Gideon Levy, Haaretz, 25/6/2023
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Il n’y a pas beaucoup de populations dans le monde aussi démunies que les Palestiniens qui vivent dans leur propre pays. Personne ne protège leur vie et leurs biens, encore moins leur dignité, et personne n’a l’intention de le faire. Ils sont totalement abandonnés à leur sort, tout comme leurs biens. Leurs maisons et leurs voitures peuvent être brûlées, leurs champs incendiés. On peut leur tirer dessus sans pitié, tuer des vieillards et des bébés, sans aucune force de défense à leurs côtés. Pas de police, pas de militaires : personne. Si une telle force de défense désespérée est organisée, elle est immédiatement criminalisée par Israël. Ses combattants sont qualifiés de “terroristes”, leurs actions d’“attaques terroristes” et leur sort est scellé, la mort ou la prison étant les seules options possibles.
Voitures de Palestiniens incendiées par des colons israéliens dans la région d’Al Lubban Ash Sharqiya en Cisjordanie occupée la semaine dernière. Photo : AHMAD GHARABLI /AFP
Dans le chaos total créé par l’occupation, l’interdiction faite aux Palestiniens de se défendre est l’une des règles les plus folles : c’est une norme acceptée qui n’est même pas discutée. Pourquoi les Palestiniens ne sont-ils pas autorisés à se défendre ? Qui est censé le faire à leur place ? Pourquoi, lorsque l’on parle de “sécurité”, ne s’agit-il que de la sécurité d’Israël ? Les Palestiniens sont davantage victimes d’agressions, d’effusions de sang, de pogroms et de violences - et n’ont aucun outil de défense à leur disposition.
En trois jours, la semaine dernière, 35 pogroms ont été perpétrés par des colons. Depuis le début de l’année, environ 160 Palestiniens ont été tués par des soldats, la grande majorité d’entre eux inutilement et la plupart du temps de manière criminelle. Du bébé Mohammed Tamimi au vieillard Omar As’ad, des Palestiniens ont été tués sans raison.
Il n’y avait personne pour empêcher les soldats de tirer sans discernement, personne pour faire face aux tireurs d’élite. Aucune autorité israélienne n’a même envisagé de retenir les centaines de colons déchaînés. Par ses actions et ses omissions, l’armée israélienne s’est rendue complice des pogroms, tout comme la police. Les Palestiniens ont été abandonnés à leur sort.
Abandonnés, les résidents palestiniens ont assisté, impuissants, à l’incendie de leurs maisons, de leurs champs et de leurs voitures par les abominables colons, craignant même de respirer. Essayez d’imaginer des centaines de voyous répugnants à l’entrée de votre maison, brûlant et détruisant tout, et vous-même espérant qu’ils n’entrent pas dans votre maison et ne blessent pas vos enfants, et ne pouvant rien y faire jusqu’à ce qu’ils partent enfin. Il n’y a personne à qui s’adresser pour demander de l’aide. Il n’y a ni police, ni autorités, ni personne à qui demander de l’aide. Toute mesure prise pour se défendre serait considérée comme un acte de terrorisme. Essayez d’imaginer ça.
Lorsque les courageux combattants du camp de réfugiés de Jénine - bien plus courageux que les soldats des FDI bien protégés et plus légitimes qu’eux - tentent d’arrêter les invasions militaires du camp avec leurs armes moins puissantes, ils sont bien sûr considérés comme des terroristes et n’ont qu’un seul sort à subir. L’envahisseur est légitime, et celui qui défend sa vie et ses biens est un terroriste. Les critères et les règles morales sont incompréhensibles dans leur absurdité. Chaque meurtre commis par un soldat est considéré comme juste, y compris celui de Sedil, une réfugiée de 15 ans tuée sur la terrasse de sa maison la semaine dernière. Tout tir d’autodéfense contre un soldat envahisseur est considéré comme un acte terroriste brutal.
Dans une autre réalité, on pourrait au moins rêver d’une force juive israélienne se mobilisant pour défendre les Palestiniens sans défense. On pourrait rêver d’une gauche israélienne se mobilisant pour défendre sa victime, comme l’ont fait certains individus remarquables, dont des Juifs exemplaires, pour aider à défendre les Sud-Africains noirs sous l’apartheid, en se battant avec eux et en étant blessés et emprisonnés pendant de nombreuses années à leurs côtés.
Accompagner les élèves à l’école pour les protéger est noble, mais ce n’est pas suffisant. Il est facile de parler mais difficile d’agir. Cette idée n’a jamais fait son chemin pendant toutes les années d’occupation, à l’exception d’une ou deux tentatives immédiatement bloquées par Israël. Il est difficile de blâmer la gauche pour cela, mais il est impossible de ne pas ressentir une certaine amertume face à son inaction. Cette semaine, d’autres Palestiniens seront tués sans raison et leurs biens seront détruits. Les enfants mouilleront leur lit, craignant le moindre bruit dans la cour, sachant que leurs parents ne peuvent rien faire pour les protéger. Une fois de plus, les Palestiniens seront laissés sans défense.
L’envahisseur est légitime et celui qui défend sa vie et ses biens est un terroriste. Les critères moraux sont incompréhensibles dans leur absurdité.