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31/10/2025

Nous, Israéliens, sommes tous Itamar Ben-Gvir
Il n’est plus possible d’être sionistes sans être fasciste

Gideon Levy, Haaretz, 29/10/2025

Traduit par Tlaxcala

En fin de compte, nous sommes tous Itamar Ben-Gvir. Une même ligne relie Naftali Bennett, Yair Lapid et Avigdor Lieberman — l’espoir de l’opposition — à Ben-Gvir, le grand épouvantail : nationalisme, fascisme et militarisme ne différant que par des nuances infimes. Entre le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël et ceux qui aspirent au pouvoir, il n’existe que cinquante nuances de droite.

Ainsi, tout ce discours sur une « fracture nationale » et sur « les élections les plus importantes de l’histoire du pays » — le dernier cliché en date qui fait des vagues — n’est qu’un mensonge. Israël n’a pas de Zohran Mamdani et n’en aura pas de sitôt. Des Ben-Gvir, en revanche, nous en avons à la pelle.


Des soldats israéliens montent la garde près d’une porte close pendant la récolte des olives dans le village de Kobar, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée, samedi. Photo Mohamad Toroman/Reuters

La saison électorale est ouverte, et nul n’est plus prompt que Lapid à identifier l’air du temps — à savoir le fascisme — et à surfer sur la vague. C’est le produit le plus hot du marché depuis le 7 octobre, et Lapid s’en régale déjà.

Cette semaine, le « chef de l’opposition » a promis de soutenir une loi interdisant de voter à ceux qui ne s’enrôlent pas dans l’armée. Ni à Sparte, ni dans la super-Sparte on n’aurait osé imaginer une telle mesure militariste. Là-bas, on aurait eu honte. Les Arabes, les ultraorthodoxes, les invalides, les malades, les criminels et les handicapés seraient jetés dans le Nil. Ils ne font pas partie de notre démocratie, alors pourquoi ne pas expulser tous ceux qui ne servent pas ? Leur retirer la citoyenneté ? Ou peut-être les mettre dans des camps ?

Selon Lapid, c’est le service militaire qui donne accès aux droits fondamentaux. Si vous ne tuez pas d’enfants à Gaza, chers Israéliens, Lapid vous retirera votre carte d’électeur. Le peuple, épuisé et meurtri par des années de Benjamin Netanyahou, est désormais censé voir en un tel personnage une source d’espoir.

L’espoir suprême de l’opposition est encore plus décourageant. « Dans le Néguev, un État palestinien est en train de naître », a averti Bennett cette semaine les habitants de la ville d’Omer. « Si nous n’agissons pas, nous nous réveillerons face à un 7 octobre dans le Néguev. » Les citoyens bédouins d’Israël, le groupe le plus défavorisé et dépossédé de la société, seraient donc le Hamas. Le danger qu’ils représentent serait un autre 7 octobre.

Puisque Ben-Gvir parle ainsi, à quoi bon Bennett ? Pour son anglais impeccable ? Ses manières policées ? Son service militaire dans une unité de commando ? Une épouse qui ne se promène pas avec un pistolet à la ceinture ? Parce qu’il vit à Ra’anana (et non à Tel Rumeida) ?

Pour Bennett, pas moins que pour Ben-Gvir, cette terre est réservée aux Juifs. Les Bédouins, dont certains ont été expulsés vers le Néguev depuis d’autres régions d’Israël, n’en seraient pas les enfants. Ils sont une menace à contenir. Pourtant, le fait est que le Néguev leur appartient autant qu’à Bennett ou aux bons citoyens d’Omer.

Le Néguev, c’est ce qu’il leur reste après qu’on les a dépossédés de leurs terres, détruit le tissu de leurs vies et enfermés dans des enclos misérables. Certains ne sont pas aimables, il est vrai : ils conduisent dangereusement, ont plus d’une femme et sont violents. Il faut corriger ça — mais sans porter atteinte à leurs droits civiques, qu’il est impossible de leur nier.

Bennett, comme Lapid, est un homme sombre. Tous deux croient que les droits sont accordés par la bonté de l’État, comme un cadeau ou une récompense pour une « bonne conduite ». C’est là le fascisme dans sa forme la plus pure — et Lieberman, le plus ancien fasciste des trois, les rejoindra avec enthousiasme. Lui aussi est favorable à priver de droit de vote ceux qui n’ont pas participé à la guerre ni commis ses crimes. Lui aussi voit dans les Bédouins des invités indésirables dans ce pays.

La ressemblance fasciste entre la coalition et l’opposition n’est pas fortuite. Elle s’appelle le sionisme. En 2025, on ne peut plus défendre cette idéologie nationale sans être fasciste ou militariste. C’en est désormais l’essence. Peut-être l’était-ce déjà depuis le début, et l’honnêteté exige de le reconnaître.

Netanyahou et Bennett, Ben-Gvir et Lapid sont des sionistes comme presque tous les Israéliens. Pour eux, la terre appartient aux Juifs, ils croient à la suprématie juive et au mensonge d’un État à la fois juif et démocratique. Le fascisme est la conséquence inévitable de cela. Il n’est plus possible d’être sioniste sans être fasciste.



30/10/2025

Tucumán, Argentine : la pieuvre sioniste étend ses tentacules dans toutes les directions, de la communauté juive aux institutions de l’État

 Rubén Kotler, 30/10/2025

Rubén Kotler (né en 1974) est un historien argentin, juif antisioniste, spécialiste de l’histoire récente de Tucumán, cofondateur de l’Association d’Histoire Orale de la République argentine et coadministrateur du Réseau latino-américain d’Histoire Orale. Il est aussi coscénariste et responsable de la recherche historique du documentaire El Tucumanazo (sur les révoltes ouvrières et étudiantes de Tucumán). https://www.deigualaigual.net/

L’historien israélien Ilan Pappe définit un lobby comme « l’influence exercée pour modifier la politique gouvernementale d’un pays ou altérer l’opinion publique ». Dans son récent ouvrage[1], il analyse l’histoire du lobby sioniste entre les USA et le Royaume-Uni. La pénétration sioniste en Amérique latine plonge ses racines dans la première moitié du XX siècle ; elle est essentielle au soutien de l’État dIsraël et de ses politiques de génocide, de nettoyage ethnique, dapartheid, de colonialisme, dexpansionnisme, de racisme et d’islamophobie — les colonnes vertébrales sur lesquelles s’édifie cet État juif autoproclamé au détriment du peuple palestinien.
Ce dispositif colonial est soutenu par les communautés judéo-sionistes du monde entier. On le constate aisément, à la loupe, dans des communautés comme celle de Tucumán, en Argentine.
 



La plus petite province d’Argentine abrite une petite mais influente communauté judéo-sioniste, mêlant héritages ashkénaze et séfarade. On y trouve diverses institutions : synagogues, écoles, un club nommé Unidad Sionista, et un cimetière.
L’école principale de la communauté — celle où moi-même j’ai étudié — offre une double scolarité ; sa formation judéo-sioniste constitue un pilier central du soutien à Israël. Les programmes d’enseignement juif, loin de l’orthodoxie religieuse, visent à forger une identité sioniste très marquée. On y célèbre avec un même enthousiasme les fêtes nationales argentines et les fêtes juives, les deux étant enveloppées d’un récit nationaliste comparable à celui enseigné dans les écoles de la colonie israélienne elle-même.
La pénétration sioniste dans le monde juif religieux est telle que, dans certaines communautés réformées, on a ajouté une prière demandant à Dieu de protéger l’armée israélienne.

 

Photos d’une cérémonie scolaire de “patriotisme israélien” à Tucumán
(Archives de l’auteur)

Un système de bourses finance des voyages initiatiques vers l’État juif autoproclamé — comme un pèlerinage à Disneyworld — et toutes les institutions locales entretiennent une identité soudée autour de la défense d’Israël, considéré tantôt comme seconde patrie, tantôt comme refuge eschatologique face à la crainte d’un nouvel « holocauste ».

Les attentats contre l’ambassade d’Israël (1992) et contre l’AMIA (1994) à Buenos Aires ont nourri cette peur. Depuis 1994, les institutions judéo-sionistes argentines maintiennent des murs anti-voitures piégées ; depuis trente ans, la communauté attend son « troisième attentat » comme le Messie.
Le serment des soldats israéliens à Masada, jurant que Sion ne tombera plus, est reproduit dans les écoles judéo-sionistes avec la même ferveur.

La DAIA (Délégation des Associations israélites d’Argentine) est une institution de lobbying prosioniste dont la mission initiale était de protéger les intérêts juifs en Argentine ; elle défend en réalité les intérêts sionistes et propage la confusion entre antisionisme et antisémitisme.


Le kirchnériste José Jorge Alperovich (1955) a été trois fois gouverneur de la province de Tucumán entre 2003 et 2015. En novembre 2019, il a fait l'objet d'une plainte pénale et a été inculpé pour abus sexuels. En 2024, il a été condamné à 16 ans de prison pour abus sexuels et a été déchu à vie de ses droits civiques.

Mais revenons à la pénétration du sionisme dans la province de Tucumán ces dernières années, en tant que soutien d'une cinquième colonne qui justifie et accompagne le génocide. Les différents gouvernements provinciaux depuis 2003 ont maintenu des liens économiques, culturels, politiques et sociaux solides avec Israël. 

L'élection du gouverneur José Alperovich, fils d'une famille judéo-sioniste de Tucumán appartenant à une élite commerciale économiquement puissante, s'est avérée paradigmatique dans un pays dont la religion officielle majoritaire est le catholicisme romain. L'élection d'Alperovich était novatrice, tout comme l'étaient ses alliances avec le sionisme à l'échelle mondiale. Ces alliances existaient déjà avant cette élection, mais elles ont été renforcées par l'inclusion dans le cabinet provincial de membres de la communauté juive locale. Des membres éminents de la communauté ont embrassé le péronisme comme parti où ils ont ancré leur influence politique et ont lié l'État provincial à l'État d'Israël par le biais de divers accords économiques.

Juan Luis Manzur (1969), le fonctionnaire le plus riche de l’administration nationale

Son successeur, le gouverneur Juan Manzur, qui entretenait des liens étroits, voire affectifs, avec une partie de la communauté judéo-sioniste - Chabad Lubavitch-, a poursuivi cette ligne de soumission au sionisme. Manzur a rapidement conclu des accords commerciaux avec Israël dans l'un des domaines où l'enclave coloniale excelle, à savoir la sécurité. Vers la fin de l'année 2018, le gouvernement provincial a acheté 4 000 pistolets semi-automatiques Jericho 9 millimètres avec un cadre en polymère, développés par la société IMI (Israel Military Industries), privatisée en 2018 et intégrée à Elbit Systems. L'accord conclu pour un montant de neuf millions de dollars a permis à la province d'acquérir ces armes et d'autres utilisées notamment dans la répression des Palestiniens en Cisjordanie. L'une de ces armes, utilisée par la police de Tucumán, a tué Luis Espinoza dans le contexte répressif de la pandémie, lorsque la police de Tucumán est intervenue lors d'une réunion sociale le 15 mai 2020, réunion au cours de laquelle Espinoza a été enlevé et a disparu pendant sept jours, jusqu'à ce que son corps sans vie soit retrouvé dans une autre province.

Mais les accords ne s'arrêtent pas là. Deux ans avant la disparition suivie du décès de Luis Espinoza, le 13 août 2018, l'Orchestre symphonique de Jérusalem donnait un concert dans l'un des principaux théâtres de la province, sous l'égide du gouvernement provincial lui-même. Ce que j'ai alors intitulé « Un concert de mitraille » rendait compte de la manière dont on embrassait l'État sioniste à travers un événement culturel qui normalisait l'oppression du peuple palestinien. La normalisation de la structure coloniale par le biais de la culture et du sport sont des caractéristiques distinctives de ce type d'alliances et de cette pénétration à l'échelle mondiale. Je pourrais remonter beaucoup plus loin dans le temps, mais ces faits relatés sur l'influence sioniste suffisent à illustrer mon propos. Surtout dans ce qui a suivi, avec une série d'accords commerciaux et autres, qui n'ont fait que renforcer ces liens avec le lobby sioniste dans la province.

Les péronistes, alliés des sionistes

Aujourd'hui, on évoque le gouvernement d'extrême droite de Javier Milei, allié stratégique du sionisme et partisan du génocide palestinien, mais avec beaucoup d'hypocrisie, une partie des péronistes se taisent ou regardent ailleurs lorsqu'il s'agit des accords entre l'État et l'entité sioniste. Les voyages en Israël des fonctionnaires argentins se répètent d'un gouvernement à l'autre. Au niveau provincial, les accords signés tant par le gouvernement local que par les autorités universitaires se répètent d'une administration à l'autre.

Il faut rappeler que le premier voyage à l’étranger du président péroniste Alberto Fernández, dans les mois qui ont précédé la pandémie, l'a conduit en Israël pour serrer la main du criminel de guerre Netanyahu ; et rappelons que c'est l'un de ses ministres, Wado de Pedro, fils de disparus pendant la dernière dictature civilo-militaire en Argentine, qui a fait venir l'entreprise israélienne Mekorot en Argentine pour contrôler une ressource stratégique comme l'eau. De Pedro ne pouvait ignorer les accusations internationales qui pèsent sur l'entreprise israélienne dans le cadre du régime d'apartheid contre les Palestiniens dans le contrôle des ressources en eau de la Palestine occupée. Ces accords sont aujourd'hui renforcés grâce aux tentatives du gouvernement ultralibéral de Milei de privatiser Agua y Saneamiento Argentino - AYSA. Est-ce Mekorot qui bouffera AYSA ? C'est très probable.

Le 13 octobre 2021, alors que la pandémie de Covid-19 sévissait encore, le ministère provincial de la Santé a signé un accord avec le « Réseau de santé Hadassah » d'Israël. L'accord a été signé par la ministre de la Santé de l'époque, Rossana Chahla, aujourd'hui mairesse de la capitale provinciale, et dont nous parlerons dans le dernier chapitre de cette saga de capitulation de la province face au sionisme. Mais pour en revenir à l'accord de « coopération » avec l'institution israélienne, celui-ci n'a pas été suffisamment diffusé. Selon le site web du ministère provincial de la Santé, « cet accord a pour objectif de partager les connaissances médicales développées à l'hôpital Hadassah Medical Center en Israël afin de donner accès à des formations, des ateliers, des journées médicales animées par des professionnels, ainsi qu'à la coopération et à l'intégration des hôpitaux et des centres de santé de Tucumán au réseau de santé Hadassah, afin que les professionnels puissent bénéficier des connaissances les plus modernes et les plus qualifiées ».

L'objectif est clairement énoncé : partager les informations de la province avec l'entité coloniale israélienne, ce qui est sans précédent dans un domaine aussi sensible que la santé publique. Il est également précisé que la relation entre le gouvernement provincial et le réseau Hadassah remonte à plus de 15 ans, précisément à l'époque du gouvernement Alperovich.

Le milieu universitaire local renforce le discours sioniste

Le discours sioniste a besoin de scribes. La « Hasbara »[1] déploie toute une série de ressources allant du financement des médias de masse à l'inondation des réseaux sociaux par des personnalités qui instaurent un sens commun, entre autres. Comme l'a récemment déclaré le criminel Netanyahou, Israël doit acheter Tik Tok. Mais dans ce schéma où la Hasbara cherche à toucher tous les domaines possibles, le monde universitaire joue un rôle fondamental. Les accords conclus entre les universités publiques argentines et des institutions sionistes ou prosionistes sont remarquables.


Revenons à Tucumán. Le 23 juillet dernier, la faculté de droit de l'université nationale de Tucumán a accueilli une activité de hasbara dans le but clair de renforcer le discours sioniste. Il s'agissait de la présentation du livre d'Ariel Gelblung, « Antisémitisme : définir pour combattre ». Gelblung est directeur du controversé Centre Simon Wiesenthal, partisan du discours sioniste. De plus, l'activité a été soutenue par la DAIA locale et les autorités universitaires et judiciaires de la province, puisque des membres de la Cour suprême de justice de Tucumán, Claudia Sbdar et Daniel Posse, le journaliste du principal quotidien local, La Gaceta, Álvaro José Aurane, et les fonctionnaires du gouvernement provincial Raúl Albarracín et Hugo Navas y ont participé. Il convient de souligner que la présentation des travaux de Gelblung s'inscrivait dans le cadre des activités du diplôme de troisième cycle sur le génocide et les crimes contre l'humanité, dispensé par la faculté de droit elle-même, et dans lequel le génocide contre le peuple palestinien n'est pas mentionné.

Le 25 juillet, une conférence a également été organisée pour les étudiants de la province, au cours de laquelle il a également été fait référence à l'association entre antisémitisme et antisionisme. Dans une interview accordée au journal local, Gelblung a déclaré que « nous vivons actuellement la pire période d'antisémitisme dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le conflit au Moyen-Orient, dont nous ne parlons pas ici, a mis en danger les communautés juives qui vivent dans chacune de ces régions. Le fait de ne pas séparer certaines choses et d'avoir laissé tomber certains masques en se rangeant dans certains cas du côté du terrorisme est vraiment dangereux ».

Pour ce propagandiste, « sionisme n'est pas un mot péjoratif. Le sionisme est le mouvement d'autodétermination nationale du peuple juif sur sa terre ancestrale. Et personne ne peut venir dire : « Je suis d'accord avec l'autodétermination de tous les peuples du monde sauf un ». C'est vraiment de la discrimination. On ne peut donc pas dire : « Je ne suis pas antisémite, je suis antisioniste. C'est une erreur ». Pour le directeur du Centre Wiesenthal, comme pour toute la communauté judéo-sioniste, il n'y a pas de génocide en cours à Gaza, contrairement à ce qu'affirment les rapports sur le sujet élaborés par des organismes de défense des droits hiumains d'Israël même, tels que B'Tselem. Ni Gelblung, ni les autorités de l'université ou du pouvoir judiciaire de la province n'ont manifestement lu le rapport intitulé « Notre génocide » et, se faisant l'écho de la définition de l'antisémitisme de l'IHRA, ils assimilent ce terme à l'antisionisme. Rien n'est plus fallacieux que cela. De plus, depuis un certain temps, surtout après le 7 octobre 2023, ils répètent haut et fort que nous assistons à une recrudescence de l'antisémitisme dans le monde entier, augmentation qui n'est pas vérifiée dans les faits. Dire Gaza ou mentionner la Palestine transforme le dénonciateur en antisémite, quel que soit le contexte ou la forme. En Argentine, des députés nationaux ont même été poursuivis pour avoir mentionné le génocide en Palestine, accusés d'antisémitisme, comme cela a été le cas pour la députée du Front de gauche et des travailleurs Vanina Biassi.



Rossana Chahla (1966), mairesse de Tucumán, justicialiste (péroniste/kirchnériste)

Le dernier chapitre de l'alliance entre Tucumán et le sionisme

L'un des derniers chapitres de l'alliance entre Tucumán et le sionisme est à nouveau écrit par Rossana Chahla. Aujourd'hui mairesse de la capitale, San Miguel de Tucumán, elle a signé un accord de coopération en matière de sécurité avec l'agence israélienne Mashav pour la formation du personnel municipal en matière de sécurité. Malgré les protestations de l'organisation « Tucumán por Palestina » (Tucumán pour la Palestine), la municipalité a poursuivi cet accord ignoble. En plein génocide, la mairesse, médecin de profession et d'origine syro-libanaise, renforce ses liens avec le sionisme.

Selon le site web de la municipalité elle-même, « pendant le cours, qui est dispensé en espagnol et se déroule sur le campus de l'Institut à Beit Berl, près de Tel Aviv, des thèmes clés sont abordés, tels que la coordination entre les municipalités et les forces de police, la création de corps de police communautaires, la gestion des urgences, le travail avec les jeunes en situation de risque et la coordination avec les établissements d'enseignement, les organisations communautaires et le secteur privé ». Ce genre d’ accords est signé à travers tout le continent, renforçant ce que le journaliste Antony Loewenstein a appelé « le laboratoire palestinien », pour rendre compte de la manière dont Israël montre au monde « ses avancées technologiques » en matière de sécurité et de guerre grâce au fonctionnement de ses systèmes répressifs sur le peuple palestinien. Il convient de rappeler ici qu'Israël est l'un des principaux États dont l'industrie de l'armement et de la sécurité s'étend à travers le monde entier, négociant même avec des dictatures.


Un fantôme hante Tucumán : celui du génocide

Le groupe Tucumán por Palestina, composé d'un ensemble hétérogène comprenant notamment des Palestiniens, des Juifs antisionistes, des artistes, des militants politiques et syndicaux, des universitaires, dénonce depuis des années le sionisme et expose les crimes commis par l'État d'Israël contre le peuple palestinien. Cela ne leur a pas valu une seule ligne dans le principal quotidien de Tucumán. En revanche, chaque fois que la communauté judéo-sioniste est descendue dans la rue ou a organisé une activité, le média lui a consacré d'importants espaces de diffusion hasbaratique. En général, à quelques exceptions près, les médias locaux ne couvrent pas les activités de dénonciation menées avec une persistance militante dans la capitale. 

Il est clair que la pénétration sioniste dans la province s'étend aux trois pouvoirs de l'État, à la presse locale hégémonique, à différents membres du monde universitaire, entre autres. En tant que fils de cette communauté juive, je réitère mon opposition au sionisme et au génocide. Je fais entendre ma voix chaque fois que je le peux, comme le font mes camarades de Tucumán por Palestina. La pénétration de ce fantôme appelé génocide a des noms et des prénoms dans la province, dont beaucoup sont des descendants de Syro-Libanais, comme la mairesse de la capitale de Tucumán. 

Briser le récit, faire autant de bruit que possible et convaincre les membres des communautés juives du monde entier qu'Israël ne représente pas le judaïsme dans aucune de ses variantes religieuses ou culturelles peut contribuer à affaiblir l'enclave. Le fait de lui retirer le soutien de la communauté, comme le font différentes organisations juives antisionistes ou propalestiniennes, peut contribuer à la chute d'un régime qui, depuis plus d'un siècle, mène la guerre, commet des crimes contre l'humanité, soutient un génocide et un nettoyage ethnique dans la Palestine historique et dans d'autres points tout aussi stratégiques du Moyen-Orient. 

Notes

[1]  Ilan Pappé,  Le lobby sioniste des deux côtés de l'Atlantique, Ethos 2025
[2] Hasbara ou « explication » en hébreu, est l'appareil propagandiste utilisé par Israël pour redorer le blason du régime et instaurer un discours qui présente l'État sioniste comme la seule démocratie du Moyen-Orient, démontre que son armée est la « plus morale du monde » et que toutes les actions militaires contre les pays de la région sont des actions de « défense ».


26/10/2025

Il n’est plus possible d’être Palestinien en Cisjordanie

Gideon Levy, Haaretz, 26/10/2025
Traduit par
Tlaxcala


Tandis que Trump donne sa parole aux pays arabes que l’annexion israélienne « n’aura pas lieu », il tourne le dos à la destruction, à la dépossession, à la pauvreté, à la violence des colons et aux abus militaires en Cisjordanie, permettant au tourment de se poursuivre : il n’y a pas de cessez-le-feu.

Des Palestiniens se tiennent à côté d’une route détruite après une opération militaire israélienne dans la ville cisjordanienne de Tubas, la semaine dernière.
Photo Majdi Mohammed / AP

En Cisjordanie, personne n’a entendu parler du cessez-le-feu à Gaza : ni l’armée, ni les colons, ni l’Administration civile, et bien sûr pas les trois millions de Palestiniens vivant sous leur tyrannie. Ils ne sentent en rien la fin de la guerre.

De Jénine à Hébron, aucun cessez-le-feu n’est en vue. Depuis deux ans, la Cisjordanie vit sous un régime de terreur, à l’abri de la guerre dans la bande de Gaza, qui sert de prétexte douteux et de rideau de fumée, et rien n’indique que cela soit près de se terminer.

Tous les décrets draconiens imposés aux Palestiniens le 7 octobre demeurent en vigueur ; certains ont même été durcis. La violence des colons se poursuit, tout comme l’implication de l’armée et de la police dans les pogroms. À Gaza, moins de personnes sont tuées et déplacées, mais en Cisjordanie tout continue comme s’il n’y avait aucun cessez-le-feu.

L’administration Trump, si active et résolue à Gaza, ferme les yeux sur la Cisjordanie et se ment à elle-même sur la situation là-bas. Empêcher l’annexion lui suffit. « Cela n’arrivera pas, j’ai donné ma parole aux pays arabes », a déclaré le président Donald Trump la semaine dernière, tandis que, dans son dos, Israël fait tout pour détruire, spolier, maltraiter et empêcher toute possibilité de vie en Cisjordanie.


Des colons israéliens jettent des pierres en direction de villageois palestiniens lors d’une attaque contre le village cisjordanien de Turmus Ayya, en juin.
Photo Ilia Yefimovich / dpa

Il semble parfois que le chef du Commandement central de Tsahal, Avi Bluth, fidèle et obéissant à son supérieur — le ministre des Finances Bezalel Smotrich, également ministre au sein du ministère de la Défense — mène une expérience humaine, de concert avec les colons et la police : voyons jusqu’où nous pouvons les tourmenter avant qu’ils n’explosent.

L’espoir que leur soif d’abus se calmerait en même temps que les combats à Gaza a été anéanti. La guerre dans la bande n’était qu’un prétexte. Quand les médias évitent la Cisjordanie et que la plupart des Israéliens — et des USAméricains — se désintéressent de ce qui s’y passe, le supplice peut continuer.

Le 7 octobre a bel et bien constitué une occasion historique pour les colons et leurs collaborateurs de faire ce qu’ils n’avaient pas osé faire depuis des années.


La famille Zaer Al Amour, dans les collines du sud d’Hébron — une région souvent soumise à la violence des colons et de l’armée — monte la garde à tour de rôle du soir jusqu’au matin pour protéger ses terres.
Photo Wisam Hashlamoun / Anadolu via AFP

Il n’est plus possible d’être Palestinien en Cisjordanie. Elle n’a pas été détruite comme Gaza, des dizaines de milliers de personnes n’y sont pas mortes, mais la vie y est devenue impossible. Il est difficile d’imaginer que la poigne de fer d’Israël puisse durer encore longtemps sans explosion de violence — cette fois, justifiée.

Entre 150 000 et 200 000 Palestiniens de Cisjordanie qui travaillaient en Israël sont au chômage depuis deux ans. Deux ans sans le moindre shekel de revenu. Les salaires de dizaines de milliers de fonctionnaires de l’Autorité palestinienne ont également été fortement réduits à cause de la rétention par Israël des recettes fiscales qu’il collecte pour elle.

La pauvreté et la détresse sont omniprésentes. Les barrages routiers et les checkpoints aussi ; jamais il n’y en a eu autant, et pour une période aussi longue. Ils se comptent maintenant par centaines.

Chaque colonie possède des portails de fer fermés, ou qui s’ouvrent et se referment tour à tour. Impossible de savoir ce qui est ouvert ou fermé — et, plus important encore, quand. Tout est arbitraire. Tout se fait sous la pression des colons, qui ont fait de l’armée israélienne leur servante soumise. Voilà ce que c’est, quand Smotrich est le ministre de la Cisjordanie.


Une maison incendiée lors des émeutes de 2023 dans le village de Hawara. Smotrich parlait déjà en 2021 d’un « Plan décisif ».
Photo Amir Levi

Environ 120 nouveaux avant-postes de colonisation, presque tous violents, ont été établis depuis le maudit 7 octobre, couvrant des dizaines de milliers d’hectares, tous avec le soutien de l’État. Pas une semaine ne passe sans de nouveaux avant-postes ; tout aussi inédite est l’ampleur du nettoyage ethnique qu’ils visent : Hagar Shezaf rapportait vendredi que, durant la guerre de Gaza, les habitants de 80 villages palestiniens de Cisjordanie ont fui pour sauver leur vie, par peur des colons qui se sont emparés de leurs terres.

Le visage de la Cisjordanie change chaque jour. Je le vois de mes propres yeux stupéfaits. Trump peut se vanter d’avoir stoppé l’annexion, mais celle-ci est plus enracinée que jamais.

Depuis le centre de commandement que l’armée usaméricaine a établi à Kiryat Gat, on peut peut-être voir Gaza, mais on ne voit pas Kiryat Arba, la colonie située près d’Hébron.

La Cisjordanie crie à l’aide d’une intervention internationale urgente, tout autant que la bande de Gaza. Des soldats — usaméricains, européens, émiratis ou même turcs — quelqu’un doit protéger ses habitants sans défense. Quelqu’un doit les délivrer des griffes de Tsahal et des colons.

Imaginez un soldat étranger à un checkpoint stoppant des nervis colons en route pour un pogrom. Un rêve.

23/10/2025

Le gouvernement israélien se glorifie de sadisme, de mauvais traitements et de torture

Gideon Levy, Haaretz, 23/10/2025
Traduit par Tlaxcala

NdT : étant fatigués de l’us et abus du terme “otages” pour désigner les Israéliens capturés le 7 octobre, nous avons choisi de traduire le terme par celui de “captifs”

Le retour des captifs israéliens a mis au jour une vérité connue de tous : le mauvais traitement des prisonniers palestiniens par Israël a rendu plus difficiles les conditions des Israéliens retenus captifs à Gaza. Il est désormais clair que le mal avait son prix.

Nadav Eyal a rapporté mercredi dans Yediot Aharonot que le service de sécurité Shin Bet avait averti dès la fin de 2024 que les déclarations du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir aggravaient les conditions déjà terribles que subissaient les captifs, et personne ne s’en est soucié.

Prisonniers palestiniens en attente de libération à la prison d’Ofer. Photo  Tali Meir

Chaque fois que Ben-Gvir se vantait des abus qu’il ordonnait, dont le journaliste Yossi Eli se délectait dans ses reportages sadiques sur Channel 13 à propos de ce qui se passait dans les prisons israéliennes, la vengeance venait des tunnels.

C’est désagréable d’admettre le mal israélien. Mais pourquoi avons-nous dû apprendre d’abord la revanche des ravisseurs palestiniens pour être choqués par la méchanceté des ravisseurs israéliens ? Ce qui s’est passé (et se passe encore) à la prison de Sde Teiman était une honte, indépendamment de l’épouvantable souffrance qu’il a causée aux captifs.


L’entrée de la base militaire et centre de détention de Sde Teiman. Photo Eliyahu Hershkovitz

Il est honteux que ce soit la maltraitance des captifs qui ait été nécessaire pour susciter l’indignation sur le traitement par Israël de ses prisonniers palestiniens, y compris dans le titre de mercredi de Yediot Aharonot, qui jusqu’ici ne s’était guère intéressé à ce qu’Israël fait.

Le journal britannique The Guardian a rapporté cette semaine qu’au moins 135 corps mutilés et démemb­rés avaient été rendus à Gaza. À côté de chacun des corps mutilés, on a trouvé des notes indiquant qu’ils avaient été détenus à Sde Teiman. Sur beaucoup des photos, on voyait que leurs mains étaient attachées dans le dos.

Plusieurs présentaient des signes de torture, y compris la mort par strangulation, par passage de char et d’autres moyens. Il n’est pas clair combien ont été tués après leur arrestation. Sde Teiman était un point de rassemblement pour des Palestiniens tués ailleurs.

Le Club des prisonniers palestiniens rapporte que le chiffre d’environ 80 détenus palestiniens tués en prison pourrait sous-estimer la vérité. The Guardian n’a vu qu’une partie des corps et a confirmé les signes d’abus, mais a dit qu’ils ne pouvaient pas être publiés en raison de leur état. Le corps de Mahmoud Shabat, 34 ans, montrait des signes de pendaison. Ses jambes avaient été écrasées par un char, et ses mains étaient liées dans le dos. « Où est le monde ? » a demandé sa mère.

La situation des Palestiniens vivants qui ont été libérés n’est guère meilleure. Beaucoup avaient même du mal à tenir debout à leur sortie, un fait à peine couvert par les médias israéliens.

Le Dr Ahmed Muhanna, directeur de l’hôpital Al-Awda à Jabaliya, qui avait été emmené en décembre 2023 et libéré pendant le cessez-le-feu, a déclaré cette semaine qu’il avait été déplacé de lieu en lieu pendant son incarcération, y compris dans un endroit qu’il a décrit comme un chenil, où des soldats l’ont maltraité à l’aide de chiens terrifiants.

L’apparence amaigrie du médecin ne laissait aucun doute sur les conditions de son emprisonnement. Israël détient 19 autres médecins de Gaza dans des conditions similaires.

Nous devrions nous souvenir des conditions dans lesquelles Adolf Eichmann a été détenu. Personne ne l’a physiquement maltraité avant qu’il soit exécuté par décision de justice.



Des prisonniers palestiniens libérés portent des fusils alors qu’ils arrivent dans la bande de Gaza après leur sortie des prisons israéliennes, suite à un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, devant l’hôpital Nasser à Khan Younis, sud de la bande de Gaza, en octobre. Photo Abdel Kareem Hana, AP

À l’époque, Israël se vantait de ses conditions de détention. Aujourd’hui, le gouvernement se targue de sadisme, de mauvais traitements et de torture. Il le fait parce qu’il connaît les âmes de ses citoyens. La majorité des Israéliens sont vindicatifs et approuvent les mauvais traitements.

À l’exception d’organisations comme Médecins Sans Frontières, B’Tselem et le Comité contre la Torture, presque personne ne s’est élevé contre ce qui se passait. Pour les terroristes de la Nukhba, tout est permis.

La définition de qui en fait partie inclut quiconque a osé entrer en Israël le 7 octobre. Le journaliste Ben Caspit a déclaré cette semaine que tous les combattants de la Nukhba devaient être exécutés. Il semble que le Shin Bet, le Service pénitentiaire israélien et les forces de défense israéliennes aient déjà commencé ce travail avec sérieux.

La seule préoccupation d’Israël est le préjudice subi par les “otages”. Tout le reste est pardonné. Dans de nombreux cas, nous nous excitions même, chérissons et apprécions les mauvais traitements. Nous voulions le sadisme ; nous avons reçu du sadisme en retour.

19/10/2025

La politique israélienne de séparation pérennise le Hamas, par Amira Hass

Amira Hass, Haaretz, 17/10/2025
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Traduit par Tlaxcala

En isolant Gaza de la Cisjordanie et les Palestiniens de leur terre, Israël a contribué à enraciner le Hamas et à effacer les alternatives politiques. Même si le rêve de villas de luxe à Gaza s’est évanoui, la logique sous-jacente demeure : contrôle du territoire, expulsion indirecte, et étouffement continu du peuple palestinien sous le couvert de la sécurité.



Un colon brandit une fronde en direction de Palestiniens récoltant des olives dans le village de Beita, près de Naplouse, vendredi dernier. Le cessez-le-feu ne peut pas être vu comme une défaite pour les colons. Photo Jaafar Ashtiyeh / AFP

Les promesses d’un boom immobilier à Gaza — de la vision du ministre des Finances Bezalel Smotrich, de la promesse du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir de quartiers huppés pour policiers, et des plans de la cheffe de colons Daniella Weiss (avec l’aide divine) pour rétablir des colonies — se sont toutes révélées n’être que du vent.
Il est tentant de dire que l’accord de cesse-z-le-feu entrant à présent en vigueur dans la bande de Gaza a infligé un coup sévère au mouvement des colons et à ses soutiens aux USA. L’image de leurs châteaux de sable s’effondrant sous le poids de l’endurance inimaginable et de la fermeté des habitants de Gaza, et sous le refus égyptien dur mais politiquement calculé de permettre un exode massif des Palestiniens vers son territoire, est tout aussi tentante.
Les décideurs de la politique étrangère égyptienne — peu importe qui dirige ce pays — suspectent depuis longtemps Israël de de vouloir « jeter » Gaza et ses problèmes dans leur direction. Dès le début de la guerre, ils ont pris au sérieux les plans israéliens d’expulsion de la population de Gaza et de réinstallation de Juifs là-bas, exprimés ouvertement par des responsables israéliens qui semblaient oublier que des efforts similaires de leurs prédécesseurs Mapai-Travailistes pour expulser à nouveau les réfugiés de 1948 de Gaza avaient échoué.


Le ministre des Finances Bezalel Smotrich lors d’une conférence de colonies à Hébron le mois dernier. Ses promesses d’annexion se sont avérées n’être que des effets de manche. Photo Itai Ron

Mais le cessez-le-feu ne peut pas être simplement vu comme une défaite gratifiante pour le camp des colons. La logique politique derrière ces bouffées d’air chaud et ces châteaux de sable a façonné, et continue de façonner, la politique israélienne depuis la signature des accords d’Oslo. Cette logique a réussi à empêcher l’établissement d’un État réalisant le droit palestinien à l’autodétermination, ne serait-ce que sur les 22 % restants de la terre entre le fleuve et la mer.
Le sabotage israélien de la souveraineté palestinienne est le miroir de sa poussée pour s’emparer d’autant de terres que possible avec le moins de Palestiniens possible. En pratique, cela signifie l’expulsion — que ce soit vers la Zone A ou vers l’exil ; par les bombardements de l’aviation, ou par les matraques et barres de fer des « jeunes des collines » ; que ce soit par les démolitions de maisons et les expulsions forcées menées sous la menace d’armes par l’Administration civile ou l’armée israélienne, ou par l’emprisonnement et la poursuite judiciaire de ceux qui tentent de protéger leur communauté et eux-mêmes : le résultat est le même.
Quand cette politique sert de fil conducteur, les efforts internationaux pour « réformer » les manuels scolaires palestiniens sont voués à l’échec. La réalité quotidienne de l’étouffement systématique qu’Israël impose, et son autoritarisme, appuyés par sa supériorité militaire, sont les pères de l’incitation à la haine du sionisme dans ces manuels.
Un des outils les plus efficaces pour saboter l’État palestinien a été et reste la « séparation ». Formulé en termes sécuritaires que le public israélien aime adopter — même quand les motifs politiques et immobiliers sont évidents — cet outil prend de nombreuses formes : couper Gaza de la Cisjordanie (depuis 1991) ; séparer la Cisjordanie de Jérusalem-Est ; diviser les villes palestiniennes entre elles ; isoler des villages des routes environnantes et des centres régionaux ; déconnecter les Palestiniens de leurs terres, et les uns des autres.
Des documents officiels du gouvernement militaire des années 1950 et 1960 — publiés des décennies plus tard — ont confirmé ce que les Palestiniens (et les gauches non sionistes) avaient longtemps compris : la prétendue logique « sécuritaire » des restrictions sévères de déplacement était largement motivée par des intérêts fonciers et immobiliers juifs. La vision d’une population et d’un territoire palestiniens fragmentés de chaque côté de la Ligne verte a toujours reflété le plan d’une « Grande Terre d’Israël » pour les Juifs. Ces deux visions opèrent encore aujourd’hui, en parallèle aux clauses vagues du plan Trump pour un cessez-le-feu et un « nouveau Moyen-Orient ».
La droite coloniale compense sa perte partielle à Gaza — « partielle » parce que l’armée israélienne a accompli l’objectif partagé d’infliger la destruction maximale et la mort dans l’enclave — en intensifiant les attaques et l’accaparement de terres en Cisjordanie. Cela se manifeste essentiellement par la séparation quotidienne des agriculteurs de leurs terres, une tactique aux résultats immédiats et douloureux. Avec l’Administration civile, l’armée et la police, les colons accélèrent ce processus par la violence physique, l’obstruction bureaucratique et une arrogance insatiable. Comme nous sommes maintenant en saison de cueillette des olives, les bataillons du Seigneur ont tourné leur attention vers la récolte et les récoltants eux-mêmes.


Affrontements entre soldats et Palestiniens, rejoints par des activistes, dans le village de Beita en Cisjordanie vendredi. Photo Jaafar Ashtiyeh / AFP

Le samedi 11 octobre, au moment où cet article a été écrit, vers midi il y avait des rapports de harcèlement et d’attaques directes de colons et soldats — séparément ou ensemble — contre les récoltants d’olives des villages de Jawarish, Aqraba, Beita et Madama au sud de Naplouse ; de Burqa à l’est de Ramallah ; et de Deir Istiya dans la région de Salfit. Le jour précédent, des rapports similaires étaient parvenus de Yarza, à l’est de Tubas ; d’Immatin, Kafr Thulth et Far'ata dans la zone de Qalqilya ; de Jawarish, Qablan, Aqraba, Hawara, Yanun et Beita dans la zone de Naplouse ; et d’al-Mughayyir et Mazra’a al-Sharqiya à l’est de Ramallah. Ces rapports proviennent d’un seul groupe WhatsApp surveillant le nord de la Cisjordanie.
Le harcèlement va de l’intrusion-provocation, avec barrages routiers et menaces armées à des agressions physiques, au vol d’olives, à l’incendie de véhicules appartenant aux récoltants et aux journalistes. Et ce que les colons font sporadiquement, la politique officielle l’applique systématiquement : le refus du droit des Palestiniens à la liberté de mouvement entre Gaza et la Cisjordanie, et à l’intérieur de la Cisjordanie elle-même. Le refus du droit de choisir son lieu de résidence ou de travail a longtemps été dévastateur pour la société, l’économie et les structures politiques palestiniennes, et particulièrement pour l’avenir de sa jeunesse.
Pas moins que les valises de liquide qatari initiées par Benjamin Netanyahou transférées dans Gaza, la séparation de la population de la bande par rapport à celle de la Cisjordanie, et l’isolement de Gaza du reste du monde — tout cela a servi à renforcer le Hamas — d’abord comme organisation politique et militaire, puis comme pouvoir gouvernant.
Dans les années 1990, le Hamas affirmait qu’Israël n’avait aucune intention réelle de faire la paix et que les accords d’Oslo ne mèneraient pas à l’indépendance. Les restrictions israéliennes de mouvement à Gaza et son expansion continue des colonies à la fois à Gaza et en Cisjordanie rendaient cet argument convaincant pour de nombreux Palestiniens, en particulier à Gaza. Les attentats-suicides du Hamas étaient vus à la fois comme une réaction et un test : la réponse d’Israël récompenserait-elle les opposants à Oslo et les critiques de l’Autorité palestinienne ?
Et Israël les a récompensés — en ne respectant pas ses engagements. Les restrictions de mouvement et le vol bureaucratique de terres ont affaibli le Fatah et l’Autorité palestinienne, qui avait soutenu le processus diplomatique, mais au début des années 2000 s’était tourné vers la résistance armée.


Graffiti « Mort à l’ennemi, liberté à la patrie » dans la colonie d’Atara, près de Ramallah, en août. Ce que les colons font sporadiquement, la politique officielle l’applique systématiquement. Photo Nasser Nasser / AP

Contournant avec adresse le fait que la fragmentation palestinienne avait toujours été l’objectif d’Israël, le Hamas a présenté le désengagement israélien de 2005 et le démantèlement des colonies comme la preuve de son propre succès : que la lutte armée avait fonctionné. Chaque nouvelle promotion de lycéens — qui n’avait jamais quitté la bande scellée, n’avait jamais connu d’autre mode de vie, et ne trouvait pas de travail — devenait plus vulnérable à la vision du monde pesante du Hamas, à sa propagande, et trouvait de bonnes raisons de rejoindre sa branche armée (pour une solde qui soutenait des familles appauvries). Le Hamas a su canaliser l’énergie et la créativité confinées de Gaza dans sa machine militaire et politique.
L’Autorité palestinienne, le Fatah et leur appareil de sécurité sont restés impuissants face à la vague croissante de spoliation de terres en Cisjordanie et à la destruction économique directe et indirecte intégrée dans cette expropriation et séparation — une situation aggravée par les ordres successifs de ministres israéliens des Finances de retenir les recettes douanières palestiniennes.
Aux yeux du public palestinien en Cisjordanie, cette impuissance est indissociable de la corruption des élites civiles et militaires de l’Autorité, perçues comme opportunistes et indifférentes tant que leurs propres poches restent pleines. Il n’est pas surprenant, alors, que la résistance armée — associée principalement au Hamas — conserve son prestige parmi les jeunes de Cisjordanie. Pour eux, la résistance armée inflige au moins souffrance et humiliation à l’agresseur israélien.
Tous les signes suggèrent qu’Israël continuera à bloquer la liberté de mouvement des Palestiniens entre la Cisjordanie, Israël et Gaza, et à restreindre l’entrée des Palestiniens venant de l’étranger ainsi que des activistes internationaux dans la bande. En conséquence, ceux qui doivent le plus l’entendre ne pourront pas savoir ce que les résidents de Gaza pensent réellement de la résistance armée. Autrement dit, combien d’entre eux méprisent en réalité le Hamas. [et toi, Amira, tu le sais peut-être ?, NdT]


Des soldats gardent la construction d’une nouvelle route de colons en Cisjordanie, à l’ouest de Ramallah. La prétendue logique sécuritaire des restrictions de déplacement était enracinée dans des intérêts fonciers/immobiliers. Photo Zain Jaafar / AFP

Face aux politiques israéliennes d’étouffement, de mise à mort, de destruction et de dépossession en Cisjordanie, la plupart des Palestiniens qui ne sont pas résidents de la bande, avec beaucoup de leurs partisans internationaux, continueront à considérer le Hamas comme l’adresse politique authentique de l’aspiration à la liberté et à la résistance à l’oppression.
L’expérience montre qu’une fois le travail de déblaiement des munitions non explosées et de reconstruction de Gaza commencé, il deviendra clair que le processus est bien plus compliqué et coûteux qu’on ne l’imaginait initialement. Au-delà de la reconstruction physique, chacun des millions de résidents de Gaza aura besoin de guérison physique et psychologique et de réhabilitation matérielle , à une échelle et pour une durée sans précédent qui défient l’imagination.
L’approche juste, légitime et logique est de permettre aux Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël de participer pleinement à ce processus, en collaboration avec les professionnels dans la bande qui ont survécu : ingénieurs structurels, architectes, ouvriers du bâtiment, chirurgiens, ophtalmologues, agriculteurs, experts en TI, enseignants, psychologues, travailleurs sociaux et spécialistes des énergies renouvelables.
Il serait aussi logique de développer des programmes en Cisjordanie pour prendre soin des dizaines de milliers d’enfants de Gaza devenus orphelins ou blessés au point d’une incapacité permanente.
En bref, avant que le monde ne lance des appels d’offres internationaux pour la reconstruction de Gaza, ne rédige des cahiers des charges techniques, ou n’émette des déclarations creuses sur la reconnaissance d’un État et la disparition du Hamas, il doit d’abord user des outils politiques à sa disposition pour s’assurer qu’Israël mette fin à sa politique destructrice de séparation entre Gaza, la Cisjordanie, et le reste du territoire.
Si cela n’a pas lieu — même si le Hamas déposait les armes à l’intérieur de Gaza — il continuera, ou une version future de lui-même continuera, à servir d’adresse politique du peuple palestinien.