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29/09/2022

CHIARA CRUCIATI
« En Iran, c'est la révolution des femmes : avec le voile, c’est le régime qui brûle »
Entretien avec Fariborz Kamkari, réalisateur et écrivain kurdo-iranien

Chiara Cruciati, il manifesto, 22/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Iran - Cinquième jour de manifestations en Iran, au moins 14 morts. Interview du réalisateur kurdo-iranien Fariborz Kamkari : « Ce n'est pas une simple révolte : elle concerne tout le pays, pas seulement le Kurdistan ou le sud-est arabe, et elle implique toutes les classes sociales, pas seulement les pauvres ou la classe moyenne. Et elle n'a pas explosé à cause de la pauvreté : les gens demandent la liberté, disent non à la nature même de la République islamique ».

 

 Avoir des nouvelles sûres du soulèvement qui enflamme l’Iran depuis cinq jours n'est pas simple : l'internet est très faible, coupé par Téhéran. Hier, la dernière application désactivée a été Instagram.

La contestation s'amplifie, presque toutes les provinces sont désormais impliquées. Au moins 14 manifestants ont été tués, des centaines blessés, le nombre d'arrestations est inconnu. A Rojhilat, au Kurdistan iranien, une grève générale a été déclenchée.

Au premier rang se trouvent les femmes : elles brûlent les voiles, coupent les cheveux, se heurtent à la police. Le soulèvement a été déclenché par l’assassinat, par la police des mœurs, de la jeune Kurde Mahsa Amini, âgée de 22 ans, vendredi dernier. À sa famille, un conseiller de l'ayatollah Khamenei a exprimé les condoléances du chef religieux qui aurait promis d'enquêter.

Mais les slogans sont clairs : « Mort au dictateur », « Femme, vie, liberté ». Dans la ville de Sari, un manifestant est monté sur la façade de la mairie et a détruit l’image de Khomeiny, le père de la République islamique.

Hier, Anonymous, le collectif de hackers appelé à la rescousse par les Iraniens sur les réseaux sociaux pour aider à désactiver les sites du gouvernement, semble l’avoir fait, bloquant la télévision d'État et certains services gouvernementaux pendant quelques heures.

Nous avons parlé du soulèvement avec Fariborz Kamkari, réalisateur kurdo-iranien, auteur entre autres des films Les fleurs de Kirkouk et Être kurde et du roman Retour en Iran.

Que se passe-t-il en Iran ?

Ce n'est pas une révolte de celles qui se produisent désormais chaque année : cette fois, elle a les caractéristiques d'une révolution. Pour quatre raisons. Premièrement, pour la première fois en 43 ans, cela concerne l'ensemble du pays et pas seulement une partie de ce pays, que ce soit le Kurdistan ou le sud-est à majorité arabe, comme cela s'est produit il y a deux semaines, des protestations aussitôt calmées. Deuxièmement, toutes les classes sociales participent : dans le passé, nous avons assisté à des protestations de la petite bourgeoisie, d'autres fois de la classe subalterne. Cette fois, ce sont les pauvres, les travailleurs, la classe moyenne qui y participent. Troisièmement, on ne s'est pas mobilisé pour des raisons économiques, les gens demandent la liberté. Quatrièmement, il est complètement hors de contrôle de toute organisation interne au régime qui, pendant des années, a montré un double visage, réformistes contre conservateurs. Aujourd'hui, la révolte est contre le régime lui-même et on le comprend par la réaction compacte de toutes les forces politiques. Brûler le voile, c'est brûler le drapeau : ce régime a utilisé le voile comme représentation de sa propre idéologie. Aujourd'hui, les gens disent non à l'ensemble du système politique du pays, à la nature même de la République islamique.

Fariborz Kamkari

Pourquoi aujourd'hui? La mort d'Amini a-t-elle été l'étincelle d'une dissidence qui cherchait un exutoire ?

Son vrai nom n’tait pas Mahsa mais Jhina. En Iran, nous ne pouvons pas utiliser des noms kurdes, qui restent officieux, autres que ceux officiels des documents d'identité. Jhina signifie « nouvelle vie ». Et elle est vraiment en train de donner une nouvelle vie au pays. C'est arrivé aujourd'hui parce que l’Iran étouffe déjà depuis longtemps. Au cours des huit dernières années, il y a eu des révoltes cycliques, mais le régime a réussi à les déconnecter en utilisant différents outils. Prenons le Kurdistan : il y a des manifestations depuis 1979, alors que Khomeiny était porté en triomphe par les partis kurdes qui avaient déjà inventé le slogan « Autonomie pour le Kurdistan, démocratie pour l’Iran ». Avec les soulèvements kurdes, le régime effraie les Iraniens en disant qu'il s'agit d'indépendantistes. Si les travailleurs protestent, le régime fait peur à la classe moyenne.

Mais cette fois, le soulèvement est l’accumulation de toutes les souffrances du peuple iranien. La situation économique est terrible, mais le slogan qui résonne est le droit de choisir pour soi. Pendant des décennies, quand nous contestions l’obligation du voile, beaucoup ont répondu que ce n'était certainement pas le problème principal. Aujourd'hui, les gens montrent qu'il l'est parce qu'il représente la liberté individuelle, la possibilité de choisir pour soi, le symbole de sa propre volonté. Les Iraniens ne demandent pas seulement du pain ou du travail, mais la liberté. D'autres fois, ils nous ont répondu que le hijab est une caractéristique de notre culture. Ce n'est pas le cas : il a été imposé par la révolution islamique qui a forcé les femmes à le porter. En brûlant le voile, elles brûlent ce mythe.

Quel rôle jouent les femmes ?

Le système a été conçu pour marginaliser les femmes et leur enlever tout rôle politique, culturel, social. La femme doit être femme et mère, son devoir est de procréer et d'élever des enfants. Les femmes iraniennes ne l'ont jamais accepté et ont toujours été un moteur de changement. Allez en Iran, vous verrez qu'elles font toutes sortes de choses. C'est une révolution féminine parce que ce sont elles qui organisent la rue, qui vont contre la police, qui brûlent le voile. Et elles sont soutenus par les hommes, c'est la nouveauté. La ruse du régime a été de créer des divisions qui sont également entrées dans la maison : si vous créez un système en faveur des hommes, les hommes deviennent les représentants du régime même dans les murs de la maison. Mais aujourd'hui, ils sont aux côtés des femmes.

Et les jeunes ?

Aujourd'hui, les jeunes utilisent Internet, connaissent le monde extérieur, sont plus difficiles à apprivoiser. 60 % de la population iranienne a moins de 30 ans, des personnes qui ne se souviennent pas ou n'ont pas participé aux grandes révoltes de 1999 et 2009. Les universités se sont réveillées. Après les manifestations de 2009, le régime avait réussi à désamorcer les étudiants, mais aujourd'hui, ils sont un nouveau moteur de protestation contre la tentative de les exclure du discours politique et social.

Téhéran saura-t-il montrer de l'élasticité, concéder quelque chose pour survivre ?

C'est difficile, le régime est construit sur ces principes. S'ils échouent, c’est tout l’échafaudage de la République islamique qui tombe. C'est pourquoi il ne change pas, bien que la majorité des Iranien·nes ne veuillent plus du hijab ou du contrôle de la liberté personnelle. Dans les grandes villes, les citoyens sont traités avec plus de douceur, mais dans les petites villes ou au Kurdistan, ils sont traités avec violence. Et personne ne paie pour ces violences : le président Raisi est en ce moment à l'Assemblée générale de l'ONU, et pourtant il est le « juge de la mort », en 1988 il a participé à la condamnation à mort de 6 000 prisonniers politiques, pour la plupart des moudjahidines et des communistes. Mais il participe au forum international.

Parmi les revendications de la place, il y a la suppression de la police des mœurs.

La police des mœurs a été l'une des premières inventions de Khomeini pour construire sa société idéale, face à l'opposition de la majorité de la population au hijab ou à d'autres comportements publics non conformes aux principes du régime, de l'habillement à la coiffure en passant par le langage. Au début de la révolution, beaucoup d'entre nous se souviennent des châtiments corporels, comme les aiguilles sur le front. La police des moeurs est un instrument efficace pour terroriser, surtout les jeunes : elle est devant chaque lycée et chaque faculté, elle vérifie comment on s'habille, ce qu'on écrit sur les téléphones. Elle arrête les voitures où il y a des hommes et des femmes pour vérifier leurs relations familiales. En tout cas, la protestation en cours ne veut pas la fin de la police des mœurs, mais la fin de toute la nature du régime.