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12/01/2022

THE ECONOMIST
Une histoire d'horreur financée par l'UE : l'Europe paie une force qui malmène systématiquement les migrants africains


The Economist, 11/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les garde-côtes libyens ne brillent pas par leur professionnalisme [ah qu’en termes galants ces choses-là sont dites, NdT]

Le voyage du Geo Barents a été un long bras de fer tendu, ponctué de moments d'efforts frénétiques. Pendant des semaines, le navire, affrété par Médecins Sans Frontières (MSF), une organisation caritative médicale, a navigué dans les eaux internationales au large de la côte méditerranéenne de la Libye. Son équipage recherchait les bateaux remplis de migrants, tout comme les patrouilles des garde-côtes libyens, qui ont menacé les travailleurs humanitaires qui tentaient d'organiser des sauvetages. De temps en temps, la radio émettait des avertissements. « Vous devez vous éloigner de cette zone », disaient les garde-côtes. « Sinon, les immigrants vous verront et navigueront vers vous ».

Après un appel de détresse reçu le mardi 16 novembre 2021 après midi, 99 personnes ont été secourues par le Geo Barents, à environ 30 milles nautiques des rives libyennes, après 13 heures de dérive en mer. Dix autres personnes ont été retrouvées mortes.  © Virginie Nguyen Hoang/HUMA

Lorsqu'elles repéraient un bateau de migrants, les deux parties se précipitaient pour arriver les premières. Pendant quelques jours, les Libyens ont gagné la course. Soutenus par des drones et des avions pilotés qui tournent au-dessus d’eux, les garde-côtes ont attrapé quatre radeaux transportant des migrants. Mais après une semaine, l'équipe de MSF a pris en charge un bateau après l'autre. Bientôt, plus de 300 migrants occupaient chaque centimètre carré des ponts du navire : Sénégalais, Soudanais, Syriens - beaucoup avec des histoires d'horreur de leur séjour en Libye, qu'ils ont partagées avec le Outlaw Ocean Project, une organisation de journalisme à but non lucratif avec laquelle The Economist a collaboré pour cette histoire.

Depuis au moins 2017, l'Union européenne, avec 'Italie aux commandes, a formé et équipé les garde-côtes libyens pour qu'ils servent de force maritime par procuration. Les migrants qui atteignent l'Europe bénéficient de protections juridiques, de travailleurs humanitaires et de journalistes pour mettre en lumière leur détresse. En collaborant avec les Libyens, l'UE a en fait déplacé les contrôles de sa frontière sud à des centaines de kilomètres au sud de la frontière réelle, dans un endroit où ces subtilités ne s'appliquent pas.

Si l'objectif est simplement d'empêcher les migrants d'atteindre les côtes européennes, cet effort a été couronné de succès. Des dizaines de milliers sont interceptés chaque année par les Libyens. Le nombre de personnes atteignant l'Italie par la mer a diminué de 44 % entre 2017 et 2021, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), un organisme des Nations unies.

Mais pour les migrants eux-mêmes, la politique européenne a été un désastre. La traversée elle-même est devenue plus dangereuse. Une mesure de ce danger, qui compare les décès estimés aux tentatives de traversée, est passée d’un sur cinquante en 2015 à un sur vingt en 2019. Une autre mesure, qui utilise les arrivées en Europe au lieu des tentatives de traversée, a grimpé de quatre fois. Des dizaines de milliers de migrants qui ne peuvent pas atteindre l'Europe sont piégés dans des camps de détention sordides et surpeuplés en Libye, soumis à la torture, au travail forcé et à l'extorsion par leurs geôliers. L'UE elle-même admet qu'elle n'a que peu de contrôle sur ses partenaires - et pourtant, elle continue à verser de l'argent dans ce système.