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26/02/2024

URI MISGAV
“La menace existentielle pour Israël vient de l’intérieur” : David Ivry, pilier de la défense israélienne depuis des décennies, déballe tout

Uri Misgav, Haaretz, 23/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le général de division ER David Elkana Ivry, né en 1934, a été vice-président de Boeing International et président de Boeing Israël de 2003 à 2021. Il a participé à toutes les guerres menées par Israël de 1956 à 1996. Ce vétéran du “sionisme à visage humain” s’est livré dans une série d’entretiens avant et après le 7 octobre. Encore un criminel de guerre qui mourra paisiblement dans son lit.-FG

David Ivry était dans la salle de guerre à presque tous les moments critiques de la défense israélienne. Aujourd’hui, dans sa 90e année, alors que le pays traverse peut-être la pire crise de son histoire, l’ancien commandant de l’armée de l’air, chef d’état-major adjoint de Tsahal et ambassadeur à Washington est prêt à en venir au fait

 

David Ivry : « La première chose qui aurait dû se produire [après le 7 octobre], c’est que le dirigeant déclare : “J’annule la réforme judiciaire - nous sommes tous dans le même bateau”. Ça n’a pas été le cas »

David Ivry est inquiet. « Nous entrons dans une guerre d’usure », déclare-t-il d’une voix calme, avant de soupirer. Nous sommes au début du mois de janvier, lorsque le nombre de victimes israéliennes était bien inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. « Je connais cette dynamique depuis le Liban, lorsque j’étais chef d’état-major adjoint des forces de défense israéliennes [1983-85]. Nous sommes dans un endroit que nous avons conquis, les gens s’habituent à la situation et nous passons progressivement du statut de conquérants à celui de cibles. Et cette fois, c’est plus grave qu’au Liban, à cause du
“métro” [labyrinthe de tunnels souterrains] et d’autres infrastructures souterraines [à Gaza]. La question est de savoir combien de temps nous pourrons tenir le coup, et comment y parvenir alors que le gouvernement refuse de parler de solutions politiques ».

Nous allons nous enfoncer dans le bourbier de Gaza ?

« Je vous dis que nous sommes déjà dans le bourbier de Gaza. Nous n’avons pas de solution claire sur ce qui va se passer, alors nous continuons à dire que nous serons là pour très longtemps. Et nous n’avons pas encore dit un mot sur ce qui se passe dans le nord ».[à  la frontière avec le Liban, NdT].

Partagez-vous le sentiment que nous nous trouvons à l’un des moments les plus difficiles de notre histoire ?

 « Oui. Le 7 octobre est une catastrophe épouvantable qui a changé la stratégie de toute la région. L’échec est immense. Il est impardonnable. Pendant Yom Kippour [la guerre de 1973], l’arrière n’a pratiquement pas été attaqué. Ici, des communautés ont été capturées, ce qui ne s’était pas vu depuis la guerre d’indépendance. À l’intérieur même du pays, nous avons aujourd’hui le plus grand nombre de réfugiés israéliens que j’aie jamais vu. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une menace existentielle. Pendant la guerre d’indépendance, nous avons été confrontés à une menace existentielle. Jusqu’à la guerre des six jours, nous avons vécu avec le sentiment d’une menace existentielle. Le Hamas et le Hezbollah ne constituent pas une menace existentielle. La menace existentielle est interne ».

Toute sa vie, Ivry a contribué à forger la puissance stratégique de l’État d’Israël. En plus d’avoir été chef d’état-major adjoint de Tsahal, l’ancien pilote est surtout connu pour avoir été commandant de l’armée de l’air israélienne, directeur général du ministère de la défense, fondateur et chef du Conseil de sécurité nationale, président d’Israel Aerospace Industries et ambassadeur d’Israël à Washington. En septembre dernier, il a fêté ses 89 ans. Il ne fête pas les anniversaires : sa mère est décédée alors qu’il était très jeune le jour de l’un de ses anniversaires, et son fils Gil, pilote de F-16, a été tué dans un accident d’entraînement le jour d’un autre anniversaire. La montre fêlée de Gil, retrouvée sur le site de l’accident, est exposée dans une armoire à souvenirs dans sa maison de Ramat Hasharon, à côté des médailles et autres récompenses qu’il a accumulées au cours de sa vie.

Le poids des années ne se fait pas sentir chez lui. Ivry est vigoureux, actif et analytique, et il a une mémoire phénoménale. Il est marié à Ofra – « Nous nous connaissons depuis l’âge de zéro an, nous faisions partie du même groupe pendant notre enfance. L’offre formelle de sortir ensemble est venue après que je l’ai invitée à la cérémonie au cours de laquelle nous avons obtenu nos ailes en tant que pilotes ». Au cours de l’année écoulée, nous avons eu une série de longues conversations portant sur la mission de sa vie par rapport à la défense et à la sécurité de l’État. Nos rencontres ont commencé dans l’ombre de la menace d’une refonte judiciaire qui s’est manifestée il y a un an et de la grave fracture qui en a résulté au sein de la nation et qui l’a empêché de dormir.

Avant le 7 octobre, nous étions assis ici et vous avez exprimé votre profonde inquiétude.

« J’étais très inquiet au sujet d’une guerre civile, et je crains qu’elle [cette menace] ne refasse surface. Une guerre civile est une menace existentielle. Lorsque le coup d’État a commencé, je suis devenu vraiment déprimé. Les gens parlent constamment d’unité en temps de guerre et de « ensemble, nous vaincrons », etc. La première chose qui aurait dû se produire [après le 7 octobre] était que le dirigeant déclare : « J’annule maintenant la réforme judiciaire - nous sommes tous dans le même bateau ». ça ne s’est pas produit. [Netanyahou n’a pas dit ça. C’est important. En fin de compte, les Arabes nous ont aidés au moins à arrêter la réforme. Sinon, je ne sais pas où nous en serions aujourd’hui. Mais le prix à payer est très élevé. Trop élevé ».

Des soldats des FDI évacuent un soldat blessé dans la bande de Gaza, le mois dernier. « Le passage du statut de conquérant à celui de cible ». Photo: AFP

La période de service d’Ivry en tant que commandant de l’armée de l’air israélienne, de 1977 à 1982, a été principalement marquée par l’un des plus grands succès de l’histoire de ce corps : la destruction, en 1981, du réacteur nucléaire irakien, situé au sud-est de Bagdad, à quelque 1 600 kilomètres d’Israël.

« Dès le premier jour de ma prise de fonction, une réunion a été organisée avec tous les responsables de la communauté du renseignement afin d’évaluer le réacteur qui était alors en construction », raconte Ivry. « La conclusion était qu’il s’agissait d’un réacteur ayant des missions militaires et qu’il représentait donc un danger. Les recommandations étaient de poursuivre l’activité diplomatique afin d’inciter la France [fournisseur du réacteur d’Osirak] à résilier son contrat avec les Irakiens, de perturber leurs progrès de diverses manières et, entre-temps, de préparer un plan d’attaque. À partir de ce moment-là, j’ai réfléchi à la manière d’augmenter la portée de la FAI [Force aérienne d’Israël] : lorsque les premiers commandants d’escadron de F-16 se sont rendus aux USA pour ramener les avions, je leur ai dit : “Dites-moi quelle est la plus longue portée que vous pouvez obtenir avec lui [un F-16] pour une attaque au sol”. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’insistais autant sur ce point ».

Pendant quelques années, vous et la FAI vous êtes préparés à mener l’opération.

« Nous ne sommes pas les premiers à avoir décidé qu’il était permis d’attaquer un réacteur nucléaire. Les Iraniens ont essayé de l’attaquer à deux reprises et ont tout gâché. Le problème, c’est qu’après chaque attaque iranienne, les Irakiens ont renforcé leur défense. Ils ont construit de hauts murs, ils ont envoyé des ballons avec des câbles en fer, de sorte que si vous voliez à basse altitude, vous les heurtiez ; ils ont apporté des SAM [missiles sol-air]. Il a été décidé d’attaquer avant qu’ils atteignent un certain seuil d’uranium enrichi ».

L’opération est planifiée pour le printemps 1981. « Des discussions quotidiennes ont eu lieu au sein de l’état-major des FDI », poursuit Ivry. « Au milieu des préparatifs et des discussions [en mai], le fils de Raful [chef d’état-major de Tsahal de l’époque, Rafael Eitan] a été tué dans un accident d’avion. Il pilotait un Kfir, est parti en vrille et s’est écrasé au sol. Lors des funérailles, “Eizer” [Ezer Weizman], qui n’était plus ministre de la défense, m’a attrapé et m’a dit : “Vous êtes tous fous, vous ne pouvez pas le faire [attaquer le réacteur]”. Je n’ai rien dit. »

18/09/2022

URI MISGAV
1982 : la folle tentative du Mossad de changer le visage du Liban
Les dessous du massacre de Sabra et Chatila : une version israélienne

Uri Misgav, Haaretz, 15/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala




L'agent du Mossad qui dormait avec un pistolet. Des repas délirants avec Ariel Sharon à Beyrouth. L'orchestre qui jouait “Hava Nagila” pour les espions. À la recherche d’une Rolex dans les ruines.

 Quarante ans après l'assassinat de Bachir Gemayel et les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, d'anciens responsables israéliens révèlent le château de cartes qu'Israël a construit au Liban et comment il s'est effondré.

 Sharon et Gemayel gauche, le secrétaire militaire de Sharon, Oded Shamir). Je ne serai pas votre "Armée du Liban Nord", dira Gemayel à Sharon, en colère. Photo : Collection Oded Shamir

Bachir Gemayel se réveille relativement tard le 14 septembre 1982. Il était resté debout jusqu'aux petites heures de la nuit pour rédiger et répéter son discours pour sa prestation de serment présidentielle, qui devait avoir lieu huit jours plus tard. Trois semaines plus tôt, il avait atteint - avec l'aide rapprochée d'Israël - un objectif qui avait été considéré jusqu’à récemment comme fantaisiste, en étant élu, à l'âge de 34 ans, président du Liban multinational et fragmenté.

Un programme chargé était prévu pour lui à Beyrouth ce jour-là, comprenant des entretiens téléphoniques avec les commandants de l'armée libanaise, une visite au couvent maronite où sa sœur bien-aimée, Arza, était nonne et, pour couronner le tout, un discours devant ses partisans au siège du parti Kataeb (Phalanges) dans le quartier d'Achrafieh.

Pendant sa course à la présidence, Gemayel avait pris l'habitude de se présenter à cette occasion politique tous les mardis à 15 heures et, après son élection, il avait décidé de poursuivre la tradition au moins une fois par mois. Naturellement, cela a permis à ses ennemis - à ce stade, avant tout les services de sécurité et de renseignement syriens - de le suivre plus facilement. En fait, après que Gemayel a été élu président, sa vigilance et sa sensibilité à l'égard de sa sécurité personnelle se sont relâchées. Il a commencé à laisser échapper ses gardes du corps de temps en temps et, ce matin-là, il s'est emporté contre un conseiller qui tentait de le mettre en garde à ce sujet. 

Jusque-là, il avait été prudent, et à juste titre. La culture politique au Liban était marquée par une folie meurtrière rampante, non seulement entre les différents groupes ethniques, mais aussi entre les familles et les factions d'un même groupe de population. La première fois que je suis venu à Beyrouth, raconte Avner Azoulay, nommé en 1981 chef du département en charge du Liban au sein de Tevel, la division des relations extérieures du Mossad, j'ai demandé à mon accompagnateur local : "Qu'est-ce qui est bon marché ici ?" Il m'a jeté un regard perçant et m'a répondu : "La vie humaine. C'est ce qui est le moins cher."

Tout au long de sa carrière politique, Gemayel a pris une part active à la violence et aux meurtres. Entre autres événements, dans le cadre des luttes sanglantes pour le contrôle de la communauté chrétienne, Antoine "Tony" Frangieh, le fils d'un ancien président libanais issu d'un hamoula (clan) concurrent, avait été assassiné sur ses ordres, ainsi que sa femme, son fils et d'autres membres de son entourage. Gemayel lui-même avait été la cible d'une tentative d'assassinat, à laquelle il n'avait échappé que parce qu'il avait eu le mal de mer sur un bateau lance-missiles où il tenait l'une de ses nombreuses réunions avec des responsables du gouvernement et des militaires israéliens. Comme il se sentait mal le lendemain matin, il n'a pas emmené sa fille Maya chez sa grand-mère comme prévu.

Ainsi, lorsque la bombe fixée à sa voiture a explosé, Gemayel n'a pas été blessé, mais Maya et le garde du corps personnel de son père, qui l'escortait, ont été tués. Après les funérailles, il a ordonné à ses aides furieux d'attendre le moment opportun pour se venger.

Azoulay, qui était en contact étroit avec Gemayel, l'a imploré après son élection, sur la directive de ses supérieurs, d'accepter l'aide d'une unité du service de sécurité du Shin Bet. "Il ne voulait pas en entendre parler", dit Azoulay. "Il m'a dit : 'Est-ce que cela vous semble raisonnable que le président élu d'un pays arabe se promène avec des gardes du corps israéliens ? Qu'est-ce que vous ne comprenez pas ? J'ai essayé de réfléchir à des idées alternatives. J'ai suggéré de choisir des gars aux cheveux blonds et aux yeux bleus et de dire qu'il s'agissait de techniciens venus d'Europe, pour que personne ne le sache. "En aucun cas", a-t-il dit. Cela n'aurait pas forcément aidé. Je crois que si nous lui avions adjoint des gardes du corps, ils auraient été assassinés en même temps que lui."

Le chef d'état-major Rafael Eitan avec Gemayel, de profil à gauche. Raful appelait le Libanais "mon frère". Crédit : Collection Avner Azoulay

Après le discours au siège du parti, Gemayel devait rencontrer les membres de la sous- commission des renseignements de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qui se trouvaient à Beyrouth pour se faire une idée de la situation. Le mois précédent, les forces de l'Organisation de libération de la Palestine, dirigée par Yasser Arafat, avaient quitté la ville en vertu d'un accord négocié par les USAméricains. Le soir, le président élu avait l'intention de dîner dans le luxueux restaurant Bustan, en compagnie de son ami Ehud Yaari, à l'époque analyste des affaires arabes à la télévision israélienne. Ce dîner n'a jamais eu lieu. 

09/08/2021

URI MISGAV
L'armée détrousse Israël

Uri Misgav, Haaretz, 4/8/2021
Traduit par Fausto Giudice


Uri Misgav אורי משגב (Heftziba, 1974) est un journaliste et réalisateur israélien de documentaires, écrivant sur Haaretz depuis 2012. @UriMisgav

Lorsque j'ai été enrôlé dans l'armée, Israël était en guerre contre les armées syrienne et jordanienne, maintenait d'importantes forces et des avant-postes dans le sud du Liban et assurait le maintien de l'ordre et la surveillance des colonies face à un environnement palestinien hostile en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. C'était juste quelques années après la première intifada, et elle pansait ses plaies après la guerre du Golfe, au cours de laquelle elle avait été attaquée par des missiles irakiens et avait consacré des ressources au théâtre iranien.

 

Le chef d'état-major des Forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Aviv Kochavi, prononce un discours au quartier général de l'armée, en juin. Photo : Moti Milrod

Au sein du Commandement Sud des Forces de défense israéliennes, où j'ai servi en tant qu'officier d’active et de réserve, des plans de guerre visant à reconquérir la péninsule du Sinaï étaient encore en cours d'élaboration au cas où - Dieu nous en préserve - la paix froide avec l'Égypte s'effondrerait. Lorsque j'ai été libéré de l'armée, le budget annuel de la défense était de 33 milliards de shekels (environ 10 milliards de dollars, 8,5 milliards d’€). Cette semaine, un budget de 58 milliards de shekels [15,2 milliards d’€] a été approuvé. Au cours des 25 années qui se sont écoulées, 25 milliards de shekels ont été ajoutés : une croissance d'un milliard de shekels [263 millions d’€] par an.