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04/09/2023

ANDRIA KADES
Chypre : “La police n’a rien fait” quand des immigrés ont été attaqués lors d’un pogrom raciste à Limassol

Andria Kades, Cyprus Mail, 2/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Images honteuses des émeutes

La manifestation anti-immigrés qui s’est tenue à Limassol vendredi soir 2 septembre a révélé un extrémisme rampant qui n’a eu aucun scrupule à détruire tout ce qui bougeait, et une incapacité choquante de la police à maîtriser la situation.

La rue Anexartisias après le passage des pogromistes

Le quartier du Molos [la Jetée] s’est rapidement transformé en zone de guerre, avec des voitures et des motos incendiées, tandis que les manifestants lançaient des cocktails Molotov sans pitié, dans cette partie de la ville où le public s’était rendu pour se détendre au bord de la mer.

Un salon de coiffure appartenant à des Syriens, dont la vitrine a été brisée

Les gens ont commencé à fuir pour se mettre à l’abri, cherchant refuge dans un hôtel voisin, alors que les manifestants s’apprêtaient à y briser les vitres. Des enfants étaient là alors que des pétards étaient lancés au hasard, et le fait que personne ne soit mort au cours de ces violences relève du miracle.

Les voyous s’en prenaient à tous ceux qui n’avaient pas la bonne couleur de peau. Une femme asiatique qui a vu son commerce réduit en miettes s’est assise sur le trottoir, incapable de parler à cause de ses sanglots, réussissant seulement à dire d’une voix brisée: “J’ai quatre enfants”. Les manifestants, qui scandaient qu’ils voulaient que les migrants quittent le pays, ont cassé la caisse de son magasin et volé tout l’argent qu’elle voulait envoyer à sa famille restée au pays.

La manifestation a débuté à 20 heures avec quelque 200 émeutiers vêtus de noir qui criaient “Chypre est grecque” et “Nous commencerons par les Noirs, puis par la police”.

Les policiers n’ont pas réussi à contenir la manifestation, Le Molos est devenu un champ de tir, les manifestants se sont dirigés vers la rue Anexartisias, Glastonos et la vieille ville, laissant dans leur sillage une série d’incendies qui jonchaient les principales artères de la ville.

Moins de cinq minutes après le début de la marche, des cris ont été entendus pour signaler qu’un Syrien avait été repéré, qui était assis sans rien faire sur la plage de Molos avant qu’un groupe de voyous ne s’approche de lui en criant qu’il n’avait pas sa place à Chypre et en commençant à le frapper sans pitié.

Voiture en feu sur le parking du Molos

La police n’était nulle part.

Les émeutiers ont continué à crier “Jetez-le à la mer, jetez-le à la mer” et on a entendu un clapotis, mais on ne sait pas si un autre ressortissant étranger a plongé pour se sauver ou s’il a été jeté à l’eau par les extrémistes. C’était une scène de pandémonium avec des centaines de voix et des explosifs qui ricochaient en arrière-plan.

Une fois qu’ils l’ont abandonné, il s’est éloigné en boitant et s’est demandé à voix haute : “Qu’est-ce que je leur ai fait ?”

Les émeutiers n’ont avancé que parce que leurs amis les ont incités à ne pas se laisser distancer par le reste du cortège.

Au total, au moins cinq ressortissants étrangers ont été blessés. Un témoin oculaire a déclaré au Cyprus Mail qu’un migrant avait été vu avec du sang coulant sur son visage.

Les rues ont été bloquées par les poubelles incendiées et les débris de la casse dans les rues. On a entendu un officier de police marmonner, choqué : “Limassol a été brûlée ce soir”. Le verre d’un arrêt de bus défoncé recouvrait la chaussée, les gens se demandant si les transports publics allaient réapparaître, mais la police a fini par contrôler la circulation dans le quartier.

Les attaques ciblées contre les migrants n’ont pas été réprimées par la police, et des commerces appartenant à des ressortissants étrangers, tels qu’un salon de coiffure et un restaurant syriens, ont été réduits en miettes.

Les émeutiers scandaient  “Chypre est grecque”

Bien qu’il soit de notoriété publique que le front de mer abrite une multitude de commerces multiculturels, aucun policier n’était présent pour surveiller la zone et repousser les manifestants violents.

Un groupe d’hommes syriens qui ont vu leur magasin réduit en miettes ont regardé la scène avec stupeur et ont déclaré : “Il y avait cinq voitures de police ici et elles n’ont rien fait. Ils ont tout vu”. Leur regard ahuri trahit l’horreur qu’ils ont vécue en voyant les voyous entrer en trombe alors qu’ils essayaient de se mettre à l’abri.

Le fameux canon à eau de la police, l’Aiantas, restait là, inactif, et servait finalement d’accessoire décoratif. Certaines ruelles sentaient le gaz lacrymogène, signe d’échauffourées dans la zone. Mais en fin de compte, vendredi soir, ce sont les voyous qui ont contrôlé la zone, et non la police.

Paradoxalement, des dizaines de policiers et de membres des forces anti-émeutes étaient présents sur les lieux, mais au mauvais endroit. Malgré les assurances données au début de la journée qu’un plan d’action était en place, la police n’a pas suivi la marche et n’a pas empêché les manifestants de s’en prendre aux migrants. Elle n’a pas non plus veillé à la sécurité du grand public en ne vérifiant pas ce que les hommes cagoulés avaient sur eux.

Fumée couvrant le vieux port et la zone du Molos

La police n’a pas protégé les migrants connus pour leurs activités dans la zone, car les forces anti-émeutes n’étaient même pas sur place et le canon à eau était simplement garé à côté du trottoir.

Un haut responsable des forces de police de Limassol a été entendu à la radio criant : “Les manifestants se déplacent vers le vieux port et vers la marina, vous vous rendez compte de ce que ça signifie”. Il semblait choqué que la marche soit sortie des limites du Molos.

Les dîneurs ont abandonné leur repas à mi-parcours et se sont précipités à l’arrière des restaurants pour se mettre à l’abri, alors que l’odeur de fumée âcre se répandait dans le quartier et que les pétards éclatiaent parmi les piétons. De nombreux commerçants ont fermé boutique prématurément, terrifiés pour eux-mêmes, leur personnel et leurs biens.

La police n’a pas non plus protégé les journalistes qui ont été attaqués par la meute et un caméraman qui a été frappé et a vu son équipement s’écraser sur le sol.

Voir galerie photo

Les habitants de la ville, qui étaient sortis faire leur promenade nocturne et qui étaient horrifiés par les événements, ont exhorté les ressortissants étrangers qu’ils voyaient à fuir les lieux pour leur sécurité. Ils ont alors commencé à fuir pour se mettre à l’abri, tandis que les hooligans se mettaient à crier sur les policiers et que la scène sombrait dans le chaos.

Deux voitures et deux motos ont été incendiées, tandis que des cocktails Molotov ont été lancés en masse dans une zone où les gens cherchaient innocemment à se promener et à sortir dîner. Les enfants jouaient sur le terrain de jeu une minute, et les parents qui commençaient à prendre conscience des risques imminents les attrapaient pour s’enfuir quelques secondes plus tard.

De manière presque absurde, les chauffeurs-livreurs ont continué à travailler. Groupe à haut risque en raison de leur statut de ressortissants étrangers, ils essayaient de deviner et d’espérer un itinéraire sûr où ils pourraient faire leur travail sans être attaqués.

Bien que la police ait été informée au moins la veille de la manifestation prévue, et après une semaine d’incidents violents dans le village de Chlorakas, les policiers en poste à Limassol ont fait preuve d’une médiocrité choquante dans la gestion de la situation.

Environ deux heures après l’explosion de violence, des agents ont arrêté un jeune homme portant un short et un t-shirt noirs, lui demandant de montrer ses poches. C’est la seule fois de la nuit qu’un contrôle a été effectué.

Vers 23 heures, la police a commencé à inspecter les voitures circulant dans la rue Anexertasias, une décision discutable car les habitants savent qu’ils ne doivent pas emprunter la principale artère commerçante de la ville. Sept personnes ont finalement été arrêtées, mais c’était trop peu, trop tard.

NdT

La République de Chypre compte environ 200 000 étrangers, plus environ 21 000 demandeurs d’asile en 2022, dont 4 000 Syriens, pour une population totale d’1,260 million (15%). Le parti fasciste ELAM (Front National Populaire), dirigé par un ancien gros bras du parti grec Aube Dorée, a doublé son score électoral en 2021, obtenant 4 sièges de députés sur 56. Limassol a été surnommée Limassolgrad en raison du grand nombre de Russes qui y vivent. Un millier d’entre eux, dont 9 oligarques, ont obtenu entre 2013 et 2020 des “passeports dorés”, délivrés contre un investissement de 2,5 millions d’€ à 4 000 personnes. Ce système propice à la corruption (le président du Parlement a dû démissionner pour son implication dans une opération frauduleuse) a été annulé à la suite de pressions de l’Union européenne.

La Une du Quotidien des journalistes (efsyn) du 4 septembre : Nuits de cristal à Chypre

 

29/09/2022

OMER BENJAKOB
Alors qu'Israël reprend en main son industrie des cyberarmes, un ancien officier de renseignement construit un nouvel empire

Omer Benjakob, Haaretz, 20/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que les cyber-entreprises israéliennes comme le créateur du logiciel espion Pegasus NSO subissent un retour de bâton qui menace leur avenir, Intellexa – une entreprise détenue par un ancien officier du renseignement israélien – a ouvert une officine à Athènes, et ses affaires sont florissantes

Aéroport international de Larnaca à Chypre. Pendant plus d'un semestre en 2019, WiSpear, la filiale d'Intellexa, a illégalement extrait des informations personnelles de citoyens. Photo Kekyalyaynen/Shutterstock, traitée par Shani Daniel

 

ATHÈNES – Dans une banlieue paumée de la capitale grecque, dans un immeuble de bureaux tout aussi anonyme surplombant un centre commercial générique, vous trouverez une entreprise appelée Intellexa. Des sources qui ont été à l'intérieur disent que ses bureaux tentaculaires occupent cinq étages et comprennent des chambres à coucher, un centre de formation et même une zone avec des tapis de prière afin que ceux qui viennent de pays musulmans comme le Bangladesh pour recevoir une formation puissent prier, bien qu’il soit interdit aux entreprises israéliennes de faire des affaires avec le Bangladesh.

Lorsque les journalistes ont pour la première fois sonné à l'interphone devant la porte d'Intellexa il y a quelques mois, la personne de l'autre côté a répondu en hébreu. Quand votre serviteur était là cet été, personne n'a répondu.

Vers la fin du mois de juillet, l'entreprise, selon des sources en Grèce, avait donné pour instruction à son personnel de travailler de chez lui – y compris d'Israël – et avait délocalisé ses activités dans une autre partie de la capitale grecque.

Ce n'est pas la première fois qu'Intellexa est apparemment contraint de quitter ses bureaux. Il ne s'agit pas vraiment d'une seule entreprise – bien qu'une entreprise sous ce nom soit enregistrée en Irlande – mais plutôt d'un nom de marque pour un ensemble de différentes entreprises offrant des technologies et des services de cyberattaque, des logiciels espions aux renseignements extraits de sources ouvertes.


Tal Dilian, co-PDG d'Intellexa. Les liens de son entreprise avec le marché israélien sont un secret de Polichinelle. Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS



Ces entreprises sont dirigées -ou liées à lui - par Tal Dilian, autrefois chef du service de renseignement militaire israélien connu sous le nom d'Unité 81, qui est chargé du développement technologique. C'est un Israélien qui a également la citoyenneté maltaise [un “passeport doré” qui peut s’obtenir moyennant 650 000 €, NdT]. Cependant, les différentes entreprises dans lesquelles il est impliqué et qui forment ensemble Intellexa sont enregistrées dans de nombreux pays à travers le monde, formant un réseau d'entreprises complexe qui est presque impossible à démêler.

Ce que l'on sait, c'est qu'à partir de 2019, Dilian opérait depuis Chypre, où son parapluie de firmes Intellexa se surnommait l’ « alliance des étoiles » du cyber-renseignement et du monde numérique.

Les entreprises au sein de l'alliance comprennent WiSpear, une société de cybercattaque qui peut pirater des téléphones et géolocaliser des cibles via des systèmes Wi-Fi, et que Dilian a lui-même établie ; et Cytrox, une entreprise (créée par son prédécesseur dans l'unité d'informations secrètes) dont le produit phare est Predator – un logiciel espion similaire au désormais célèbre logiciel espion Pegasus fabriqué par le groupe NSO. Predator est considéré comme le plus grand concurrent de Pegasus après les logiciels espions produits par la firme israélienne Paragon.

Pubs pour certains services informatiques d'Intellexa.


Cependant, alors que les activités de NSO, Paragon et d'autres entreprises israéliennes de cyberguerre sont de plus en plus strictement réglementées par les autorités de défense israéliennes, des sources dans l'industrie affirment qu'Intellexa n'est pas sous surveillance israélienne. Ils affirment qu'en conséquence, l'entreprise peut fournir des services que les entreprises israéliennes ne peuvent pas fournir officiellement, par crainte que du savoir-faire ou de secrets de la défense ne fuient. Ces sources disent également qu’Intellexa peut aussi faire des affaires avec des États auxquels les Israéliens ne peuvent pas vendre, pour des raisons de sécurité ou de diplomatie.

Cette enquête menée conjointement par Haaretz-TheMarker et la publication grecque de journalisme d'investigation Inside Story révèle maintenant la société complexe de cyberarmes et de renseignement-à-louer dirigée par Dilian en Grèce depuis 2020.