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18/01/2024

MKHAIMAR ABUSADA
L’homme le plus fort de Gaza : dans la tête du chef du Hamas, Yahya Sinwar

Mkhaimar Abusada, Haaretz, 17/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Mkhaimar Abusada est professeur de sciences politiques à l’Université al-Azhar de Gaza, détruite par les bombes israéliennes en novembre 2024, et actuellement déplacé au Caire

Lorsque j’ai rencontré Yahya Sinwar en 2018, il se voulait pragmatique. Mais il a ensuite inversé le scénario, en orchestrant l’attaque du 7 octobre qui a choqué Israël et le monde entier, avec des répercussions catastrophiques pour les habitants de Gaza. Qu’est-ce qui alimente sa réflexion et quel est son objectif final - pour lui-même, pour Israël et pour les Palestiniens ?

Je n’ai rencontré Yahya Sinwar qu’une seule fois. C’était en août 2018, dans son bureau de la ville de Gaza. Il venait d’être élu président du Bureau politique du Hamas à Gaza. Son attitude était détendue alors qu’il était assis avec un groupe de commentateurs politiques, d’universitaires et de journalistes, tous originaires de Gaza.

Photos John Minchillo/AP, Mohammed Salem/Reuters photoshoppées par Anastasia Shub

Il m’a dit qu’il avait suivi mes commentaires politiques sur Al-Jazeera depuis la prison israélienne, où il avait passé 22 ans pour avoir tué des « collaborateurs » palestiniens. C’est en prison qu’il a appris à parler couramment l’hébreu et, comme il aime à s’enorgueillir, à connaître la société israélienne.

Si son équipe nous avait convoqués, c’était pour faire le point sur la « Marche du retour », ces manifestations hebdomadaires qui rassemblaient alors des dizaines de milliers de personnes le long de la barrière frontalière entre Israël et Gaza, dans le but de briser le siège économique israélien de la bande de Gaza.

Il a déclaré que les manifestations se poursuivraient jusqu’à ce que le siège de Gaza soit levé. À l’époque, il tenait des propos qui donnaient l’impression qu’il pouvait être considéré comme un personnage pragmatique, favorable à des trêves et désireux de gouverner.

Mais un discours qu’il avait prononcé plus tôt, en mars 2018, semble aujourd’hui préfigurer le 7 octobre. Il aurait alors déclaré que la Marche du retour ne s’arrêterait pas « tant que nous n’aurons pas supprimé cette frontière éphémère », faisant vraisemblablement référence à la clôture entre la bande de Gaza et Israël. (Il a fait des commentaires similaires sur la frontière « à éradiquer » dans un autre discours). Les marches ont marqué, selon lui, « le début d’une nouvelle phase de la lutte nationale palestinienne sur la voie de la libération et du retour ».

Dans un discours prononcé en 2022, Sinwar a également mis en garde contre une guerre de religion si la mosquée al-Aqsa était menacée, menaçant de déclencher une bataille majeure.

Sinwar, âgé d’environ 62 ans, est considéré comme l’un des rares responsables du Hamas à avoir eu connaissance du plan ultrasecret d’invasion d’Israël. Ce plan, qui concrétisait sa vision d’un franchissement de la frontière, a abouti à la mort de quelque 1 200 Israéliens, pour la plupart des civils, et à la prise en otages de quelque 250 personnes vers Gaza. L’enregistrement et même la diffusion en direct de l’attaque massive contre les Israéliens étaient destinés à susciter la peur et la perte de sécurité au-delà des personnes physiquement touchées, mais aussi dans la psyché israélienne dans son ensemble.

Aujourd’hui, bien sûr, Sinwar est l’homme le plus recherché d’Israël. On pense qu’il se cache dans les profondeurs de Gaza, quelque part dans le labyrinthe des tunnels du Hamas. Selon certaines informations, il pourrait se trouver dans les tunnels entourant le camp de réfugiés de Khan Younès, son lieu de naissance et le site de certains des combats les plus violents de ces dernières semaines, alors que la chasse à l’homme s’intensifie.

La stratégie du Hamas, qui a consisté à capturer un grand nombre d’otages, indique qu’il souhaitait disposer de la monnaie d’échange la plus forte possible pour mettre fin à la guerre à Gaza au moment où il le souhaite, et pas seulement pour obtenir un accord d’échange d’otages contre des prisonniers. L’insistance du Hamas sur le fait qu’il n’y aura pas d’autres négociations sur l’échange de prisonniers sans la fin de la guerre signifie qu’il utilise les otages israéliens comme une carte pour arrêter la guerre et sauver le Hamas de l’anéantissement israélien.


Saleh Al-Arouri, le chef adjoint du Hamas, qui a depuis été assassiné à Beyrouth, avait accordé une interview à Al-Jazira le 7 octobre.

Il a déclaré : « Nous avons un objectif principal : notre liberté et la liberté de nos lieux saints ». Il a également déclaré que le grand nombre d’otages capturés conduirait à la libération de prisonniers palestiniens : « Ce que nous avons entre les mains permettra de libérer tous nos prisonniers. Plus les combats se poursuivront, plus le nombre de prisonniers augmentera ».

Si l’objectif de l’attaque était également de remettre la cause palestinienne sur le devant de la scène, c’est certainement ce qui s’est produit à la suite de la guerre et de l’indignation suscitée par le nombre catastrophique de Palestiniens tués par les bombardements israéliens - un piège que Sinwar aurait tendu à dessein. Il savait exactement ce qu’une attaque du type de celle du 7 octobre provoquerait de la part d’Israël.

Le Hamas a frappé au moment où le monde s’attendait à une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite et il a retourné le scénario, cela n’intéresse plus personne. Au lieu de cela, il a fait du conflit israélo-palestinien la question centrale, après des années pendant lesquelles les Israéliens ont essayé d’éviter de l’affronter de front.

Pour comprendre les objectifs de Sinwar aujourd’hui, il faut comprendre les forces qui l’ont façonné dans son enfance. Il est né au début des années 1960. Comme la plupart des gens de sa génération, il a grandi dans un des camps de réfugiés disséminés dans la bande de Gaza. Soixante-dix pour cent de la population est constituée de réfugiés et de leurs descendants.

Sa famille est arrivée à Gaza en provenance de la ville palestinienne côtière d’Al-Majdal Asqalan, qui est aujourd’hui la ville israélienne d’Ashkelon. C’est la ville la plus visée par les barrages de roquettes du Hamas au cours de cette guerre.


Yahya Sinwar s’exprime lors d’un rassemblement à Gaza en avril 2023.Photo: IBRAHEEM ABU MUSTAFA/ REUTERS

À Khan Younès, comme dans d’autres camps, les conditions de vie étaient désastreuses, les services de santé et d’éducation étant médiocres. Les maisons des réfugiés, dont beaucoup n’étaient que des tas de décombres après les bombardements israéliens, étaient généralement des structures de 50 à 60 mètres carrés sur un seul étage, recouvertes de tôle et de plastique : il y faisait un froid glacial en hiver et extrêmement chaud en été.

Ce n’est qu’après la création de l’Autorité palestinienne en 1994 qu’elles ont été transformées en bâtiments à plusieurs étages. Lorsque Sinwar était enfant, l’eau était stockée dans de grands tonneaux noirs en plastique sur le toit, car elle était très rare. L’occupation israélienne a commencé à Gaza après la guerre du Proche-Orient de 1967, alors que Sinwar avait environ cinq ans. Le régime israélien a privé les Palestiniens de leurs droits fondamentaux et a imposé une surveillance étroite de leur vie politique.

Depuis Khan Younès, il pouvait voir comment les colons juifs du bloc de colonies voisin, le Gush Katif, avaient pris le contrôle de sa plage et l’avaient rendue interdite à lui et à ses jeunes camarades Palestiniens.

La politique de feu Yitzhak Rabin, qui consistait à « briser les os des Palestiniens » pendant la première Intifada, qui a éclaté alors qu’il avait environ 25 ans, l’a probablement radicalisé davantage.

À cette époque, un nombre croissant de Palestiniens perdent espoir dans la capacité de l’OLP à mettre fin à l’occupation israélienne. Expulsée de Beyrouth en 1982, l’OLP n’est plus que l’ombre d’elle-même après la dispersion de ses principaux dirigeants et militants dans des pays arabes lointains comme le Yémen, le Soudan, la Tunisie et l’Algérie. Ce vide dans la lutte palestinienne contre l’occupation a permis à un autre mouvement de voir le jour.

Sinwar a participé dès le début à la création de cette nouvelle organisation, le Hamas. Il a rejoint son aile militaire, les Brigades al-Qassam, et a été à l’origine de la création du service de sécurité al-Majd, chargé de torturer et de tuer les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Il a été surnommé [par qui ?, NdT]« le boucher de Khan Younès » pour sa brutalité.

Il s’est fait connaître pour son rôle dans l’arrestation, l’exécution et l’étranglement de collaborateurs présumés. Il a déclaré à ses interrogateurs israéliens qu’il avait tué au moins quatre hommes et enterré l’un d’entre eux vivant.

Dans la prison israélienne, Sinwar lisait des livres sur le sionisme et Israël. Il se considère comme un expert de la pensée israélienne.


Yahya Sinwar au moment de son arrestation en 1989

Avant d’être libéré dans le cadre de l’accord d’échange contre Gilad Shalit en 2011, il a promis à ses codétenus du Hamas de les faire sortir.

Il ne lui a pas fallu longtemps pour se hisser au sommet du Hamas à Gaza. Il a fait de la lutte contre la corruption au sein du Hamas une stratégie clé. Le fait qu’il ait réussi à évincer certains fonctionnaires corrompus a renforcé sa propre popularité.

Sinwar a travaillé sans relâche à la conclusion d’un autre accord d’échange de prisonniers avec les corps de deux soldats israéliens tués à Gaza en 2014, et de deux autres Israéliens, Hisham al-Sayed et Avera Mengistu.

Mais les dirigeants israéliens se sont retirés des négociations, estimant que le prix était trop élevé et qu’ils n’étaient pas prêts à répéter les erreurs de l’accord Shalit, où de nombreux prisonniers palestiniens libérés, comme Sinwar, sont redevenus de dangereuses menaces pour la sécurité d’Israël.

En plus de diriger le Bureau politique, il a renforcé les liens avec l’aile militaire du Hamas, dont son frère Mohammed est une figure de proue. Sinwar a déclaré, après l’offensive israélienne de mai 2021, que seuls cinq pour cent du réseau de tunnels du Hamas avaient été endommagés. Dans un autre discours, il a appelé les Palestiniens à utiliser des fusils, des couteaux ou des haches pour tuer des Israéliens.

En lançant une attaque aussi ambitieuse contre Israël, il a sans aucun doute voulu humilier ce pays, en révélant qu’il est, comme le Hamas l’appelle souvent, une « maison d’araignée », c’est-à-dire une maison faible et fragile, qui peut être facilement vaincue.

Cela dit, certains civils palestiniens qui paient le prix de cette guerre brutale critiquent Sinwar et le Hamas en silence, mais il n’est pas sûr de le faire publiquement à Gaza même. Ceux qui le font vivent à l’étranger.

Sinwar représente le Hamas dans les négociations sur les otages. Tout accord doit passer par lui, tant qu’il est encore en vie et qu’il est l’homme le plus fort de Gaza.

Si, à la fin de cette guerre, un accord conduit à la libération de tous les prisonniers palestiniens des prisons israéliennes, il s’agira de l’accord d’échange de prisonniers le plus important de l’histoire du conflit israélo-palestinien qui, comme d’autres l’ont dit, serait l’ultime de toutes les images de victoire palestinienne à ce jour.

S’il survit à cette guerre, il écrira probablement un autre chapitre de sa vie en manœuvrant contre ses ennemis internes et externes. Dans le cas contraire, il mourra convaincu d’avoir gagné une bonne place au paradis et que l’histoire se souviendra de lui comme de l’homme qui a choqué non seulement Israël, mais le monde entier.

Le Hamas, lui, lui survivra.


Yahya Sinwar devant les ruines de sa maison à Khan Younès, détruite par des bombes israéliennes le 17 mai 2021, et dont Netanyahou a annoncé triomphalement qu’elle était "encerclée"... en décembre 2024

 

08/05/2022

GIDEON LEVY
« Faut-il éliminer Yahya Sinwar ? »: de gauche à droite, les sionistes appellent en chœur au meurtre

Gideon Levy, Haaretz, 7/5/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Voilà à quoi ressemble un discours incendiaire : les médias et les réseaux sociaux sont inondés d'appels à assassiner le leader d'un mouvement politique - même s'il s'agit d'un mouvement religieux, extrémiste et violent - dans une quête sanguinaire de vengeance. C'est aussi à cela que ressemble un chœur rauque uniforme : du Meretz de gauche (Uri Zaki) aux kahanistes, des journalistes Amnon Abramovich (TV Channel 12) à Ben Caspit (Maariv), chacun d'entre eux appelle à l'élimination du chef du Hamas Yahya Sinwar. Un État, une voix.

Yahya Sinwar

Ils rivalisent pour trouver l'épithète appropriée et digne de lui, crapule ou ordure. Oh, quels patriotes ! Si seulement c'était possible, le lapider en place publique attirerait des multitudes aux festivités. La nation se contentera au moins de provoquer sa mort par tout autre moyen. C'est la seule réponse que l'État d'Israël, emmené par les médias incendiaires, peut offrir à la suite d'attaques terroristes.

La dernière en date était particulièrement horrible elle ea été perpétré à la hache. Mais le meurtre à la hache est-il vraiment plus cruel que tout autre type de meurtre ? La hache est emblématique de la faiblesse de quelqu'un qui pourrait rêver de tuer en avion au milieu de la nuit. Mais il n'avait pas d'avion, ni même de canon.

Évidemment, le meurtre à la hache est barbare, mais en quoi est-il différent du meurtre d'une jeune fille de 19 ans voyageant innocemment en taxi avant d'être abattue par un soldat ? En quoi, dans l'intention ? Le soldat n'avait-il pas l'intention de tuer en tirant à balles réelles sur un taxi rempli de femmes à Jénine ? Quelle autre intention avait-il ?

De telles questions se posent après chaque attaque terroriste, tout comme la réaction instinctive d'Israël, qui se répète d'une manière qui ne peut que conduire au désespoir. N'oubliant rien et n'apprenant rien, combien de fois l'assassinat sera-t-il proposé comme solution, alors que toutes les fois précédentes, il n'a servi à rien, causant dans la plupart des cas encore plus de dégâts.

Même si l'on met de côté la question de la légalité ou de la moralité d'un État exécutant des personnes sans procès, il reste la question de son efficacité, qui n'a jamais été prouvée.

On peut aussi, d'une certaine manière, ignorer l'image répugnante et pathétique des médias, qui se sont presque unanimement lancés dans une campagne, demandant plus d'assassinats, plus d'invasions, plus de conquêtes.

On ne peut oublier qu'en Israël, les assassinats sont aussi une affaire politique. Ce ne sont pas seulement les cibles qui sont politiques - des personnes qui, dans des États respectueux de la loi, ne sont pas des cibles légitimes - les meurtres proprement dits sont politiques. Ils sont destinés à satisfaire des besoins et des objectifs politiques, en montrant au public que « quelque chose est fait ». Une solution instantanée.

Il est douteux qu'il existe un domaine dans lequel les médias israéliens soient aussi unifiés et influents, exprimant le désir obscène des masses, poussant à mener des attaques violentes de vengeance. « Faut-il éliminer Sinwar ? », demandait une légende sur les fils d'actualité en début de semaine, comme s'il s'agissait d'une émission de télé-réalité. Des meurtres à la demande. Le grand nombre de ces meurtres a masqué l'atmosphère illégitime dans laquelle se déroule la conversation sur la réponse à apporter à ces attaques.

Sinwar n'est pas le pire des ennemis. Son successeur sera pire. Sinwar ne sera pas non plus le premier Yahya du Hamas qu'Israël élimine en vain. L'élimination de Yahya Ayyash, son prédécesseur, n'a rien donné d'autre à Israël qu'une vague d'attentats-suicides au cours desquels 60 Israéliens ont été tués.

Réduire le problème posé par les attaques terroristes à un seul dirigeant est une façon lâche d'éviter de s'attaquer aux véritables problèmes. Comme si la terreur ne découlait pas du blocus, de l'occupation, de la brutalité des policiers à la mosquée al-Aqsa, de la violence des colons et du meurtre d'innocents en Cisjordanie. Comme si la terreur était personnifiée par Sinwar, seulement Sinwar. Si la terreur est Sinwar, tuons-le, et le calme reviendra.

Si la terreur est liée à l'échange de prisonniers contre Shalit, dans lequel Sinwar a été libéré après 23 ans de prison, alors il y a une solution facile. Pas de libération de prisonniers, seulement des assassinats, la « dissuasion », et la paix sera rétablie. Israël a essayé cela mille et une fois sans succès. Cela ne marchera pas non plus maintenant.

Évidemment, nous ne pouvons pas rester silencieux face à la terreur. Au contraire, nous devons en parler. Avec le Sinwar vivant. Lui parler, directement ou indirectement, de la levée du blocus. Lui parler des droits dont son peuple a été privé, de sa dignité bafouée. Nous n'avons jamais, mais jamais, essayé de le faire sérieusement.