La Jornada,
27/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Avant même
sa présentation officielle, le livre Un ejército de todos, écrit par le général
à la retraite Ricardo Martínez Menanteau, commandant en chef de l'armée
chilienne entre 2018 et 2022, a déjà provoqué des remous au sein de la
direction militaire du pays. Le 50e anniversaire du coup d'État qui
a renversé le président Salvador Allende et instauré la dictature sanglante
d'Augusto Pinochet est un moment délicat pour la coexistence entre les dirigeants
civils et l’establishment militaire, qui n’a jamais reconnu la responsabilité
des militaires dans ce chapitre atroce de l'histoire chilienne.
Le Corps des
généraux et amiraux (retraités) a adressé il y a quelques jours une lettre au
président Gabriel Boric pour lui signaler que les activités commémoratives du
11 septembre “sont en train de provoquer une plus grande division parmi nos
compatriotes” et affirme : « nous ne pouvons pas garder un silence
coupable devant tant d'agressivité et de dénigrement des forces militaires et
policières qui ont effectivement participé - sans l'avoir cherché ni voulu - à
la rupture institutionnelle de 1973 », laquelle « semble avoir été
réalisée unilatéralement par les Forces armées, oubliant que ses causes n'ont
jamais été générées dans les casernes ».
Au grand dam
de ses compagnons d'armes, Martínez Menanteau - un homme qui a rejoint l'armée
à l'âge de 15 ans et l'a quittée après en avoir été le plus haut commandant -
lancera un livre unique ce mardi à l'Aula Magna de l'Université catholique de
Santiago, « Conçu à l'origine comme un document destiné à sauver et à
renforcer l'éthique militaire au sein des forces armées », il « vise
à revaloriser l'image de l'armée aux yeux du public » et à « contribuer,
50 ans après la rupture de notre coexistence nationale, à l'indispensable
réunion de tous les Chiliens », selon la présentation de l'ouvrage.
Cependant, Un ejército de todos constitue une reconnaissance crue et
sans précédent, formulée de l'intérieur des forces armées, de certaines des
plus graves violations des droits humains, de la légalité et de l'honneur
militaire perpétrées par les porteurs d’uniformes.
En raison de
la pertinence et de l'intérêt de cette perspective unique, à la veille du 50e
anniversaire du coup d'État du 11
septembre 1973, La Jornada offre à ses lecteurs, en exclusivité pour le
Mexique, quelques extraits de Un ejército de todos, avec l'aimable
autorisation de l'éditeur JC Sáez.- La rédaction de La Jornada
René
Schneider, chef de l'armée chilienne, assassiné peu
avant que Salvador Allende ne soit déclaré président.
Assassinat
du général Schneider
En mai 1970,
le commandant en chef [le général René Schneider] a défini une politique qui
devait guider la conduite de l'armée. Elle s'inscrivait dans la continuité de
l'approche institutionnelle historique du respect de la Constitution de la
République, que la presse a appelé jusqu'à aujourd'hui la “doctrine Schneider”.
Elle réaffirme un précepte fondamental de l'armée, qui est de soutenir et de
respecter la charte fondamentale du pays.
Lorsqu'on
lui a demandé quel était l'objet de ces candidatures, le commandant en chef a
répondu : « Notre doctrine et notre mission consistent à respecter et à
soutenir la Constitution politique de l'État. Conformément à celle-ci, le
Congrès est le maître et le souverain dans le cas mentionné et notre mission
est de veiller à ce qu'il soit respecté dans sa décision » (interview au
journal El Mercurio, 8 mai 1970).
Cet
engagement en faveur de la Constitution lui a coûté la vie. Deux jours avant
l'accord entre la Démocratie chrétienne et l'Unité populaire au Congrès pour
l'élection de Salvador Allende, le 22 octobre 1970, alors que le commandant en
chef de l'armée se rendait à son travail, un groupe d'individus d'extrême
droite a encerclé le véhicule, tirant plusieurs coups de feu sur le général,
qui est décédé quelques jours plus tard à l'hôpital militaire, compte tenu de
la gravité de ses blessures.
L'assassinat
du général Schneider a impliqué des civils et des militaires actifs et
retraités, qui auraient été soutenus par la Central Intelligence Agency (CIA)
des USA.
En ce qui
concerne la participation de cette entité étrangère, il convient de souligner
que le 18 octobre de cette année-là, des communications ont fait état de
l'envoi d'armes et de munitions en provenance des USA, arrivées à l'ambassade des
USA au Chili et destinées à être utilisées pour l'enlèvement du commandant en
chef de l'armée.
Dans l'une
des notes de la CIA, il est indiqué que « la neutralisation de Schneider
sera une condition préalable essentielle au coup d'État militaire, car il
s'oppose à toute intervention des forces armées pour empêcher l'élection
constitutionnelle d'Allende ».
Les armes fournies par la CIA
auraient été livrées à un groupe d'officiers chiliens dirigé par les généraux
Camilo Valenzuela et Roberto Viaux, qui ont joué le rôle principal dans la
planification et la direction du groupe qui a attaqué et tué le général
Schneider.
Carlos Prats est mort avec sa femme Sofía Cuthbert
dans un attentat à Buenos Aires.
Nomination
du général Prats comme commandant en chef
Après
l'assassinat de Schneider, le président Frei Montalva a nommé l'officier qui le
suivait dans l’ordre d’ancienneté, le général Carlos Prats, une décision qui a
ensuite été ratifiée par le président Allende.
Il est
important de souligner qu'après les élections de septembre 1970 et dans la
période précédant son assassinat, les généraux Schneider et Prats, ainsi que
les commandants en chef de la marine et de l'armée de l'air, ont été autorisés
par le président de la République et son ministre de la défense à fournir des
conseils techniques aux groupes parlementaires qui négociaient la réforme
constitutionnelle connue sous le nom de statut des garanties démocratiques, à
fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires négociant la réforme
constitutionnelle connue sous le nom de Statut des garanties démocratiques, qui
établit à l'article 22 que « la force publique est constituée uniquement
et exclusivement des forces armées et du corps des carabiniers, institutions
essentiellement professionnelles, hiérarchisées, disciplinées, obéissantes et
non délibératives. Ce n'est qu'en vertu d'une loi que l'on peut fixer
l'effectif de ces institutions. L'incorporation de ce personnel dans les forces
armées et les carabiniers ne peut se faire que par l'intermédiaire de leurs
propres écoles institutionnelles spécialisées, à l'exception du personnel
destiné à exercer des fonctions exclusivement civiles ».
Cette
réforme reflétait deux objectifs inhérents aux armées du monde : la défense du
monopole de l'usage des armes et le souci des carrières professionnelles initiées
par leur formation dans les écoles mères.
L'assassinat
du général Schneider a été un événement triste et funeste et un affront à
l'éthique militaire. Il est clair que lorsque des officiers de haut rang
perdent leurs références éthiques et conspirent avec des activistes politiques
fanatiques pour des causes fondées sur un patriotisme erroné, en fin de compte,
c'est l'armée qui subit des dommages qu'il sera très difficile de réparer. Un
officier général enseigne toujours à ses troupes et est un phare, même s'il ne
s'en rend pas compte. Son exemple est une référence et dans ce cas, il s'agit
d'une honte pour l'institution, même si le crime lui-même a été commis par des
civils.
Cet
assassinat ignoble a non seulement abrégé l'existence d'un commandant en chef
en exercice, mais a également détruit la vie d'un soldat exemplaire dans le
respect et la défense des institutions démocratiques de la république.
Face à ce
crime, il est également condamnable que, dans les années qui ont suivi, les
commandants institutionnels n'aient pas honoré sa mémoire, sans aucune
explication. Ce n'est qu'à la fin du gouvernement militaire que son nom a été
progressivement mis en valeur. Sa figure a été politiquement justifiée par des
secteurs qui ont défendu des positions opposées, ce qui a certainement
influencé cette inaction institutionnelle.
Incorporation
du personnel militaire dans les cabinets politiques
Suite à la
grave crise politique, économique et sociale qui a commencé à se développer
sous le gouvernement de l'Unité Populaire, le président Allende, pour tenter de
renverser la situation, a nommé un cabinet comprenant des membres des forces
armées, connu sous le nom de cabinet “civilo-militaire”. Quelques mois plus
tard, il a mis en place un cabinet dit de “sécurité nationale” avec les
commandants en chef institutionnels. Sa mission consistait essentiellement à
contrôler les actions subversives en cours et à rétablir l'ordre public.
Avec cette
décision présidentielle, soutenue par certains membres de l'Unidad Popular et
contestée par d'autres, les forces armées, une fois de plus dans l'histoire du
pays, ont été reconnues comme garantes de la normalité institutionnelle, ce qui
n'était rien d'autre que la confirmation du rôle latent susmentionné,
puisqu'avec cette mesure, elles étaient à nouveau impliquées dans la situation
politique, après 40 ans d'exercice strictement militaire et de marginalisation
par rapport à la politique contingente.
Cependant,
l'implication des forces armées n'était pas seulement de nature ministérielle,
puisqu'elle s'étendait également aux entreprises d'État. En effet, dans une
quarantaine d'organismes, tels que la CORFO [Corporación de Fomento de la
Producción, Société de promotion de la production], la Commission de l'énergie
nucléaire et d'autres, il y avait une représentation militaire [...].
La participation militaire au
gouvernement de l'Unité Populaire a eu deux lectures au sein de l'institution
militaire : l'une qui donne un rôle délibératif aux forces armées en plaçant
les commandants en chef et les officiers généraux dans des fonctions ministérielles,
et l'autre qui prouve la subordination militaire à l'Exécutif, dans ce cas
précis pour éviter la confrontation violente résultant des grèves et pour
garantir des élections normales en mars 1973, afin de respecter
l'institutionnalité.
Le “Tanquetazo”
En juin 1973
se déroule l'épisode connu sous le nom de “Tanquetazo”, un soulèvement du 2e
Régiment blindé, une unité dans laquelle
il y avait du mécontentement, en particulier parmi ses jeunes officiers, qui
avaient des contacts avec des civils de Patria y Libertad, un groupe d'extrême
droite qui incitait à un soulèvement militaire. La situation a été maîtrisée
par le général Prats et les protagonistes de ce mouvement ont été accusés de
soulèvement et de manquement aux devoirs militaires. Une fois de plus, un
groupe de militaires a été instrumentalisé par des mouvements politiques qui
cherchaient à s'imposer par les armes. Une fois de plus, l'ethos militaire a été
dépassé par des événements politiques extérieurs à l'institution.
Il est très
important de souligner la position du général Prats dans la période turbulente
qui a suivi l'assassinat du général Schneider et sa confirmation dans ses
fonctions par le président Salvador Allende.
Le général
Prats publia un document intitulé “Définition doctrinaire institutionnelle”,
dans lequel il soulignait, entre autres, ce qui suit :
« (...) La fonction de
l'armée est exclusivement professionnelle ; c'est la même que celle fermement
maintenue dans le passé, ratifiée par le général Schneider dans les moments
critiques des événements nationaux et confirmée par le commandant en chef
soussigné depuis qu'il a pris ses fonctions ».
Plan de
régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix
Pendant son
commandement, le général Prats a entrepris diverses actions pour améliorer la
cohésion spirituelle et l'endoctrinement du personnel de l'armée, par le biais
d'un programme de visites aux unités dans tout le pays, expliquant la pensée
institutionnelle et profitant de l'occasion pour s'informer sur le moral et les
besoins les plus urgents du personnel.
Parallèlement,
il se concentre sur la réalisation du “Plan de régulation de l'organisation de
l'armée en temps de paix”, basé sur le “Plan d'acquisitions” élaboré par le
général Schneider, dont l'objectif est d'accroître les capacités
opérationnelles de l'armée en la dotant d'équipements modernes.
Il se
préoccupe aussi particulièrement de l'égalisation des salaires des militaires
avec ceux des autres institutions des forces armées. Il promeut la réforme
constitutionnelle de l'article 22 qui établit que les forces armées sont “professionnelles,
disciplinées, hiérarchisées, obéissantes et non délibératives”, approuvée le 9
janvier 1971.
Prats propose
au gouvernement une loi accordant le droit de vote aux sous-officiers des
forces armées de la nation, qui est adoptée en 1972. Il a promu la loi 17.798,
qui établissait le type d'armes devant faire l'objet d'un contrôle, les
sanctions pour la création et le fonctionnement de milices armées, la
possession ou le port d'armes interdites, et l'entrée non autorisée dans les
locaux militaires et policiers, entre autres. Cette initiative juridique n'a
jamais abouti, compte tenu de la polarisation du pays.
La
Chambre des députés en appelle aux forces armées
Face à la
crise qui sévit, le 22 août 1973, la Chambre des députés lance un appel à
l'implication des forces armées dans la crise politique. Cet appel d'une
fraction du Congrès réaffirme le rôle latent attribué aux Forces armées que
nous avons défendu.
Comme on
peut le constater, les institutions armées ont été confrontées en 1973 à deux
situations extrêmement critiques qui allaient marquer l'avenir, principalement
celui de l'Armée.
Ces
convulsions atteignent l'institution elle-même, qui est affectée par les
bouleversements sociaux que connaît le pays. Celles-ci sont accentuées par des
événements tels que la manifestation des femmes d'officiers devant le domicile
du commandant en chef, qui aboutit finalement à sa démission pour éviter les
divisions internes.
La crise
politique, économique, sociale et institutionnelle de la période 1970-1973 a
conduit les forces armées à prendre une décision extrême, sans précédent au
cours du siècle, qui a consisté à déposer le président de la République et à
prendre en charge le gouvernement du pays, autrement dit à réaliser un coup
d'État (pronunciamiento militaire).
Les
droits humains sous le gouvernement civilo-militaire (1973-1990)
Le 11
septembre 1973, le haut commandement des forces armées et des forces de
sécurité décide de réaliser un coup d'État contre le gouvernement du président
Salvador Allende et de prendre la direction du pays en raison de la grave crise
qui s'est déclenchée. Cette étape historique, dont les répercussions se font
encore sentir aujourd'hui, marque le début d'une nouvelle étape
institutionnelle en matière de doctrine militaire et de droits humains.
Ce contexte
exceptionnel a obligé les membres de l'armée à concentrer leurs années de
formation et leurs valeurs sur des activités inédites et diverses, le tout dans
une atmosphère nationale de grande tension et de polarisation. L'armée a dû
déployer son personnel pour couvrir toutes les fonctions requises, des plus
hautes charges aux tâches les plus simples, en recourant même à l'utilisation
de réservistes dans les premiers temps. Certains ont été affectés à des tâches
gouvernementales, d'autres ont été commissionnés pour des activités de
renseignement national ou politique (non militaire), et un troisième groupe, la
majorité, a poursuivi ses tâches militaires de routine.
Ce compte
rendu ne tente pas d'analyser au cas par cas ce qui s'est passé, mais plutôt de
mettre en lumière les événements qui ont remis en question - et dans de
nombreux cas violé - certains préceptes moraux, individuels et institutionnels
et les principes de la responsabilité militaire.
L'auto-exil
du général Prats
Le 15
septembre 1973, à l'aube, l'ancien commandant en chef de l'armée, le général
Carlos Prats, a été transporté à Portillo à bord d'un hélicoptère Puma.
Ensuite, dans sa voiture privée et escorté par une patrouille militaire, il est
arrivé à Caracoles où, après avoir accompli les formalités douanières
correspondantes et pris congé de l'escorte, il a remis une lettre adressée au
général Augusto Pinochet, dont les principaux paragraphes indiquaient : « L'avenir
dira qui s'est trompé. Si ce que vous avez fait apporte le bien-être général au
pays et que le peuple sent réellement qu'une véritable justice sociale est
imposée, je me réjouirai d'avoir eu tort de chercher si ardemment une solution
politique pour éviter le coup d'État. Je vous suis reconnaissant pour les
facilités que vous m'avez accordées pour me permettre de quitter le pays ».
Les
exigences imposées à un officier général ou supérieur dépassent de loin celles
imposées à ses subordonnés. Sa responsabilité est très élevée, car une décision
ordonnant à un subordonné d'effectuer une tâche peut modifier l'interprétation
de la valeur de ce dernier. En effet, l'exercice d'une valeur dans des
circonstances extrêmes peut être soumis à un certain degré d'interprétation.
Un élément
fondamental du maintien de la discipline militaire est que les ordres donnés
par un supérieur doivent être légaux, d'où l'impératif qu'ils soient exécutés
par les subordonnés. L'ordonnance générale de l'armée précise que la discipline
dans les relations entre militaires n'est pas un acte de soumission, mais au
contraire un acte de réflexion profonde, par lequel les subordonnés abandonnent
une partie de leur liberté d'action pour permettre à un commandant d'accomplir
une mission dans le cadre d'un code légal, réglementaire et professionnel. Un
subordonné est donc obligé d'obéir aux ordres émanant d'un supérieur, bien
qu'il soit doté de la capacité de représenter à ses supérieurs les conséquences
d'ordres incorrects, illégaux ou injustes.
Dans les
pages du livre Ejército de Chile : Un recorrido por su historia, il est
clairement et explicitement indiqué : « Les violations des droits de
l'homme qui se sont produites au cours de cette période et auxquelles ont
participé des membres de l'armée - qu'elles soient la conséquence d'actes
dérivés de l'obéissance due, d'un usage disproportionné de la force, d'excès
individuels ou d'actions fortuites - ont été une blessure profonde infligée au
devoir militaire ».
La Caravane
de la mort
L'un des
épisodes les plus condamnables en matière de droits humains sous le
gouvernement militaire a été la visite du général Sergio Arellano Stark et de
sa suite dans différentes garnisons du nord et du sud du pays en octobre 1973,
dans le but supposé de “réviser et d'accélérer les procès” des prisonniers
politiques. Cette expédition, connue à ce jour sous le nom de “Caravane de la mort”
a laissé derrière elle la trace douloureuse d'exécutions massives, de dizaines
d'individus sortis des prisons, sommairement abattus, sans avoir bénéficié du
droit à une procédure régulière. La mission de ce général peut être décrite
comme une tâche parfaitement planifiée depuis Santiago, exécutée selon un
programme identique dans chaque ville, avec un comportement très indiscipliné
de ses membres pour intimider le personnel subordonné dans les unités et pour
donner des conseils voilés et déguisés sur le terrain sur la manière de
procéder avec l'“adversaire”.
Le général
responsable, agissant en sa qualité de “délégué du commandant en chef de
l'armée”, s'est délibérément tenu à l'écart des lieux des fusillades,
distrayant les commandants de régiment dans des activités sans importance,
tandis que des membres de son entourage sortaient des personnes des prisons et
les abattaient ou ordonnaient à des membres de l'unité de le faire, impliquant
intentionnellement le personnel du régiment dans de fausses cours martiales.
Les faits et
le dossier judiciaire confirment que la mission du général Arellano était
d'accélérer les procédures dans les lieux où les commandants auraient fait
preuve de faiblesse après le 11 septembre 1973 (“commandants pusillanimes”,
selon ses propres termes). Mais sur le plan juridique, cela n'était pas
possible, car la délégation ne comptait pas de conseiller juridique dans ses
rangs. Dans cette situation dramatique, les capitaines, lieutenants et
sous-officiers n'avaient d'autre choix que d'exécuter les ordres de leurs
supérieurs sous la menace d’être déférés cour martiale.
Il ne faut
pas oublier que le haut commandement de l'époque avait déclaré, par le
décret-loi n° 5 du 12 septembre 1973, que l'état de siège décrété pour cause de
troubles intérieurs, compte tenu des circonstances que connaissait le pays,
devait être considéré comme un “état ou temps de guerre” aux fins de
l'application des sanctions prévues par le code de justice militaire et
d'autres lois pénales, ce qui signifiait que le non-respect des ordres par les
militaires pouvait constituer un motif suffisant pour être fusillé.
Lors d'une
confrontation entre le général Arellano et le capitaine Patricio Díaz au sujet
des exécutions à Copiapó, le général nie catégoriquement avoir ordonné
l'exécution de prisonniers politiques, tandis que le capitaine déclare que
"...la raison qui me pousse le plus à dire que le major Haag (commandant
du régiment d'Atacama à Copiapó) exécutait des ordres supérieurs est que les 16
exécutions à Copiapó ont eu lieu exactement pendant la période de séjour de mon
général Arellano et de sa suite dans la garnison. En complément de ce qui a été
dit, je tiens à préciser que ni avant ni après la présence de mon général
Arellano à Copiapó, aucun détenu n'a été exécuté...» Ce qui précède confirme
clairement que sa tournée dans chacune des villes où des meurtres ont été
commis a été le résultat d'un ordre exprès de cette autorité.
Le statut du
général Arellano en tant que “délégué du commandant en chef de l'armée” lors de cette tournée a été très
important et décisif pour les résolutions adoptées, car il représentait en sa
personne l'autorité du commandant en chef de l'armée devant les commandants
militaires qui le recevaient dans les différentes garnisons.
Cette
délégation implique une grande responsabilité de la part de celui qui transmet
ce pouvoir à un subordonné, en l'occurrence le général Pinochet, et de la part
de celui qui le reçoit de l'utiliser avec le plus grand jugement, la plus
grande responsabilité et la plus grande justice, le général Arellano.
On peut donc
en déduire qu'il y a eu un comportement antérieur visant à susciter la peur et
à impliquer les membres de toutes les unités visitées, en leur confiant la
responsabilité de se confronter aux parents des personnes touchées et en
laissant ainsi les jeunes officiers et sous-officiers de ces régiments comme la
face visible des exécutions.
Les actions du général Arellano
étaient absolument contraires à l'honneur militaire. En outre, il n'avait
aucune considération pour ses subordonnés, ce que confirme la déclaration du
juge Juan Guzmán Tapia lui-même, chargé de l'enquête judiciaire sur ces crimes,
lorsqu'il raconte ce qui s'est passé à Copiapó en réponse à un ordre donné par
le général Arellano, (...) « cependant, les deux sous-lieutenants ont
représenté l'ordre, c'est-à-dire qu'ils se sont opposés à son exécution. Nonobstant,
une fois l'ordre représenté, ils ont de nouveau été contraints de s'y
conformer, car s'ils ne le faisaient pas, ils seraient jugés militairement pour
les crimes de trahison et d'insubordination, crimes perpétrés “en temps de
guerre” et passibles de la peine de mort » (...). Il en découle que le
général susmentionné n'était pas responsable des conséquences de ses actes.
Quant aux officiers chargés d'exécuter les ordres, ils ont tous deux été
poursuivis et purgent actuellement leur peine à Colina I. Ainsi, Arellano n'a
jamais répondu de ce qui s'est passé sous son commandement, ce qui lui a valu
la répudiation des personnes concernées et de toute l'institution.
En résumé, ces événements
dramatiques ont causé des dommages irréversibles à la population en raison des
condamnations à mort arbitraires sans procédure régulière, ordonnées par un
général de l'armée, et une grave atteinte à l'image de l'institution militaire,
certains de ses membres ayant été contraints de tirer sur des civils sous la
menace de la mort, alors même que certains d'entre eux purgeaient déjà des
peines.
Enfin, il
est important de mentionner que le type d'ordres que le général Arellano a reçu
du commandant en chef de l'armée n'a jamais été clarifié ; en revanche, ses
performances lui ont valu une promotion au sein de l'institution, par
résolution du commandant en chef.
Assassinat
du général Prats
Outre les
crimes de la Caravane de la mort et d'autres qui se sont produits, l'assassinat
de l'ancien commandant en chef, le général Carlos Prats, et de son épouse,
Sofía Cuthbert, qui a eu lieu en septembre 1974 dans la ville de Buenos Aires
et dont certains membres de la DINA
ont été tenus pour responsables, a été également un crime lâche, cruel et
répréhensible, ainsi qu'une honte institutionnelle. Bien qu'il ait été perpétré
par un organisme de sécurité n'appartenant pas à l'armée, la plupart des
personnes condamnées par les tribunaux étaient des membres de l'institution.
Selon le
dossier d'enquête, l'agent de la DINA Michael Townley, de nationalité usaméricaine,
a placé un engin explosif dans la voiture de Prats et, le 30 septembre 1974, à
00h50, il l'a fait exploser à l'aide d'un dispositif télécommandé au moment où
le couple rentrait chez lui, provoquant la mort instantanée des deux personnes.
Des années
plus tard, le 5 juin 2009, le commandant en chef de l'armée, Óscar Izurieta, a
fait une déclaration sur cette situation lors de l'inauguration du camp
militaire de San Bernardo, [il a dit] à propos du général Carlos Prats : « ...
l'armée chilienne, son commandant en chef et les milliers d'hommes et de femmes
qui la composent, condamnent publiquement la bassesse de cette action et désavouent
les auteurs d'un crime aussi ignoble, ainsi que les personnes indifférentes qui
n'ont pas apporté leur réconfort et leur soutien aux filles d'un commandant en
chef assassiné... ». Il a ajouté : « ... si la participation
d'anciens militaires à ces deux crimes est confirmée par une sentence
exécutoire, un acte du plus grand déshonneur aura été commis. De plus, si
l'attentat contre la vie du général Prats est déjà une atteinte à l'honneur
militaire, la mort de son épouse constitue un outrage à notre culture militaire
et à la notion de famille à laquelle nous tenons tant... ».
Les
détenus disparus
Les plus de 1 000 détenus qui ont
disparu pendant le gouvernement militaire constituent l'une des pages les plus
sombres des violations des droits humains au cours de cette période et
représentent une plaie ouverte dans l'âme nationale.
Ne pas avoir
remis les corps des victimes au moment de leur mort et ne pas l'avoir fait des
années plus tard lorsque les enterrements ont été effectués dans des fosses
clandestines dans le cadre d'une opération décidée par le commandant et
approuvée par les commandants supérieurs de l'époque représente un grave
affront à l'éthique militaire et un affront très douloureux pour les familles
touchées.
C'est aussi,
et à juste titre, l'un des facteurs les plus déterminants dans les accusations
portées aujourd'hui encore contre l'armée par les différentes organisations de
défense des droits humains.