machine d’État. Grâce à une activité de lobbying scientifique et aux protections obtenues de secteurs influents de la politique, plutôt qu’à la capacité de s’imposer sur le marché, il a pu construire sa position dominante dans les années 1980 dans le secteur de la télévision commerciale et de la vente de publicité.

Mais c’est l’effondrement du système politique des partis provoqué par les enquêtes judiciaires [opération Mains propres, NdT] qui a ouvert la voie à son entrée directe dans le monde des palais romains. Alors que des formes opposées de populisme s’affrontaient sur les cendres de la Première République, Berlusconi a réussi à bouleverser la scène politique du pays en déracinant la tradition des partis de masse déjà en crise et en imposant son propre modèle même à ses adversaires. Capable de mélanger des éléments élitistes et plébiscitaires, pré-modernes et hyper-modernes, celui de Berlusconi apparaît comme un modèle de populisme où s’intègrent l’ancien et le nouveau. Soutenu par le retour à l’affirmation d’un leadership charismatique et providentiel, dans lequel le pouvoir patrimonial remplace l’ancienne légitimité paternaliste-patriarcale, le paradigme berlusconien s’accompagne de l’éloge d’un entrepreneuriat généralisé au sein duquel même des formes archaïques et bestiales de taylorisme peuvent coexister. Le rêve et la tromperie de millions de petites entreprises, une nouvelle configuration de la relation de travail qui cache derrière le mythe de l’entrepreneuriat individuel les hiérarchies d’un nouveau modèle d’exploitation. L’illusion d’un accès facile à la classe moyenne et d’un enrichissement personnel modelé sur les valeurs propagées par la télévision commerciale, y compris les ragots, les nouvelles criminelles, les show-girls et les émissions de téléréalité.

Une exaltation rhétorique et rêveuse de l’affirmation individuelle, de la propriété (d’autant plus quand celle-ci est insignifiante et se réduit à une maison ou une voiture achetée en contractant des emprunts bancaires sur plusieurs décennies ou à la conversion de ses économies en obligations et en parts de titres financiers). Une idéologie qui parvient à jongler, avec un admirable tour de passe-passe, entre des thèmes liés à la redécouverte de valeurs morales, comme la patrie, la famille et la prétendue éthique de la vie (hostilité à l’avortement et à l’utilisation des cellules souches), et une sorte d’“hédonisme de possédant” débridé, de “68 des patrons”" (les partouzes bunga bunga).

 « Maladroitement rusé, astucieusement naïf, balourdise sublime, superstition calculée, farce poétique, anachronisme génialement stupide, bouffonnerie de l’histoire mondiale, hiéroglyphes inexplicables », l’apparent manque de substance du personnage Berlusconi s’est en fait révélée être l’une de ses forces : « C’est précisément parce qu’il n’était rien qu’il pouvait tout signifier », comme l’écrivait Marx à propos d’un autre “homme providentiel” » (Louis-Napoléon Bonaparte), et être ainsi réinventé par chaque classe sociale ou chaque individu à son image et ressemblance. Comment cela a-t-il été possible ?

Lorsque la société des travailleurs et des citoyens volontaires est mise hors jeu, a répondu Mario Tronti, « la politique devient le monopole des magistrats, des grands communicateurs, de la finance, des lobbies, des salons. Elle cesse d’être le lieu où les projets de société s’affrontent et se confrontent pour devenir le lieu de l’indifférence, un espace indistinct où l’apparence prime sur le contenu, où l’esthétique s’impose sur la substance ». C’est pourquoi l’antiberlusconisme justicialiste s’est non seulement révélé inefficace, mais il s’est même avéré nuisible en ne se répercutant que comme un reflet subordonné de son ennemi juré, ouvrant la voie au gouvernement de la droite fasciste.

 

2008  


2011

2023

 

 

 

PAOLO PERSICHETTI
Berlusconi, il ‘68 dei padroni e l’edonismo proprietario

Paolo Persichetti, l’Unità /Insorgenze, 12/6/2023

 Cosa è stato il berlusconismo? Come è riuscito ad imporre la sua egemonia? «Goffamente astuto, furbescamente ingenuo, balordamente sublime, superstizione calcolata, farsa poetica, anacronismo genialmente sciocco, buffonata della storia mondiale, geroglifico inesplicabile», l’apparente inconsistenza del personaggio berlusconiano si è rivelata in realtà un suo punto di forza: «Appunto perché non era nulla, egli poteva significare tutto», come capitò di scrivere a Marx a proposito di un altro «uomo della provvidenza (Louis-Napoléon Bonaparte)», ed essere così reinventato da ogni ceto sociale o individuo a propria immagine e somiglianza

Pranzo natalizio a Villa San Martino (Arcore), 2011


Fin dal momento della sua entrata diretta in politica, nel lontano 1994, il dispositivo Berlusconi ha agito come un grande diversivo, un potentissimo magnete capace di captare su di sé passioni contrapposte. Una sorta d’incantesimo che ha permesso al padrone della televisione commerciale di collocarsi da subito al centro della scena scompaginando gli schieramenti, rimescolando le carte, sparigliando il tavolo da gioco. Forse solo riconoscendo questa sua irresistibile capacità illusionistica si può riuscire a spiegare anche l’essenza contraddittoria, quella combinazione di contrari che è l’antiberlusconismo.

Solo in questo modo si riesce a comprendere perché personaggi della destra storica, come Indro Montanelli o populisti di destra come Antonio Di Pietro siano diventati dei paladini del popolo della sinistra, oppure un damerino reazionario come Marco Travaglio abbia potuto ispirare prima le correnti giustizialiste della sinistra, dai girotondi al popolo viola, e poi i Cinque stelle.

Sicuramente Berlusconi ha saputo intercettare e interpretare a modo suo quel nuovo spirito del capitalismo descritto da Luc Boltanski e ève Chiappello in un volume pubblicato da Gallimard nel 2000 e arrivato in Italia solo nel 2014 con Mimesis (Il nuovo spirito del capitalismo). Versione italiana di quella nuova etica della valorizzazione del capitale che, secondo i due sociologi, dopo l’originaria fase puritana e la successiva età della programmazione e della razionalità fordista, ha trovato nuova fonte d’ispirazione e legittimazione in una parte delle critiche rivolte al modo di produzione capitalista durante la contestazione degli anni Settanta. La critica al taylorismo fordista, all’alienazione seriale del lavoro, ai rapporti di società rigidi e gerarchizzati e alla società dello spettacolo, sono state assorbite e metabolizzate fino a fare della creatività e della flessibilità i tratti salienti del nuovo sistema dell’economia dei flussi, del valore aggiunto, del lavoro immateriale incamerato nel prodotto finito. Inventiva, piacere e pazzia – sempre secondo l’analisi di Boltanski e Chiappello – sono diventati ingredienti del successo capitalista molto più dei costipati valori del lavoro, della preghiera e del risparmio che ispiravano gli albori del capitalismo ma anche quella sorta di calvinismo del valore lavoro di cui era intriso il togliattismo.

Se l’immaginazione non è mai arrivata al potere, sicuramente ha trovato posto in piazza Affari. Dimostrazione della capacità dinamica e innovativa dell’«imprenditoria deviante», secondo una categoria forgiata dalla sociologia criminale. L’ambivalenza del comportamento berlusconiano, condotta all’interno e all’esterno dell’ordine stabilito, ha permesso di condurre esperimenti, d’esplorare possibilità anche illegittime. Risorsa necessaria affinché l’iniziativa economica innovativa potesse avere luogo. In questo modo l’uomo di Arcore ha mantenuto «una distinta leggerezza che ha consentito alle sue imprese, in maniera weberiana, di levarsi al di là del bene e del male», come ha scritto Vincenzo Ruggiero in, Crimini dell’immaginazione. Devianza e letteratura, il Saggiatore, Milano 2005.

Il patron della pubblicità con le sue televisioni è stato il volto italiano di questa rivoluzione del capitale. Con la sua abilità nel produrre ideologia è riuscito a sintetizzare anche interessi e spinte sociali diverse ma accomunate da un’ipertrofica rapacità individualista. Venditore di sogni e d’illusioni, spacciatore di marche, dealer di un mondo ridotto al dominio del logo e delle sue imitazioni. Divenuto sistema-mondo, occupata la società, a Berlusconi mancava solo la politica. Non la politica vera. Quella l’aveva sempre fatta, come una volta vantò in una intervista. La sua rete commerciale non era altro che un partito di tipo leninista. L’unico rimasto. Il partito dei professionisti della pubblicità. Una struttura di quadri selezionati, radicati nel territorio e nei distretti economici, con rapporti diffusi e alleanze con le corporazioni, le organizzazioni di categoria e gli imprenditori legali e illegali. Un vero modello d’organizzazione bolscevica della borghesia. Ed difatti, alla fine del 1993, in pochi mesi riuscì a farne la struttura portante di Forza Italia per lanciare l’attacco alla cittadella della politica-istituzionale, all’occupazione della macchina statale. Grazie ad una scientifica attività lobbistica e alle protezioni ottenute da settori influenti della politica, più che alla capacità di stare sul mercato, ha potuto costruire negli anni Ottanta la sua posizione dominante nel settore delle televisioni commerciali e della raccolta pubblicitaria.

Ma a spianare la strada al suo ingresso diretto nel mondo dei palazzi romani è stato il tracollo del sistema politico dei partiti provocato dalle inchieste giudiziarie. Quando sulle ceneri della Prima Repubblica rivaleggiavano ormai forme contrapposte di populismo, Berlusconi è riuscito a sconvolgere la scena politica del paese sradicando la tradizione dei partiti di massa già in crisi e imponendo il proprio modello anche ai suoi avversari. In grado di miscelare elementi elitari e plebiscitari, premoderni e ipermoderni, quello berlusconiano è apparso un modello di populismo dove vecchio e nuovo s’integravano. Sorretto dal ritorno all’affermazione della leadership carismatica e provvidenziale, nella quale il potere patrimoniale sostituisce la vecchia legittimità paternalista-patriarcale, il paradigma berlusconiano ha accompagnato l’elogio dell’imprenditorialità diffusa dentro la quale riescono a convivere anche forme arcaiche e bestiali di taylorismo. Il sogno e l’inganno di milioni di piccole imprese, nuova configurazione di un rapporto lavorativo che occulta dietro il mito dell’imprenditorialità individuale le gerarchie di un nuovo modello di sfruttamento. Illusione di un facile accesso al ceto medio e all’arricchimento personale modellato con i valori profusi dalle televisioni commerciali, tra gossip, cronaca nera, veline e reality show.

Esaltazione retorica e sognatrice dell’autoaffermazione individuale, della proprietà (tanto più quando questa è insignificante e si riduce ad un’abitazione o un’automobile acquistata contraendo mutui bancari pluridecennali o alla conversione dei propri risparmi in bond e partecipazioni in titoli finanziari). Ideologia che riesce a far convivere con un mirabile gioco di prestigio temi legati alla riscoperta dei valori morali, come patria, famiglia e presunta etica della vita (ostilità verso l’aborto e l’uso delle staminali), insieme ad una sorta di sfrenato “edonismo proprietario”, di ’68 dei padroni (il “bunga bunga”).
«Goffamente astuto, furbescamente ingenuo, balordamente sublime, superstizione calcolata, farsa poetica, anacronismo genialmente sciocco, buffonata della storia mondiale, geroglifico inesplicabile», l’apparente inconsistenza del personaggio berlusconiano si è rivelato in realtà un suo punto di forza: «Appunto perché non era nulla, egli poteva significare tutto», come capitò di scrivere a Marx a proposito di un altro «uomo della provvidenza», ed essere così reinventato da ogni ceto sociale o individuo a propria immagine e somiglianza. Tutto ciò come è stato possibile?

Quando la società dei lavoratori e dei cittadini volontari è messa fuori gioco, ha risposto Mario Tronti: «la politica diventa il monopolio dei magistrati, dei grandi comunicatori, della finanza, delle lobby, dei salotti. Cessa di essere la sede in cui i progetti di società si affrontano e confrontano e diventa il luogo dell’indifferenza, uno spazio indistinto dove l’apparenza prevale sul contenuto, l’estetica s’impone sulla sostanza». Per questo l’antiberlusconismo giustizialista non solo si è rivelato inefficace ma si è addirittura dimostrato dannoso riverberandosi unicamente come riflesso subalterno del suo acerrimo nemico spianando la strada al governo della destra fascista.

2008  


2011

2023

GIANFRANCO LACCONE
S’asseoir au bord du fleuve et attendre*
Avec la disparition de Mister Bi, la droite italienne se retrouve dans la situation des communistes après Staline

 Gianfranco Laccone, 12/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les astérisques renvoient au notes du traducteur en fin de texte

La déstalinisation a été déclenchée en 1956, trois ans après la mort de Staline, par son propre successeur, Khrouchtchev ; il a fallu beaucoup moins de temps aux démocrates-chrétiens pour se débarrasser de la figure de Moro (les Morotei* de Bari, sa ville d’élection, l’ont fait la nuit suivant sa mort, en migrant vers les différents courants de la démocratie chrétienne) ; combien de temps faudra-t-il pour se débarrasser du poids de cette figure déjà sanctifiée qui, comme le dit aujourd’hui il manifesto, le 12 juin 2023, “est montée sur le terrain”* ?

Un des shows restés célèbres du Cavaliere : en décembre 2005, lors de la conférence de presse de fin d'année, il brandit un exemplaire de L'Unità, le quotidien communiste, du 6 mars 1953, en réponse à la question d'une journaliste de ce journal, lançant : "Vous devriez avoir honte. Vous êtes complices de 100 millions d'homicides. Il n'y a aucune possibilité de changer votre attitude préjudiciable vous êtes inconvaincables [sic]" [NdT]

Je ne crois pas que Tajani* représente le Khrouchtchev italien, capable d’initier la démolition nécessaire du mythe pour permettre au pays d’aller de l’avant. Le pays s’est identifié à ce personnage dont, maintenant qu’il a officiellement disparu, je ne sais même pas s’il a existé ou s’il a disparu depuis longtemps et a été remplacé par une doublure, reconstruite au fil des ans comme un androïde, comme on le raconte encore dans le cas de Mao. Car c’est un personnage qui s’est réellement construit, de manière imparfaite et grotesque, comme nous le faisions, enfants, avec le Meccano (jeu métallique des années 1950, balayé par le plastique et les Lego), où il était impossible de construire des marionnettes, marionnettes que nous construisions pourtant et imaginions exister pour peupler un monde de grues, de palais et de châteaux de métal. Une de mes connaissances, vers la fin des années 90, l’a rencontré par hasard la nuit dans les couloirs d’un hôtel de Bruxelles et ne l’a pas reconnu, petit, maladroit et avec une démarche incertaine, si différent des images que la télévision nous projetait il y a trente ans.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour imaginer ce qui va se passer bientôt ; il n’y a pas d’héritier politique et ses héritiers matériels feront, à plus ou moins brève échéance, ce qu’ont fait les héritiers des Agnelli* : ils essaieront de dépersonnaliser les entreprises, en créant un réseau qui leur permettra de survivre, quel que soit le système politico-économique qui prendra le relais dans quelques années. Parce que nous sommes en guerre et qu’à la fin du conflit (qui se terminera tôt ou tard), on ne peut pas savoir ce qui se passera. S’ils ne répètent pas les erreurs de la famille turinoise, qui a raté le train de la voiture électrique, ils donneront un sens au travail accompli dans la société italienne par le monde berlusconien.

Car celui du Cavaliere était un monde que la gauche n’a pas su créer pour donner du rêve au pays et de l’exemple au monde. Sans le mazarinisme* de Dell’Utri*, sans le colbertisme privatiseur de Tremonti*, sans le talleyrandisme de Gianni Letta*, sa dimension politique n’aurait pas existé et la création de cette zone grise qui unit le rêve et la terrible réalité n’aurait pas été possible. Un rêve dans lequel des acteurs de la Commedia dell’arte comme Mike Buongiorno*, Corrado* ou Raimondo Vianello* sont devenus des personnages de la Commedia, capables de donner leur vie en spectacle et même d’arrêter les voleurs, avec un style digne de l’épisode de Saint François avec le loup.

Car des personnages comme Renato Nicolini*, capables de faire ressortir l’esprit festif et populaire des Italiens et de neutraliser la nuit tragique de la Première République, ont été mortifiés par la gauche, qui préfère privilégier des figures à la Fouché et les faire accéder à des responsabilités étatiques.

Pendant ce temps, beaucoup d’hommes de gauche de la génération du Cavaliere rêvaient d’imiter ses exploits avec le monde féminin ; ceux qui ne le pouvaient pas se contentaient de regarder les saloperies national-populaires qui déferlaient, d’abord sur la télévision puis sur les médias sociaux naissants. La droite a ainsi formé une génération de femmes à l’estomac blindé, capables de tout accepter pour conquérir le pouvoir, tandis que le monde féministe se contentait de défendre quelques victoires limitées (divorce, avortement) et de se réfugier sur l’Aventin de la différence. Don Camillo et Peppone sont remplacés par des couples réels qui constituent des “opposés qui s’attirent”, dans le reality show que nous vivons tous les jours et qui remplace la vraie vie.

Politiquement, Fratelli d’Italia récupérera le réservoir électoral, mais courra le risque de mourir de boulimie, évoquant ainsi la grande littérature européenne de la Renaissance. Car la boulimie de pouvoir, dont les signes se sont manifestés dans les nominations effectuées au cours de ces mois de gouvernement en l’absence du contrôle de Berlusconi, est difficile, voire impossible à soigner.

Le Cavaliere aimait le système du marché libre (tel qu’il s’est imposé au fil du temps, avec tous ses faux mythes et ses pièges économiques), mais il craignait le marché mondial et se souciait de garder des amis parmi ceux qui s’y opposeraient. Il aimait commander mais n’aimait pas la guerre, il veillait à ses intérêts familiaux mais avait des sourires et des larmes pour tout le monde (celles versées à Brindisi en mémoire des migrants albanais du Kater y Rades, déjà alors victimes de l’Europe forteresse, où en 1997 je ne crois pas qu’un membre quelconque du gouvernement “de gauche” [Prodi-Veltroni] se soit rendu, n’étaient pas feintes).

Lorsqu’en 1994, lors des élections uninominales au scrutin majoritaire, Berlusconi s’est présenté dans une circonscription clé de Rome, j’ai pensé que la gauche devrait lui opposer un symbole tout aussi populaire sur le plan national, que la “ménagère de Voghera”* ; au lieu de cela, elle a désigné Luigi Spaventa*, un bon économiste, ex-ministre et héritier de l’histoire familiale qui a suivi celle de l’État italien depuis ses origines, et elle a perdu. Il y avait à Rome de nombreuses femmes anti-berlusconiennes, simples et fortes, comme Annarella* de Trastevere, qui auraient bien représenté le peuple, lequel - à première vue - n’aurait pas fait confiance à cette nouveauté au parfum antique. Au lieu de cela, rien.

Aujourd’hui, la droite est dans l’état des communistes après Staline : elle n’a plus de rêve, elle ne peut avoir que des regrets, et elle a glissé dans une guerre qu’elle n’aime pas mais qui est nécessaire pour faire des affaires en l’absence de pouvoir réel dans les médias et pour avoir cette licence de “lutte pour la démocratie” qui lui manque encore. Et que veut faire la gauche, celle qui aime la démocratie mais n’en voit pas la trace dans les gouvernements démocratiques ?

L’histoire nous rappelle qu’il est essentiel de s’arrêter et de réfléchir, de défendre sa mémoire dans des moments difficiles comme ceux-ci, d’attendre au bord du fleuve et de réorganiser les idées et les forces.

La guerre en Ukraine a brouillé le sens des choses et submergé les consciences ; peut-être l’UE perdra-t-elle ce conflit, comme l’Allemagne l’a fait lors de la Première Guerre mondiale, sans avoir perdu de bataille. Ou bien elle le gagnera et fera à cette occasion ce que la France a fait (avec les autres alliés) : elle a trop demandé et a ainsi favorisé Hitler. Ou bien elle fera comme l’Italie en 1943, se réveillant soudain du cauchemar et essayant de s’allier à quelqu’un qui lui permettrait de panser les plaies d’un conflit sans sel ni saveur fait pour conquérir l’Empire...

La mort de Mister Bi fait sombrer la droite au pouvoir, plus Frau von der Leyen que notre propre présidente du conseil ; les apparences semblent très différentes, mais ce n’est qu’une question de temps.

Nous, qui croyons en une démocratie honnête, avec ses petits mérites et ses vrais défauts, n’avons d’avenir que si nous voulons et pouvons reconstruire le rêve d’une démocratie populaire, autrefois appelée démocratie progressiste. Ce rêve a été remplacé par Mister Bi avec des feux de la rampe désormais éteints.

*NdT
S’asseoir au bord du fleuve : allusion à l’aphorisme chinois, attribué à Lao-Tseu ou Confucius et devenu proverbe italien « Assieds-toi au bord du fleuve et attends : tôt ou tard, tu verras passer le cadavre de ton ennemi ».

Morotei
 : désignait les amis d’Aldo Moro au sein du courant plus large des Dorotei, les « modérés » de la Démocratie-Chrtéienne, opposés à Fanfani-Segni-Rumor, qui s’étaient structurés lors d’une réunion au couvent de Santa Dorotea.

Monté sur le terrain : allusion à l'expression désignant l'entrée en politique de Berlusconi en janvier 1994 : la "discesa in campo" (la descente sur le terrain, l'entrée sur le terrain), expression empruntée au lexique du football, tout comme le nom de son parti, Forza Italia, "Allez l'Italie", reprenait le slogan du Mondial de 1982.

Antonio Taajani: militant dans ses jeunes années du Front de le jeunesse monarchiste, officier de l'armée de l'air, cofondateur avec le Cavaliere de Forza Italia, président du Parlement européen de 2017 à 2022, aujourd'hui ministre melonien des Affaires étrangères.

Mazarinisme : le cardinal Mazzarini (1602-1661), successeur de Richelieu , fut le principal ministre d’État du royaume de France pendant les 18 dernières années de sa vie. Ses partisans étaient appelés les mazarinistes par les Frondeurs.

Marcello Dell’Utri : assistant personnel de Berlusconi, mafieux et condamné pour cela.

Giulio Tremonti : ministre de l’É
conomie et des Finances dans plusieurs gouvernements Berlusconi, s’est par la suite rapproché de Fratelli d’Italia.

Mike Buongiorno, Corrado et Raimondo Vianello : amuseurs publics, héros notamment de l’émission Les trois ténors sur Canale 5 [télé berlusconienne] en 1998.

Gianni Letta : directeur du quotidien de droite Il Tempo, bras droit de Berlusconi, grand faccendiere (magouilleur) de Forza Italia et de ses avatars. Oncle d’Enrico Letta, démocrate-chrétien de gauche entré au Parti Démocrate.

Renato Nicolini (1942-2012) : architecte, dramaturge et maire-adjoint communiste  chargé de la culture de Rome, , il eut le courage de lancer en 1977 l’Été romain, pour alléger la chape de plomb que faisait peser sur les habitants de la capitale la chasse aux Brigades rouges.

La ménagère de Voghera : équivalent italien de la ménagère de moins de 50 ans française.

Luigi Spaventa (1934-2013) : économiste, fils d’économiste, banquier, politicien “de gauche”. (Son nom signifie “effraie, fait peur”).

Annarella : morte en 2017 à 91 ans, cette communiste du quartier populaire de Trastevere (Outre-Tibre) s’est rendue célèbre par ses diatribes en dialecte romain devant les palais du pouvoir, qui lui ont valu une notoriété télévisuelle. Si elle avait duré plus longtemps, elle aurait sans doute battu Kim Kardashian en nombre de followers sur les social media, comme on dit en italanglais. Les cibles favorites de ses imprécations : Berlusconi (“se deve levà dalla faccia della terra, sto zozzone”, il doit disparaître de la surface de la terre, ce salopiaud),  et Beppe Grillo.

 

 Giuseppe Veneziano, Je ne suis pas un saint , de la série Petites œuvres immorales, acrylique sur toile, 2018

 

GIANFRANCO LACCONE
Sedersi sulla riva del fiume e attendere
Dopo la scomparsa di Mister B, la destra è nelle condizioni dei comunisti dopo Stalin

Gianfranco Laccone, 13/6/2023

La destalinizzazione giunse nel 1956, a tre anni dalla morte di Stalin, per mano del suo stesso successore, Chruščëv ; i democristiani impiegarono molto meno per liberarsi della figura di Moro (i morotei di Bari, sua città di elezione, lo fecero la notte successiva alla sua morte, migrando nelle varie correnti); quanto tempo ci vorrà per liberarsi del peso di questa figura già santificata che, come dice oggi il manifesto, il 12 giugno 2023 è “asceso in campo”?


Non credo che Tajani rappresenti il Chruščëv italiano, in grado di avviare la necessaria demolizione del mito per permettere al Paese di andare avanti. Il Paese si è identificato con questa figura che, ora che è ufficialmente scomparsa, non so nemmeno se sia mai esistita o se fosse scomparsa da molto tempo e sostituita da una controfigura, ricostruita negli anni come un androide, come ancora oggi si favoleggia nel caso di Mao. Perché questo è stato un personaggio che si è realmente costruito da sé, in modo imperfetto e grottesco, come capitava di fare da bambini con il meccano (un gioco di metallo anni Cinquanta, spazzato via dalla plastica e dal Lego), dove era impossibile costruire dei pupazzi, pupazzi che comunque costruivamo e immaginavamo potessero esistere per popolare un mondo di gru, palazzi e castelli di metallo. Un mio conoscente, verso la fine degli anni ’90, lo incontrò per caso di notte nei corridoi di un hotel di Bruxelles e non lo riconobbe, piccolo, goffo e incerto nell’andare, così diverso dalle immagini che già trent’anni fa la TV ci proiettava.

Non ci vuole molta fantasia nell’immaginare quello che succederà a breve; non esiste un erede politico e i suoi eredi materiali faranno, in un tempo più o meno breve, quello che hanno fatto gli eredi degli Agnelli: cercheranno di de-personalizzare le aziende, creando una rete che permetterà la sopravvivenza, qualunque sistema economico politico subentri tra qualche anno. Perché siamo in guerra e alla fine del conflitto (che finirà prima o poi) non si sa bene cosa accadrà. Se non ripeteranno gli errori della famiglia torinese, che ha perso il treno dell’auto elettrica, daranno un senso al lavoro svolto nella società italiana dal mondo berlusconiano.

Perché quello del Cavaliere è stato un mondo che la sinistra non ha saputo creare per dare un sogno al Paese ed un esempio al mondo. Senza il mazzarinismo di Dell’Utri, senza il colbertismo privatistico di Tremonti, senza il talleyrandismo di Gianni Letta la sua dimensione politica non sarebbe esistita e non sarebbe stata possibile la creazione di quella zona d’ombra che unisce il sogno alla terribile realtà. Un sogno in cui attori da Commedia dell’arte come Mike Buongiorno, Corrado o Raimondo Vianello sono diventati personaggi della Commedia, in grado di fare della loro vita uno spettacolo e di bloccare persino i ladri nello loro attività, con uno stile degno dell’episodio di S. Francesco con il lupo.

Perché figure come Nicolini, in grado di far uscire lo spirito festoso e popolare degli italiani e neutralizzare la tragica notte della prima Repubblica, sono state mortificate dalla sinistra; a loro si è preferito privilegiare figure simili a quelle di Fouché e farle salire nelle responsabilità di Stato.

Mentre questo avveniva, molti degli uomini di sinistra della generazione del Cavaliere sognavano di imitare le sue gesta con il mondo femminile; chi non poteva, si contentava di guardare lo sconcio nazional-popolare che ha travolto prima la TV e poi i nascenti social media. In tal modo la destra ha allevato una generazione di donne con lo stomaco di ferro, in grado di accettare tutto per la conquista del potere, mentre il mondo femminista si contentava di difendere poche e limitate vittorie (divorzio, aborto) e rifugiarsi nell’Aventino della differenza. A don Camillo e Peppone si sono sostituite reali coppie anagrafiche che hanno costituito “gli opposti che si attraggono”, nel reality che viviamo giornalmente e che sostituisce la vita reale.

Politicamente Fratelli d’Italia recupererà il serbatoio elettorale, ma incorrerà nel rischio di morire per il troppo mangiare, evocando così la grande letteratura europea rinascimentale. Perché la bulimia di potere, le cui avvisaglie si sono manifestate nelle nomine fatte in questi mesi di governo in assenza del controllo berlusconiano, è difficile se non impossibile da curare.

Il Cavaliere amava il sistema del libero mercato (così come si è affermato nel tempo, con tutti i suoi falsi miti e le trappole economiche) ma temeva il mercato globale e si preoccupava di mantenersi amici coloro che lo avrebbero contrastato. Amava comandare ma non gradiva la guerra, badava agli interessi di famiglia ma aveva sorrisi ed anche lacrime per tutti (non erano false quelle piante a Brindisi in memoria dei migranti della Kater y Rades, già allora vittime dell’Europa-fortezza, dove nel 1997 non mi sembra sia andato alcuno del governo in carica).

Quando nel 1994, nella tornata uninominale delle elezioni con metodo maggioritario, Berlusconi si candidò in un collegio chiave a Roma, pensai che la sinistra dovesse contrapporgli un simbolo altrettanto nazional-popolare, come la “casalinga di Voghera”; invece candidò Luigi Spaventa, economista di buon livello, ex-ministro ed erede della storia familiare che seguiva quella dello Stato italiano dalle sue origini, e perse. C’erano a Roma tante donne antiberlusconiane, semplici e forti, come Annarella di Trastevere che avrebbero rappresentato bene il popolo che – a naso – non si sarebbe fidato di questa novità dal sapore antico. Invece niente. 

 Oggi la destra è nelle condizioni dei comunisti dopo Stalin: non ha più un sogno, può avere solo rimpianti, e si è infilata in una guerra che non ama ma che è necessaria per fare affari in assenza di potere reale nei media e avere quella patente di “lotta per la democrazia” che ancora le manca. E la sinistra, quella che ama la democrazia ma non ne vede traccia nei governi democratici, cosa vuole fare?

La storia ci ricorda che fermarsi e riflettere è essenziale, difendendo la propria memoria nei momenti difficili come questi, attendendo lungo il fiume e riorganizzando le idee e le forze.

La guerra in Ucraina ha fatto perdere il senso delle cose e ha travolto le coscienze; forse la UE perderà questo conflitto, come la Germania fece nella Prima guerra mondiale, senza avere perso una battaglia. Oppure lo vincerà e farà in quell’occasione come fece la Francia (assieme agli altri alleati): chiese troppo e favorì in tal modo Hitler. O farà come l’Italia nel 1943, si sveglierà all’improvviso dall’incubo e cercherà di allearsi con qualcuno che le avrebbe permesso di leccarsi le ferite di un insulso conflitto fatto per conquistare l’Impero…

La morte di Mr. B affonda le destre pigliatutto al potere, più la von der Leyen che la nostrana Presidente; l’apparenza sembra molto diversa, ma è solo questione di tempo.

Noi, che crediamo in un’onesta democrazia con i suoi piccoli pregi e i suoi reali difetti, abbiamo un futuro solo se abbiamo voglia e capacità di ricostruire il sogno per la democrazia popolare, un tempo chiamata democrazia progressiva. Quel sogno sostituito da Mr B con le luci della ribalta ora spente.

 Giuseppe Veneziano, Non sono un santo, dalla serie Operette immorali, acrilico su tela, 2018

12/06/2023

Les caricaturistes sont en deuil : le Cavaliere n'est plus de ce monde
Fumettisti in lutto: il Cavaliere non c'è più
Cartoonists in mourning: the Cavaliere is no more
Los dibujantes están de luto: el Cavaliere se fue

 
Tomas


Paolo Lombardi
 

C'est le collègue qui prend en charge l'enterrement de Berlusconi
It's the colleague in charge of Berlusconi's funeral
E' il collega incaricato  dei funerali di Berlusconi
Es el colega encargado del funeral de Berlusconi
Harm Bengen



Bart van Leeuwen


Farewell to Mr. Bunga Bunga
Marilena Nardi



Daniel Murphy

27/09/2022

DAVID BRODER
La dérive de l'Italie vers l'extrême droite a commencé bien avant l’ascension de Giorgia Meloni

 David Broder, The Guardian, 26/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

David Broder est un écrivain et traducteur britannique vivant à Rome et éditeur européen du magazine Jacobin. Il est un contributeur régulier au New Statesman et à  Internazionale, écrivant sur la politique italienne. Ses écrits sont également parus dans l'Independent, la New Left Review et Tribune. Il est l'auteur de The Rebirth of Italian Communism : Dissident Communists in Rome, 1943-44,  First They Took Rome : How the Populist Right Conquered Italy, et des Mussolini's Grandchildren, Fascism in Contemporary Italy (Pluto Press, 2023). @broderly

Une normalisation des partis d'extrême droite remontant à Berlusconi a ouvert la voie à la percée de Fratelli d’Italia

Giorgia Meloni, par Paolo Lombardi, 2013

Giorgia Meloni a remporté un succès remarquable lors des élections italiennes d'hier – et il est presque certain qu'elle deviendra Premier ministre. Les 26% obtenus par son parti postfasciste Frères d'Italie, en font le plus grand parti au niveau national. Dans l'ensemble, la coalition de droite qu'elle dirige actuellement aura une majorité considérable dans les deux chambres du Parlement.

Une partie de l'explication réside dans la faiblesse de l'opposition. Le Mouvement éclectique des Cinq Étoiles (15%) et les Démocrates de centre-gauche (19%) n'ont pas uni leurs forces et, après des années d'échec à améliorer le niveau de vie de la classe ouvrière, n'ont pas réussi à rallier la base historique de la gauche. Le taux de participation a facilement été le plus bas de l'histoire de la république, avec seulement 64% de votants.

Pourtant, ce n'est pas seulement l'histoire de l'Italie faisant un virage brusque et brusque vers la droite. C'est le dernier produit d'une longue normalisation des partis d'extrême droite. Les médias considèrent souvent l'ancien Premier ministre Silvio Berlusconi comme une influence « modératrice », mais il a joué un rôle clé dans la percée d'extrême droite d'aujourd'hui. Il s'est vanté d'avoir « inventé le centre-droit en 1994 » en s'alliant avec « la Ligue et les fascistes » – « nous les avons légitimés et constitutionnalisés ». Dès le début, Berlusconi a fait de dures déclarations anti-immigrants, banalisé régulièrement les crimes de Mussolini et nommé des néo-fascistes à vie à des postes de haut niveau.

Le dernier gouvernement de Berlusconi a été abattu par la crise de la dette souveraine en 2011, et il a ensuite soutenu un cabinet technocratique. Puis, en 2013, il a été banni de toute charge publique après une condamnation pour fraude fiscale. Cela a offert d'abord à la Ligue, puis à Frères d'Italie l’occasion de revendiquer un leadership sur la coalition de droite, en mettant en avant leur récit sur le déclin civilisationnel et la résistance nationaliste.

Une grande partie de l'ascension plus récente de Frères d'Italie est due à sa position en tant que seule opposition majeure au cabinet multipartite de Mario Draghi, auquel Matteo Salvini et Berlusconi ont adhéré lors de sa création en février 2021. Meloni a souligné qu'elle poursuivrait une approche « constructive » à l'égard de Draghi et continuerait sa distribution de fonds européens postpandémiques, mais sans conclure d'accords avec le centre-gauche. Cela l'a confortée à la tête de la coalition de droite, les autres partis promettant désormais d’en faire leur premier ministre.

Si l'Italie a maintenant son premier ministre le plus à droite depuis 1945, cela ne signifie pas un simple retour au passé. Les Frères d'Italie sont enracinés dans le Movimento Sociale Italiano (MSI), un parti néo-fasciste créé en 1946 qui s'est présenté aux élections mais a conservé une profonde hostilité envers la république créée à la fin de la résistance antifasciste.

Sous les gouvernements de Berlusconi, les dirigeants du MSI ont formellement accepté les valeurs libérales-démocrates, abandonné leur ancien nom et condamné l'antisémitisme de Mussolini. Pourtant, beaucoup chérissaient encore l'héritage du néofascisme d'après-guerre, et les Frères d'Italie ont été créés en 2012 comme une réaffirmation explicite de la tradition MSI. C'est un parti qui cherche à réécrire les manuels d'histoire pour mettre en évidence les crimes des partisans antifascistes. Mais il s'appuie également sur d'autres mèmes d'extrême droite plus internationaux, comme le « grand remplacement » des Européens par les immigrants – une théorie du complot qui a inspiré de multiples attentats terroristes.

Frères d'Italie a promis des changements majeurs à l'héritage politique de la république d'après-guerre. L'un consiste à marginaliser le parlement et les partis en instaurant une présidence de la République directement élue. Mais beaucoup de critiques craignent qu'il n'aille plus loin. Ce mois-ci, Frères d'Italie et de la Ligue ont été les seuls partis italiens à voter contre une résolution du Parlement européen qui condamnait la Hongrie de Viktor Orbán comme « autocratie électorale ». Le parti de Meloni a également proposé une interdiction constitutionnelle des « excuses pour le communisme et l'extrémisme islamique » – imitant les mesures fourre-tout utilisées à Budapest pour écraser les critiques de gauche.

Le processus de formation du gouvernement prend généralement au moins un mois, même lorsqu'il y a une majorité clairement identifiable. Les dirigeants de Frères d'Italie ont insisté qu'ils attendent du gouvernement sortant qu'il prenne des mesures clés sur la flambée des factures d'énergie avant leur propre arrivée au pouvoir. Pourtant, cette crise et la guerre en Ukraine pourraient causer des problèmes majeurs. Malgré ses propres déclarations, la base de Meloni est principalement hostile aux sanctions contre la Russie, et le leader de la Ligue, Salvini, a soulevé des doutes sur leur avenir.

On peut s'attendre à ce que Meloni et ses nouveaux députés se tendant aux attaques contre les immigrés, les « lobbies LGBT », les syndicats et d'autres groupes qu'ils appellent l '« establishment de gauche ». L'appel en faveur d'un « blocus naval » en Méditerranée vise à durcir le régime frontalier actuel de l'UE. Les partis de droite prévoient également d'importantes réductions d'impôt et l'abandon des prestations aux demandeurs d'emploi. Même avec une large majorité, face aux drames d'aujourd’hui, il n'est pas clair qu'ils seront en mesure de poursuivre l'ensemble de leur programme. Mais la vraie crainte est de savoir qui ce gouvernement choisira pour lui faire encaisser les retombées de cette crise.