Le chercheur
et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les
Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en
cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.
Hani Zubida
a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports
à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été
soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les
émissaires de l’État avaient exagéré.
« Ils nous
ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse »,
raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée
parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue,
puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. «
Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent
les enfants ? » »
Zubida a
affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en
harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on
lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des
citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.
« Ils nous
rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais
de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle.
Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise.
Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en
sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au
final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »
Quand il n’est
pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public
avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils
me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes.
» Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous
êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous
? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout
le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous
réaliser que vous êtes arabes ? »
La routine
automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale
soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais
récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent
une nouvelle réalité israélienne(en hébreu). C’est un livre
ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un
nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche
actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les
politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été
écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants
sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak
Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.
Le livre
couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation
à la télévision, du système
judiciaire au logement social, de l’affaire
des enfants yéménites à l’équipe
de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la
masculinité, de la nourriture
au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de
la communauté éthiopienne et des Arabes.
« Nous
voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont
été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les
éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la
discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire
des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec
les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout
dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été
commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.
L’idée,
explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre
sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel
politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui
étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours
de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société
israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous
utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous
devions les mettre à jour.
J’ai suggéré
de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de
femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union
soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer
davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais
parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible
et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes
amis. »
Traduit (fidèlement et sans commentaires) par Fausto Giudice, Tlaxcala (uniquement pour servir de base aux études futures sur le journalisme newyorktimesque en temps de génocide)
Ben Hubbard est le chef du bureau d’Istanbul du New York Times, couvrant la Turquie et une partie des territoires de l’ancien Empire ottoman. Il a étudié l’arabe.
Yahya Sinwar, le leader militant palestinien qui a émergé de deux décennies de prison en Israël pour se hisser à la tête du Hamas et aider à planifier l’assaut le plus meurtrier de l’histoire d’Israël, est décédé mercredi. Il était âgé d’une soixantaine d’années.
Son décès a été annoncé jeudi par l’armée israélienne, qui a déclaré qu’il avait été tué par une unité de commandants d’escadrons stagiaires qui l’avaient rencontré lors d’une opération dans le sud de la bande de Gaza.
Dirigeant de longue date du Hamas, qui a accédé à sa plus haute fonction politique en août, M. Sinwar était connu de ses partisans comme de ses ennemis pour sa ruse et sa brutalité. Il a renforcé la capacité du Hamas à nuire à Israël dans le cadre de l’objectif à long terme du groupe, qui est de détruire l’État juif et de construire à sa place une nation palestinienne islamiste.
Yahya Sinwar, le leader du Hamas, saluant le public lors du festival international de la Journée d’Al Qods dans la ville de Gaza l’année dernière. Photo Samar Abu Elouf/NYT
Il a joué un rôle central dans la planification de l’assaut surprise contre le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a tué environ 1 200 personnes, en a ramené 250 autres à Gaza en tant qu’otages et l’a placé en tête de la liste des personnes à abattre par Israël. Les dirigeants israéliens ont promis de le traquer et l’armée a largué des tracts au-dessus de Gaza offrant une récompense de 400 000 dollars pour toute information sur sa localisation.
Mais pendant plus d’un an, il est resté insaisissable, survivant dans les tunnels que le Hamas avait creusés sous Gaza, alors même qu’Israël tuait nombre de ses combattants et associés.
L’héritage de M. Sinwar parmi les Palestiniens est complexe. Il a mis sur pied une force capable de frapper l’armée la plus sophistiquée du Moyen-Orient malgré le blocus serré de Gaza par Israël et l’Égypte. Mais l’attaque du 7 octobre a conduit Israël à s’engager non seulement à mettre fin au règne du Hamas sur Gaza, qui dure depuis 17 ans, mais aussi à détruire complètement le groupe.
Selon les sondages, l’assaut a renforcé la position du Hamas en Cisjordanie occupée par Israël et ailleurs dans le monde arabe, mais pas parmi les habitants de Gaza, dont les vies et les maisons ont subi de plein fouet l’invasion israélienne qui s’en est suivie.
Et s’il a réussi à ramener la cause palestinienne à l’attention du monde, il n’a pas réussi à rapprocher son peuple de l’indépendance ou de la création d’un État, et ce à un coût énorme pour ceux qu’il prétendait vouloir libérer. Israël a réduit une grande partie de Gaza en ruines en réponse à l’attaque du Hamas, et plus de 42 000 Palestiniens ont été tués, selon les autorités sanitaires de Gaza.
Des Israéliens en deuil rassemblés autour des cinq cercueils de la famille Kutz lors de leurs funérailles à Gan Yavne, en Israël, en octobre dernier. Les membres de la famille ont été tués le 7 octobre dans le kibboutz de Kfar Aza. Photo Avishag Shaar-Yashuv /NYT
Un bâtiment détruit par une frappe israélienne dans la ville de Gaza le 7 octobre. Photo Samar Abu Elouf/NYT
Lorsque la nouvelle de sa mort s’est répandue dans la bande de Gaza, de nombreuses personnes se sont réjouies.
Mohammed, un jeune homme de 22 ans qui avait été déplacé à plusieurs reprises pendant la guerre, a déclaré qu’il blâmait M. Sinwar pour la faim, le chômage et les sans-abri que le conflit avait causés.
« Il nous a humiliés, a déclenché la guerre, nous a dispersés et nous a déplacés, sans eau, sans nourriture et sans argent », a déclaré Mohammed, sous couvert d’anonymat par crainte de représailles de la part des membres du Hamas. « C’est lui qui a poussé Israël à agir de la sorte ».
La nouvelle de la mort de M. Sinwar a marqué « le plus beau jour de ma vie ».
En tant que chef du Hamas à Gaza de 2017 à 2024, M. Sinwar a discrètement ravivé les relations du groupe avec l’Iran, un mécène de longue date, aidant le Hamas à développer la capacité de déjouer les défenses d’Israël. Tout en préparant secrètement une guerre géante avec Israël, il a fait croire à ce dernier qu’il souhaitait le contraire : pas exactement la paix, mais au moins un peu de calme.
De nombreux membres des services de sécurité israéliens ont passé les années précédant la guerre à se concentrer sur d’autres menaces et à supposer que Gaza était sous contrôle, ont déclaré certains d’entre eux lors d’entretiens après le début de la guerre.
La vie de M. Sinwar a été profondément marquée par le conflit israélo-palestinien.
Il était né en 1962 à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, un territoire surpeuplé et appauvri situé sur la côte méditerranéenne, à la frontière d’Israël et de l’Égypte.
Des informations sur ses parents n’étaient pas immédiatement disponibles, mais comme la plupart des habitants de Gaza, les membres de sa famille étaient des réfugiés palestiniens enregistrés. Ces personnes ou leurs ancêtres ont fui ou ont été chassés de leurs maisons pendant la guerre qui a entouré la création d’Israël en 1948 et souhaitent ardemment y retourner.
M. Sinwar a étudié l’arabe à l’université islamique de Gaza et s’est engagé dans la politique islamiste. Au début du premier soulèvement palestinien, ou intifada, contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza en 1987, les islamistes palestiniens ont fondé le Hamas, qui s’est engagé à détruire Israël et à le remplacer par un État palestinien. Israël, les USA et d’autres pays ont désigné M. Sinwar comme terroriste et le Hamas comme une organisation terroriste.
M. Sinwar, membre de la première heure du Hamas, dirigeait un groupe chargé de punir les Palestiniens accusés d’espionnage pour le compte d’Israël, souvent en les exécutant. Il s’est acquitté de cette tâche avec une telle brutalité qu’il a été surnommé le « boucher de Khan Younès ».
En 1988, Israël a arrêté M. Sinwar et l’a ensuite poursuivi pour le meurtre de quatre Palestiniens soupçonnés de collaborer avec Israël. Il a passé plus de vingt ans dans les prisons israéliennes, une expérience qui, selon lui, lui a permis d’étudier son ennemi.
M. Sinwar, à gauche, et le dentiste Yuval Bitton dans le complexe pénitentiaire de Beersheba, en Israël, lors des négociations en vue d’un échange de prisonniers qui devait aboutir à la libération de M. Sinwar en 2011
« Ils voulaient que la prison soit une tombe pour nous - un moulin pour broyer notre volonté, notre détermination et nos corps », a-t-il déclaré en 2011. « Mais, Dieu merci, grâce à notre foi en notre cause, nous avons transformé les prisons en sanctuaires de culte et en académies d’études ».
Il a appris l’hébreu, s’est documenté sur l’histoire et la société israéliennes et est devenu un leader de la prison, participant aux négociations entre les détenus et leurs geôliers.
« Il ne fait aucun doute qu’il est têtu et qu’il est un bon négociateur », a rappelé Sofyan Abu Zaydeh, qui a rencontré M. Sinwar en prison à la fin des années 1980 et qui a ensuite occupé un poste de ministre au sein de l’Autorité palestinienne.
Au fil des ans, Israël a manqué plusieurs occasions de tenir M. Sinwar à l’écart du champ de bataille, voire de l’éliminer complètement.
Pendant l’incarcération de M. Sinwar, Yuval Bitton, un dentiste de la prison, a appris à le connaître et à connaître ses efforts constants pour punir les Palestiniens qu’il soupçonnait de travailler avec Israël, a déclaré le Dr Bitton au Times en 2024.
En 2004, M. Sinwar a commencé à ressentir une douleur dans la nuque qui, selon le Dr Bitton, nécessitait une intervention médicale urgente. Les médecins ont retiré une tumeur cérébrale agressive qui aurait pu tuer M. Sinwar si elle n’avait pas été traitée, et M. Sinwar a remercié le Dr Bitton de lui avoir sauvé la vie.
« Il était important pour lui que je comprenne l’importance pour un musulman de cette question dans l’islam, et du fait qu’il me doive la vie », a déclaré le Dr Bitton, qui est devenu plus tard le chef des services de renseignements de l’administration pénitentiaire israélienne.
Par un douloureux coup du sort, lorsque le Hamas a frappé Israël en 2023, le neveu du Dr Bitton, Tamir Adar, faisait partie des otages ramenés à Gaza, où il est mort peu de temps après.
En 2011, Israël et le Hamas ont accepté d’échanger un soldat israélien capturé, Gilad Shalit, contre 1 027 prisonniers palestiniens. M. Sinwar était le prisonnier le plus ancien libéré dans le cadre de cet accord. Il est revenu de prison avec une connaissance plus approfondie d’Israël et un engagement plus ferme en faveur de la libération d’autres prisonniers palestiniens.
« Il a promis à ses collègues, lorsqu’il est parti, que leur liberté était son fardeau », se souvient M. Abu Zaydeh. « Le 7 octobre, à la base, c’était la libération des prisonniers ».
M. Sinwar saluant ses amis et sa famille lors d’une réception à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, en 2011, après sa libération de prison. Photo Lynsey Addario/NYT
Des membres des Brigades Ezzedine Al Qassam, la branche armée du Hamas, applaudissent au retour des prisonniers libérés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en 2011 . Photo Lynsey Addario/NYT
À son retour à Gaza, il a découvert une nouvelle réalité. En 2007, le Hamas a pris le contrôle de l’Autorité palestinienne, plus modérée. Pour la première fois, le Hamas n’était plus seulement un groupe armé, mais aussi un gouvernement de facto qui supervisait l’électricité, le ramassage des ordures et d’autres services publics.
La prise de pouvoir du Hamas a incité Israël et l’Égypte à imposer un blocus à Gaza, limitant la circulation des biens et des personnes à l’intérieur et à l’extérieur du territoire et aggravant la pauvreté et l’isolement de la bande de Gaza.
M. Sinwar a gravi les échelons au sein du Hamas. En 2012, il est devenu le représentant de la branche armée du Hamas, les Brigades Al Qassam, un rôle proche de celui de ministre de la Défense. Cela l’a rapproché de la force de combat du Hamas et de son mystérieux commandant, Mohammed Deif, un autre architecte de l’attaque du 7 octobre, qu’Israël a tué lors d’un important bombardement à Gaza en juillet.
En 2017, M. Sinwar est devenu le chef du Hamas à Gaza, succédant à Ismail Haniyeh, qui s’est installé au Qatar et a été le principal dirigeant politique du groupe jusqu’à ce qu’Israël l’assassine à Téhéran en juillet. Dans ce rôle, M. Sinwar a cherché de nouveaux moyens de protester contre le blocus et d’attirer l’attention sur les griefs palestiniens. En 2018, le Hamas a pesé de tout son poids pour soutenir les grandes manifestations des Palestiniens de Gaza qui cherchaient à marcher vers leurs villages ancestraux à l’intérieur d’Israël, des manifestations qu’Israël a violemment réprimées.
Manifestants palestiniens à la frontière entre Israël et Gaza en 2018. Cette année-là, de nombreuses personnes ont participé à ce qui est devenu la “Grande Marche du retour”
M. Sinwar, avec Ismail Haniyeh, à gauche, lors des funérailles d’un autre dirigeant du Hamas dans la ville de Gaza en 2017. Cette année-là, M. Sinwar a succédé à M. Haniyeh à la tête du Hamas à Gaza. Photo Mohammed Salem/Reuters
M. Sinwar a également fait part de son intérêt pour l’amélioration de la vie des habitants de Gaza. Lors d’un rare entretien avec un journaliste italien en 2018, il a appelé à un cessez-le-feu à long terme.
« Je ne dis pas que je ne me battrai plus », a-t-il déclaré. « Je dis que je ne veux plus de guerre. Je veux la fin du siège. Vous marchez sur la plage au coucher du soleil et vous voyez tous ces adolescents sur le rivage qui discutent et se demandent à quoi ressemble le monde de l’autre côté de la mer. À quoi ressemble la vie », a-t-il ajouté. « Je veux qu’ils soient libres ».
En 2021, le Hamas a lancé une nouvelle guerre - son troisième conflit majeur avec Israël depuis 2008 - pour protester contre les efforts israéliens visant à expulser les Palestiniens de Jérusalem-Est et contre les raids de la police israélienne sur la mosquée Al Aqsa à Jérusalem, pierre angulaire de la revendication de la ville par les Palestiniens. Pendant le conflit, Israël a bombardé son domicile pour tenter de le tuer, sans succès.
En direct à la télévision, après le cessez-le-feu, M. Sinwar a annoncé qu’il rentrerait chez lui à pied et a mis Israël au défi de l’assassiner. Il s’est ensuite promené dans Gaza, serrant des mains, saluant les propriétaires de magasins et s’arrêtant pour prendre des photos avec les passants.
Des secouristes à la recherche de victimes sur le site d’une frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza, pendant la guerre de 2021. Photo Samar Abu Elouf/NYT
M. Sinwar lors d’un rassemblement dans la ville de Gaza à la suite d’un cessez-le-feu en 2021.
Sa rhétorique violente à l’encontre d’Israël ne s’est jamais atténuée. En 2022, il a prononcé un discours enflammé appelant les Palestiniens du monde entier, y compris à l’intérieur d’Israël, à « préparer leurs hachoirs, leurs haches ou leurs couteaux ». Moins d’une semaine plus tard, trois juifs israéliens ont été tués dans une attaque à la hache dans le centre d’Israël.
Mais M. Sinwar a également continué à chercher des accommodements avec Israël, négociant l’entrée d’une aide mensuelle d’environ 30 millions de dollars à Gaza en provenance du Qatar et l’augmentation du nombre de permis de travail en Israël pour les habitants de Gaza, deux éléments indispensables à l’économie chancelante du territoire.
Ces mesures, auxquelles s’ajoutait la décision de M. Sinwar de tenir le Hamas à l’écart des affrontements entre Israël et d’autres groupes armés, ont fait croire à l’establishment sécuritaire israélien que des mesures de sécurité strictes et des améliorations limitées de la qualité de vie des habitants de Gaza permettraient de contenir le Hamas.
Mais cet espoir a été anéanti le 7 octobre 2023, lorsque des combattants ont neutralisé les défenses frontalières d’Israël, fait irruption en Israël par la mer, l’air et la terre, et se sont déchaînés sur les communautés et les bases militaires israéliennes, tirant sur des soldats et des civils et montrant à quel point les évaluations de M. Sinwar par Israël étaient erronées.
Israël a répondu avec une force écrasante, détruisant de grandes parties de Gaza, lançant une invasion terrestre visant à détruire le Hamas et provoquant l’une des augmentations les plus rapides du nombre de morts de toutes les guerres de ce siècle.
Photo prise lors d’une tournée médiatique de l’armée israélienne en octobre dernier, montrant des taches de sang sur un lit suite à l’attaque du Hamas dans le kibboutz de Nir Oz. Photo Sergey Ponomarev/NYT
Membres d’une famille palestinienne pleurant un enfant à Khan Younès en octobre dernier. Photo Yousef Masoud pour le New York Times/NYT
M. Sinwar n’est pas apparu publiquement pendant la guerre, laissant planer le doute sur ce qu’il pensait que le Hamas avait accompli par son attaque contre Israël et sur ce qu’il pensait de l’énorme coût en vies palestiniennes.
Le 7 octobre
a montré que nous Palestiniens et Arabes restons les héritiers légitimes de
notre histoire Nous restons les premiers témoins de notre passé, de notre
présent et de notre avenir.
La Dre Randa Abdel-Fattah est chercheuseau département de sociologie de l’université Macquarie, à Sydney, en
Australie. Ses domaines de recherche sont la Palestine, l’islamophobie, les
assignations raciales, la guerre contre le terrorisme, les identités juvéniles
et les mouvements sociaux. Elle est également l’une des plus éminentes
défenseuses de la Palestine en Australie, une ancienne avocate en contentieux
et l’auteure
de 12 livres publiés dans plus de 20 pays et traduits dans plus de 15 langues,
qui ont reçu de nombreuses récompenses. Elle a été récompensée ou
présélectionnée pour tous les principaux prix littéraires australiens. X.
Ce n’est pas
la première fois que j’écris un texte d’anniversaire J’avais quelque chose à
dire en mai 2023, en juin 2017, en mai 2018, en mai 2013, en mai 2008 et en mai
1998. J’avais quelque chose à dire cent ans après que Sykes et Picot eurent
découpé nos patries avec leurs stylos rouges et bleus. Je connais la marche à suivre. Commémorer un
événement, marquer un point discret repose souvent sur certaines conventions
narratives et certains procédés littéraires. Il s’agit notamment de faire la
chronique de ce dont nous avons été témoins, de ce que sont les moments
propices à la réflexion, du diagnostic et du remède ; une réflexion sur ce que
je ressens à propos du passé, du présent et de l’avenir. Je respecte tout ce
qui a trait à cet exercice.
Mais il ne s’agit
pas ici d’un texte d’anniversaire.
Je ne peux
pas écrire comme avant. Je ne peux pas rédiger un paragraphe de faits et de
chiffres qui résument l’horreur apocalyptique dont nous avons été témoins au
cours de l’année écoulée. Je veux résister à l’envie de faire le bilan de nos
souffrances. Je ne peux pas mesurer la destruction et l’injustice alors que le
génocide se poursuit et que le massacre industriel d’Israël s’est étendu au
Liban, à la Syrie et au Yémen.
Depuis le 7
octobre, nous avons vu, en temps réel, diffusées en direct sur nos écrans, des
scènes apocalyptiques de violence infligées méthodiquement à une population
assiégée, sous le regard du monde entier, au service d’un projet politique qui
n’a pas terminé son travail démographique, qui exige l’extermination des «
brutes », l’élimination des autochtones, afin d’atteindre l’objectif d’une
majorité juive et du contrôle de l’ensemble des terres volées, du fleuve à la
mer et au-delà, jusqu’au sud du Liban et à la Syrie. Chaque jour a été une
horrible chronique de génocide industrialisé, de domicide, de scolasticide, d’infanticide,
de féminicide, de médicide et d’écocide. Je ne peux pas supporter de passer au
crible mes tweets et mes messages sauvegardés - une bibliothèque d’une horreur
insondable - et de décider quelle histoire d’horreur sera retenue alors que les
bombes continuent de tomber et que les capitaux continuent d’affluer. Je ne
peux pas supporter de passer au crible les infographies basées sur des faits,
les discussions d’experts, les articles, les essais, les podcasts, les vidéos d’apprentissage,
les interviews, les posts TikTok et les histoires instagram et de proposer un
synopsis de ce paysage infernal. Comment résumer l’année écoulée ? Quelle
atrocité se retrouve dans mon décompte de mots ?
Je ne peux
pas non plus faire face à l’élaboration d’un arc narratif pour une année d’un
génocide qui se poursuit à l’heure où j’écris ces lignes Comment pourrais-je ne
serait-ce qu’esquisser des personnages et créer une intrigue à partir de Gaza ?
Tous les protagonistes, tous les genres, tous les livres et films que vous avez
lus ou regardés, tout ce que vous avez imaginé, se trouvent sur cette minuscule
bande de terre. Gaza peut vous offrir un voyage de héros, une histoire pour
enfants et jeunes adultes, une histoire d’horreur, dystopique, de
science-fiction, une intrigue d’action, des drames politiques à foison, des
tragi-comédies, des drames juridiques, des castings d’ensemble, une série
dérivée au Liban
Et rien de
tout cela n’a suffi à arrêter le massacre.
Au lieu de
réfléchir à l’année écoulée, je me retrouve à penser à la responsabilité. Ce
que cela implique pour nous lorsque le jour viendra et que nous assisterons à
la chute d’un empire. Comment rendre compte de tous les crimes et garantir l’exercice
de la justice ? Lorsque (et non pas si) Israël, le monde occidental et les
régimes arabes s’effondreront et devront rendre des comptes à la population, ce
sera l’heure des comptes où nous présenterons un registre de nos
avertissements, de nos plaidoyers, de nos prévisions et de la chaîne de
causalité
Si vous me
demandez ce qu’est l’espoir, je vous dirai qu’il y a eu une lueur le 7 octobre
Elle était palpable, réelle et exaltante Si vous me demandez ce qu’est la
confusion, la peur et les attentes, elles étaient présentes dans les premières
heures et les premiers jours Si vous me demandez ce qu’est un génocide, je vous
dirai qu’il aurait pu être arrêté Si vous m’interrogez sur la liberté, la
justice et la paix, je vous dirai qu’elles auraient pu être réalisées. C’est
pour ces raisons que nous devons garder les pièces à conviction pour le moment de
la reddition des comptes.
Pour cet
essai, je propose non seulement mes mots, mais aussi certains des mots de mes
amis et camarades de la diaspora dans la colonie australienne, dont les
premières réactions au 7 octobre révèlent que nous Palestiniens et Arabes restons,
et devons insister pour rester, les héritiers légitimes de notre histoire. Nous
restons les premiers témoins de notre passé, de notre présent et de notre
avenir Nous restons les propriétaires de notre récit. Nous avons prédit, nous
avons analysé ; parfois nous avons surestimé, parfois nous avons sous-estimé.
Je relis les messages que nous avons échangés au début du mois d’octobre et je
pleure. Parce qu’à l’époque, alors que nous tapions des mots d’espoir, de peur
et de confusion, nous ne savions pas que certains d’entre nous assisteraient à
l’assassinat de membres de leur famille. Nous ne savions pas qu’un an plus
tard, les maisons et les vies de certains de nos parents et amis seraient
détruites Alors que certains d’entre nous écrivaient sur l’évacuation de leur
famille et de leurs amis, nous ne savions pas qu’ils seraient contraints d’accomplir
leur propre Nakba. Nous ne savions pas que nos victimes seraient un flux
continu et mondial d’Israël déchiquetant, bombardant, décapitant et mutilant
des enfants, des femmes, des hommes, des travailleurs de la santé, des
journalistes, des étudiants, des enseignants et toutes les catégories d’êtres
humains, uniquement parce que le Palestinien, l’Arabe, a été désigné comme
non-humain.
Alors que
nous étions inconsolables devant 1 000 enfants martyrs, nous ne pouvions
imaginer que les gouvernements du monde entier autoriseraient le meurtre de 16
500, voire 100 000 enfants selon les calculs de Lancet.
Les messages
ci-dessous sont tirés de discussions de groupe auxquelles j’ai participé. Des
amis palestiniens, dont des militants, des universitaires, des artistes et des
avocats. Les messages parlent d’eux-mêmes Et nous rappellent, un an après, que
nos voix suffisent Si seulement le monde écoutait.
Choc, confusion,
espoir
7 octobre
2023, 8h00 (Israël), 15h00 (Australie)
15 h 21 : «
Je n’arrive pas à croire ce que je vois Une évasion massive de prison !
15 h 21 : «
Les événements actuels sont décrits comme étant sans précédent depuis 1973,
date à laquelle Israël a déclaré une “guerre”.
15:33 : « Je
suis entre l’excitation totale et la crainte de l’effusion de sang On signale
la capture de trois soldats vivants ou morts. Aljazeera essaie de confirmer.
15 h 37 : «
Aljazeera confirme. Il semble qu’il y ait également un grand nombre de
victimes.
15 h 41 : «
Israël craint d’avoir perdu le contrôle du passage d’Eretz !
15 h 43 : J’ai
l’impression que mon effroi nie la puissance de la résistance. Ils savent ce qu’ils
affrontent et ce qu’ils risquent, et pourtant ils persistent. Néanmoins, j’éprouve
toujours de l’effroi pour ce qui va suivre.
15 h 48 : «
Des rapports font état de dizaines de victimes du côté israélien. Les détails
sont flous.
15:48 pm : «
Grande peur à Gaza de ce qui va arriver S’il vous plaît, pas de nouveau mai
2021 ou d’opération « Plomb durci ».
15 h 49 : «
Israël a perdu le contrôle du point de passage d’Eretz avec Gaza !
15 h 50 : «
Pas possible ! Ce n’est pas possible !
16 h 16 : «
Gaza, nous ne l’avons pas vu venir. C’est incroyable !
16 h 22 : «
Al Jazeera interviewe un commentateur israélien qui dit que cela va “renforcer
la poigne de Netenyahou contre l’opposition”. Je pense que les voisins m’auraient
entendu jurer contre la télé !
16:24 : «
Cela n’a aucun sens.
16:28 pm : «
Bien sûr, en anticipant une réponse d’Israël. Une population assoiffée de sang
en Israël apprécierait maintenant le bombardement de Gaza, l’assassinat de
dirigeants et la destruction qui s’ensuivra. Et ils iront sur la colline pour
regarder !
4:29 pm : «
Nous étions juste là et tout indiquait un accord de paix économique.
Personne à
qui j’ai parlé n’en avait la moindre idée ... on avait l’impression que Gaza s’éloignait
du reste de la Palestine.
16:30 : « Et
maintenant, Gaza est de nouveau à l’ordre du jour.
16:30 : «
Mais s’ils ont des otages ?
16:30 : «
Ils seront heureux de faire des compromis avec eux. Ils l’ont fait pendant la
dernière guerre.
16:31 : « C’est
différent.
16 h 31 : «
Peut-être.
16:33 : « Je
mise sur Gaza. Elle est indestructible.
17h00 : «
Est-ce mal de souhaiter qu’ils aillent jusqu’à Ramallah et qu’ils destituent
Abbas ?
17 h 00 : «
Mon père dirait qu’ils devraient alors libérer Barghouti et le placer au
sommet.
17 h 33 : «
Le Hamas fait état de 35 Israéliens capturés.
17:34 : «
Soit Israël entre dans une guerre à grande échelle, soit, compte tenu du nombre
de soldats et de colons kidnappés et de la pression interne, il s’abstient de
mener une guerre et demande l’échange de prisonniers. Cette fois-ci serait
différente des autres.
17 h 42 : «
La reprise du point de passage d’Erez est une action tellement symbolique qu’elle
donnera un coup de fouet au moral de tous les habitants de Gaza. Le point de
passage est un symbole d’humiliation, d’emprisonnement et d’oppression
En outre,
cela dissipera le mythe de la surveillance électronique, du repérage par
satellite et du renseignement dont Israël se vante.
18:54 : «
Des appels aux pogroms maintenant. Nous pourrions assister à des scènes
similaires à celles de mai 2021.
20 h 51 : «
Je n’arrive toujours pas à croire que c’est en train de se produire.
20 h 52 : «
Moi non plus. Les images diffusées à la télévision sont sans précédent.
20:56 : «
Alors, Israël va-t-il tenter de réoccuper la bande de Gaza ? La dernière fois,
il y a eu 53 jours de guerre. Aucun objectif n’a été atteint.
21 h 05 : «
Je vois des tweets où l’on compare ça au 11 septembre - ils utilisent toujours
l’islamophobie mondiale pour s’attirer de la sympathie.
21:07 : «
Nous devons nous préparer pour demain. Ils vont faire démarrer l’horloge le 7
octobre.
21 h 07 : «
Oui, parce que le 6 octobre, c’était l’utopie pour les Palestiniens.
21:08 : «
Nous devons trouver des citations de ministres israéliens qui, au fil des ans,
ont expliqué qu’ils voulaient vivre par l’épée. Rien que cette année, il y a
plus de 230 victimes, des enfants, des personnes âgées, des maisons détruites,
des maisons occupées, etc. Rappeler aux gens le POURQUOI.
21:08 : « Je
viens de regarder Netanyahou. Il se la joue Président Snow donnant
des téléconférences dans La Révolte.
21 h 10 : «
Ils parlent d’une force sans précédent, mais je ne peux pas imaginer que ce
soit pire que tout ce qu’ils ont fait... C’est très effrayant.
22:29 : « Le
bilan de l’assaut israélien sur Gaza s’élève à 161 Palestiniens tués. Au moins
1000 blessés selon des sources locales.
23 h 05 : «
Ya rab facilite-leur la tâche.
1 h 28 : «
Je crois que j’ai compris pourquoi le Hamas fait ça maintenant. Le discours de
Haniyeh s’adresse clairement au monde arabe et musulman. Il redonne espoir dans
la résistance palestinienne et ravive l’imagination des normalisateurs
défaitistes. Il s’agit d’une démonstration de force qui espère remettre la
Palestine au centre après qu’elle a été mise de côté.
Évacuer
ou rester
13
octobre 2023
14:29 : «
Les habitants de Gaza nous demandent de leur confirmer s’ils doivent partir.
Ils ont perdu l’internet et la communication et ne savent pas quoi faire.
14 h 45 : «
Ma famille refuse de partir. Ils disent que cette fois-ci, c’est différent. Gaza
a montré qu’Israël n’est pas invincible Ils pensent que cette fois-ci, les
Arabes et les dirigeants musulmans seront à la hauteur.
15:29 : «
Ordre d’évacuation : quelqu’un peut-il vérifier les sources de cette
information ? Il pourrait s’agir d’un bobard israélien faisant partie de la
guerre psychologique.
15:39 : «
Nos familles, en fait nos voisins aussi, se dirigent tous vers le sud. L’expulsion
est en cours. On craint beaucoup le manque d’eau dans les jours à venir.
15 h 31 : «
Je m’organise avec ma famille pour savoir comment partir.
15 h 31 : «
Les miens refusent. Ils disent qu’ils vivront et mourront à Gaza. Mon cœur se
brise.
15 h 35 : «
L’ONU déclare qu’Israël demande l’expulsion de 1,1 million de personnes du nord
au sud de Gaza. Ce n’est pas seulement un génocide, c’est un redécoupage
géographique.
15:40 : «
Oui - mes oncles sont au milieu de la bande de Gaza - 1,1 million de personnes
vont déménager au milieu et au sud de la bande de Gaza - c’est de la folie, je
ne peux pas l’imaginer.
16 h 48 : «
Je suis tellement en colère. La folie de ce monde.
16 h 49 : «
Où allez-vous trouver de l’eau, de la nourriture, un abri pour 1,1 million de
réfugiés en 24 heures ?
16 h 52 : «
Que pouvons-nous faire ? Il faut faire quelque chose !
16:56 : «
Est-ce qu’ils nous placent dans une zone géographique plus restreinte pour nous
éliminer avec moins d’armes ?
17 h 02 : «
Il est incompréhensible que la deuxième Nakba se produise et que nous essayions
de convaincre le monde que nous ne sommes pas des tueurs de bébés.
17:10 : « Le
mode opératoire sioniste consiste à détourner l’attention et à nier l’existence
du problème ».
Avertissement
relatif au contenu
14
octobre 2023
8h19 : « Un
message de Perth homeschooling [Éducation à la maison]] avertissant les parents de supprimer les
applications de médias sociaux de leurs téléphones alors que les terroristes du
Hamas devraient publier des vidéos angoissantes d’otages israéliens suppliant
pour leur vie. Comme l’a fait remarquer un psychologue, « les vidéos et les
témoignages auxquels nous sommes actuellement exposés sont plus grands et plus
cruels que ce que nos âmes peuvent contenir ». Il est conseillé aux parents
australiens de surveiller de près l’utilisation des médias sociaux par leurs
enfants et d’être conscients qu’ils peuvent tomber sur des contenus
incroyablement pénibles. Posté sur le site féministe Mamamia, destiné aux
femmes blanches. Évidemment.
8 h 25 : «
Il est difficile de comprendre comment ils s’en sortent avec ces atrocités.
8 h 27 : «
Parce que les atrocités commises sur les corps des Palestiniens ne nécessitent
pas d’avertissement sur le contenu.
Liberté
académique
14
octobre 2023
10 h 02 : «
Je pense que les choses vont très mal se passer dans les universités.
10 h 02 : «
La liberté académique va être le champ de bataille de l’ IHRA.
10 h 03 : «
Notre existence sur le campus en tant que Palestiniens sera littéralement
considérée comme un déclencheur.
10 h 05 : «
Les gens ont droit à une sécurité réelle. Pas à un sentiment constant de
sécurité. Je trouve que beaucoup de gens n’arrivent pas à faire la distinction
entre les deux.
Droit
international et courage
15
octobre 2023
12 h 40 : «
J’ai réfléchi à ce qui pouvait être fait sur le plan juridique La meilleure
chose à laquelle j’ai pu penser est une demande de mesures provisoires d’un
État tiers ou d’un État ami auprès de la CIJ. Mais la question est de savoir
quel État aurait le courage de le faire.
Le
génocide en direct
15
octobre, 202
11:09 pm : «
Je viens de voir des vidéos de bébés décapités à Gaza par Israël. Je vais vomir.
C’est tellement horrible.
23 h 13 : «
Je suis déchirée et je pense que les gens doivent voir et affronter ces
horreurs, je veux témoigner et les habitants de Gaza nous demandent de
témoigner C’est peut-être la seule chose qui les sauvera.
11:13 : « C’est
un énorme avertissement sur le contenu ».
23 h 14 : «
Cela ne fait aucune différence Je ne sais même pas pourquoi nous partageons ce
genre de choses. Tout ce que cela fait, c’est contribuer à notre
déshumanisation et à l’aggravation de nos traumatismes.
23h15 : « Je
comprends. Mais c’est une preuve, en temps réel. Cela change la donne. Le Liban
de 1982, Reagan et Israël ne peut pas maintenir sa hasbara. Les gouvernements
ne pourront pas nier ce que nous voyons tous sur nos écrans Notre
déshumanisation, oui, mais elle pourrait enfin inciter le monde à agir.
Pouvez-vous
nous mettre en contact avec des habitants de Gaza ?
16
octobre 2023
16:55 : « Je
crains que l’histoire ne sorte du cycle de l’information. Cela s’est passé en
2014. Vous remarquerez déjà que les demandes d’articles vont diminuer.
16:55 : «
Ils veulent entrer en contact avec les habitants de Gaza. Que dois-je leur dire
? Entre deux tentatives pour trouver un abri, de la nourriture et de l’eau,
pouvez-vous parler à ce journaliste de vos souffrances pour qu’il puisse
modifier vos propos et les intégrer dans son histoire à double sens ?
16 h 59 : «
Nos familles ne veulent pas parler aux médias, car elles ont peur qu’Israël
bombarde les maisons dans lesquelles elles se trouvent.
17:05 : « L’ABC
[télévision publique australienne] aurait dû se battre pour avoir ses
journalistes sur le terrain plutôt que d’accepter les ordres israéliens d’oublier
Gaza depuis des décennies. J’en ai assez de devoir passer la moitié de mes
journées à mettre en relation des médias paresseux avec des personnes sur le
terrain pour qu’elles correspondent à l’angle d’attaque qu’elles doivent
colporter pour obtenir des clics et des vues. J’en ai assez, mais je ne vois
vraiment pas d’autre solution.
17 h 10 : «
Nous devons continuer à raconter l’histoire Nous ne sommes pas considérés comme
des êtres humains.
1000
enfants
16
octobre 2023
20 h 06 : «
1000 enfants sont morts, mec. Je n’arrive vraiment pas à le supporter.
Ça se
propage
18 octobre
2023
5h00 : « Mon
Dieu Ça se propage.
10 h 46 : «
Je pense que la Cisjordanie va bientôt s’enflammer J’ai parlé à ma famille à
Jénine.
16 h 22 : «
J’ai parlé à mon père et j’entendais des tirs d’obus en arrière-plan. Il m’a
dit que depuis six heures, ils tirent des obus sur le Liban toutes les deux
heures. Ils ont commencé à 2h15 du matin et toute notre maison tremble à cause
de leur proximité car, comme en 2006, ils ont placé toutes leurs unités d’artillerie
près des villages arabes.
Nos cœurs
n’en peuvent plus
19
octobre 202
8h53 : « On
estime que 600 enfants sont encore sous les décombres, nos nerfs sont fatigués,
nos cœurs n’en peuvent plus, des appels pour savoir s’ils sont vivants, des
appels pour savoir où ils sont, je pensais que ma famille avait été anéantie
hier, cette merde est réelle, ce n’est pas un jeu politique.
8h54 : « 600
Ya Allah.
9h02 : « Nous
triompherons et nous nous retrouverons dans notre Palestine libre. Nous
reconstruirons et nous nous rendrons visite là-bas. Nous prendrons le train de
Haïfa à Beyrouth. Laissez votre rage vous aider à imaginer.
9 h 02 : «
Nous ne pouvons pas désespérer. Les peuples du monde sont avec nous L’élite
dirigeante ne l’est pas. La question angoissante est de savoir combien de temps
nous devrons attendre et à quel prix.
*Shiv’ah (שבעה hébreu pour « sept » ) est le nom de la
période de deuil observée dans le judaïsme par sept catégories de personnes
pendant une semaine de sept jours à dater du décès ou de l’enterrement d’une
personne à laquelle ces personnes sont apparentées au premier degré, où elles
sont soumises à différentes règles rompant leur quotidien habituel.
Le 7 octobre
2023 est passé ; le 7 octobre 2024 passera lundi. Il y a un an, cette journée a
déclenché des catastrophes d’une ampleur qu’Israël n’avait jamais connue et a
changé le pays. Israël s’est arrêté le 7 octobre 2023, l’a adopté depuis et a
refusé de lui dire au revoir.
Enterrement
de Nadav et Yam Goldstein-Almog, tués le 7 octobre, au kibboutz Shefayim. Photo
Tomer Applebaum
L’ampleur
de la catastrophe pourrait l’expliquer, mais on ne peut s’empêcher de
soupçonner que l’engagement obstiné, incessant et singulier à l’égard du 7
octobre, sans reprendre son souffle et sans laisser de place à quoi que ce soit
d’autre, a d’autres objectifs. Pour les Israéliens, le 7 octobre justifie tout
ce qu’Israël a fait depuis. C’est leur certificat de cacherout.
Se complaire
dans notre désastre nous empêche de nous positionner face aux désastres que
nous avons ensuite infligés à des millions d’autres
personnes.
La
vie de nombreux Israéliens s’est arrêtée le 7 octobre ; elle a été
bouleversée et détruite. Il suffit de lire les remarques déchirantes d’Oren
Agmon, qui a perdu son fils (Uri Misgav, Haaretz en hébreu, 2 octobre). Non
seulement c’est un devoir de mémoire, mais il est impossible d’oublier cette
atrocité.
Mais avant l’anniversaire,
le temps est venu de guérir un peu, d’ouvrir les yeux sur ce qui s’est passé
depuis. Il faut admettre, tardivement, que lorsqu’on parle de « massacre », il
ne s’agit pas seulement de celui du 7 octobre. Celui
qui a suivi est bien plus grand et bien plus horrible.
L’attachement
d’Israël à son deuil a des racines profondes. Nous avons été élevés dans cette
optique. Aucune autre société ne pleure ses morts de la sorte. Il y a aussi
ceux qui associent le deuil aux médias et au système éducatif - ils disent que
cela unit un peuple.
Dans les
années 1960, nous chantions « Dudu » et pleurions un soldat que nous ne
connaissions pas, sous l’égide de nos guides suprêmes. Israël possède plus de
monuments commémoratifs que n’importe quel autre pays de sa taille et de son
nombre de victimes : un monument pour huit morts, alors que l’Europe, qui a
enterré des millions de ses enfants, compte un monument pour 10 000 morts.
Chaque
mort est une perte; la mort d’un jeune homme l’est encore plus. Il n’est
pas certain que la mort d’un fils par maladie ou accident soit plus facile à
vivre pour ses parents et amis que sa mort au combat. On peut supposer que si
le jeune Adam Agmon était mort d’un anévrisme, son père n’en aurait pas moins
pleuré.
L’industrie
du mythe a poussé sa mort plus loin. Elle a imposé un deuil national à tout le
monde, et de manière encore plus forcée au cours de l’année écoulée. Dans le
même temps, elle a empêché de traiter le deuil d’une autre nation et a même
interdit de le reconnaître. Pour Israël, un tel deuil n’existe pas, et
quiconque s’obstine à soutenir le contraire est un traître.
Il est
étonnant qu’un pays en deuil absolu ose nier de manière aussi éhontée l’existence
d’un autre deuil et le considère comme illégitime.
Même les
Russes aiment leurs enfants, chantait Sting, mais dites-le aux Israéliens qui
sont convaincus que les Palestiniens n’aiment pas les leurs. J’ai couvert le
deuil du peuple palestinien pendant des décennies et je peux affirmer avec
force qu’ils pleurent comme nous. Les parents endeuillés sont des parents
endeuillés, mais vous ne pouvez même pas dire ça aux Israéliens, surtout pas au
cours de l’année écoulée, alors qu’ils sont recroquevillés sur leur deuil et ne
veulent rien entendre d’autre.
L’année
écoulée, une année de grand deuil, a élevé ces tendances à des niveaux
méconnaissables. Une année d’histoires déchirantes d’otages et de récits d’héroïsme
suprême incessant, de mort, d’héroïsme et d’un peu de kitsch. Je ne veux pas
prendre à la légère la douleur individuelle et nationale, mais lorsqu’elle
devient presque le seul sujet, pendant une période aussi longue, il semble qu’elle
soit destinée à distraire et à détourner l’attention de l’essentiel.
Des Gazaouis
devant les corps enveloppés de proches tués lors d'un bombardement israélien
sur Gaza dans la nuit du 2 au 3 octobre. Photo : Omar Al-Qattaa/AFP
J’ai la
gorge serrée lorsque je lis les mots nobles et émouvants d’Oren Agmon. Ma gorge
se serre tout autant en entendant des pères endeuillés en Cisjordanie et à
Gaza.
À la fin
d’une année de deuil, il est nécessaire de sortir de la shiva’h du 7 octobre et
de commencer à regarder vers l’avant, vers un endroit où nous pouvons aller -
dont personne ne sait où il se trouve - au lieu de n’entendre que les mots de l’héroïsme
d’Israël et de son deuil sempiternel.