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05/02/2023

KATARINA DJORDJEVIC
#metoo : quand les femmes se révoltent, personne ne doit être lésé

 Katarina Djordjevic, FemPers, 7/2/2023
Original :
#metoo: När kvinnor revolterar får ingen komma till skada
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Katarina se présente ainsi : « Je suis née en Suède ou j’ai grandi avec une mère finlandaise, un père serbe et trois frères. J’ai eu la chance d’étudier un an au Canada, et de travailler au Vietnam, en Afrique du Sud et à La Réunion. Aujourd’hui je travaille à Paris en tant que chef infographiste de modélisation pour des films d’animation. J’ai fait des formations sur l’écriture de scenario et la réalisation des films documentaires, et mon rêve est de faire une série documentaire sur des sociétés matriarcales. J’habite Paris ou j’élève seule mon fils de 11 ans. Les questions qui m’intéressent le plus : la paix, l’égalité et la durabilité ». Facebook

 « Lorsque les femmes se rebellent contre des siècles, voire des millénaires de sexisme, alors là personne ne doit être lésé. On attend des femmes qu’elles soient polies et pondérées, même lorsqu’elles font la révolution ! »

Katarina Djordjevic réfléchit à ce qu’est une révolution et à la manière d’aller de l’avant après #metoo.

Eleanor Shakespeare, The Guardian

Il est temps d’aborder un aspect de #metoo qui a été absent dans le débat, à savoir une perspective plus large sur le fonctionnement des révolutions.

Selon le dictionnaire de l’Académie suédoise, une révolution est un « changement violent, généralisé, profond (souvent soudain) des conditions existantes à certains égards (par exemple dans les conditions sociales, culturelles) ; bouleversement, subversion, remodelage (...) ».

#metoo a été à plusieurs reprises comparé à une révolution, et si l’on observe l’ambiance en Suède lorsque le mouvement #metoo était le plus intense, on peut dire qu’il y avait une certaine humeur révolutionnaire. Bien que #metoo ait en fait été lancé aux USA en 2007 par Tarana Burke, il y a eu quelque chose de soudain dans le fait que tant de personnes en Suède, ensemble, se sont levées et ont témoigné au même moment à l’automne 2017. Quelque chose qui avait été longtemps, longtemps refoulé a soudainement fait surface et pour beaucoup des hommes contre lesquels les témoignages étaient dirigés, et pour leurs familles, #metoo a eu des conséquences violentes. L’objectif de #metoo était de provoquer un changement et il s’agissait de conditions sociales et culturelles. En ce sens, #metoo correspond tout à fait à la définition d’une révolution. Même si c’était sous une forme comparativement très douce et inachevée.

Les révolutions historiques, étrangement, sont souvent perçues comme quelque chose de positif. Dans le monde du film, la rébellion de l’esclave Spartacus contre les maîtres de l’Empire romain est romantisée et nous voyons de pauvres paysans marcher vers Versailles pour renverser la monarchie détachée e la réalité. Le psychiatre et essayiste Franz Fanon encourage le peuple à recourir à la violence contre la puissance coloniale française en Algérie.

La Révolution française a été terriblement sanglante. Sous la Terreur, plus de mille personnes ont été exécutées en une seule année, dont de nombreux enfants. Beaucoup étaient innocents et jugés par des tribunaux populaires arbitraires. Pourtant, nous ne nous concentrons pas sur ces victimes et leurs pauvres parents, mais nous nous intéressons surtout aux personnes qui sont mortes de faim et aux festins de la famille royale dans les années précédant la révolution.

À ma connaissance, aucun film n’a jamais été réalisé sur l’angoisse d’un maître romain lorsque ses esclaves se rebellent. Nous ne l’entendons jamais se plaindre qu’il a tout perdu. Nous ne tenons pas les esclaves responsables du sang qui coule pendant leur rébellion. Nous ne nous demandons pas s’ils sont allés trop loin.

Lorsque nous discutons de la rébellion contre les puissances coloniales, personne ne dit avec indignation « Une victime était une victime de trop ! Personne, pas une seule personne n’aurait dû être lésée ! »

La rébellion contre les puissances coloniales a entraîné de nombreuses souffrances et la mort de nombreux innocents, mais nous sommes en mesure de mettre ces souffrances en perspective avec celles qui ont précédé la rébellion. Nous sommes compétents pour comprendre les mécanismes humains qui se mettent en branle lorsque quelque chose est allé trop loin, lorsque trop de douleur et de frustration se sont accumulées... Toute cette énergie est nécessaire pour que la révolution puisse démarrer. Mais c’est aussi cette énergie, qui lorsqu’elle se déchaîne devient facilement ingérable, qui rend les révolutions dangereuses, voire mortelles.

Nous le comprenons dans le cas de toutes les révolutions. Sauf une. Celle des femmes.

Lorsque les femmes se rebellent contre des siècles, voire des millénaires de sexisme, personne ne doit être lésé. Nous attendons des femmes qu’elles soient polies et pondérées, même lorsqu’elles font la révolution !

Nous oublions complètement qu’être pondérés va à l’encontre du phénomène même de la révolution. Une révolution n’est jamais calme. La dynamique d’une révolution est précisément qu’elle déferle comme une vague, que les émotions prennent le dessus, que les inhibitions disparaissent et que les gens sont invités à suivre. Les révolutions ne sont pas belles. Les révolutions sont horribles et sanglantes et causent de terribles souffrances. C’est précisément la raison pour laquelle il est si important de créer une société où les gens ne sont pas opprimés, où les gens ne doivent pas vivre longtemps avec le sentiment d’être traités injustement. Précisément pour éviter que les révolutions n’aient à se produire.

La révolution #metoo n’a jamais été achevée. Si #metoo était devenu une véritable révolution, beaucoup, elle aurait probablement coûté la vie beaucoup plus de personnes. Nous avons donc probablement de la chance que les femmes soient aussi sages et pondérées qu’elles le sont, et que #metoo n’ait jamais eu pour but de renverser les piliers du système actuel, mais d’apporter un changement au sein du système.

Si nous voulons juger équitablement le soulèvement #metoo, dans le même esprit que nous jugeons les autres soulèvements contre l’injustice, nous ne devons pas oublier que ce sont les injustices elles-mêmes qui sont la cause principale de la souffrance que le soulèvement crée. Si nous ne blâmons pas les esclaves qui se rebellent contre l’esclavage, nous ne devrions pas non plus blâmer les femmes qui se rebellent contre le sexisme. C’est l’esclavage et le sexisme qui sont le principal problème.

Les souffrances causées lors d'une révolution sont essentiellement une conséquence de l'injustice qui a précédé le soulèvement. Si nous voulons éviter les souffrances qu'entraînent les soulèvements et les révolutions, et dont même des innocents peuvent pâtir, nous devrions peut-être nous attaquer à toutes ces choses qui peuvent provoquer le genre de frustration qui, au fil des années d'accumulation, peut amener les personnes à se regrouper et, ensemble, à chambarder soudainement le monde que nous connaissons.