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15/06/2023

JORGE FALCONE
Il y a un demi-siècle, le massacre d’Ezeiza en Argentine
20 juin 1973 : le jour où les péronistes d’en haut ont dit basta à la révolution

Jorge Falcone, Contrehegemoniaweb,  12/6/2023
Original :
Medio siglo de la masacre de Ezeiza: el día en que el peronismo le dijo basta a la revolución
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Jorge “Chiqui” Falcone (La Plata, 1953) est poète, journaliste, essayiste, communicateur audiovisuel et cinéaste spécialisé dans l’animation (IDAC, 1992). Il est professeur à l’université de Palermo au département audiovisuel et au département de recherche et de production de la Faculté de design et de communication, Ancien directeur des relations publiques de la Société argentine des écrivains, juré dans de nombreux concours littéraires et festivals de cinéma, il publie régulièrement des articles dans divers médias. Membre fondateur du Mouvement des cinéastes documentaires.



Chiqui au siècle dernier et de nos jours

Petit-fils du poète populaire de Magdalena (Province de Buenos Aires) Délfor B. Méndez, et fils du Dr Jorge Ademar Falcone, premier sous-secrétaire à la Santé publique (1947-1950), sénateur puis prisonnier politique, “Chiqui” était officier dans la structure de presse des Montoneros sous le pseudonyme de Hugo Conte. Sa sœur María Claudia a été assassinée à l’âge de 16 ans par la dictature lors de la tristement célèbre " Nuit des crayons" en septembre 1976 à La Plata.

Préambule
Après presque 18 ans de proscription des grandes majorités nationales, et surfant sur la crête de la vague de résistance qu’elle a engendrée, un couple d’amoureux arrive dans les bois d’Ezeiza passé midi, le Jour du Drapeau (20 juin) en 1973. Ils se connaissent depuis près d’un an à l’École supérieure des Beaux-Arts de La Plata. En pleine période de désorientation professionnelle, il entame une licence en sciences médicales, elle est en terminale d
arts plastiques. Ils sont à peine une goutte d’eau dans l’océan plébéien qui inonde les environs de l’aéroport international dans l’espoir de rencontrer l’homme qui, lors des déjeuners et des dîners de famille, leur a été présenté par leurs parents comme le leader incontesté de la nation argentine.

Photo de Juan José Rincón, secrétaire de presse de la Jeunesse péroniste de la République argentine (JPRA) d’Avellaneda, victime d’une tentative de lynchage depuis l’estrade où Perón devait parler, à son retour en Argentine, lors de l’événement violent connu sous le nom de massacre d’Ezeiza. Source : Jorge Zicolillo, (La era de los culatas. La derecha peronista y el patoterismo sindical. Buenos Aires, 2013

C’est une journée ensoleillée et la joie est générale. Ayant pris position avec le contingent militant de la tendance péroniste révolutionnaire de la région sud de Buenos Aires, lui se rend dans la zone des pîscines pour boire quelque chose. Elle reste avec les autres et engage une conversation avec une militante de Mar del Plata. Peu après, sans raison apparente, les gens se mettent à courir. Et, sentant qu’il se passe quelque chose de grave, il tente de s’approcher de l’endroit où il l’a laissée, s’abritant dans les arbres, et entendant pour la première fois de sa vie le son court et sec, sans aucune réverbération, de ce qui semblent être des coups de feu. Une Ford Falcon commence à être dévorée par les flammes. La foule rassemblée devant la scène principale, adoptant le comportement d’un gigantesque organisme unicellulaire, engloutit un tireur présumé. Les haut-parleurs appellent au calme. Puis, sans se soucier de rien, il court, angoissé, à la recherche de sa compagne. Il lutte pour la retrouver et la prend dans ses bras. La jeune femme tremble comme une feuille. Elle bredouille que son interlocutrice a une tache rouge qui s’élargit dans la poitrine, et qu’elle est tombée, inanimée. Une nouvelle volée de ce qui est manifestement des coups de feu est tirée, sifflant à proximité et soulevant des poignées de terre autour d’eux. Les coups de feu semblent provenir des arbres. Au milieu des tirs, une voix familière crie « les voilà, ce sont ceux avec le brassard rouge et noir ». Les deux jeunes se laissent tomber dans un fossé à sec et s’y abritent pour une durée indéterminée.

Elle, c’est Nilda Ema Eloy - à la mémoire de laquelle ce texte rend hommage - et lui, c’est le soussigné. Ce qui suit tentera de faire la lumière sur une circonstance que ces apprentis militants populaires, dans le feu de l’action, n’avaient pas su saisir.


Arrière-plan du massacre

Depuis le renversement du gouvernement populaire (de Pérón) et la restauration oligarchique qui s’en est suivie en 1955, la résistance contre le régime de facto s’est intensifiée, passant du sabotage de la production, des grèves et des prises d’usines à la généralisation des foyers de lutte armée.

Ces premières expressions de rébellion ont été menées par des militants politiques et syndicaux du péronisme originel, et celles qui ont suivi par une nouvelle génération de militants qui n’ont pas vécu cette “Nouvelle Argentine” dans laquelle “les seuls privilégiés [seraient] les enfants” [Pérón, 2 avril 1951], mais ont compris que son créateur synthétisait là le désir de la majorité des Argentin·es, et la possibilité de donner une continuité à cet “instant dans la Patrie du Bonheur” (sous-titre du film “Pulqui”, d’ Alejandro Fernández Mouján, 2007)


En 1973, le slogan Luche y Vuelve [Lutte et reviens, sous-entendu Perón, slogan lancé dans un meeting au Stade Nueva Chicago, le 28 juillet 1972,  par Rodolfo Galimberti, lideur de la Jeunesse Péroniste, NdT], qui n’a jamais eu besoin d’être traduit, a été massivement repris, car tout le monde s’accordait à dire que celui qui n’avait pas besoin d’être nommé garantirait la justice sociale tant attendue.

S’emparer de la tribune pour que la gauche ne contamine pas les masses

Après l’échec de ses tentatives de retour de Perón en 1964 et 1972, à la suite de l’“urnazo” [victoire électorale] du 25 mai 1973, qui a consacré Héctor J. Cámpora comme président, les conditions étaient réunies pour un retour réussi et définitif de l’ancien dirigeant dans sa patrie, un événement prévu pour le 20 juin de cette année-là.


Des nervis de droite armés sur la tribune; ils ont canardé les attroupements des formations spéciales péronistes de gauche

Pour célébrer cet événement tant attendu, une commission fut créée, dont la composition montrait un net déséquilibre dans le poids de chacun des secteurs en conflit au sein du mouvement péroniste. Juan Manuel Abal Medina - qui vient de publier sa version de cette période -, Norma Kennedy, le colonel (ER) Jorge Osinde, José Rucci et Lorenzo Miguel, responsables respectivement de la CGT et des 62 organisations péronistes, y ont participé. Ils décident que la loge d’accueil de Perón sera située à l’intersection de la route Ricchieri et de la route 205, afin de permettre l’accès et la participation des millions d’Argentin·es qui viendront à la rencontre de leur Líder. C’est ainsi qu’elle a été installée près du pont 12, à proximité de Ciudad Evita, tout près de l’aéroport où atterrirait l’avion.

Les lieux. En bleu, le pont où avait été installée la tribune. En rouge, le foyer-école. En jaune, l’autoroute Ricchieri (la flèche indique la direction de l’aéroport).
Source :

Dès le matin, les gardes désignés par la Commission d’organisation s’impatientent. Ils sont des centaines, des gros bras des services d’ordre syndicaux syndicalistes, des militants du Comando de Organización, de l’Alianza Libertadora, des militaires et des policiers à la retraite, et quelques mercenaires français engagés par Ciro Ahumada, un ancien capitaine de l’armée qui a participé à la résistance péroniste et qui, à un moment donné, a commencé à travailler pour les services de renseignement de l’État.

Ils étaient armés de fusils FAL, de mitraillettes Uzi, Ingram et Halcón. L’opération paramilitaire comprenait également une arrière-garde : quelques jours auparavant, ils avaient occupé Le Foyer École Santa Teresa, situé à quelque 600 mètres de la scène, qui abritait des centaines d’enfants en internat. Ces enfants ont été témoins de l’installation des nervis dans les chambres utilisées pour étudier et dormir.

La droite et la gauche péroniste s’affrontent à coups de feu à Ezeiza avant l’arrivée de Juan Perón en 1973

A la tête de l’opération, Alberto Brito Lima, issu de la résistance et des premiers groupes des Jeunesses péronistes, déterminé à rayer de la carte la tendance révolutionnaire du péronisme. L’opération est centralisée et surveillée en permanence par Osinde lui-même et Norma Kennedy, installés dans l’hôtel Internacional d’Ezeiza, et entourés d’hommes lourdement armés.

Détourner l’avion pour que le Líder ne rejoigne pas la génération qui a permis son retour

À la date de retour convenue, Vicente Solano Lima, président de la nation par intérim, a communiqué depuis Ezeiza avec l’avion présidentiel, qui survolait alors Porto Alegre, au Brésil :

- Écoutez, docteur, la situation est grave. Il y a déjà huit morts, sans compter les blessés par balle et les blessés plus ou moins graves. C’est l’information que j’ai reçue peu après midi. Deux heures se sont écoulées depuis et les affrontements risquent de s’intensifier. De plus, la zone la plus grave est précisément celle où Juan Domingo Perón va s’exprimer.

- Héctor J. Cámpora (depuis le cockpit de l’avion présidentiel) : Mais docteur, comment le peuple peut-il ne pas voir le général ?

- Lima : Comprenez-moi bien, s’ils viennent ici, on leur tirera dessus. Il est impossible de contrôler quoi que ce soit. Personne ne peut le faire.

Au moment de la réunion prévue, la fête s’est transformée en pandémonium. Il y eut des lynchages, des castrations et des pendaisons aux arbres, et l’avion qui ramenait Perón a atterri sur la base de Morón.


Dans les bois d’Ezeiza et aux abords de l’aéroport, la droite et la gauche péroniste s’affrontent le 20 juin 1973

Accompagner le feu balistique d’un feu médiatique

Ce qui aurait dû être une fête s’est soldé par 13 morts et 365 blessés.


Le massacre d’Ezeiza : il n’y a pas d’informations précises sur le nombre de morts

De nombreuses personnes ont quitté les bois d’Ezeiza du mieux qu’elles pouvaient sans savoir ce qui s’était passé, laissant derrière elles un véritable champ de bataille jonché de cartes d’identité perdues, de chaussures orphelines et, à l’occasion, de poupées piétinées. Il y avait un énorme sentiment de consternation face à la frustration du plus grand événement jamais vu en Argentine et au-delà, sans orateur, sans rien. Il n’y a pas eu une confrontation, comme l’affirme encore la presse malhonnête de notre pays, mais un massacre.

Il s’agissait d’un événement historique, et la tendance révolutionnaire du péronisme - dont la direction s’est également munie d’armes défensives - a eu la volonté politique de montrer clairement que le processus en cours avait une orientation transformatrice, marquée par les nouvelles générations. C’est pourquoi elle a mobilisé tout son peuple à l’intérieur du pays et à Buenos Aires, en déployant un effort d’organisation maximal, avec des bannières claires et sans slogans, juste une présence.

Le lendemain, Perón rend ce secteur responsable des événements et abandonne le discours en faveur d’un socialisme national [à ne pas confondre avec le national-socialisme, NdT] qu’il avait tenu pendant son exil.

Dans ces circonstances, la tension entre le peuple et l’oligarchie, qui s’était accrue au cours des années de résistance aux coups d’État militaires successifs, s’est déplacée vers le centre de gravité du mouvement péroniste.

Le chemin vers la débâcle de la nation argentine

Le 13 juillet 1973, le président Cámpora - alors très discrédité par les orthodoxes de son mouvement en raison de sa condescendance à l’égard des secteurs radicalisés de la jeunesse - est démis de ses fonctions par un auto-coup d’État institutionnel qui consacre Raúl Lastiri comme président intérimaire, lequel appelle à de nouvelles élections qui placeraient Perón sur le “Fauteuil de Rivadavia” [premier président -1826-1827 - des “Provinces Unies du Rio de la Plata en Amérique du Sud”, devenues la République argentine en 1860. En fait le fauteuil date de 1885, il est en noyer italien et a été acheté à la Maison Forest à Paris, NdT]

Le 1er octobre de la même année - le jour de son anniversaire et avant d’assumer son troisième mandat présidentiel - Perón a convoqué les membres de son gouvernement, les militaires et les hauts fonctionnaires de police à une réunion qui devait déboucher sur un “document réservé” publié par le journal La Opinión le lendemain. Ce document déclarait qu’il y avait une guerre et que l’État devait utiliser tous les moyens nécessaires pour faire face à l’ennemi.

 

Le logo de la Triple A et une caricature de son leader José López Rega, alias “El Brujo” (Le Sorcier) avec un masque de Perón


C’est à l’initiative de secteurs factieux motivés par cette orientation, et en liaison avec une Internationale de la Terreur, qu’est née l’Alliance anticommuniste argentine - plus connue sous le nom de Triple A -, un gang parapolicier d’extrême droite visant à liquider la gauche et l’aile radicalisée du mouvement péroniste. On estime qu’elle a assassiné entre 1 500 et 2 000 personnes et qu’elle a fonctionné jusqu’au coup d’État militaire de 1976. Elle comptait dans ses rangs des policiers, des ex-policiers, des militaires, des hommes de main de la bureaucratie syndicale et même des mercenaires croates. Le chef local du gang était José López Rega, secrétaire de Perón chargé du ministère de la protection sociale, d’où partaient de nombreux hommes armés pour mener à bien les opérations.

En janvier 1974, le gouvernement péroniste transmet au Congrès un projet de loi visant à modifier le code pénal. L’objectif est de freiner la guérilla de l’ERP [Armée révolutionnaire du peuple créée par le Parti révolutionnaire des travailleurs, trotskyste, NdT] qui, profitant de l’abrogation des lois répressives, a perpétré 185 actions armées entre juillet et décembre 1973, soit une moyenne d’une par jour. Les députés Montoneros s’opposent aux changements. Perón les reçoit et leur explique la nécessité des réformes. Mécontents, huit d’entre eux démissionnent.

Avant la fin du mois, un répresseur de triste mémoire a été convoqué par le ministre de la protection sociale de l’époque, le général Jorge Osinde, avec l’approbation immédiate du président Perón. Il s’agit d’Alberto Villar. Il est d’abord nommé chef adjoint, puis chef de la police et, par le décret 312/74, il est promu commissaire général. En même temps que Villar, un autre poids lourd et moraliste implacable reprend du service, le commissaire Luis Margaride, nommé surintendant de la sécurité fédérale. Pendant son bref intérim, Villar avait créé l’agence privée de sécurité et d’investigation Intermundo S.R.L., rebaptisée au fil des ans Escorpio, dont l’un des nouveaux propriétaires était le général Carlos Suárez Mason. L’une des premières tâches d’Intermundo fut de prendre en charge le créateur de l’Opus Dei, Monseigneur José María Escrivá de Balaguer, qui s’était rendu à Buenos Aires en 1973.

Le mercredi 27 février de la même année, une sorte de contre-Cordobazo a eu lieu, qui a renversé le gouverneur constitutionnel de la province de Cordoba, Ricardo Obregón Cano, et son vice-gouverneur Atilio López, qui n’ont pas pu communiquer avec le président Perón alors que des hordes de fascistes sous le commandement du lieutenant-colonel Antonio Navarro assiégeaient le siège du gouvernement.

Le “Navarrazo” est un coup d’État policier validé par le gouvernement national lorsqu’il est intervenu dans la province sans réintégrer les représentants démocratiques destitués. Il a été considéré comme un antécédent immédiat de la dictature instaurée le 24 mars 1976.

Il convient de rappeler que lors des élections du 11 mars 1973, le FREJULI (Front Justicialiste de Libération] a remporté une large victoire, avec pratiquement 50 % des voix pour Cámpora. Outre la présidence, cinq provinces sont remportées par des candidats liés au péronisme révolutionnaire, dont les provinces stratégiques de Buenos Aires, avec Oscar Bidegain comme gouverneur, et de Cordoba. Ces deux dernières sont rejointes par Mendoza, avec le gouverneur Alberto Martínez Baca, Salta avec le gouverneur Miguel Ragone et Santa Cruz avec le gouverneur Jorge Cepernic. Tous seront démis de leurs fonctions sous le gouvernement péroniste et, dans le cas de Ragone, il disparaîtra également.

Cordoba avait été l’une des provinces où la résistance populaire contre la dictature avait atteint l’un de ses points les plus élevés, sur la base de la convergence du mouvement syndical avec le mouvement étudiant. Le ticket péroniste pour le poste de gouverneur de la province était celui d’Obregón Cano et du dirigeant syndical combatif Atilio López. Tous deux avaient participé activement au “Cordobazo” de 1969 et aux mouvements de résistance contre la dictature. Obregón Cano s’est également imposé comme un candidat solide à la présidence en cas de décès de Perón, alors âgé de 78 ans.

Peu après le soulèvement, la journaliste Ana Guzzetti du quotidien El Mundo a interrogé Perón - désormais responsable de l’exécutif national - sur les activités des groupes para-policiers. D’abord perplexe, puis en colère, il lui confisque l’information et intente une action en justice. Le journal où elle travaillait a été fermé peu après et on a tenté de l’enlever.

Le même mois, une série de réunions entre Perón et les différents groupes de la Jeunesse Péroniste a eu lieu, auxquelles les Montoneros ont participé. Le 26 avril, Perón les reçoit à nouveau. Alberto Molinas, au nom de cette organisation politico-militaire, parle de l’imminence du 1er mai et l’avertit que “toutes nos organisations vont venir sur la Place de Mai et vont s’exprimer par des slogans et des chœurs. Il a ensuite longuement critiqué la “bureaucratie syndicale” et d’autres secteurs, et a dressé une liste de revendications à l’intention du gouvernement. Il termine en déclarant qu’ils se rendront sur la Place conformément à la promesse faite par Perón le 12 octobre de l’année précédente : " »Chaque 1er mai, j’irai sur la Place de Mai pour demander au peuple s’il est satisfait du gouvernement que nous sommes en train de mettre en place ».

Le 30 avril, les Montoneros ont publié un appel à rassemblement sur la Plaza de Mayo, avec cette liste de demandes au gouvernement.

Aux premières heures de la fête du travail, de grandes colonnes de bus ont convergé vers l’Acceso Norte dans la matinée et les manifestants se sont rendus à la faculté de droit sur l’Avenida Figueroa Alcorta, d’où ils ont défilé.

Plaza de Mayo, 1er Mai 1974. Les phrases de Perón qui ont déclenché le bordel : «Tout au long de ces vingt années, les organisations syndicales sont restées inébranlables, et aujourd'hui il s'avère que des imberbes prétendent avoir plus de mérites que ceux qui ont lutté pendant vingt ans [...] [Je promets de mener à bien la reconstruction] et la libération du pays non seulement du colonialisme qui frappe la République depuis tant d'années, mais aussi de ces infiltrés qui travaillent à l'intérieur et qui traîtreusement sont plus dangereux que ceux qui travaillent de l'extérieur, sans compter que la plupart d'entre eux sont des mercenaires au service de l'argent étranger». La messe était définitivement dite. Le compte à rebours commençait pour le putsch militaire de mars 1976 [NdT]


L’événement a été précédé d’un festival réunissant des artistes populaires. Les JP-Montoneros scandaient : « Nous ne voulons pas de carnaval/Assemblée populaire ». Au moment du couronnement de la reine du travail [sic : encore une curiosité péroniste, NdT], c’est l’épouse [Isabelita] du Líder qui a procédé au couronnement. Les colonnes de contestataires ont scandé : “No rompan más las bolas/Evita hay una sola” [Ne cassez plus les burnes/Evita, y en a qu’une].

À chaque fois qu’il est question de syndicats, les slogans : « On va en finir/on va en finir/avec la bureaucratie syndicale » et « Rucci, traître, salut à Vandor » [José Ignacio Rucci, métallo, lideur péroniste de la CGT, assassiné par balles en 1973 ; Timoteo Vandor, secrétaire général de l’Union des métallos, assassiné par balles en 1969, NdT].

Le slogan prédominant des Montoneros était : «Qué pasa/qué pasa General/está lleno de gorilas/el gobierno popular » [ Qu’est-ce qui se passe/qu’est-ce qui se passe, mon Général/ il est plein de gorilles/le gouvernement populaire]. Lorsque Perón est sorti sur le balcon, a demandé le silence avec ses mains et a commencé son discours : « Il y a dix-neuf ans aujourd’hui, sur ce même balcon et par une journée lumineuse comme celle-ci, j’ai parlé aux travailleurs argentins pour la dernière fois... », les tambours et les « qu’est-ce qui se passe, Général » l’ont empêché d’être entendu. Il prononce encore une phrase, qui n’est entendue par personne sur la place et, en colère, il s’emporte : « malgré ces imbéciles qui crient... ».

Dès lors, la place devient une foire d’empoigne, de coups de bâton et de coups de poing entre les colonnes syndicales et celles des Montoneros qui, spontanément débordés par la frustration de leur base, commencent à se retirer.

Parmi ceux qui sont restés sur place, le père Carlos Mugica et Don Arturo Jauretche. Sous les colonnes du Cabildo [ancien hôtel de ville], avec un groupe de la Jeunesse Péroniste de La Plata dirigé par Carlos Negri, le jeune militant Néstor Kirchner reste également sur place. Dès lors, un courant va germer qui, sous prétexte de fidélité au Líder, abandonnera toute perspective critique face à l’abandon progressif du programme voté en 1973 par les grandes majorités.

Cette interpellation du Líder a fracturé le mouvement, déclenchant une véritable guerre civile dans ses rangs, et confirmant que si le Souverain Pontife excommunie, la Sainte Inquisition brûle sur le bûcher.

Épilogue

Après la mort de Perón [1er juillet 1974], l’activité de la parapolice s’est multipliée de manière exponentielle.

Le mercredi 5 février 1975, Isabel Perón - sa veuve, qui lui a succédé à la présidence - et sept ministres de son gouvernement ont signé un décret “secret” à la Casa Rosada [palais présidentiel]. L’article 1 de ce décret autorise l’armée à mener « les opérations militaires nécessaires pour neutraliser et/ou anéantir les actions des éléments subversifs » à Tucumán.

Au fil des ans, on s’est demandé si l’ordre d’“anéantir les actions...” impliquait une “élimination physique”, mais c’est bien ce qui s’est passé.

En outre, le décret a accéléré l’autonomie des forces armées par rapport au système politique.

La table était donc mise pour mettre notre pays sur les rails en tant que wagon de queue d’un nouvel ordre international en gestation.

Parallèlement, dans le cadre de la transition entre l’ancien capitalisme productif et l’actuel capitalisme financier, le ministre de l’économie, Celestino Rodrigo, a annoncé, le 4 juin 1975, un méga ajustement qui précéderait les changements structurels perpétrés au cours de la dernière dictature génocidaire civilo-militaro-ecclésiastique par un fils chéri de l’oligarchie, José Alfredo Martínez de Hoz.

Le reste appartient à l’histoire : une lobotomie sociale de la pensée critique et une Argentine qui, après 40 ans d’ordre constitutionnel, a un taux de pauvreté de plus de 43 % et dont la classe politique n’exclut pas de payer la dette extérieure impayable avec des morceaux de territoire national, plaçant ainsi notre pays au bord de la désintégration.

S’il faudra encore du temps pour savoir s’il s’agit du chant du cygne du mouvement né en 1945 qui a fait de la Justice sociale son cheval de bataille, il est plus difficile d’ignorer que le cycle initié par la version kirchnériste en 2003 commence à se refermer, et la tentative de La Cámpora [organisation kirchnériste], de l’Instituto Patria [boîte à idées kirchnériste] et des Massistes [partisans de Sergio Massa, ministre de l’Économie actuel, kirchnéro-néolibéral]  de constituer un think tank autour de la toute nouvelle École Justicialiste “Néstor Kirchner” ne semble pas devoir inverser la tendance.

Un défi à relever pour les nouvelles générations qui osent être les dépositaires de l'héritage héroïque de la lutte du peuple argentin, afin de le mettre en œuvre pour un avenir plus heureux.



Marchandisage kirchnériste. Pan dulce [version argentine du panettone lombard/piémontais/tessinois] vendu à 30 € en décembre 2020. L'emballage de pan dulce était agrémenté d'une citation historique de l'immortelle Evita en 1950 : "La nuit de Noël appartient aux pauvres, aux humbles, aux descamisados [sans-chemise, défavorisés], car le Christ, méprisé par les riches qui lui ont fermé toutes les portes, est né dans une étable". On trouvait aussi un"vin péroniste", un malbec vendu à 30€ la bouteille. Ces initiatives de la Fédération des travailleurs de l'économie sociale ont donné des idées à des commerçants très peu sociaux. Entretemps, la production de "vin péroniste", un malbec de Mendoza, s'est industrialisée et une bouteille est vendue 50 €. Un salaire minimum argentin officiel est actuellement de 300 €, soit six bouteilles. Pas vraiment destiné aux humbles et aux défavorisés. Avis aux collectionneurs. [NdT]

 

 

27/09/2022

Ivan Maïski
Le communiste et le roi

 Ivan Maïsky, édité par  Gabriel Gorodetsky, The New York Review of Books, 28/4/2011

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ivan Maïski a été ambassadeur soviétique à Londres de 1932 à 1943. Gabriel Gorodetsky (Tel-Aviv, 1945) est un professeur émérite de l'université de Tel-Aviv, Quondam Fellow du All Souls College, Oxford et membre de l'Institut d'études avancées de Princeton. Il a édité The Maisky Diaries - Red Ambassador to the Court of St James' s, 1932-1943, (traduit du russe par le Dr Oliver Ready et Tatiana Sorokina, Yale University Press,  2015/2017). Une version française abrégée en a été publiée par Les Belles Lettres en 2017 (Ivan Maïski, Journal 1932-1943, traduit par Christophe Jaquet)

 

Présentation de Gabriel Gorodetsky

La terreur stalinienne et les purges des années 1930 ont découragé les hauts fonctionnaires soviétiques de mettre un stylo sur le papier, sans parler de tenir des registres personnels et surtout des journaux intimes. Les extraits suivants sont tirés du journal rare et unique tenu assidûment par Ivan Maïski, ambassadeur soviétique à Londres entre 1932 et 1943. Le journal, qui contient près de 1600 pages d'entrées denses manuscrites et dactylographiées, enregistre minutieusement et franchement ses observations, conversations et activités pendant son séjour à Londres.

Ancien menchevik avec des ancêtres juifs, Maïski a survécu à la terreur jusqu'à deux semaines avant la mort de Staline le 5 mars 1953. Au plus fort de la campagne anticosmopolite, il a été arrêté et inculpé d'espionnage, de trahison et d'implication dans un complot sioniste et condamné à six ans de prison. Après son arrestation, ses papiers privés et son journal ont été confisqués et déposés aux archives du ministère russe des Affaires étrangères, où je les ai trouvés. Libéré en 1955 et acquitté de toutes les accusations, il est mort en 1975.

Maïski était né en 1884 sous le nom de Jan Lachowiecki dans une famille juive polonaise de l'empire russe. Ses premières activités révolutionnaires conduisirent en 1902 à son expulsion de l'Université Saint-Pétersbourg et à son exil d'abord en Sibérie, puis à Londres, où il passa les années entre 1912 et 1917. Il y établit des relations étroites avec les futurs commissaires aux Affaires étrangères, Georgii Tchitcherine et Maxime Litvinov. C'est pendant ses années d'exil que Maïski acquit une maîtrise de la langue anglaise, ainsi que de l'histoire et la culture britanniques, et eut un large cercle d'amis issus des milieux politiques, intellectuels et littéraires, dont George Bernard Shaw, H.G. Wells et Beatrice Webb. Sa maîtrise des langues étrangères et sa connaissance de la scène internationale, renforcées par son amitié avec Litvinov, expliquent son ascension rapide dans le service diplomatique soviétique après la révolution. Après de courtes périodes à des postes subalternes à Londres, Tokyo et Helsinki, il retourna à Londres comme ambassadeur à la fin de 1932.

Ivan Mikhaïlovitch avec sa fille Nalia en 1926

Maïski a écrit son journal intime en visant la postérité. Il a enregistré des conversations avec cinq premiers ministres britanniques, dont Ramsay MacDonald, Lloyd George, Stanley Baldwin, Neville Chamberlain et Winston Churchill, ainsi qu'avec d'autres personnalités politiques britanniques de premier plan comme lord Halifax, Anthony Eden, lord Beaverbrook et John Maynard Keynes. Le journal témoigne de la dérive vers la guerre tout au long des années 1930, y compris l'apaisement à Munich, les négociations culminant dans le pacte Ribbentrop-Molotov, l'accession de Churchill au pouvoir, la bataille d'Angleterre, et les événements conduisant à l'alliance en temps de guerre après l'invasion de l’URSS par Hitler en juin 1941.

 

Ivan Maïski (deuxième à partir de la gauche), ambassadeur soviétique à Londres entre 1932 et 1943, accompagné de Winston Churchill au déjeuner des ambassadeurs alliés à l'ambassade soviétique, septembre 1941. Le général Władysław Sikorski, premier ministre du gouvernement polonais en exil, est le deuxième à droite.

 

12 mars 1937

Le 4 mars, tous les chefs de missions diplomatiques ont remis leurs lettres de créance au nouveau roi, George VI. La procédure a été simplifiée et réalisée en masse. Tous les ambassadeurs et les envoyés ont été alignés par ordre d'ancienneté dans la Bow Room du palais de Buckingham. Ils ont été admis un par un dans la pièce voisine, où le roi les attendait, lui ont soumis leurs lettres de créance, ont échangé quelques remarques comme exigé par le protocole, et sont ressortis, cédant la place au suivant. Le Roi a consacré deux ou trois minutes à chaque diplomate. [Anthony] Eden était présent à la cérémonie et a donné un coup de main, car le roi est taciturne et facilement embarrassé. Il bégaie aussi. Toute la cérémonie s'est bien déroulée. Le seul choc, qui provoqua un grand émoi dans la presse et dans la société, fut le « salut nazi » de [Joachim von] Ribbentrop. Lorsque l'ambassadeur allemand entra dans la pièce pour rencontrer le roi, il leva la main droite en saluant, plutôt que de faire l’habituelle courbette. Cette « nouveauté » offensa profondément les Anglais et déclencha une réaction défavorable dans les milieux conservateurs. Ribbentrop fut accusé de manque de tact et comparé à moi - un « bon garçon » qui salue le roi correctement, sans lever un poing serré au-dessus de sa tête.

Pour rencontrer les épouses des diplomates, le roi et la reine ont également donné aujourd'hui une five o’clock tea party, invitant les chefs de mission et leurs conjointes. Ribbentrop salua de nouveau le roi d'une main levée, mais il se courba devant la reine de la manière normale. Les petites princesses étaient également présentes : Elizabeth et Margaret Rose, toutes deux vêtues de robes rose clair et, c'était clair, terriblement excitées d'être présentes à une cérémonie aussi « importante ». Mais elles étaient aussi curieux d'une manière enfantine de tout ce qui les entourait. Elles sautaient d'un pied sur l'autre, puis elles ont commencé à rire, puis à mal se comporter, à l'embarras considérable de la Reine. Lord Cromer a conduit ma femme et moi au couple royal et nous avons eu une conversation assez longue, moi avec le roi et Agnia [Alexandrovna, sa femme, NdT] avec la reine. Les dames discutaient pour la plupart d'enfants, tandis que le roi s'enquérait de l'état de notre marine et du canal mer Blanche-Baltique. Le roi a exprimé sa grande satisfaction quand je l'ai informé que le cuirassé Marat arriverait pour le couronnement.

16 novembre 1937

Aujourd'hui, Agnia et moi avons assisté au « banquet d'État » donné par George VI en l'honneur du roi Léopold de Belgique, qui est arrivé pour une visite de quatre jours. C'était un banquet comme les autres. Cent quatre-vingts invités, toute la famille royale, les membres du gouvernement, les ambassadeurs (mais pas les envoyés) et divers notables britanniques. Nous avons mangé dans des assiettes en or avec des fourchettes et des couteaux en or. Le dîner, contrairement à la plupart des dîners anglais, était savoureux (le roi aurait un cuisinier français). Deux douzaines de « pipers » [joueurs de cornemuse] écossais entrèrent dans la salle pendant le dîner et marchèrent lentement plusieurs fois autour des tables, remplissant les voûtes du palais de leur musique semi-barbare.

J'aime cette musique. Il y a quelque chose des montagnes et des bois d'Écosse, de la distance des siècles passés, du passé primordial de l'homme. La musique des Pipers a toujours eu un effet étrange et excitant sur moi, m'attirant quelque part loin, vers de vastes champs et des steppes sans limites où il n'y a ni personnes ni animaux et où l'on se sent jeune et courageux. Mais j'ai vu que la musique n'était pas au goût de beaucoup d'invités. Ils la trouvaient rude, tranchante et indécent dans l'atmosphère solennelle et raffinée du palais Leopold était l'un des dîneurs mécontents….

Après deux discours prononcés par George VI et Léopold, qui ont proclamé une amitié indéfectible entre leurs États, les invités se sont déplacés dans les salles adjacentes et nous, les ambassadeurs, avons été réunis dans la Bow Room où se trouvaient les deux rois, les ministres et quelques courtisans de haut rang. Les dames étaient dans une salle voisine avec les jeunes et les vieilles reines. Ici, encore une fois, tout était comme toujours dans les « banquets d'État » : d'abord les rois parlaient entre eux tandis que les ambassadeurs faisaient tapisserie comme des « meubles diplomatiques » coûteux. Puis Lord Cromer et d'autres courtisans commencèrent à bourdonner parmi les invités et à conduire les « quelques chanceux », qui devaient être favorisés avec la « plus haute attention », à l'un ou l'autre des rois. Leopold s'entretient avec Chamberlain, Hoare, Montagu Norman (gouverneur de la Banque d'Angleterre) et, parmi les ambassadeurs, avec Dino Grandi [ambassadeur d'Italie], Ribbentrop [surnommé Brickendrop, le Gaffeur, NdT] et Charles Corbin [ambassadeur de France].

Il y avait une orientation évidente vers l'«agresseur» et le collaborateur de l'agresseur.

Naturellement, je n'ai pas été aussi honoré : l'URSS n'est plus à la mode aujourd'hui, surtout aux échelons supérieurs du Parti conservateur. L'ambassadeur du Japon, Yoshida, qui était dans un coin, n'était pas non plus invité à lui rendre hommage. Pas étonnant : les fusils japonais tirent actuellement sur la capitale et le prestige britanniques en Chine !…

J'ai fini par en avoir marre de ce spectacle ennuyeux et j'avais déjà l'intention de me glisser dans les autres pièces, où je pouvais voir beaucoup de gens intéressants que je connaissais. Mais à ce moment-là, il y eut une agitation soudaine dans la Bow Room. J'ai levé les yeux et j'ai réalisé ce qui se passait. Lord Cromer, sortant d'une pièce voisine, conduisit Churchill à Leopold et le présenta. George les rejoignit bientôt. Tous les trois eurent une conversation longue et animée, dans laquelle Churchill gesticula vigoureusement et les rois se mirent à rire. Puis l’audience a pris fin. Churchill s'éloigna des rois et se heurta à Ribbentrop. Ribbentrop a entamé une conversation avec le célèbre « bouffeur d’Allemands ». Un groupe s'est immédiatement formé autour d'eux. Je n'entendais pas de quoi ils parlaient, mais je pouvais voir de loin que Ribbentrop pontifiait, comme d'habitude, sombrement à propos de quelque chose et que Churchill plaisantait en réponse, suscitant des éclats de rire de la part des gens qui se tenaient autour.

Finalement, Churchill semblait s'ennuyer, se retourna et me vit. Puis il arriva ce qui suit : en pleine vue du rassemblement et en présence des deux rois, Churchill traversa la salle, vint à moi, et me secoua fermement la main. Puis nous entrâmes dans une conversation animée et étendue, au milieu de laquelle le roi George marcha vers nous et fit un commentaire à Churchill. On avait l'impression que George, troublé par la proximité inexplicable de Churchill avec « l'ambassadeur bolchevique », avait décidé de le sauver du « diable de Moscou ». Je me suis écarté et j'ai attendu de voir ce qui se passerait ensuite. Churchill termina sa conversation avec George et revint me voir pour continuer notre conversation interrompue. Les aristocrates dorés autour de nous étaient presque choqués….

17 août 1940

Le duc de Windsor est arrivé avec Mme Simpson aux Bahamas, où il a été nommé gouverneur. Essentiellement, bien sûr, c'est un exil. Pourquoi l'ancien roi a-t-il été traité si durement ?

D'excellentes sources m'ont dit que la reine Elizabeth était derrière tout ça. Elle est « maître » de la maison et a le roi sous sa coupe. Elle est terriblement jalouse. Elle s'est donné pour tâche d'apporter de la popularité et de la splendeur à la famille royale. Elle envoie le Roi partout - dans les camps, les usines, les troupes, la ligne de front - pour qu'il apparaisse partout, pour que les gens le voient et s'habituent à lui. Elle ne se repose jamais non plus : bazars, hôpitaux, opérateurs téléphoniques, agriculteurs, etc. - elle leur rend visite à tous, leur donne sa bénédiction, fait la grâce de sa présence, parade. Elle a même fait récemment ce qui suit, un coup très inhabituel. Le frère de la Reine…avait organisé une tea party privée à laquelle une douzaine de journalistes américains éminents avaient été invités. La Reine assista aussi à la party, et pendant une heure et demie elle « a gracieusement conversé » avec les correspondants, ensemble et individuellement. Mais pas, bien sûr, pour les journaux. La reine craint terriblement que le duc de Windsor puisse rentrer chez lui et « voler » la popularité de son frère, qui a été gagnée avec tant d'efforts. C'est pourquoi le duc de Windsor a été exilé aux Bahamas.

 

NdT

Le roi dont parle Maïski était George VI, qui succéda en 1936 à son frère Edouard VII après l’abdication de ce dernier (ravalé au rang de duc de Windsor) pour pouvoir épouser Mrs. Simpson, une roturière usaméricaine divorcée ; sa royale épouse la reine consort était Elizabeth (the Queen Mother), mère d’Elizabeth II et grand-mère de Charles III