Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

Affichage des articles dont le libellé est Diaspora palestinienne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Diaspora palestinienne. Afficher tous les articles

13/10/2024

RANDA ABDEL-FATTAH
“Je mise sur Gaza : elle est indestructible”
Échanges entre Palestiniens en diaspora après le 7 octobre 2023

Le 7 octobre a montré que nous Palestiniens et Arabes restons les héritiers légitimes de notre histoire Nous restons les premiers témoins de notre passé, de notre présent et de notre avenir.

Randa Abdel-Fattah, Mondoweiss, 12/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

La Dre Randa Abdel-Fattah est chercheuse au département de sociologie de l’université Macquarie, à Sydney, en Australie. Ses domaines de recherche sont la Palestine, l’islamophobie, les assignations raciales, la guerre contre le terrorisme, les identités juvéniles et les mouvements sociaux. Elle est également l’une des plus éminentes défenseuses de la Palestine en Australie, une ancienne avocate en contentieux et l’auteure de 12 livres publiés dans plus de 20 pays et traduits dans plus de 15 langues, qui ont reçu de nombreuses récompenses. Elle a été récompensée ou présélectionnée pour tous les principaux prix littéraires australiens. X.

Ce n’est pas la première fois que j’écris un texte d’anniversaire J’avais quelque chose à dire en mai 2023, en juin 2017, en mai 2018, en mai 2013, en mai 2008 et en mai 1998. J’avais quelque chose à dire cent ans après que Sykes et Picot eurent découpé nos patries avec leurs stylos rouges et bleus.  Je connais la marche à suivre. Commémorer un événement, marquer un point discret repose souvent sur certaines conventions narratives et certains procédés littéraires. Il s’agit notamment de faire la chronique de ce dont nous avons été témoins, de ce que sont les moments propices à la réflexion, du diagnostic et du remède ; une réflexion sur ce que je ressens à propos du passé, du présent et de l’avenir. Je respecte tout ce qui a trait à cet exercice.

 Une fissure dans l'eau suivie du retour, par Dima Srouji

Mais il ne s’agit pas ici d’un texte d’anniversaire.

Je ne peux pas écrire comme avant. Je ne peux pas rédiger un paragraphe de faits et de chiffres qui résument l’horreur apocalyptique dont nous avons été témoins au cours de l’année écoulée. Je veux résister à l’envie de faire le bilan de nos souffrances. Je ne peux pas mesurer la destruction et l’injustice alors que le génocide se poursuit et que le massacre industriel d’Israël s’est étendu au Liban, à la Syrie et au Yémen.

Depuis le 7 octobre, nous avons vu, en temps réel, diffusées en direct sur nos écrans, des scènes apocalyptiques de violence infligées méthodiquement à une population assiégée, sous le regard du monde entier, au service d’un projet politique qui n’a pas terminé son travail démographique, qui exige l’extermination des « brutes », l’élimination des autochtones, afin d’atteindre l’objectif d’une majorité juive et du contrôle de l’ensemble des terres volées, du fleuve à la mer et au-delà, jusqu’au sud du Liban et à la Syrie. Chaque jour a été une horrible chronique de génocide industrialisé, de domicide, de scolasticide, d’infanticide, de féminicide, de médicide et d’écocide. Je ne peux pas supporter de passer au crible mes tweets et mes messages sauvegardés - une bibliothèque d’une horreur insondable - et de décider quelle histoire d’horreur sera retenue alors que les bombes continuent de tomber et que les capitaux continuent d’affluer. Je ne peux pas supporter de passer au crible les infographies basées sur des faits, les discussions d’experts, les articles, les essais, les podcasts, les vidéos d’apprentissage, les interviews, les posts TikTok et les histoires instagram et de proposer un synopsis de ce paysage infernal. Comment résumer l’année écoulée ? Quelle atrocité se retrouve dans mon décompte de mots ?

Je ne peux pas non plus faire face à l’élaboration d’un arc narratif pour une année d’un génocide qui se poursuit à l’heure où j’écris ces lignes Comment pourrais-je ne serait-ce qu’esquisser des personnages et créer une intrigue à partir de Gaza ? Tous les protagonistes, tous les genres, tous les livres et films que vous avez lus ou regardés, tout ce que vous avez imaginé, se trouvent sur cette minuscule bande de terre. Gaza peut vous offrir un voyage de héros, une histoire pour enfants et jeunes adultes, une histoire d’horreur, dystopique, de science-fiction, une intrigue d’action, des drames politiques à foison, des tragi-comédies, des drames juridiques, des castings d’ensemble, une série dérivée au Liban

Et rien de tout cela n’a suffi à arrêter le massacre.

Au lieu de réfléchir à l’année écoulée, je me retrouve à penser à la responsabilité. Ce que cela implique pour nous lorsque le jour viendra et que nous assisterons à la chute d’un empire. Comment rendre compte de tous les crimes et garantir l’exercice de la justice ? Lorsque (et non pas si) Israël, le monde occidental et les régimes arabes s’effondreront et devront rendre des comptes à la population, ce sera l’heure des comptes où nous présenterons un registre de nos avertissements, de nos plaidoyers, de nos prévisions et de la chaîne de causalité

Si vous me demandez ce qu’est l’espoir, je vous dirai qu’il y a eu une lueur le 7 octobre Elle était palpable, réelle et exaltante Si vous me demandez ce qu’est la confusion, la peur et les attentes, elles étaient présentes dans les premières heures et les premiers jours Si vous me demandez ce qu’est un génocide, je vous dirai qu’il aurait pu être arrêté Si vous m’interrogez sur la liberté, la justice et la paix, je vous dirai qu’elles auraient pu être réalisées. C’est pour ces raisons que nous devons garder les pièces à conviction pour le moment de la reddition des comptes.

Pour cet essai, je propose non seulement mes mots, mais aussi certains des mots de mes amis et camarades de la diaspora dans la colonie australienne, dont les premières réactions au 7 octobre révèlent que nous Palestiniens et Arabes restons, et devons insister pour rester, les héritiers légitimes de notre histoire. Nous restons les premiers témoins de notre passé, de notre présent et de notre avenir Nous restons les propriétaires de notre récit. Nous avons prédit, nous avons analysé ; parfois nous avons surestimé, parfois nous avons sous-estimé. Je relis les messages que nous avons échangés au début du mois d’octobre et je pleure. Parce qu’à l’époque, alors que nous tapions des mots d’espoir, de peur et de confusion, nous ne savions pas que certains d’entre nous assisteraient à l’assassinat de membres de leur famille. Nous ne savions pas qu’un an plus tard, les maisons et les vies de certains de nos parents et amis seraient détruites Alors que certains d’entre nous écrivaient sur l’évacuation de leur famille et de leurs amis, nous ne savions pas qu’ils seraient contraints d’accomplir leur propre Nakba. Nous ne savions pas que nos victimes seraient un flux continu et mondial d’Israël déchiquetant, bombardant, décapitant et mutilant des enfants, des femmes, des hommes, des travailleurs de la santé, des journalistes, des étudiants, des enseignants et toutes les catégories d’êtres humains, uniquement parce que le Palestinien, l’Arabe, a été désigné comme non-humain.

Alors que nous étions inconsolables devant 1 000 enfants martyrs, nous ne pouvions imaginer que les gouvernements du monde entier autoriseraient le meurtre de 16 500, voire 100 000 enfants selon les calculs de Lancet.

Les messages ci-dessous sont tirés de discussions de groupe auxquelles j’ai participé. Des amis palestiniens, dont des militants, des universitaires, des artistes et des avocats. Les messages parlent d’eux-mêmes Et nous rappellent, un an après, que nos voix suffisent Si seulement le monde écoutait.

Choc, confusion, espoir

7 octobre 2023, 8h00 (Israël), 15h00 (Australie)

15 h 21 : « Je n’arrive pas à croire ce que je vois Une évasion massive de prison !

15 h 21 : « Les événements actuels sont décrits comme étant sans précédent depuis 1973, date à laquelle Israël a déclaré une “guerre”.

15:33 : « Je suis entre l’excitation totale et la crainte de l’effusion de sang On signale la capture de trois soldats vivants ou morts. Aljazeera essaie de confirmer.

15 h 37 : « Aljazeera confirme. Il semble qu’il y ait également un grand nombre de victimes.

15 h 41 : « Israël craint d’avoir perdu le contrôle du passage d’Eretz !

15 h 43 : J’ai l’impression que mon effroi nie la puissance de la résistance. Ils savent ce qu’ils affrontent et ce qu’ils risquent, et pourtant ils persistent. Néanmoins, j’éprouve toujours de l’effroi pour ce qui va suivre.

15 h 48 : « Des rapports font état de dizaines de victimes du côté israélien. Les détails sont flous.

15:48 pm : « Grande peur à Gaza de ce qui va arriver S’il vous plaît, pas de nouveau mai 2021 ou d’opération « Plomb durci ».

15 h 49 : « Israël a perdu le contrôle du point de passage d’Eretz avec Gaza !

15 h 50 : « Pas possible ! Ce n’est pas possible !

16 h 16 : « Gaza, nous ne l’avons pas vu venir. C’est incroyable !

16 h 22 : « Al Jazeera interviewe un commentateur israélien qui dit que cela va “renforcer la poigne de Netenyahou contre l’opposition”. Je pense que les voisins m’auraient entendu jurer contre la télé !

16:24 : « Cela n’a aucun sens.

16:28 pm : « Bien sûr, en anticipant une réponse d’Israël. Une population assoiffée de sang en Israël apprécierait maintenant le bombardement de Gaza, l’assassinat de dirigeants et la destruction qui s’ensuivra. Et ils iront sur la colline pour regarder !

4:29 pm : « Nous étions juste là et tout indiquait un accord de paix économique.

Personne à qui j’ai parlé n’en avait la moindre idée ... on avait l’impression que Gaza s’éloignait du reste de la Palestine.

16:30 : « Et maintenant, Gaza est de nouveau à l’ordre du jour.

16:30 : « Mais s’ils ont des otages ?

16:30 : « Ils seront heureux de faire des compromis avec eux. Ils l’ont fait pendant la dernière guerre.

16:31 : « C’est différent.

16 h 31 : « Peut-être.

16:33 : « Je mise sur Gaza. Elle est indestructible.

17h00 : « Est-ce mal de souhaiter qu’ils aillent jusqu’à Ramallah et qu’ils destituent Abbas ?

17 h 00 : « Mon père dirait qu’ils devraient alors libérer Barghouti et le placer au sommet.

17 h 33 : « Le Hamas fait état de 35 Israéliens capturés.

17:34 : « Soit Israël entre dans une guerre à grande échelle, soit, compte tenu du nombre de soldats et de colons kidnappés et de la pression interne, il s’abstient de mener une guerre et demande l’échange de prisonniers. Cette fois-ci serait différente des autres.

17 h 42 : « La reprise du point de passage d’Erez est une action tellement symbolique qu’elle donnera un coup de fouet au moral de tous les habitants de Gaza. Le point de passage est un symbole d’humiliation, d’emprisonnement et d’oppression

En outre, cela dissipera le mythe de la surveillance électronique, du repérage par satellite et du renseignement dont Israël se vante.

18:54 : « Des appels aux pogroms maintenant. Nous pourrions assister à des scènes similaires à celles de mai 2021.

20 h 51 : « Je n’arrive toujours pas à croire que c’est en train de se produire.

20 h 52 : « Moi non plus. Les images diffusées à la télévision sont sans précédent.

20:56 : « Alors, Israël va-t-il tenter de réoccuper la bande de Gaza ? La dernière fois, il y a eu 53 jours de guerre. Aucun objectif n’a été atteint.

21 h 05 : « Je vois des tweets où l’on compare ça au 11 septembre - ils utilisent toujours l’islamophobie mondiale pour s’attirer de la sympathie.

21:07 : « Nous devons nous préparer pour demain. Ils vont faire démarrer l’horloge le 7 octobre.

21 h 07 : « Oui, parce que le 6 octobre, c’était l’utopie pour les Palestiniens.

21:08 : « Nous devons trouver des citations de ministres israéliens qui, au fil des ans, ont expliqué qu’ils voulaient vivre par l’épée. Rien que cette année, il y a plus de 230 victimes, des enfants, des personnes âgées, des maisons détruites, des maisons occupées, etc. Rappeler aux gens le POURQUOI.

21:08 : « Je viens de regarder Netanyahou. Il se la joue Président Snow donnant des téléconférences dans La Révolte.

21 h 10 : « Ils parlent d’une force sans précédent, mais je ne peux pas imaginer que ce soit pire que tout ce qu’ils ont fait... C’est très effrayant.

22:29 : « Le bilan de l’assaut israélien sur Gaza s’élève à 161 Palestiniens tués. Au moins 1000 blessés selon des sources locales.

23 h 05 : « Ya rab facilite-leur la tâche.

1 h 28 : « Je crois que j’ai compris pourquoi le Hamas fait ça maintenant. Le discours de Haniyeh s’adresse clairement au monde arabe et musulman. Il redonne espoir dans la résistance palestinienne et ravive l’imagination des normalisateurs défaitistes. Il s’agit d’une démonstration de force qui espère remettre la Palestine au centre après qu’elle a été mise de côté.

Évacuer ou rester

13 octobre 2023

14:29 : « Les habitants de Gaza nous demandent de leur confirmer s’ils doivent partir. Ils ont perdu l’internet et la communication et ne savent pas quoi faire.

14 h 45 : « Ma famille refuse de partir. Ils disent que cette fois-ci, c’est différent. Gaza a montré qu’Israël n’est pas invincible Ils pensent que cette fois-ci, les Arabes et les dirigeants musulmans seront à la hauteur.

15:29 : « Ordre d’évacuation : quelqu’un peut-il vérifier les sources de cette information ? Il pourrait s’agir d’un bobard israélien faisant partie de la guerre psychologique.

15:39 : « Nos familles, en fait nos voisins aussi, se dirigent tous vers le sud. L’expulsion est en cours. On craint beaucoup le manque d’eau dans les jours à venir.

15 h 31 : « Je m’organise avec ma famille pour savoir comment partir.

15 h 31 : « Les miens refusent. Ils disent qu’ils vivront et mourront à Gaza. Mon cœur se brise.

15 h 35 : « L’ONU déclare qu’Israël demande l’expulsion de 1,1 million de personnes du nord au sud de Gaza. Ce n’est pas seulement un génocide, c’est un redécoupage géographique.

15:40 : « Oui - mes oncles sont au milieu de la bande de Gaza - 1,1 million de personnes vont déménager au milieu et au sud de la bande de Gaza - c’est de la folie, je ne peux pas l’imaginer.

16 h 48 : « Je suis tellement en colère. La folie de ce monde.

16 h 49 : « Où allez-vous trouver de l’eau, de la nourriture, un abri pour 1,1 million de réfugiés en 24 heures ?

16 h 52 : « Que pouvons-nous faire ? Il faut faire quelque chose !

16:56 : « Est-ce qu’ils nous placent dans une zone géographique plus restreinte pour nous éliminer avec moins d’armes ?

17 h 02 : « Il est incompréhensible que la deuxième Nakba se produise et que nous essayions de convaincre le monde que nous ne sommes pas des tueurs de bébés.

17:10 : « Le mode opératoire sioniste consiste à détourner l’attention et à nier l’existence du problème ».

Avertissement relatif au contenu

14 octobre 2023

8h19 : « Un message de Perth homeschooling [Éducation à la maison]]  avertissant les parents de supprimer les applications de médias sociaux de leurs téléphones alors que les terroristes du Hamas devraient publier des vidéos angoissantes d’otages israéliens suppliant pour leur vie. Comme l’a fait remarquer un psychologue, « les vidéos et les témoignages auxquels nous sommes actuellement exposés sont plus grands et plus cruels que ce que nos âmes peuvent contenir ». Il est conseillé aux parents australiens de surveiller de près l’utilisation des médias sociaux par leurs enfants et d’être conscients qu’ils peuvent tomber sur des contenus incroyablement pénibles. Posté sur le site féministe Mamamia, destiné aux femmes blanches. Évidemment.

8 h 25 : « Il est difficile de comprendre comment ils s’en sortent avec ces atrocités.

8 h 27 : « Parce que les atrocités commises sur les corps des Palestiniens ne nécessitent pas d’avertissement sur le contenu.

Liberté académique

14 octobre 2023

10 h 02 : « Je pense que les choses vont très mal se passer dans les universités.

10 h 02 : « La liberté académique va être le champ de bataille de l’ IHRA.

10 h 03 : « Notre existence sur le campus en tant que Palestiniens sera littéralement considérée comme un déclencheur.

10 h 05 : « Les gens ont droit à une sécurité réelle. Pas à un sentiment constant de sécurité. Je trouve que beaucoup de gens n’arrivent pas à faire la distinction entre les deux.

Droit international et courage

15 octobre 2023

12 h 40 : « J’ai réfléchi à ce qui pouvait être fait sur le plan juridique La meilleure chose à laquelle j’ai pu penser est une demande de mesures provisoires d’un État tiers ou d’un État ami auprès de la CIJ. Mais la question est de savoir quel État aurait le courage de le faire.

Le génocide en direct

15 octobre, 202

11:09 pm : « Je viens de voir des vidéos de bébés décapités à Gaza par Israël. Je vais vomir. C’est tellement horrible.

23 h 13 : « Je suis déchirée et je pense que les gens doivent voir et affronter ces horreurs, je veux témoigner et les habitants de Gaza nous demandent de témoigner C’est peut-être la seule chose qui les sauvera.

11:13 : « C’est un énorme avertissement sur le contenu ».

23 h 14 : « Cela ne fait aucune différence Je ne sais même pas pourquoi nous partageons ce genre de choses. Tout ce que cela fait, c’est contribuer à notre déshumanisation et à l’aggravation de nos traumatismes.

23h15 : « Je comprends. Mais c’est une preuve, en temps réel. Cela change la donne. Le Liban de 1982, Reagan et Israël ne peut pas maintenir sa hasbara. Les gouvernements ne pourront pas nier ce que nous voyons tous sur nos écrans Notre déshumanisation, oui, mais elle pourrait enfin inciter le monde à agir.

Pouvez-vous nous mettre en contact avec des habitants de Gaza ?

16 octobre 2023

16:55 : « Je crains que l’histoire ne sorte du cycle de l’information. Cela s’est passé en 2014. Vous remarquerez déjà que les demandes d’articles vont diminuer.

16:55 : « Ils veulent entrer en contact avec les habitants de Gaza. Que dois-je leur dire ? Entre deux tentatives pour trouver un abri, de la nourriture et de l’eau, pouvez-vous parler à ce journaliste de vos souffrances pour qu’il puisse modifier vos propos et les intégrer dans son histoire à double sens ?

16 h 59 : « Nos familles ne veulent pas parler aux médias, car elles ont peur qu’Israël bombarde les maisons dans lesquelles elles se trouvent.

17:05 : « L’ABC [télévision publique australienne] aurait dû se battre pour avoir ses journalistes sur le terrain plutôt que d’accepter les ordres israéliens d’oublier Gaza depuis des décennies. J’en ai assez de devoir passer la moitié de mes journées à mettre en relation des médias paresseux avec des personnes sur le terrain pour qu’elles correspondent à l’angle d’attaque qu’elles doivent colporter pour obtenir des clics et des vues. J’en ai assez, mais je ne vois vraiment pas d’autre solution.

17 h 10 : « Nous devons continuer à raconter l’histoire Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains.

1000 enfants

16 octobre 2023

20 h 06 : « 1000 enfants sont morts, mec. Je n’arrive vraiment pas à le supporter.

Ça se propage

18 octobre 2023

5h00 : « Mon Dieu Ça se propage.

10 h 46 : « Je pense que la Cisjordanie va bientôt s’enflammer J’ai parlé à ma famille à Jénine.

16 h 22 : « J’ai parlé à mon père et j’entendais des tirs d’obus en arrière-plan. Il m’a dit que depuis six heures, ils tirent des obus sur le Liban toutes les deux heures. Ils ont commencé à 2h15 du matin et toute notre maison tremble à cause de leur proximité car, comme en 2006, ils ont placé toutes leurs unités d’artillerie près des villages arabes.

Nos cœurs n’en peuvent plus

19 octobre 202

8h53 : « On estime que 600 enfants sont encore sous les décombres, nos nerfs sont fatigués, nos cœurs n’en peuvent plus, des appels pour savoir s’ils sont vivants, des appels pour savoir où ils sont, je pensais que ma famille avait été anéantie hier, cette merde est réelle, ce n’est pas un jeu politique.

8h54 : « 600 Ya Allah.

9h02 : « Nous triompherons et nous nous retrouverons dans notre Palestine libre. Nous reconstruirons et nous nous rendrons visite là-bas. Nous prendrons le train de Haïfa à Beyrouth. Laissez votre rage vous aider à imaginer.

9 h 02 : « Nous ne pouvons pas désespérer. Les peuples du monde sont avec nous L’élite dirigeante ne l’est pas. La question angoissante est de savoir combien de temps nous devrons attendre et à quel prix.

 

 

01/09/2024

HANNA ALSHAYKH
Notre Yalu, notre histoire: un jour, les exilés reviendront dans le village qu’Israël a détruit


Ma famille comprend quatre générations de Palestiniens vivant en exil, aspirant à la justice et à un retour légitime.

Hanna Alshaikh, Middle East Eye, 13/8/2021
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Vers 23 heures, on a frappé à la porte de la maison de mon grand-père à Amman, alors que je préparais mes bagages en vue d’un vol de retour pour Chicago le lendemain.

Un voisin et membre de l’association communautaire de Yalu était venu apporter un livre. Ayant appris que mon grand-père, connu dans tout le village palestinien sous le nom d’Abou Hussein, avait une petite-fille en visite des USA qui souhaitait en savoir plus sur le passé de Yalu, il a insisté pour que je reçoive un exemplaire de ce livre avant mon départ.

J’ai été émue par la générosité de cet homme et par ce texte, qui revêt une grande importance sentimentale et politique pour ma famille et pour les originaires de Yalu. Il s’agit du livre de Rabhi Mustafa Alyan, kay la nunsi yalu: alqaryat alfilastiniat almudamaratta كي لا ننسي يالو: القرية الفلسطينية المدمرة (« Pour que nous n’oubliions pas : Yalu, le village palestinien détruit »).


Aujourd’hui, plus de cinq décennies plus tard, au cours d’une conversation sur la destruction des villages palestiniens et les pertes humaines, mon grand-père sourit encore lorsqu’il évoque la beauté de Yalu.


 En 1967, Israël a procédé à un nettoyage ethnique de notre village, Yalu. Ses habitants faisaient partie des quelque 300 000 Palestiniens qui ont été transformés en réfugiés par Israël lors de la guerre de 1967, connue sous le nom de Naksa ou « revers » pour les Arabes et les Palestiniens. Mais contrairement à de nombreuses autres terres palestiniennes colonisées, Israël n’a jamais remplacé les habitants de Yalu par des colons. Pour se venger de la résistance locale lors de la guerre de 1948, Israël a décidé de laisser les terres vides, illustrant ainsi la logique raciste du sionisme qui considère la vie des Palestiniens comme une menace.

En 1975, le Fonds national juif canadien a transformé Yalu et deux villages voisins en Parc du Canada, qu’Israël cite aujourd’hui comme un exemple de son engagement en faveur de l’environnement. Mais pour les Palestiniens qui ont été violemment chassés de leurs maisons, aujourd’hui enfouies sous ce parc, celui-ci est le symbole de la destruction des arbres, des cultures, des maisons et des vies palestiniennes.

Notre histoire réfute les mythes perpétués par Israël pour justifier ses crimes de guerre, passés et présents. Elle souligne également la résilience et la détermination des Palestiniens exilés à reprendre possession de leurs terres et de leur destin politique.

Un paysage parsemé de joyaux

Yalu et les villages voisins d’Imwas [Emmaüs] et de Bayt Nuba étaient autrefois connus sous le nom de villages de Latroun, situés entre la Cisjordanie et la Ligne verte, qui délimitait ce qui est devenu Israël après la Nakba de 1948. Les villages de Latroun étaient situés près d’une route stratégique qui reliait Jérusalem à la côte palestinienne.

La vie à Yalu avant sa destruction en 1967 était digne, mais non sans difficultés. Ma famille de paysans était propriétaire des terres sur lesquelles elle vivait et dont elle tirait sa subsistance, se rendant parfois dans les grandes villes palestiniennes pour y vendre ses excédents de production. Mon arrière-grand-père possédait un acre et demi [0,6 hectare] de terre sur laquelle notre famille plantait le blé, l’orge et le maïs qui lui assuraient une subsistance de base.

Comme dans de nombreux autres villages palestiniens, le paysage de Yalu était parsemé d’arbres fruitiers. Les anciens de la famille se souviennent de la douceur des figues, des abricots, des pommes, des raisins et des pêches cultivés chez eux, ainsi que de l’abondance des oliviers. Aujourd’hui, plus de cinq décennies plus tard, au milieu d’une conversation sur la destruction des villages palestiniens et les pertes humaines, mon grand-père sourit encore lorsqu’il évoque la beauté de Yalu.

Lorsqu’il était temps de presser les olives pour obtenir de l’huile, ils se rendaient avec leurs olives fraîchement cueillies à Beit Ur al-Tahta, un village près de Ramallah, pour utiliser son pressoir. En 1967, les habitants de Yalu n’ont pas pu faire ce voyage. En juin, les soldats israéliens les ont forcés à marcher vers la Cisjordanie et la Jordanie avec rien d’autre que les vêtements qu’ils portaient sur le dos, pour y vivre en tant que réfugiés.

Résistance de masse

« Ils étaient enchaînés », c’est ainsi que mon grand-père décrit l’état des Palestiniens deux décennies avant la destruction de notre village. Les autorités coloniales britanniques ont désarmé les Palestiniens en réponse au soulèvement arabe de 1936-1939, un moment de résistance massive à la collusion entre l’impérialisme britannique et le colonialisme sioniste. Mon grand-père se souvient que la police britannique imposait une peine automatique de six mois à toute personne trouvée en possession d’un simple couteau à cran d’arrêt.


Photo non datée du village de Yalu avant sa destruction par Israël. Le village est situé entre la Cisjordanie occupée et la Ligne verte (Palestineremembered.com).

Orphelin de 18 ans à l’époque, mon grand-père se souvient que l’ambiance à Yalu avant la Nakba de 1948 était « misérable ». Les milices sionistes qui allaient former le noyau de l’armée israélienne ont tenté de s’emparer de Yalu et des villages voisins, mais les habitants ont infligé aux forces sionistes bien armées une rare défaite.

Les paysans de la région de Latroun ont risqué leur vie pour obtenir des armes afin de défendre leurs terres. Ceux qui possédaient des terres en ont vendu une partie pour s’armer ; certaines femmes ont offert l’or de leur dot et l’ont vendu pour aider à armer la résistance locale. Ces forces de Latroun ont participé à la bataille de Bab al-Wad, et la défaite qui s’en est suivie a incité Yitzhak Rabin, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, à prendre sa revanche en 1967.

La résistance de Yalu a hanté Rabin et Moshe Dayan, alors ministre israélien de la défense. Rabin et Dayan ont donné l’ordre d’expulser les habitants, montrant ainsi qu’en dépit des affirmations israéliennes ultérieures, le nettoyage ethnique de Yalu et des localités voisines était en fait prémédité. Israël a commis des crimes de guerre en s’emparant des terres et en expulsant les habitants.

Les habitants des villages ont été rassemblés dans un champ à l’extérieur de Yalu ; trois d’entre eux sont morts au cours de la marche. Les survivants se souviennent des cris des enfants, de la faim et de la soif extrêmes qu’ils ont endurées. Selon Alyan, qui est l’auteur du livre que notre voisin m’a remis, les trois hommes se sont effondrés de faim avant que les soldats israéliens ne les abattent.

Alyan a également indiqué que six personnes ont été tuées sous les décombres de leurs maisons, dont un bébé d’un an. Les anciens de notre famille se souviennent avec horreur de l’histoire d’un vieil homme aveugle à Yalu, qui a été écrasé sous les décombres de sa maison parce qu’il n’a pas pu s’enfuir à temps. Les forces israéliennes ont utilisé des explosifs et des bulldozers pour raser le village, détruisant plus de 500 maisons et bâtiments.

Rasé de fond en comble

La souffrance ne s’est pas arrêtée là. Les soldats israéliens ont tué cinq personnes âgées de 17 à 60 ans qui tentaient de retourner à Yalu. Une semaine après leur expulsion initiale, un commandant israélien a ordonné aux réfugiés de Latroun de rentrer chez eux ; à leur arrivée, des soldats israéliens leur ont dit que la région était une zone militaire fermée et qu’ils n’avaient pas le droit d’y entrer. Cinq d’entre eux ont refusé ces ordres et ont été massacrés sur place, leurs corps étant cachés à leurs familles, selon Alyan. Les autres ont regardé de loin les bulldozers israéliens raser leurs maisons et leurs arbres.


En 2009, des militants pacifistes israéliens se souviennent des crimes de guerre commis par Israël à Yalu. Photo Ayman Nimer/Palestineremembered.com

Après cette attaque dévastatrice, les autorités militaires israéliennes ont changé de cap, indiquant aux habitants des villages de Latroun qu’ils ne devaient pas rentrer chez eux, mais plutôt se rendre à Amman. Des membres de ma famille élargie et d’autres habitants de Yalu ont marché vers la Jordanie, en traversant le pont Allenby, détruit par les bombes.

Ces membres de la famille ont été portés disparus pendant des semaines, voire des mois. Mon grand-père allait de camp de réfugiés en camp de réfugiés en Jordanie, cherchant chaque soir la famille de son frère.

À l’âge de six ans, mon père a été exilé de son pays d’origine. Un souvenir marquant de son enfance a été de partir avec son père à la recherche de sa tante et de ses cousins disparus. Ils ont fini par être retrouvés, mais d’autres n’ont pas eu cette chance.

Le droit au retour est un droit sacré pour les habitants des trois villages de Latroun, dont ma famille, qui vit toujours dans des camps de réfugiés et en exil, loin de ses terres et de ses biens. Pour nous, réaliser ce droit signifie lutter contre le sionisme et contre les dirigeants palestiniens qui ont trahi nos droits.

En 1993, ma famille a regardé avec horreur et dégoût Yasser Arafat serrer la main, sur la pelouse de la Maison Blanche, de l’homme qui avait ordonné la destruction de notre village. Aujourd’hui, alors que l’Autorité palestinienne tue et torture les Palestiniens, elle représente un régime de collaboration qui a sapé notre droit au retour, détourné nos institutions nationales et travaillé sans relâche pour protéger les intérêts israéliens en échange d’une poignée de dollars et d’un pouvoir illusoire.

Enraciné dans la mémoire

À chaque grain de terre dans Yalu.
À chaque arbre qui se tient encore debout, défiant le temps
Et au mépris de l’occupation
Et qui attend le retour de son peuple sur sa terre

Dans les terres occupées d’abord
Et dans toutes les parties du monde ensuite
À tous les enfants de Yalu.
Qui sont nés et ont grandi en exil
J’offre ce livre,
Pour que Yalu reste
ancré dans les mémoires
Jusqu’au jour du retour
Et si Dieu le veut, ce sera bientôt.

C’est par ces mots qu’Alyan ouvre l’histoire de son village. Cette dédicace illustre le caractère intergénérationnel de la lutte palestinienne et la responsabilité de chaque génération de transmettre à la suivante cet engagement envers la terre.

Mon grand-père avait six ans lorsque le soulèvement arabe de 1936-1939 a commencé. Mon père avait six ans lorsque Yalu a fait l’objet d’un nettoyage ethnique, ce qui a fait de lui un exilé. J’avais sept ans lorsque la deuxième Intifada a éclaté. Pour de nombreux Palestiniens exilés de ma tranche d’âge, cet événement a été déterminant pour notre conscience politique.

Jeune enfant, j’ai manifesté à Chicago contre les meurtres de Palestiniens par Israël et l’attaque de la mosquée al-Aqsa. En mai dernier, de jeunes enfants de ma famille ont manifesté pour condamner le bombardement massif de Gaza par Israël, l’attaque de la mosquée Al-Aqsa et la tentative de nettoyage ethnique de Sheikh Jarrah et Silwan.

Nous sommes quatre générations vivant en exil, aspirant à la justice et à notre retour légitime à Yalu. Nous portons une immense douleur, tout comme les 300 000 autres réfugiés de 1967, les millions de réfugiés de la Nakba et les dizaines de personnes à Silwan et Sheikh Jarrah qui luttent aujourd’hui contre l’effacement colonial.

Leur résistance aujourd’hui met en lumière le refus des Palestiniens d’abandonner leur lutte de libération. J’ai été élevé dans la connaissance et l’amour de cette terre comme si j’avais moi-même vécu à Yalu. Nous avons l’intention d’y retourner ensemble. Nos aînés ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour nous épargner la douleur de la dépossession, et nous rendons hommage à leur sacrifice en œuvrant pour mettre fin à la Nakba.

Hanna Alshaikh (1993) est née à Chicago dans une famille originaire du village palestinien de Yalu, près de Latroun, nettoyé ethniquement partiellement en 1948 et entièrement en 1967, les sionistes le rasant entièrement. Elle est chercheuse en histoire intellectuelle arabe et palestinienne dans le cadre du programme de doctorat conjoint d’histoire et d’études du Moyen-Orient de l’Université de Harvard (Cambridge, USA). Ses recherches portent sur le rôle de la diaspora palestinienne dans le discours politique du monde arabe, et plus particulièrement sur les Palestiniens des USA et leur participation transnationale à la formation du mouvement national palestinien. Son travail se situe à l’intersection de l’histoire intellectuelle arabe et palestinienne, de l’histoire des activistes, des études sur la diaspora, des études arabo-usaméricaines et de l’histoire des mouvements sociaux usaméricains. Hanna est titulaire d’une maîtrise du Center for Middle Eastern Studies de l’université de Chicago, où elle a rédigé un mémoire sur l’histoire sociale palestinienne à la fin de la période ottomane. Auparavant, Hanna était professeure adjoint d’études religieuses à l’université DePaul (Chicago), où elle a donné un cours sur l’islam et un cours sur la religion et la politique au Moyen-Orient. Elle est aussi la coordinatrice du projet Palestine à l’Arab Center Washington DC. @yalawiya

 

28/07/2024

RASHA HILWI
D’Akka à Téhéran : être mère face à l’injustice

Rasha Hilwi, Raseef22, 9/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Rasha Hilwi est une écrivaine palestinienne, mère de famille, journaliste, éditrice, programmatrice culturelle, conteuse, DJ, féministe, et activiste culturelle. Née et élevée dans la ville d’Akka (Acre) en Palestine de 1948, elle vit aujourd’hui à Amsterdam.
Instagram Meta X

Je n’ai pas écrit un seul article depuis le début de la guerre génocidaire contre mon peuple à Gaza. Pendant des mois, j’ai évité d’écrire.

Lorsque j’ai commencé à écrire à la fin de mon adolescence à Akka, c’était parce que j’étais convaincue que l’écriture ne se résume pas à poser un stylo sur du papier ou des doigts sur un clavier. Même la création d’un texte personnel peut avoir des implications plus larges dans le monde extérieur et peut influencer le changement. Pour moi, l’écriture est un acte de résistance face à l’injustice, une tentative d’élever la voix des opprimés.

Mais la machine à tuer israélienne qui extermine les Palestiniens de Gaza - enfants, femmes et hommes - sous les yeux des gouvernements du monde et de leurs justifications, a créé un espace de doute quant à l’efficacité de l’écriture.

Je suis une femme palestinienne dont l’identité, les sentiments et les choix ont été façonnés par l’injustice qui a frappé sa famille lors de la Nakba de 1948, ainsi que par ce qu’elle a vécu à l’intérieur de la Palestine pendant plus de trente ans. Alors que j’étais partie, mon peuple était toujours là. Naturellement, l’écriture a été la première action face à ceux et celles qui tentaient d’effacer les récits de notre peuple, ses journaux intimes, ses peurs, ses rêves et sa résilience, ainsi que son insistance sur la vie.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, à l’intérieur d’un État qui a tout fait depuis la Nakba pour que les Palestiniens se sentent étrangers. La ghorbah est un sentiment pénible que nous ne connaissons que trop bien.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, dans un État qui, depuis la Nakba, a tout fait pour que les Palestiniens se sentent étrangers. Ghorbah est un sentiment difficile que nous ne connaissons que trop bien.

“Ghorbah” (غربة) vient du mot arabe “Gharb” (l’Occident), le mot “Tagharraba” (تغرّب) signifie se déplacer vers un autre endroit, loin de chez soi, être éloigné ou étranger. “Ghorbah” ne désigne pas seulement un lieu géographique, mais implique également la distance émotionnelle par rapport à la maison, même pour quelqu’un qui n’a jamais déménagé physiquement.

J’ai décidé de quitter la Palestine il y a neuf ans, à la recherche d’une autre maison à l’étranger. C’était un choix qui, au fond, était un privilège, car je suis une Palestinienne détentrice d’un passeport israélien, ce qui me permet de circuler librement en Europe.

Je ne m’attendais pas à ce que cette recherche de Ghorbah me permette de fonder un foyer, de former une famille et de devenir mère.


Mais maintenant que c’est fait, j’ai reçu une autre leçon : la maternité n’est pas une identité qui vous est donnée d’un seul coup, c’est une pratique avec laquelle vous devez vous familiariser chaque jour, dont vous devez apprendre et même désapprendre des choses. La maternité est une pratique qui a commencé lorsque j’ai donné naissance à mes filles, un événement qui s’est produit loin de mon premier foyer, la Palestine. Pendant les jours, les mois et les années où j’ai été confrontée à cette nouvelle identité, la Palestine a connu le « soulèvement de mai », l’assassinat de sa journaliste Shireen Abu Akleh, la guerre génocidaire contre Gaza et tant d’autres événements qui l’ont placée, ainsi que moi, la mère palestinienne éloignée, face à la question suivante : « Comment puis-je continuer à faire quoi que ce soit ? Comment puis-je continuer à faire quelque chose, même si c’est un simple acte, face à l’injustice ? »

Il y a quelques semaines, je me préparais à quitter la maison pour rejoindre une manifestation pour Gaza à Amsterdam. L’une de mes filles m’a demandé où j’allais. Lorsque je le lui ai dit, elle n’a d’abord pas compris. Puis j’ai dit : « Free, free Palestine ! ». En tant que famille, nous étions allées à une manifestation quelques jours auparavant, et j’ai pensé que ce chant clarifierait mon propos. Elle a réagi en portant la main à son oreille et en disant « Mama, owie » - elle se souvenait avoir été dérangée par les chants bruyants. Je lui ai dit : « Ce n’est pas grave, ma chérie. J’ai une vieille oreille. Elle a plus de soixante-dix ans ». Elle m’a souri, même si elle ne comprenait rien.

Je suis devenue mère de mes jumelles à la fin du mois de mars 2021. J’ai toujours voulu être mère, même lorsque je vivais encore en Palestine. Mais lorsque je pensais à la maternité, je n’imaginais pas que le père de mes enfants serait un non-Palestinien, ou même un non-arabe. Ce que nous imaginons est sans importance, car le cœur a toujours d’autres plans. Mon cœur s’est tourné vers la Perse. Plus précisément, vers un Iranien qui avait été contraint de quitter l’Iran et de fuir à Amsterdam. Lorsque j’ai fait part à ma mère de nos projets de mariage, elle m’a dit d’un ton sarcastique : « Nous t’avons envoyée en Europe pour que tu épouses un Iranien ? Qu’est-ce qui ne va pas avec les Néerlandais ? » Elle a ri, j’ai ri, et je lui ai dit : « Mais, maman, mon cœur va toujours vers celui qui a la même douleur ».

Sa douleur, même si elle n’est pas exactement la même que la mienne, est aussi celle de la perte de sa maison. Je n’ai pas perdu ma maison directement, mais mes grands-parents ont perdu la leur après que les milices sionistes ont procédé au nettoyage ethnique de leur village d’Iqrith. Ils ont vécu leur vie comme des réfugiés dans leur patrie et sont morts avant que leur rêve de retourner dans leur village natal ne se réalise. Un fait qui a façonné ma vie, mon identité, mes rêves et mes peurs. C’est ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.

Mon mari a perdu sa maison directement. Il était un enfant de trois ans lorsque son père s’est enfui pour la première fois afin d’éviter d’être tué après la prise de pouvoir des islamistes en Iran. Il s’est enfui à travers les montagnes et a atteint la Turquie. Son fils en bas âge et sa femme l’ont ensuite suivi sur la même route jusqu’à ce qu’ils se retrouvent à Istanbul pour finalement arriver aux Pays-Bas en tant que famille de réfugiés. Mon mari, qui a grandi en exil, ne peut pas se rendre dans sa ville natale, Téhéran, et sa mère, qui a souffert de démence pendant de nombreuses années, est morte en exil alors qu’elle rêvait de retourner dans son pays.

La question de la confrontation de l’injustice à l’intersection de la maternité s’est élargie depuis que je suis devenue mère de filles iraniennes-palestiniennes. Il aurait peut-être été plus facile d’y répondre si je ne m’étais pas réveillée chaque jour à la maison avec la douleur de la Palestine et de l’Iran. Cette douleur est présente et vit dans deux tableaux accrochés à notre mur. Notre propre galerie d’exilés décédés, expulsés de leur pays mais ayant une place dans notre maison, est exposée : ma grand-mère Salma et la mère de mon mari, Parvin.

Dans ma vie, l’espace personnel est un espace de deuil partagé, mais c’est aussi un espace de questions difficiles, de légitimité d’une réalité complexe qui ne veut pas que le deuil d’une partie de la maison soit plus important que le deuil de l’autre. Plus important encore, la confrontation avec l’injustice, cette graine qui m’anime, ne se fait pas au détriment d’une autre injustice.

Je ne parle pas beaucoup de la Palestine à mes filles. Plus précisément, je ne leur parle pas avec des mots. J’ai trouvé d’autres méthodes indirectes pour le faire. Je m’efforce de préparer les plats palestiniens que j’ai appris de ma mère et nous écoutons ensemble des chansons palestiniennes, des plus traditionnelles à celles qui sont sorties hier. Je leur parle dans mon dialecte hétéroclite, qui est un mélange de la montagne (ma mère) et de la mer (mon père), et tous les soirs, je leur chante des berceuses palestiniennes avant qu’elles s’endorment.

En novembre dernier, après une journée passée à regarder des images et des vidéos en provenance de Gaza, et avec le sentiment de culpabilité qui me rongeait en comparant la sécurité du toit qui me protège à celle des mères gazaouies et de leurs enfants, je me suis jetée entre mes filles ; la première tenait ma main droite et la seconde ma main gauche. Je leur ai demandé : « Que voulez-vous que je chante pour vous ? » Elles ont répondu ensemble : « Ya Siti ! (Oh ma grand-mère !) ». C’est la berceuse qui leur tient le plus à cœur. Au milieu de la chanson, la sonnette de la maison a retenti. « Maman, n’aie pas peur », a dit l’une de mes filles, ce qui était sa façon de dire qu’elle avait peur.

Je leur ai dit que c’était le facteur et j’ai recommencé à chanter jusqu’à ce qu’elles s’endorment.

Tout comme je ne leur parle pas directement de la Palestine, je ne leur dis pas non plus que j’ai souvent très peur de beaucoup de choses, d’un monde qui ne considère pas l’enfant palestinien comme aussi précieux que les autres enfants. J’ai peur que des filles et des femmes iraniennes soient encore tuées parce qu’elles ne portent pas le hijab “correctement”. J’ai peur qu’Israël ne soit pas tenu pour responsable de ses crimes, les anciens, les nouveaux et ceux à venir. Je crains que la République islamique d’Iran ne soit pas tenue de rendre des comptes pour les exécutions de jeunes gens qu’elle continue de commettre... et la liste est encore longue.

Je reviens à l’écriture aujourd’hui, au milieu de ce qui se passe, pour me dire et souligner que ma maternité, en effet, est un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour la Palestine dans ma maison, à travers la nourriture, les odeurs, les chansons, ma voix, mon visage, et ma tristesse héritée qui flotte à la surface fortement ces jours-ci. Mais c’est aussi un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour l’Iran. Parce que Téhéran devrait être un jour une maison pour mes filles, tout comme Akka. La douleur est la même, même si les “garde-barrières” de nos pays sont différents ou prétendent être des ennemis.