“Considère donc ça comme un chameau géant”
 

Les chiffres du jour

 Le nouveau Kanzler, Merz, a annoncé que le budget militaire allemand allait passer de 50 à 200 milliards d'euros, pour satisfaire l'exigence trumpienne de 5% du budget. D'après un député CDU, la Bundeswehr aurait besoin de passer de 182 000 hommes et femmes aujourd'hui à ...460 000. Où les trouveront-ils ? Mystère

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13/05/2025

FAUSTO GIUDICE
“La religion est à Dieu et la patrie est à tous” : en Syrie, le message de Sultan al-Attrache reste valable un siècle plus tard
Entretien avec Rim al-Attrache

Alors que les feux de l’actualité sont braqués sur la Syrie et que l’écrasante majorité des  « informations » circulant dans les médias internationaux sont produites par des personnes ignorant tout ou presque tout de l’histoire syrienne, il nous a semblé utile de donner la parole à  Rim al-Attrache, une habitante de Damas, descendante d’une longue lignée de combattants, pour qu’elle nous parle de son père Mansour (1925-2006) et de son grand-père Sultan Pacha (1888-1982), dont l’histoire peut éclairer l’état actuel du pays.

Propos recueillis par  Fausto GiudiceTlaxcala



 Rim, peux-tu vous présenter, toi et ta lignée ?

Dans l’introduction de mon premier roman, en arabe, intitulé « Jusqu’à la fin des temps », j’ai écrit ce qui suit : « Je suis une personne qui essaie de combiner l’islam et le christianisme dans son cœur, et je crois que la religion appartient à Dieu et que la patrie appartient à tous ».

 Un jour, l’avocat syrien Najat Qassab-Hassan, m’a posé cette question : Rim, quelle partie de toi est druze et quelle partie est chrétienne ? Je lui ai répondu sans la moindre hésitation : Je suis divisée, verticalement, en deux, et je peux déplacer mon cœur tantôt à droite, et tantôt à gauche. 

Zoukan (assis) et Sultan, 1910

Je suis l’arrière-petite-fille du martyr Zoukan al-Attrache, l’un des chefs de résistance contre les Turcs (1910). Il a été condamné à mort et exécuté s à la place Merjé, à Damas par Jamal Pacha, dit Le Boucher meurtrier.


Youssef al-Choueiri

Je suis l’arrière-petite-fille de Youssef al-Choueiri, moudjahid avec Sultan al-Attrache durant la Révolution arabe de 1916-1918 : il a rejoint la révolution avec son ami Sultan al-Attrache, afin de libérer Damas, le 30 Septembre 1918, suite à la bataille de Tuloul al-Manea, près de Kisswa, au sud de Damas. Avec son fils Habib al-Choueiri, mon grand-père maternel, il a été prisonnier durant la première révolution de Sultan, en 1922. Tous les deux soutenaient Sultan et ses compagnons en 1925, financièrement et moralement.

Je suis la petite-fille de Sultan al-Attrache, chef de la Grande Révolution syrienne (1925) contre le Mandat français.

Enfin, je suis la fille de Mansour al-Attrache, politicien syrien, l’un des premiers Baathistes, en 1945, et membre du conseil fondateur du parti Baath en 1947. 

Que faut-il savoir sur Sultan Pacha, auquel tu as consacré une série de 5 volumes (éditée au Liban), basée sur les archives de votre famille ?

Sultan al-Attrache a explicitement rejeté les mandats français et britanniques devant la Commission King-Crane (1919), lorsque celle-ci lui a rendu visite au Djebel al-Arab  (dit Djebel Druze) pour sonder l'opinion des habitants de la région.

Il rassembla les cavaliers pour aider l’armée syrienne, dirigée par le ministre de la Guerre, Yusuf al-Azma, le 24 juillet 1920, à Mayssaloun. Les cavaliers de Djebel al-Arab , dirigés par Sultan al-Attrache, arrivèrent dans le village Sijen, et même quelques-uns atteignirent Braq (40 km au sud de Damas), où Sultan, apprenant le meurtre de Yousef Al-Azma, déclara : « Perdre une bataille ne signifie pas perdre la guerre. ».

Sultan al-Attrache voulait alors organiser la résistance au Djebel al-Arab sous la bannière de la légitimité en Syrie. C'est pour cette raison qu'il invita le roi Fayçal Ier à s'installer là-bas au lieu de partir pour l'Europe, en 1920. Mais le roi répondit au messager de Sultan, en disant :  « Il est trop tard » ! 

Sultan a également demandé à Ibrahim Hanano (chef des rebelles du Nord) de rester chez lui pour organiser la résistance contre l'occupation française, lorsqu'il est venu lui demander protection en 1922, mais Hanano a voulu se rendre en Jordanie.

La Grande Révolution syrienne éclata dans le dernier tiers de juillet 1925, mais elle attira l'attention du monde entier après la bataille de Mazraa contre l’armée du général Michaud, au début du mois d'août de la même année. Les Européens ont commencé à envoyer des journalistes d’Allemagne et d’autres pays européens en Syrie, et plus précisément au Djebel al-Arab, pour découvrir la vérité sur ce qui s’était passé. C’est seulement à ce moment-là que les nationalistes arabes ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait !

Il est important de noter qu'après la bataille de Mazraa, les autorités françaises ont été contraintes de demander une trêve et une cessation des hostilités, avant que les dirigeants du mouvement national à Damas ne répondent à l'appel à la révolution du Djebel al-Arab , dans le but de l'étendre à toute la Syrie et au Liban.

Sultan al-Attrache a déclaré aux deux journalistes allemands du journal Vössische Zeitung, venus photographier le site de la bataille de Mazraa, ce qui suit : « Les Français ne cherchent pas sérieusement la paix dans leurs négociations. Même les conditions modérées présentées par notre délégation n'obtiendront rien d'essentiel du général Sarrail. Ils veulent nous distraire jusqu'à l'arrivée de leurs nouvelles forces militaires, qu'ils ont fait venir de France ou de leurs colonies voisines. Quant à nous, nous ne restituerons pas les armes capturées sur le champ de bataille tant que nous serons en vie. Nous ne nous satisferons de rien de moins que de l'indépendance et de l'unité complète de la Syrie et de l'établissement d'un gouvernement national constitutionnel. La mission de l'État mandataire doit se limiter à fournir une assistance et des conseils techniques et administratifs, par l'intermédiaire de conseillers et d'experts qualifiés, en application de ce qui a été stipulé dans le Pacte de la Société des Nations en 1919 concernant le mandat. ». La condition posée par Sultan al-Attrache pour les négociations avec les Français était qu'elles ne devaient pas dépasser trois jours.

Ainsi, l’intérêt, sérieux, arabe et européen pour la Grande Révolution syrienne a commencé après la bataille de Mazraa (2-3 août 1925). L’armée du général Henry Michaud comptait 13 000 soldats et officiers français, et ils furent sévèrement défaits par environ 400 combattants rebelles de Djebel al-Arab . C'est ce qu'a déclaré l'un des soldats d'origine marocaine, qui a participé à la campagne de Michaud et a été capturé : il l'a confirmé au commandant en chef de la révolution syrienne, Sultan al-Attrache. Il rejoint plus tard les rangs des révolutionnaires pour combattre les Français. Les forces nationales ont décidé de choisir Sultan al-Attrache comme commandant général de cette révolution. C'est ici que fut publiée la célèbre déclaration du commandant en chef, « Aux armes », le 23 août 1925, dans laquelle il était souligné que le premier objectif de la révolution était d'unifier la Syrie, à la fois sur la côte et à l'intérieur, ce qui signifiait rejeter la division de la Syrie sur une base confessionnelle, religieuse et ethnique, et que le deuxième objectif était l'indépendance complète. Le slogan de la révolution c’est : « La religion est à Dieu et la patrie est à tous. »

Tout au long de sa vie, Sultan n’a jamais abandonné ce slogan qu’il avait lancé ; pour lui, il est resté inébranlable, en paroles et en actes. Ce slogan était une gifle aux colonialistes français, prétendant faussement la croyance en la laïcité. Ce slogan était une réponse claire au rejet de la division du pays, planifiée par l'accord Sykes-Picot, qui a également abouti à la déclaration Balfour, que Sultan al-Attrache a complètement rejetée.


« La religion est à Dieu et la patrie est à tous » : c’est un slogan qui peut soulever des questions problématiques aujourd’hui, mais pendant la Grande Révolution syrienne de 1925-1927, c’était incontestable, et représentait les concepts : « laïcité » et « résistance ».

Lors des préparatifs des batailles, Sultan al-Attrache élaborait des plans militaires en consultation avec les commandants de terrain, en fonction de la zone où se déroulaient les batailles, et en fonction du positionnement des forces ennemies, de leur nombre et du volume de leurs munitions. Il était également toujours en coordination avec les commandants qu'il envoyait en campagne à l'extérieur du Djebel, et sa responsabilité était de leur assurer des munitions et de l'équipement.

Il est important de souligner que les négociations des hommes politiques syriens avec les autorités du mandat français dépendaient de la fermeté des révolutionnaires sur le terrain. La politique est, sans doute, d’une grande importance, mais la Grande Révolution syrienne, qui a surpris tout le monde, des politiciens nationalistes syriens et libanais aux politiciens français et européens, a commencé à imposer sa présence, surtout après la bataille de Mazraa. Tous les nationalistes se référaient toujours, dans leurs négociations, à l'avis de Sultan al-Attrache, qui consultait les révolutionnaires pour élaborer une opinion représentant tout le monde.

Tout au long de sa vie, Sultan al-Attrache n’a jamais employé « je », mais plutôt « nous ». Cela indique l’effacement de soi et l’incapacité à nier le rôle des autres !

Le 25 octobre 1929, pendant la période d'exil, se tint à Haditha, dans le Wadi al-Sirhan, la     « Conférence du désert », convoquée par Sultan al-Attrache. Des personnalités nationales de partis et d'organisations y ont participé. La conférence a pris des décisions très importantes qui ont eu un impact significatif sur le développement de la vie politique en Syrie, et sur le cours que les événements et les négociations ont pris par la suite, conduisant à l'évacuation.

Sultan al-Attrache et les révolutionnaires en exil ont insisté pour que cette conférence soit libre de toute influence étrangère et adhère aux principes des droits de l'homme, et que la Syrie reste attachée à ses droits légitimes et à son unité nationale globale dans la quête de libération du colonialisme. A l’issue de cette conférence, une résolution en six points a été annoncée, dans laquelle les révolutionnaires stationnés dans le désert ont condamné la suspension des travaux de l'Assemblée constituante en Syrie et les déclarations d’Henry Ponsot [Haut-commissaire de France au Levant, 1926-1933], ignorant la question nationale syrienne. La conférence a également dénoncé les décisions invalides du Congrès sioniste de Zurich [1929] et les attaques des Juifs contre les Arabes, appelant le gouvernement travailliste britannique à révoquer la célèbre Déclaration Balfour et à reconnaître les droits nationaux des Arabes et leur souveraineté dans leur propre pays afin d'assurer la paix mondiale et d'encourager des relations modernes entre les peuples, comme l'a fait la Grande-Bretagne en Égypte et en Irak. La conférence a également remercié les Arabes de la diaspora soutenant financièrement la patrie et les révolutionnaires et leurs familles, en exil.

Sultan al-Attrache croyait que la Grande Révolution syrienne avait duré douze ans, de 1925 à 1937, car son refus de rendre les armes, avec ses camarades révolutionnaires, signifiait que la résistance continuerait et qu'ils ne se rendraient pas au colonialisme. Les hommes politiques lui écrivirent également fréquemment pour lui demander son avis durant son exil de dix ans, de 1927 à 1937, durant lequel il a appelé à l'unification du monde arabe, afin de         « parvenir au succès de la cause syrienne, qui est le noyau de l'unité arabe ». Cela est considéré comme une prise de conscience claire de l’importance de parvenir à l’unité entre les Arabes. Durant cette période, il a résisté à d’énormes tentations, malgré toutes les difficultés qu’il a subies, avec sa famille, ses camarades et leurs familles !

Je mentionne ici que le responsable britannique, agissant en tant que représentant du roi George V, a rencontré Sultan al-Attrache à Azraq en 1927 pour discuter de la question de la déportation des révolutionnaires qui refusaient de rendre leurs armes. Ce représentant tenta de convaincre Sultan de la nécessité de mettre fin à la révolution sans condition et lui fit une offre royale, dont l'essentiel était qu’il vivrait dans un palais privé à Jérusalem, en plus d'un salaire mensuel lucratif à vie qui lui garantirait une vie confortable aux frais de l'Empire britannique. Mais Sultan a répondu : « Notre bonheur réside dans l’indépendance et l’unité de notre pays, la liberté de notre peuple et le retrait des forces étrangères du pays ». Lors de cette rencontre, le représentant du roi George V n'a pas oublié d'apporter avec lui de la nourriture et des boissons délicieuses et de les mettre devant les rebelles assoiffés et affamés. Cependant, les rebelles, sur ordre de Sultan, ne les ont pas touchés du tout. Sultan a refusé l’offre généreuse royale, ainsi que la nourriture !

Dans l’un des documents du ministère britannique des Affaires étrangères, pendant le mandat, se trouvant aux archives de la Bibliothèque nationale, le consul britannique au Levant a admis à son ministère des Affaires étrangères que Sultan al-Attrache avait obstinément refusé de coopérer avec la Grande-Bretagne malgré les tentatives répétées et persistantes des autorités. Il a écrit : « Sultan al-Attrache ne s’achète pas. »

Sa position sur l’enseignement était ferme ; en exil, il s'efforçait de faire en sorte que les fils et les filles des révolutionnaires soient éduqués et qu'une école soit construite pour eux dans le désert. Il a également fait don d’un terrain pour construire une école dans son village natal (Quraya) après son retour d’exil.

La Palestine et le plateau du Golan étaient son obsession jusqu’à la fin de sa vie.

Sultan al-Attrache a soutenu l'unité entre la Syrie et l'Égypte et la lutte du parti Baath.

De 1918 à 1946, il refusa à la fois le poste et l’argent. Il recommanda au défunt président Chukri al-Quwatli de préserver l’indépendance du pays pour la libération duquel les révolutionnaires avaient tant sacrifié ! Il réitéra cette recommandation plus tard, en 1960, devant le président Gamal Abdel Nasser. En 1981, devant le président Hafez al-Assad. Il a écrit cette recommandation dans son testament politique, diffusé par son fils Mansour devant le cortège funèbre d'un million et demie de personnes, au stade municipal de Sweida, le 28 mars 1982.

Sultan al-Attrache a signé la célèbre Charte nationale, qui a été signée par des personnalités nationales bien connues de toute la Syrie, notamment feu Hachim al-Atassi, dont le petit-fils, Radwan al-Atassi l'a publiée dans la biographie de son grand-père. Cette charte nationale comprenait les principes suivants :

1- Condamner le pouvoir individuel autoritaire et ne pas se conformer à ce qu’il édicte.

2- Exiger des élections justes qui établissent un régime constitutionnel et démocratique.

3- Respecter les libertés publiques et l’État de droit pour tous.

4- Protéger l’indépendance et la souveraineté.

5- Renforcer l’armée et limiter sa mission à la défense de la patrie et de sa sécurité.

Suite à cela, le colonel Adib Chichakli a lancé une campagne militaire injuste contre la population du gouvernorat de Soueïda, croyant qu'en agissant ainsi, il consoliderait les piliers de son pouvoir, contre lesquels tous les citoyens libres de la plupart des partis (y compris le parti Baath et le parti communiste) avaient lutté. 

Une centaine de martyrs non armés ont été tués au Djebel al-Arab pendant la campagne militaire (1954). Sultan al-Attrache a quitté son village et s'est dirigé vers la Jordanie pour éviter de nouvelles effusions de sang. Il a alors prononcé sa célèbre phrase : « Je refuse d'affronter les militaires de l'armée syrienne, car ce sont mes fils ! ». Sultan et ses compagnons ont marché, sous des chutes de neige, jusqu'en Jordanie. Il avait 66 ans à l’époque. À son arrivée à la frontière jordanienne, le gouvernement lui a envoyé une voiture sur laquelle flottait le drapeau britannique, mais il a refusé d'y monter, même s'il était poursuivi et que sa vie était en danger. Mais non, même dans les circonstances les plus difficiles, Sultan al-Attrache ne faisait pas appel aux étrangers ! Le gouvernement jordanien a été contraint d’envoyer une autre voiture avec le drapeau jordanien flottant dessus. Il accepta de la prendre avec ses compagnons, et ils entrèrent en Jordanie. Sultan et ses compagnons y sont restés jusqu'à ce que Chichakli quitte le pays ! Il revint victorieux au village.

Lorsque les gens sont venus le féliciter pour le meurtre de Chichakli, il leur a dit : « Je n'ai plus aucun lien avec lui depuis qu'il a quitté le pouvoir. Son assassinat était un acte individuel, et nous ne cherchons pas à nous venger ni à nous réjouir de sa mort ! »

Ce sont trois leçons exemplaires que Sultan al-Attrache a laissées aux Syriens d’aujourd’hui !

Dans un document des archives de ma famille, que j'ai éditées et publiées à la maison d’édition Abaad à Beyrouth, en cinq volumes, Sultan a écrit, en 1961 : « Ils ont dit que nous avons récolté le fruit de notre lutte, le fruit de cet arbre dont nous avons arrosé le sol avec notre sang. Non, ce fruit n’est pas encore mûr. Notre lutte est à l’état de fleur et n’a pas encore porté ses fruits, parce que nous ne nous sommes pas tous unis en tant qu’Arabes pour les récolter ensemble. Fils de la révolution et enfants du désert, c'est ainsi que nous nous sommes voués à être des sacrifiés sur l'autel du nationalisme arabe. Cet arbre ne portera pas de fruits tant que ses branches seront couvertes d’insectes… Il ne portera pas de fruits tant que la voix de la liberté de la Palestine ne s’élèvera pas pour éloigner le spectre des ambitions coloniales, concernant l’Irak, l’Égypte et la Jordanie. Après cela, quel fruit délicieux et mûr, symbole des générations qui ont porté le flambeau de la civilisation, dont la lumière ne s'éteindra jamais ».

Sultan al-Attrache s’est toujours méfié des ambitions coloniales qui prenaient mille formes. Il a laissé, alors, un testament politique à cet effet. 

Venons-en à ton père Mansour, fils de Sultan. Résume-nous son parcours

Il a étudié les sciences politiques et l'histoire à l'Université américaine de Beyrouth ; il a étudié le droit à l'Université de la Sorbonne à Paris. Il a été emprisonné pour des raisons politiques à trois reprises : en 1952 et 1954 à l'époque d'Adib Chichakli, et en 1966 après le Mouvement du 23 février. Il a vécu, ensuite, en exil à Beyrouth entre juillet 1967 et avril 1969, date à laquelle il est retourné à Damas.

Sultan et Mansour, 1971

Il est nommé ministre du Travail et des Affaires Sociales en 1963. Il était membre du Conseil présidentiel en 1964. Il a refusé d'accepter le poste de ministre à plusieurs reprises, notamment pendant la période de 1961 à 1963. Membre des directions régionales et nationales du parti. Il était président du Conseil National de la Révolution 1965-1966. Il a pris sa retraite et a travaillé dans l'agriculture.

 Il était Président du Comité arabe syrien pour la levée du siège et le soutien à l'Irak de 200 à 2006 et membre fondateur du Comité de soutien à l'Intifada de 2000 à 2006. 

Il était marié à l'enseignante, à l’École Normale Supérieure, Hind al-Choueiri, chrétienne orthodoxe de Damas, et il a eu deux enfants : Thaer (ingénieur civil) et moi, Rim (traductrice et écrivaine).


Mansour en 2005

Dans une interview publiée au quotidien Al Khalij, le 23 mai 1993, Mansour al-Attrache a déclaré ce qui suit :

« Nous sommes responsables et notre génération est condamnée. Si, un jour, j’écris mes mémoires, je les intitulerai “La génération condamnée” .

« Condamnée pourquoi ? Parce que nous, en tant que génération, n’avons pas été fidèles aux objectifs que nous avions fixés pour le parti Baath, et nous n'avons pas été fidèles à la voie honnête vers ces objectifs. Nous nous sommes noyés dans des excuses pour nous protéger de la chute du pouvoir, et nous sommes donc tombés moralement et éthiquement. Nous ne ressentons plus aucun lien entre nous et la première image du parti Baath...

« Sur le plan personnel, je peux dire que je suis tombé avec la génération, mais je me suis sauvé en tant qu’individu. Je n’ai violé les droits de personne, je n’ai pas changé et je ne me suis pas noyé dans les tentations du pouvoir. De ce point de vue, j’ai la conscience tranquille et je me considère libéré des maux de cette expérience, ce qui a renouvelé ma détermination à entreprendre une œuvre nationale, d’ambition modeste, qui répond aux nécessités de la phase actuelle que traverse la Nation arabe.

« Mais je crois franchement que le salut d’un individu face à toute lacune dans le travail national ou à toute accusation morale dans le cadre de son travail politique, n’a pas beaucoup de valeur, car l'individu, malgré son rôle parfois important dans le travail politique, ne peut pas sauver la génération de sa responsabilité dans l'échec ».

À ton avis, qu’auraient fait Sultan et Mansour dans la Syrie de 2025 ?

Mon grand-père Sultan et mon père, Mansor, croyaient en l’unité de la Syrie et du Levant, ainsi qu’en la nécessité d’une intégration entre les pays du monde arabe, pour former une force politique et économique significative. Ils ne peuvent donc pas être convaincus par la division et la fragmentation du pays, sur une base confessionnelle et ethnique. Je crois plutôt que s’ils étaient présents en Syrie aujourd’hui, ils auraient œuvré pour soutenir le dialogue national entre les Syriens afin de parvenir à une constitution qui protège la citoyenneté, et de préserver la liberté, l’indépendance et le pluralisme, dans le but de consolider la démocratie participative et la séparation entre les trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Ils auraient œuvré aussi pour réaliser la confédération du Levant, basée sur un programme national clair. Ils auraient également souligné la nécessité de libérer la Palestine du fleuve à la mer, et d’expulser toutes les armées étrangères se trouvant maintenant en Syrie et dans tout le Levant.



Sultan en 1950

Comment définir l’être Druze dans le monde d’aujourd’hui, où les Druzes, comme tous les Syriens, les Palestiniens et autres, sont devenus un « peuple-monde », présent du Venezuela (où on les appelle les Bani Zuela) à la Scandinavie et à l'Australie, en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine, dite « Israël » ?

Le nombre d’expatriés du Levant est très important, notamment depuis la guerre civile libanaise, ainsi que depuis 2011 en provenance de Syrie, depuis 1948 en provenance de Palestine et depuis 1967 en provenance du plateau du Golan, en raison de l’occupation sioniste. Les Druzes de la diaspora sont, pour la plupart, des Syriens, des Libanais, des Palestiniens, des Jordaniens et, finalement, des Arabes. Quant aux nouvelles générations, elles appartiennent au pays d’expatriation dans lequel elles se trouvent et se sont largement intégrées. Il existe cependant un fil très fin qui relie encore la plupart d’entre eux au patrimoine de leur pays et à leur communauté religieuse. Cela s’est clairement manifesté, par exemple, par leur soutien matériel et moral des druzes en Syrie pendant l’épreuve syrienne qui dure depuis 2011 et qui continue encore aujourd’hui, d’autant plus que le peuple syrien est aujourd’hui à 90 % en dessous du seuil de pauvreté !

Quels sont les rapports entre les Druzes du Djebel Druze, du Golan, de Damas, du Liban et de la Palestine de 1948, dite « l’Israël » d’aujourd’hui ?

Les monothéistes ou les Druzes ne s'abandonnent jamais. Il s’agit des mêmes familles, réparties en Syrie, sur le plateau du Golan syrien occupé, au Liban, en Jordanie et en Palestine occupée. À l’origine, il s’agissait de tribus arabes venues du Yémen, et elles constituent une confession islamique du chiisme des sept Imams. Les monothéistes n’abandonnent pas leurs terres ni leurs armes, car les armes protègent la terre et l'honneur, et ils ne s'abandonnent pas, en raison de leur parenté et de leur nombre restreint. On constate donc que, dans le cas d’une menace existentielle pour certains d’entre eux, ils se rangent tous du côté de celui qui se trouve sous cette menace. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 1982 au Mont Liban.

Peut-on rêver à une confédération transnationale druze ?

Je ne crois pas que ce soit un rêve politique druze. Car tout au long de leur histoire, les Druzes ont adopté des positions patriotiques pour construire un État national et se libérer du colonialisme occidental et turc.

As-tu autre chose à ajouter ?

J’aimerais ajouter ici une partie du testament politique de Sultan al-Attrache, seul révolutionnaire syrien à avoir laissé un tel testament :

« Je vous dis, chers Syriens et Arabes, que vous avez devant vous un long et difficile chemin, exigeant deux types de djihad : le djihad contre votre instinct confessionnel et le djihad contre l’ennemi. Soyez donc patients, comme les hommes libres, et que votre unité nationale, et la force de votre foi soient votre chemin pour repousser les complots de l’ennemi, expulser les usurpateurs et libérer le pays. Sachez que préserver l’indépendance est votre responsabilité, après que de nombreux martyrs sont morts pour elle et que beaucoup de sang a été versé pour l’obtenir. Sachez que l’unité arabe est force et puissance, qu’elle est le rêve de générations et la voie du salut. Sachez que ce qui a été usurpé par la force sera rendu par l’épée, que la foi est plus forte que toute arme, que l’amertume dans la gloire est plus douce que la vie dans l’humiliation, que la foi est chargée de patience, préservée par la justice, renforcée par la certitude et fortifiée par le djihad.

Sachez que la piété est pour Dieu, que l’amour est pour la terre, que la vérité victorieuse, que l’honneur est dans la préservation des mœurs, que la fierté est dans la liberté et la dignité, que le progrès est par la connaissance et le travail, que la sécurité est par la justice, et que la coopération fait la force ».

Sultan avec Rim, Falougha, Liban, 1971

07/05/2025

HAARETZ
Non à l’aventurisme militaire israélien au détriment des Druzes syriens et des captifs israéliens

Éditorial, Haaretz, 3/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Vendredi soir 2 mai, l’armée de l’air israélienne a frappé des cibles militaires à travers toute la Syrie. La veille, l’armée de l’air a frappé près du palais présidentiel à Damas. Il s’agit d’un “message clair au régime syrien”, a déclaré le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahou dans un communiqué. La direction est claire : le gouvernement israélien a décidé d’intensifier la guerre à Gaza et même de l’étendre au-delà des frontières de la Syrie, tout cela au détriment de la vie des captifs israéliens.


Funérailles de victimes druzes de nettoyage sectaire dans le village de Salkhad, dans le gouvernorat de Soueïda, dans le sud de la Syrie, samedi. Photo Shadi al-Dubaisi / AFP

Le ministre de la défense, Israel Katz, a mis en garde le nouveau président syrien, Ahmad al-Charaa, contre toute atteinte aux Druzes de son pays. « Nous sommes déterminés à protéger les Druzes et nous surveillons la situation. Si les attaques contre eux ne cessent pas, nous réagirons avec une grande sévérité ». Avec tout le respect dû à l’alliance d’Israël avec les Druzes - un lien qui n’était pas dans l’esprit des députés israéliens lorsqu’ils ont adopté la loi dite de l’État-nation et, par la suite, lorsqu’ils ont bloqué les amendements à cette loi - il semble qu’Israël intervienne dans l’histoire des Druzes afin d’exercer un effet de levier sur son emprise dans le sud de la Syrie.

Bien que les dirigeants druzes en Syrie considèrent le patronage israélien comme une monnaie d’échange contre le régime, leur position était et reste que la communauté fait partie intégrante de la Syrie et qu’elle rejette toute forme de partition ou de sécession. Israël ignore le fait que le nouveau régime syrien a reçu une légitimité internationale et arabe et qu’il a conclu plusieurs accords avec les Druzes vivant dans le pays.

L’implication et les menaces israéliennes contre le régime syrien ne servent pas les intérêts de sécurité d’Israël et pourraient placer les Druzes dans la position d’un satellite israélien, précisément au moment où eux et le régime s’efforcent d’établir un État unifié.

Naturellement, les attaques d’Israël ont suscité des menaces à son encontre. Le père du président syrien Ahmed al-Charaa, Hussein, a rejeté l’affirmation d’Israël selon laquelle il agit pour protéger les Druzes et l’a accusé d’exploiter la question pour faire taire la Syrie. « La réponse viendra d’un endroit auquel vous ne vous attendez pas », a-t-il averti.


Le président syrien Ahmed al-Charaa en Turquie le mois dernier. Photo OZAN KOSE/AFP

Ouvrir un front en Syrie en plus de Gaza, alors que le Liban est toujours instable, semble maintenant être une décision aventuriste et inutile, dont les conséquences pour les captifs pourraient être désastreuses. Les membres du cabinet agissent comme si la question des otages était une conspiration de “l’État profond” visant à renverser le gouvernement, plutôt qu’une réalité insupportable qu’ils ont le devoir de changer, par tous les moyens nécessaires.

Au lieu d’ouvrir de nouvelles arènes dans la guerre, le gouvernement ferait mieux de se concentrer d’abord sur le sauvetage des Israéliens retenus en captivité à Gaza. Depuis sa reprise, la guerre a principalement visé les habitants sans défense de la bande de Gaza assiégée. Un accord qui ramènerait à la maison tous les captifs, vivants et morts, doit être conclu.


04/05/2025

GIDEON LEVY
En réalité, Israël se moque du sort des Druzes en Syrie

 Gideon Levy, Haaretz , 04/5/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il est parfois difficile de croire ce que l’on lit : Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, appelle la communauté internationale à « jouer son rôle dans la protection des minorités en Syrie, en particulier la communauté druze, contre le régime et ses gangs terroristes, et à ne pas fermer les yeux sur les graves incidents qui s’y déroulent ».


Un religieux druze, à gauche, qui est passé de la Syrie à Israël plus tôt dans la journée, est accueilli par un soldat israélien dans le sanctuaire du Prophète Shuaib [tombe de Jethro, le beau-père de Moïse], à Hittin, dans le nord d’Israël, vendredi. Photo Leo Correa/AP

Israël s’est depuis longtemps forgé une réputation de chutzpah [culot], mais il semble qu’il se soit surpassé cette fois-ci. Le ministre des Affaires étrangères appelle le monde à intervenir pour aider une minorité opprimée par un gouvernement dans un autre pays, alors que d’autres dirigeants politiques agissent déjà dans ce domaine.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné des instructions, Eyal Zamir, des Forces de défense israéliennes, a ordonné à l’armée de frapper des cibles précises et le ministre de la Défense Israel Katz a déjà menacé qu’Israël répondrait “durement” ; les Forces de défense israéliennes ont déjà bombardé. Une véritable armée du salut pour défendre les Druzes opprimés.

  Le ministre israélien des Affaires étrangères n’a aucun droit moral d’ouvrir la bouche et de prononcer ne serait-ce qu’un mot sur l’oppression d’une nation ou d’une minorité, et certainement pas d’appeler le monde à prendre leur défense. Israël, qui ferme les yeux sur l’Ukraine après avoir fait la même chose pendant la guerre civile en Syrie, n’a pas non plus le droit d’appeler le monde à ouvrir les yeux sur les événements en Syrie.

 
Des membres de la communauté druze israélienne se tiennent près de la frontière, en attendant que des bus transportant des religieux druzes syriens traversent la Syrie vers la ville de Majdal Shams, sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, vendredi. Photo : Maya Alleruzzo/AP

Le manque de conscience de soi des dirigeants israéliens bat tous les records. Lorsque Gideon Sa’ar parle d’un régime oppressif et de bandes de terroristes, il devrait avant tout parler de son propre pays. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où un régime oppressif et des voyous terroristes prospèrent comme en Israël, tourmentant les membres d’une autre nation. Et comment Israël réagit-il aux appels lancés au monde pour qu’il prenne la défense de la nation opprimée qui y vit ? Par des hurlements et des cris à l’antisémitisme.

Et comment Israël réagirait-il à une intervention militaire d’un autre État ou d’un autre acteur venant en aide aux opprimés ? C’est exactement ce que les pays arabes ont dit dans le passé, et ce que le Hezbollah et les Houthis disent aujourd’hui : ils interviennent contre Israël pour protéger les Palestiniens.

De même que les Druzes locaux exigent aujourd’hui qu’Israël vienne en aide à leurs frères syriens, les populations des pays arabes exigent que leurs gouvernements interviennent en faveur de leurs frères soumis à l’occupation israélienne.

Et qu’en est-il des frères de sang des Arabes israéliens [Il veut dire : Palestiniens de 48, NdT], qui ont été massacrés à Gaza, en Syrie et au Liban ? Israël a-t-il jamais envisagé de leur venir en aide ?

Un homme tient un bébé sauvé des décombres, qui a survécu à une frappe aérienne des forces loyales au président syrien Bachar el-Assad à Alep en 2014.Photo Hosam Katan/Reuters

Au Liban, Israël a dressé les phalangistes contre les Palestiniens. Lorsque le peintre palestinien Abed Abadi, vivant à Haïfa, a tenté d’exfiltrer sa sœur, née dans ce pays, du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk, en Syrie, en 2014, Israël a refusé. Mais pour “sauver les Druzes”, Israël est prêt à bombarder.

Imaginez que la France bombarde les colonies israéliennes dans les territoires occupés parce qu’elle les considère comme des « bases terroristes », d’où sortent des terroristes pour nuire aux Palestiniens. Quel tollé cela provoquerait ici !

Cette demande est empreinte de cynisme. Après tout, Israël ne se soucie pas vraiment du sort des Druzes en Syrie, tout comme il ne se souciait pas vraiment des victimes de l’ancien régime syrien. Après l’adoption de la loi sur l’État-nation, il est évident que le gouvernement ne se soucie même pas des droits de la population druze d’Israël.


Des Druzes manifestent contre la loi sur l’État-nation en 2019.Photo Tomer Appelbaum

Se mobiliser pour la défense des Druzes de Syrie n’est rien de plus qu’une ruse cynique, un autre prétexte pour attaquer la Syrie dans sa faiblesse, peut-être aussi un clin d’œil aux électeurs druzes du Likoud. Au lieu de donner une chance au nouveau régime, Israël fait du bellicisme. C’est le seul langage qu’il a employé ces dernières années : frapper, bombarder, bombarder, tuer, démolir, autant que possible et en tous lieux.

Si Israël souhaite promouvoir la justice où que ce soit, qu’il commence chez lui, où d’horribles méfaits et crimes contre l’humanité sont de plus en plus souvent perpétrés.

Même l’appel d’Israël au monde pour qu’il envoie du matériel de lutte contre les incendies afin d’aider à surmonter les feux de forêt près de Jérusalem la semaine dernière, alors qu’il empêche la nourriture et l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis plus de deux mois, est une demande impudente qui aurait dû être rejetée. Un pays qui affame deux millions de personnes n’a pas droit à l’aide de la communauté internationale, même lorsque des incendies menacent ses communautés.

Hittin, 5 février 1949 : un groupe de Druzes brandit un drapeau avec l’étoile à 5 branches représentant les 5 principes cosmiques (haad, plur. houdoud) de leurs croyances, généralement confondue par les ignorants avec l’étoile de David à six branches adoptée par les sionistes. En arabe, le nom de Sultan Pacha El Atrache (1891-1982), leader de la révolte antifrançaise syrienne de 1925-1927 et héros des mouvements de libération arabes

03/05/2025

MICHELE GIORGIO
Les Druzes pris en tenaille entre l’“aide” d’Israël et la répression de Damas

 Michele Giorgio, il manifesto, 3/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Syrie - La communauté druze est prise en étau entre les violences sectaires internes et les manœuvres géopolitiques externes. Netanyahou, qui se proclame « protecteur » des Druzes, bombarde à quelques encablures du palais présidentiel syrien. 

Michele Giorgio est un journaliste italien, correspondant au Machrek du quotidien il manifesto et directeur de la revue en ligne Pagine Esteri. Auteurs de 3 livres. X

Maître dans l’art d’adapter les événements à une version politique commode, Benjamin Netanyahou s’est à nouveau déguisé en « protecteur des Druzes » après avoir ordonné à l’armée de l’air israélienne de frapper à une courte distance du palais du président syrien autoproclamé et chef du groupe alqaïdiste HTA, Ahmad Charaa. « C’est un message clair au régime syrien. Nous ne permettrons pas aux troupes syriennes de se déplacer au sud de Damas ou de constituer une menace pour la communauté druze », a déclaré le premier ministre israélien. Il se référait aux violences qui, au début de la semaine et jusqu’à jeudi, ont vu des miliciens sunnites liés au gouvernement prendre d’assaut Jaramana, Sahnaya et d’autres centres à majorité druze, après la diffusion d’un clip audio offensif contre le prophète Mohamed dans le sud de la Syrie.


Des miliciens du nouveau régime en faction à Sahnaya. Photo AP

La réaction de Damas au bombardement israélien a été lente. « Il s’agit d’une escalade dangereuse », a déclaré le nouveau régime syrien qui a remplacé celui de Bachar el-Assad. L’UE est intervenue et a exigé qu’Israël respecte la souveraineté syrienne et les termes de l’accord de désengagement de 1974 sur le Golan syrien. Bruxelles n’a pas compris, ou feint de ne pas comprendre, que Netanyahou n’a pas l’intention de renoncer à une occasion en or de prendre le contrôle de facto du sud de la Syrie.

Les Druzes israéliens (150 000), dont beaucoup servent dans les forces armées, l’aident à masquer des intérêts stratégiques par un prétendu engagement humanitaire. Ces derniers jours, des centaines de Druzes - réservistes de l’armée, activistes et simples citoyens - ont bloqué des routes dans le nord d’Israël, exigeant une intervention en faveur de leurs « frères menacés en Syrie ». Netanyahou a donc ordonné le bombardement à quelques mètres du palais de Charaa. Il a ensuite téléphoné au cheikh Muwafaq Tarif, chef spirituel des Druzes israéliens, qui, selon son bureau, « apprécierait l’action dissuasive contre Damas ».

Le principal allié de Netanyahou est l’instabilité syrienne, marquée par les vagues de « purification » menées par les milices djihadistes du HTS et de ses alliés contre les prétendus restes du régime Assad et contre les « apostats » : en mars les Alaouites, aujourd’hui les Druzes. « Nous sommes massacrés et le silence de la communauté internationale nous condamne deux fois », a protesté le cheikh Hikmat al-Hijri, autorité spirituelle de la communauté druze syrienne, en référence aux attaques subies ces derniers jours de la part des forces djihadistes près de Damas. Pour convaincre l’Occident de lever les sanctions contre son pays - décrétées après 2011 pour viser Bachar el-Assad - Ahmad Charaa a adopté un profil modéré et s’est à plusieurs reprises porté garant d’une Syrie « inclusive et respectueuse des minorités ». Mais si déradicalisation il y a eu, elle ne s’est produite qu’au sommet. Car à la base du nouveau régime, une pléthore de formations salafistes - qui incluent des combattants étrangers - ne partagent pas la ligne modérée et font pression pour que les musulmans « apostats » et les sectes hétérodoxes comprennent qui tient désormais le manche en Syrie.

Après les Alaouites de la côte, les plus extrémistes voudraient mettre en œuvre une « normalisation armée » également dans les régions du sud, qui sont restées en marge du nouveau pouvoir. Soueïda, la principale ville druze, a maintenu une autonomie de fait après 2011, résistant à la fois au pouvoir d’Assad et à la pénétration salafiste. Aujourd’hui, cette fragile indépendance est assiégée. Elle doit également se prémunir contre les manœuvres israéliennes. Al-Hijri continue de rejeter toute ingérence extérieure, réaffirmant « l’appartenance des Druzes à la patrie syrienne unie » et dénonçant les tentatives d’instrumentalisation par des acteurs étrangers. Lors d’une réunion entre les dirigeants druzes, les anciens et les groupes armés à Soueïda, la communauté a accepté d’être « une partie inséparable de la patrie syrienne unifiée ». « Nous rejetons la division, la séparation ou le désengagement », a ajouté un porte-parole. Certaines ONG syriennes, comme le Réseau syrien pour les droits humains, avertissent que « l’ingérence israélienne contribue à la polarisation sectaire et entrave toute tentative de médiation » entre Damas, les Druzes et d’autres minorités.

« La communauté druze se trouve prise au piège entre la violence sectaire interne et les manœuvres géopolitiques externes », explique au manifesto Giovanna Cavallo, militante des droits des Druzes syriens qui s’est récemment rendue à Soueïda avec une délégation italienne. « La question qui se pose aujourd’hui est inquiétante : le gouvernement syrien est-il tout simplement incapable de faire face à la vague de violence ou s’agit-il plutôt d’une ambiguïté délibérée, d’un calcul politique qui évite la confrontation avec les franges les plus radicales, aujourd’hui de plus en plus présentes dans les appareils du pouvoir ? » Dans ce contexte, ajoute-t-elle, « une action extérieure comme celle d’Israël apparaît encore plus dangereuse », car elle accentue « les divisions au sein même de la communauté druze, entre la majorité qui appelle à un accord avec le gouvernement central et une minorité qui voudrait choisir le moindre mal (Israël, ndlr) ». « Nous ne voulons ni de Damas ni de Tel-Aviv« , déclare pour sa part une femme d’al-Qurayya, « nous voulons vivre libres, sans que d’autres décident de notre sort par les armes ».

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