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01/10/2023

GIDEON LEVY
Jafer remballait son étal au marché d’Hébron lorsqu’une policière israélienne lui a tiré dessus, lui fracassant le visage

Gideon Levy, Haaretz, 30/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le visage de Jafer Abou  Ramouz a été brisé lorsqu’une policière des frontières, sans raison apparente, lui a tiré à bout portant une balle métallique à pointe éponge. Ce marchand de vêtements se tenait alors près de son étalage. Il a fallu plus d’un mois à ses enfants pour s’habituer à son nouveau visage.

 

Jafer Abou  Ramouz chez lui avec son fils d’un an, deux mois après qu’une policière des frontières lui a tiré dessus à bout portant. Photo : Alex Levac

 

Trois photos. Sur l’une d’elles, un homme musclé et séduisant, vêtu d’un tee-shirt bleu et le sourire aux lèvres, porte son fils d’un an dans les bras. Sur la seconde, le visage du père est brisé, horriblement défiguré : Son nez est écrasé, ses yeux sont exorbités, la chair est à vif, tout est couvert de caillots de sang. Le visage évoque un homme mort. Cette photo a été prise il y a deux mois. Sur la troisième image, son visage se rétablit, mais il est encore tordu et marqué, il lui manque quelques dents et son nez est de travers. Cette photo a été prise cette semaine.

 

Voici ce qui se passe lorsqu’une policière des frontières, qui s’ennuie ou qui cherche de l’action, ou encore qui est vicieuse ou négligente dans l’exercice de ses fonctions, tire une balle en métal à bout éponge d’une distance illégalement proche de quelques mètres, directement sur le visage d’un vendeur de vêtements sur le marché animé d’Hébron, alors qu’il se tient innocemment à côté de son stand.

 

Les autorités d’occupation ferment le marché du quartier de Bab Al Zawiya, avec ses centaines d’étals, chaque fois que les colons de la ville célèbrent un jour saint juif et veulent se rendre sur la tombe du juge biblique Othniel Ben Kenaz, qui se trouve à côté du marché. C’est ce qui s’est passé le 27 juillet, jour de jeûne de Tisha B’Av [9ème jour du mois d’Av], lorsque les colons d’Hébron se sont rendus en masse sur la tombe.


Jafer Abou  Ramouz à l’hôpital, après avoir été blessé par balle.

 

Ce matin-là, Jafer Abou  Ramouz s’est rendu comme d’habitude au marché de Bab Al Zawiya pour ouvrir son stand, dont les revenus permettent à sa famille de vivre depuis six ans. Il est arrivé à 8 heures, comme d’habitude, a sorti la marchandise de son stand fermé à clé et l’a exposée, comme d’habitude. Rien ne laissait présager ce qui allait se passer quelques heures plus tard, le neuvième jour du mois hébraïque d’Av, désigné comme jour de jeûne en mémoire des tragédies qui ont frappé le peuple juif en ce jour.

 

Abou  Ramouz ne vend que des chemises pour hommes, à 20 shekels [=5 €] pièce ; les bons jours, il en vend 20. Le marché était calme, malgré sa proximité avec un complexe de la police des frontières et avec la colonie de Tel Rumeida. Le travail se déroule normalement. Aucun des centaines de marchands du marché ne se doutait que c’était Tisha B’Av, jour où tous les stands doivent être fermés et où les Palestiniens doivent se faire discrets, afin que les colons puissent observer leur commémoration sans entrave. Cette procédure se répète non seulement pour Tisha B’Av, mais aussi pour d’autres fêtes juives, selon le bon plaisir des colons.

 

La journée s’est déroulée comme toutes les autres jusqu’à ce que, peu après 16 heures, les forces de la police des frontières fassent irruption sur le marché et ordonnent aux marchands de fermer immédiatement leurs stands - c’était le jour sacré de Tisha B’Av. Les enfants qui travaillent sur le marché ou qui y traînent ont commencé à jeter des pierres sur les troupes israéliennes, ce qui fait également partie de la routine de l’occupation ici.

 

Comme les autres, Abou  Ramuz, 49 ans, qui a sept enfants et n’a jamais eu d’ennuis avec les autorités, a commencé à remballer ses marchandises et à fermer son stand. Il a vu quatre agents de la police des frontières poursuivre des enfants qui lançaient des pierres en montant et en descendant les escaliers qui mènent au marché, et leur tirer des gaz lacrymogènes. Des images tournées par l’un des marchands montrent les magasins et les stands en train de fermer et le marché en train de se vider. Sur la vidéo, quatre agents de la police des frontières, dont une femme, observent les événements sans rien faire, fusils au poing, bien sûr.


La police des frontières au marché d’Hébron, quelques minutes avant que Jafer Abou  Ramouz ne soit abattu d’une balle au visage.

 

Soudain, l’un d’entre eux ouvre le feu sur une cible inconnue sans raison apparente, un rire bref est entendu en arrière-plan et la vidéo s’arrête. Ce n’est pas ce tir qui a décidé du sort d’Abou Ramuz. Le coup de feu de la vidéo a été tiré quelques minutes avant celui qui l’a touché, mais on ne sait pas exactement pourquoi, ni si quelqu’un a été blessé par ce tir. Dans le clip, que nous avons fait écouter à Abou  Ramuz, celui-ci identifie les quatre soldats comme étant ceux qu’il a vus dans la rue avant d’être abattu, parmi lesquels se trouve la policière qui lui a tiré dessus, comme des témoins oculaires le lui ont dit par la suite.

 

Abou Ramouz et sa famille vivent au cœur de la ville très peuplée d’Hébron, dans le quartier d’Al Hares ; se rendre chez lui a pris beaucoup de temps cette semaine en raison de la circulation très dense - rien d’inhabituel dans le centre de la ville. Leur logement est petit et modeste, mais de bon goût - Jafer l’a construit lui-même et il a décoré les murs et les plafonds d’ornements.

 

Une photo encadrée de sa fille Jouri portant une robe de fin d’études - en l’occurrence pour marquer la fin du jardin d’enfants - est accrochée dans le salon. Jouri, six ans, qui est maintenant en première année, est rentrée à la maison pendant notre visite. Vêtue de son uniforme d’écolière, les cheveux tressés, elle a embrassé les joues des invités.

 

Pendant des années, Jafer a travaillé en Israël, distribuant des boissons non alcoolisées dans les magasins de Jérusalem-Ouest. Il n’a jamais eu d’ennuis.

 

Il a été abattu vers 16h30 - il ne se souvient pas de l’heure exacte. Il se tenait devant son étalage ; la rue était calme, dit-il, il n’y avait pas de jets de pierres. Soudain, il a senti un coup puissant au visage et a entendu un bruit d’explosion. Il a commencé à perdre connaissance et s’est assis par terre, tandis que du sang suintait de son visage. Il y a un an, il a eu une crise cardiaque et prend depuis des anticoagulants, ce qui a probablement aggravé l’hémorragie. Sa première pensée a été qu’on lui avait tiré dessus à balles réelles et que sa vie était sur le point de s’arrêter. Il affirme que les agents de la police des frontières se trouvaient à 4 ou 5 mètres de lui avant de lui tirer dessus.

 

Face à face entre colons et Palestiniens à Hébron, en novembre dernier. Photo : MUSSA ISSA QAWASMA/Reuters

 

Cette semaine, un porte-parole de la police israélienne a fait la déclaration suivante à Haaretz : "Sans faire référence à une affaire ou à une autre, nous noterons que les forces de sécurité étaient en train de protéger les fidèles sur la tombe d’Othniel Ben Kenaz dans les allées d’Hébron. Au cours de l’activité, un trouble de l’ordre a commencé, dans lequel des pierres, des bouteilles en verre, de la peinture et des pneus ont été lancés dans une tentative de pénétrer le cercle de sécurité. Face à la violence des troubles et au risque de blessures pour les forces de l’ordre, des moyens de dispersion de la foule ont été utilisés. Nous constatons que l’événement que vous décrivez n’est pas connu [de la police]".

 

L’événement n’est pas connu. Sans faire référence à une affaire ou à une autre. Enfin, la perturbation : la fermeture du marché pour la commémoration des colons constitue un ordre, la résistance naturelle à la fermeture est une perturbation de l’ordre.

 

Les personnes présentes sur le marché ont immédiatement embarqué Abou  Ramouz dans une voiture privée et l’ont emmené à l’hôpital Alia de la ville. La photo prise à ce moment-là montre ses vêtements ensanglantés et son visage bandé. Les témoins oculaires ont raconté qu’après la fusillade, les agents de la police des frontières ont poursuivi leurs activités normalement, comme si rien ne s’était passé. Ils sont passés de l’autre côté de la rue et ont continué à veiller à la fermeture du marché avant la grande commémoration. Quelqu’un a photographié l’étal d’Abou  Ramouz après qu’il a été transporté à l’hôpital - le sol devant l’étal est taché de sang.

 

Son fils Youssouf, âgé de deux ans, est maintenant blotti dans ses bras. Lorsque le personnel d’Alia a constaté la gravité de la blessure, il a appelé une ambulance pour l’emmener d’urgence à l’hôpital Ahli, plus avancé et mieux équipé. Il a été immédiatement emmené au bloc opératoire - une opération de quatre heures pour tenter de sauver son visage fracassé. Il a reçu six transfusions sanguines et a passé sept jours en soins intensifs, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment rétabli pour sortir de l’hôpital.

 


Jafer Abou  Ramouz avec son fils à Hébron, il y a un an.

 

Il est rentré chez lui le visage bandé. Ses deux filles aînées, âgées de 12 et 15 ans, devaient changer le pansement tous les jours et voyaient - avec effroi - le visage défiguré de leur père. Seuls ses deux fils aînés, âgés de 19 et 22 ans, lui ont rendu visite à l’hôpital ; les autres enfants ne l’ont vu qu’à son retour à la maison. Les petits ont tressailli de peur. Il leur a fallu plus d’un mois pour s’habituer à sa nouvelle apparence.

 

Le chemin vers la guérison complète est encore long. Lorsque les plaies auront cicatrisé et que la douleur se sera estompée, il subira d’autres opérations pour corriger son nez, ses dents et ses mâchoires. En attendant, il ne peut manger que des aliments liquides ou mous. Les douleurs restent vives, même deux mois après l’incident. Et deux mois après avoir été abattu, il n’est toujours pas retourné à son étal de marché - il se dit incapable de travailler - et la famille vit de petits prêts accordés par des personnes bienveillantes. Elle n’a aucun revenu. Dernièrement, il a commencé à s’inquiéter que ses yeux aient également été touchés par la balle, car les choses lui semblent de plus en plus sombres. Il n’a cependant pas les moyens de consulter un ophtalmologiste.

 

Jafer Abou  Ramouz semble un homme brisé, une personne dont le monde s’est effondré en un clin d’œil, bien qu’il n’ait rien fait de mal.

 

25/06/2021

GIDEON LEVY
Evyatar est le test du nouveau gouvernement israélien

Gideon Levy, Haaretz, 24/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Imaginez : Un Palestinien a été tué par balle par un soldat israélien. En réaction, les Palestiniens décident de se venger d'Israël. Ils construisent un avant-poste au cœur de la place Kikar Hamedina à Tel Aviv. Les forces de sécurité palestiniennes les aident et envoient des bulldozers militaires pour ouvrir la voie à la nouvelle colonie. Plus d'un million de shekels (258.000€) y sont investis, de l'argent provenant de dons anonymes, et en quelques semaines, Kikar Hamedina change de visage : un village palestinien y surgit.

                                                               L'avant-poste d'Evyatar

Les envahisseurs mentent et prétendent que Kikar Hamedina est une terre d'État. Israël prétend qu'il s'agit d'une terre privée. L'Autorité palestinienne affirme que le statut de la terre doit être « clarifié », qu'il s'agit peut-être d'un « terrain d'enquête » dont la propriété reste à déterminer. C'est ainsi que naît une nouvelle colonie nommée Tareq, en l'honneur de Tareq Sanober, qui a été tué par des soldats israéliens deux jours après la naissance de son premier fils.

Le village de Tareq restera sur la place pour toujours. Chaque jour, ils y construisent de nouvelles structures, 52 familles palestiniennes y vivent déjà, et il y a une mosquée et un centre communautaire. Les anciens résidents de Kikar Hamedina sont dévastés et choqués. Ils ouvrent les fenêtres de leurs appartements et sont stupéfaits de voir les envahisseurs qui se sont installés au milieu de la place, sur leurs terres privées, devant des yeux qui refusent de croire. Tous leurs efforts pour manifester ou se tourner vers les autorités et exiger de récupérer leurs terres sont restés vains. Le village de Tareq est un fait.

Je me souviens d'une interview de Daniella Weiss, leader des colons, deux ou trois jours après l'attaque de Tapuah Junction, au cours de laquelle Yehuda Guetta a été tué. Avec des yeux pétillants et des mots doux, comme d'habitude, Weiss a dit qu'elle construisait une nouvelle colonie. Lorsqu'il s'agit de vol de terres, les vieux voleurs ne meurent jamais, ni ne s'effacent : ils ne cesseront pas de voler.

15/06/2021

La colonisation d'un territoire occupé est un crime de guerre


 Peter Leuenberger, infosperber.ch, 14/6/2021

Peter Leuenberger est historien et membre de la Société Suisse-Palestine.

Les États se dérobent à leurs obligations en autorisant les marchandises en provenance des territoires occupés.

Une initiative citoyenne européenne demande l'interdiction du commerce de biens provenant des colonies illégales, mais la Commission européenne s'est déclarée incompétente. La Cour de justice européenne voit les choses différemment et a renvoyé la balle à la Commission. L'historien Peter Leuenberger remet les choses en ordre et fait le point sur la situation en Suisse.  NDLR

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L'initiative citoyenne veut mettre un terme au commerce des colonies construites illégalement dans les territoires occupés. Cette mesure affecterait particulièrement le commerce avec les colonies de la Cisjordanie palestinienne occupée par Israël et du plateau du Golan syrien, mais aussi les colonies illégales du Sahara occidental occupé par le Maroc, ainsi que d'autres territoires occupés militairement et exploités économiquement par la puissance occupante. Mais la Commission européenne a refusé d'enregistrer l'initiative en septembre 2019. La justification : elle n'était pas compétente, car une telle démarche équivaudrait à des sanctions. Elle ne pouvait être décidée que conjointement par tous les États membres au sein du Conseil européen. L'exécutif de Bruxelles n'a pas le pouvoir de le faire.

Sept citoyens européens ont fait appel de la décision de la Commission devant la Cour de justice de l'Union européenne. La Cour a maintenant jugé que la Commission n'avait pas fourni de raisons adéquates ou de base juridique suffisante pour refuser d'enregistrer l'initiative. La Commission peut maintenant faire appel de la décision de la Cour ou elle devra revoir sa décision et enregistrer l'initiative citoyenne.

Le parlement irlandais a déjà tenté de faire passer sa propre loi interdisant le commerce dans les colonies. Toutefois, la Commission européenne a confirmé à cette occasion qu'elle était seule responsable de la politique commerciale commune de l'UE.

Les colonies de peuplement violent le droit humanitaire international

Selon la quatrième convention de Genève (article 49), les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et sur le plateau du Golan syrien sont illégales au regard du droit international. Ce n'est que récemment que l'UE a réaffirmé sa position de longue date selon laquelle toutes les colonies dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international.