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13/07/2025

HANIF ABDURRAQIB
Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sont dans le coup
L'islamophobie ? Mieux vaut en rire, ensemble

Hanif Abdurraqib, The New Yorker, 13/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Hanif Abdurraqib (né en 1983) est un poète, essayiste et critique culturel usaméricain de Columbus, Ohio.


De gauche à droite, Ramy Youssef, Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sur scène au Beacon Theatre, à New York, le 28 juin

Je dis parfois que je me considère comme un musulman d’équipe junior. Que cela soit pris comme une blague ou comme une invitation à me réprimander (verbalement ou non, avec amour ou non) dépend entièrement des autres musulmans présents dans la pièce. Mais bon, je le dis haut et fort : je prends le ramadan très au sérieux, plus sérieusement que tout autre chose. Au fond de moi, je suis resté un enfant soumis à une routine rigoureuse. Je ne bois pas, je ne fume pas et je ne consomme pas de drogues, même si je suppose que cela a moins à voir avec ma relation à l’islam qu’avec mon ancien engagement à être un athlète de haut niveau et, lorsque cela a échoué, avec le plaisir que j’ai pris à flirter avec une fille punk qui ne buvait pas et ne fumait pas. Et puis, lorsque cela a échoué, je me suis retrouvé trop anxieux à l’idée que mes excentricités déjà brillantes pourraient devenir encore plus étranges si je m’abandonnais à l’ivresse, quelle qu’elle soit. En d’autres termes, je n’ai pas confiance en mon propre cerveau, mais j’ai confiance en autre chose. Je me sens le plus musulman lorsque je suis stupéfait par un moment de clarté au sein de mes propres contradictions. Au-delà des déconnexions qui peuvent exister dans ma pratique religieuse, je me sens toujours profondément lié à l’ummah – le corps, la communauté – et aux responsabilités que cette connexion implique. Un hadith que j’aime beaucoup et qui sous-tend bon nombre de mes actions dit que « les croyants, dans leur gentillesse, leur compassion et leur sympathie mutuelles, sont comme un seul corps. Quand l’un des membres souffre, tout le corps réagit par l’éveil et la fièvre ».

Le hadith dit que, grâce à notre foi, le corps est un, et que par conséquent, ta souffrance est inextricablement liée à ma souffrance. Lorsqu’une personne âgée très chère à ma communauté, après des années de maladie, ne reconnaissait plus son propre corps et avait beaucoup de mal à reconnaître son esprit, elle et moi avons prié ensemble, assis sur deux chaises, car elle avait décidé que, si elle était à peine capable de bouger, ses mouvements devaient être dirigés vers Dieu. C’est dans ces moments-là, lorsque je ressens la distance entre la facilité de ma vie et la douleur dans la vie des autres, que je me sens à la fois le plus et le moins musulman. Dans la distance entre le fait de tenir mon téléphone portable dans une pièce sombre et de regarder les images qu’il contient : un bébé affamé à Gaza, un enfant tiré des décombres, les ruines d’un hôpital spécialisé dans le cancer. Dans la distance entre ces ruines et ma maison. Dans la distance entre l’impossibilité de m’endormir et le luxe d’avoir un lit dans lequel je ne parviens pas à trouver le sommeil.

J’ai discuté avec mes amis musulmans de la forme particulière d’islamophobie et de sentiment anti-arabe qui a récemment émergé – ou réémergé, selon le point de vue – aux USA. À New York, Zohran Mamdani, qui vient de remporter une victoire étonnante lors des primaires démocrates pour la course à la mairie, devra très certainement, pendant les mois précédant l’élection générale, répondre à plusieurs reprises aux mêmes questions sur son antisémitisme et sur ses projets pour assurer la sécurité des New-Yorkais juifs (qu’il a détaillés longuement). Mais il n’existe aucun cadre permettant d’engager une discussion parallèle sur les craintes ou la sécurité des New-Yorkais musulmans. Avant les primaires, un comité d’action politique pro-Cuomo a préparé un mailing qui semblait épaissir et allonger la barbe de Mamdani, et pourtant Andrew Cuomo n’a pas été interrogé à plusieurs reprises sur la manière dont il comptait assurer la sécurité des musulmans ou sur le dialogue qu’il entretenait avec les dirigeants musulmans. Je ne dis pas nécessairement qu’il faille faire pression sur les adversaires de Mamdani pour qu’ils répondent à ces questions, mais simplement qu’il n’existe même pas de terrain propice à un tel débat. C’est comme si une partie entière de la population restait invisible jusqu’à ce qu’elle soit crainte.

J’ai tendance à trouver l’islamophobie peu spectaculaire. Cela ne signifie pas pour autant que je ne la trouve pas insidieuse et grave. Je l’imagine simplement, comme d’autres préjugés, comme une sorte de bruit de fond omniprésent dans la psyché usaméricaine, parfois plus faible, puis devenant cacophonique au moindre réglage du volume. Ce bruit de fond est une raison non négligeable pour laquelle je peux, depuis mon téléphone dans ma chambre, voir une école détruite à Gaza et savoir que la plupart des personnes puissantes dans le monde ne seront pas émues. Pourtant, mes amis et moi, en particulier ceux qui étaient adolescents ou plus âgés au moment du 11 septembre, avons été déconcertés par l’islamophobie actuelle, qui semble particulièrement vintage et directe, sans être édulcorée par une rhétorique obscurissante ou visant à servir un objectif plus large. Au moment des primaires démocrates, l’actrice Debra Messing a affirmé sur Instagram que Mamdani « célébrait le 11 septembre ». La théoricienne du complot d’extrême droite Laura Loomer a publié sur X que Mamdani voulait instaurer à la fois la charia et le communisme à New York.

Parfois, cette panique anti-musulmane est drôle, ou plutôt, son absurdité finit par devenir comique, ou alors j’en ris avec des amis qui comprennent bien les dommages matériels causés par cette agitation médiatique. Nous rions parce que, si nous devons vivre cela, nous estimons avoir le droit de rire, unis dans ce rire. Le soir des primaires démocrates, une discussion de groupe entre musulmans s’est rapidement remplie d’exemples de la panique excessive qui régnait sur Internet, et nous avons ri de la rapidité avec laquelle cette panique a été suivie par des musulmans, également en ligne, qui se moquaient de cette panique. (« Préparez-vous à prier 5 fois par jour à New York », a posté un utilisateur de X.) Dans mon rire, je pouvais presque sentir tous les membres du groupe de discussion rire dans différents coins du monde. Si le corps est un dans la souffrance, il doit aussi être un dans le plaisir.

Un samedi soir récent, lors d’un spectacle à guichets fermés au Beacon Theatre, à New York, le comédien Ramy Youssef arpentait la scène tandis que de petits cercles lumineux dansaient sur une vague de rideaux rouges derrière lui. Youssef est en quelque sorte un pont entre plusieurs modes d’identité musulmane. Au cours de ses trois saisons, sa série télévisée, “Ramy, a été saluée pour avoir redéfini la représentation de la vie musulmane, en abordant les thèmes de la foi, de la famille, de la lignée et de l’échec. Cela lui a valu un public musulman enthousiaste, dont beaucoup étaient présents dans la salle du Beacon, comme en témoignait le bruit qui a éclaté, puis s’est prolongé, lorsque l’on a demandé, au début, combien de musulmans se trouvaient dans l’assistance. Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia et militant propalestinien récemment libéré de détention par l’ICE, était au premier rang. À sa droite se trouvait sa femme, Noor Abdalla. À sa gauche, Zohran Mamdani.

C’était un vrai plaisir d’apercevoir Khalil en proie à un fou rire. Il riait comme si chaque rire était un récipient physique qui sortait précipitamment de son corps, ou un secret qu’il avait gardé si longtemps qu’il avait fini par s’échapper. Le corps de Khalil se secouait quand il riait : son rire était plus un événement cinétique qu’acoustique. Il se balançait, tremblait légèrement et souriait largement. À côté, Mamdani riait aussi, un peu plus fort ; son rire semblait moins être un secret longtemps gardé qu’une idée qu’il avait hâte de partager. La plupart des spectateurs ne savaient pas que les deux hommes étaient dans la salle et, de ce fait, ils ont manqué le petit miracle de les voir partager leur joie devant la scène qui se déroulait devant eux.

Lorsque Khalil a été arrêté par l’ICE, début mars, il est devenu le premier cas très médiatisé de détention par l’administration Trump d’étudiants titulaires d’un visa ou d’une carte verte ayant participé à des manifestations propalestiniennes. Tout au long de sa détention, qui a duré plus de cent jours, Khalil a rédigé des tribunes libres dans son carnet de prison, puis les a dictées par téléphone. Dans l’un de ces articles, écrit après la naissance de son fils, il décrit le chagrin insondable d’avoir été contraint de manquer la naissance de son premier enfant. Mais il met également en avant ses principes politiques fondamentaux, continuant à placer la Palestine au centre de ses préoccupations. Il ne considère pas sa détention comme une raison de renoncer à ses convictions, mais comme une occasion de les défendre fermement et publiquement.

Si vous ne faites pas attention, et si vous n’êtes pas à l’écoute de votre propre humanité et de celle des autres, vous pouvez être tenté de confondre les personnes avec des symboles. Il est facile d’associer un prisonnier politique à ses opinions politiques ou aux horreurs de sa détention, et de ne rien voir d’autre. Le gouvernement a cherché à faire de Mahmoud Khalil un exemple, afin de montrer aux autres ce qui arrive quand on défend ouvertement les droits du peuple palestinien. À bien des égards, c’est ainsi que l’État déforme la perspective même des personnes les mieux intentionnées : si ce que vous comprenez de Khalil, c’est qu’il a souffert, et que vous croyez que sa souffrance est injuste, et que votre cœur souffre pour lui, cette douleur peut l’emporter sur votre capacité à le comprendre autrement. Une telle myopie n’est pas malveillante, mais elle réduit une vie entière à une fraction de celle-ci. J’aime le hadith sur le corps collectif, car il ne parle pas seulement de la douleur, mais aussi du partage de toute la gamme des sentiments humains. Je ne suis pas poussé à agir uniquement parce que des gens ont souffert ou souffrent encore ; je suis poussé à agir parce que je suis profondément conscient de chaque parcelle d’humanité dont la souffrance prive les gens.

J’ai rencontré Khalil et Mamdani dans les coulisses. Au début, Khalil semblait à la fois ravi et submergé par l’émotion. Mais après la ruée initiale des photographes, le calme s’est installé autour de lui et dans la pièce. Dans cette atmosphère sereine, Khalil semblait observateur, ouvert et bien plus intéressé par les autres qu’ils ne pouvaient l’être par lui. Lorsque nous avons trouvé un coin isolé, Khalil a voulu parler de poésie, des merveilles de la paternité, de ce qui l’attendait dans les mois à venir, outre l’épuisement lié à son procès contre l’administration Trump.

Abdalla m’a dit que son mari apprenait à porter leur bébé, et ce qui m’est immédiatement venu à l’esprit, c’est que Khalil, qui a trente ans, est encore si jeune. Si on le laissait tranquille, il consacrerait tout son temps à découvrir le monde de la paternité et la vie après ses études supérieures. Il n’a pas demandé à devenir un symbole, même s’il a su le devenir avec grâce et attention. C’était merveilleusement surréaliste d’être en coulisses, dans un spectacle d’humour, à boire un café avec lui. J’étais tellement reconnaissant de sa présence que tout ce que j’ai pu dire, pendant ce premier moment de calme, c’était : « Je suis heureux que tu sois là. Je suis heureux qu’ils n’aient pas pu te prendre complètement à nous. »

Khalil et Mamdani ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, mais je les ai vus engager une conversation fluide et souvent drôle. C’était fascinant de voir deux figures emblématiques de la victoire musulmane se rencontrer : l’un chargé de réinventer une ville, l’autre de faire de sa liberté quelque chose qui le dépasse. Mamdani était vêtu d’un costume sombre et d’une cravate à motifs, comme il le fait souvent pendant la campagne électorale. Il a évoqué la recrudescence des menaces de mort qu’il avait reçues depuis sa victoire aux primaires et la façon dont il avait dû changer ses habitudes depuis qu’il était désormais sous protection rapprochée. J’ai pensé à la tournée promotionnelle de mon livre qui avait occupé une grande partie de l’année écoulée. À mesure que les foules grossissaient, les menaces contre ma vie se multipliaient, et je devais parfois faire appel à des agents de sécurité pour surveiller la file d’attente lors des séances de dédicaces ou pour m’escorter jusqu’à mon hôtel. J’envoyais des SMS à mon groupe de discussion musulman, disant en substance : « Je me sens plus musulman que jamais quand quelqu’un veut ma mort », et nous riions. Ce n’est peut-être pas drôle si vous n’êtes pas l’un des nôtres.

Khalil a déclaré qu’il avait lui aussi été inondé de menaces, et que celles-ci avaient augmenté de manière exponentielle depuis sa libération. Il a ajouté qu’il essayait surtout d’ignorer les menaces et d’être prudent lorsqu’il sortait. Après cela, un bref silence s’est installé entre nous trois, un moment de reconnaissance partagée des difficultés de rester en vie. Pour certaines personnes, Khalil et Mamdani offrent, de manière différente mais non sans rapport, des récits essentiels de résistance, une série de cordes auxquelles tant de personnes s’accrochent pour survivre à des moments où la survie semble impossible.

Dans le calme, je me suis surpris à réfléchir à nouveau à la distance qui sépare deux hommes musulmans qui vivent deux victoires distinctes, mais qui sont confrontés à des préoccupations similaires. J’ai pensé à la distance entre ceux qui veulent votre mort et ceux qui veulent votre départ, votre disparition par l’expulsion ou une forme plus banale de silence. Il n’y a peut-être pas autant de distance entre ces deux groupes que nous le souhaiterions, surtout si leurs membres sont bruyants, ont du pouvoir et n’ont pas peur de fantasmer publiquement sur la violence physique. La distance entre ces deux populations se réduit encore davantage lorsque quelqu’un semble partir, puis a le culot de revenir – être rejeté comme un perdant, puis remporter une primaire, ou être emprisonné pour avoir tenu des propos propalestiniens et, une fois libéré, prendre la parole en faveur de la Palestine dès que l’occasion se présente.

Une fois ce moment passé, Mamdani sourit, passa son bras autour des épaules de Khalil et dit : « J’aimerais pouvoir t’emmener partout avec moi. » Et nous avons ri tous les trois, même si cette plaisanterie avait un goût amer. Un rire teinté de tristesse reste un rire.

Il y a un autre hadith que j’aime beaucoup. Dans celui-ci, un prophète qui prononce un sermon dit : « Le paradis et l’enfer m’ont été montrés, et je n’ai jamais vu autant de bien et de mal qu’aujourd’hui. Si vous saviez ce que je sais, vous ririez peu et pleureriez souvent. »

Ces jours-ci, je ne parle et ne pense qu’à la dissonance cognitive nécessaire pour évoluer dans le monde. J’ai de plus en plus de mal à démêler mes multiples personnalités pour pouvoir avancer dans mon voyage. Toutes mes personnalités pleurent souvent. J’essaie de faire preuve de grâce. Je dis à mes amis que je ne comprends plus comment on peut passer les jours, les mois, sans reconnaître les horreurs qui nous entourent. J’imagine ce que cela doit être de pouvoir éteindre les parties du monde qui vous perturbent. Cela doit donner l’impression d’exister dans un univers animé qui obéit aux lois de la physique des dessins animés : vous tombez d’une hauteur inconcevable et, en atterrissant, un nuage de poussière s’élève du sol, mais vous vous secouez et continuez à avancer.

Je me convaincs que je ris encore suffisamment. Tous ceux que j’aime aimeraient voir la fin des guerres, aimeraient empêcher que des gens soient enlevés dans la rue et expulsés, mais certains jours, nous ne pouvons pas manifester, car il fait tellement chaud dehors que c’est dangereux. Il fait dangereusement chaud dehors, en partie à cause des conséquences climatiques des guerres ; elles ne s’arrêtent pas et ne se sont pas arrêtées depuis aussi longtemps que nous sommes en vie. La mosquée de mon quartier a reçu des menaces l’année dernière, alors les membres de la communauté ont mis leur argent en commun pour engager des agents de sécurité. L’un des anciens a plaisanté en disant que tant que la mosquée était vide, quelqu’un pouvait se sentir libre de la brûler, cela nous donnerait une bonne excuse pour enfin la rénover. Nous avons ri. Je me sens le plus musulman lorsque les autres pensent que la blague est à la charge de mon peuple, mais mon peuple survit, et donc la blague n’est en fait pas du tout à notre charge.

À la fin du spectacle de Youssef, il arpentait la scène dans le silence quasi total qui avait suivi les applaudissements enthousiastes. Puis il a commencé à parler de deux choses qui lui avaient redonné espoir cette semaine-là. J’ai remarqué un couple devant moi qui murmurait « Zohran ? ». Puis il est apparu sur scène, saluant la foule debout qui l’acclamait. Il a brièvement évoqué sa vision d’un New York différent, où les gens pourraient défendre les droits des Palestiniens sans craindre d’être persécutés. Youssef a ensuite présenté Khalil, qui a reçu une ovation encore plus forte et plus bruyante. Il a souri largement et a levé le poing, un geste que beaucoup dans le public ont imité.

Vers la fin de son bref discours, Khalil a regardé Mamdani comme s’ils étaient seuls dans la pièce et lui a dit : « Je suis enthousiaste à l’idée d’élever mon fils dans une ville dont tu seras le maire. » Ce fut un moment saisissant, l’un de ces moments où, si vous écoutiez attentivement, vous pouviez entendre un souffle collectif avant qu’une nouvelle vague d’applaudissements n’éclate. Les gens se dirigeaient vers les sorties, certains essuyant leurs larmes. J’ai aperçu une amie et nous nous sommes embrassés. Elle m’a dit : « Je ne m’étais pas rendue compte que je pleurais, mais maintenant je ne peux plus m’arrêter. »

Aussi beau que fût ce souvenir, ce qui m’est resté en tête, c’est la dernière blague de la soirée, lorsque Khalil a déclaré qu’il était honoré d’être aux côtés de Mamdani, « un homme si intègre que l’ICE ne l’a pas encore arrêté ». Il a marqué une pause, puis, avec un timing parfait, il a ajouté : « On voit bien qu’ils y pensent ». Mamdani a ri. Youssef a ri. J’ai ri dans mon siège. C’était une blague classique, faite par quelqu’un qui avait été arraché du hall de son immeuble par des agents de l’ICE, une blague affectueusement adressée à un candidat à la mairie qui a été menacé d’expulsion par le président et d’autres dirigeants politiques. La blague était drôle à cause de ce que certains d’entre nous dans la salle savaient et à cause de ce que la personne qui la racontait avait vécu. La blague était drôle parce que, même si certains d’entre nous dans la salle pleuraient souvent, notre rire surpassait ce que nous savons du monde, pendant quelques secondes à la fois.

 

01/05/2025

USA : pourquoi les militants propalestiniens sont envoyés dans une prison sous-traitante de l’ICE* au fin fond de la Louisiane

*NdT : ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) est l’agence fédérale de l’immigration et des frontières, créée en 2002 dans le cadre du Homeland Security Act instituant le Département de la Sécurité intérieure, qui en 2024, employait 258 000 personnes avec un budget de 103 milliards de $. ICE a sous-traité la majorité de ses centres de détention pour étrangers en voie d'expulsion à des entreprises privées.

Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi sont tous détenus par l’ICE à Jena, en Louisiane. Jena représente le point nodal de la suprématie blanche, de l’exploitation des prisons et de la répression étatique. Mais son histoire nous montre aussi la voie de la résistance.

Stephanie Guilloud et Desiree S. EvansMondoweiss, 28/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Stephanie Guilloud est responsable de la stratégie d’organisation des mouvements au sein du Project South: Institute for the Elimination of Poverty and Genocide, basé à Atlanta, en Géorgie. Elle apporte près de trois décennies d’expérience en matière d’organisation et de leadership dans le mouvement du Sud et le travail pour la justice mondiale. Elle a co-créé le site Organizers’ History lié à son action directe en 1999 pour fermer l’Organisation mondiale du commerce, et a édité le People’s Movement Assembly Organizing Handbook (Manuel d’organisation de l’assemblée du mouvement populaire) de Project South.

Desiree S. Evans est coordinatrice de la communication au sein du Project South. Vivant en Louisiane, Desiree a 25 ans d’expérience dans l’organisation de la justice sociale et le travail de plaidoyer, ainsi que dans les relations avec les médias et la communication.


«Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille par des matins froids et où je passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises à l’encontre d’un grand nombre de personnes exclues de la protection de la loi ».

Ces dernières semaines, les étudiants Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi ont été enlevés par l’ICE et détenus dans des centres de détention de l’ICE dans les zones rurales de la Louisiane. La puissante déclaration de Khalil relie de multiples réalités qui démontrent comment la répression étatique est activée pour soutenir la montée de l’autoritarisme.


Le fait que Khalil et d’autres soient envoyés dans des centres de détention situés dans des villes isolées de Louisiane n’est pas un hasard. La montée de l’autoritarisme nécessite un État policier, et l’expansion des prisons, de la police et des centres de détention est extrêmement rentable. Alors que le gouvernement usaméricain actuel fait disparaître des personnes vers un camp de prisonniers brutal au Salvador, il déplace également des personnes vers la Louisiane rurale pour tenter de faire disparaître des personnes à l’intérieur des frontières des USA.

L’histoire du Sud en matière d’esclavage, d’incarcération, de contrôle social par la suprématie blanche et la résistance constante de la population font partie d’un plan qui peut nous aider à comprendre ce qui se passe, pourquoi, qui en bénéficie et comment riposter.


L’importance de la Louisiane : isolement, stratégie juridique et profit

Pour comprendre pourquoi l’emplacement de ces centres de détention est important, nous devons comprendre le système carcéral usaméricain, ancré dans le contrôle racial, l’exploitation économique et l’effacement géographique.

Khalil et Doroudi sont tous deux détenus au Central Louisiana ICE Processing Center à Jena. Öztürk est détenue au South Louisiana ICE Processing Center à Basile. Les deux centres de détention sont situés dans des villes rurales éloignées, à majorité blanche, comptant moins de quelques milliers d’habitants. Ces lieux présentent des défis importants pour ces détenus, car les centres sont éloignés des grandes villes, ainsi que de nombreux avocats et organisations de défense des droits humains.

Cet isolement est délibéré et stratégique, plaçant les détenus à des milliers de kilomètres de leurs réseaux de soutien et limitant considérablement l’accès à un avocat, ce qui rend beaucoup plus difficile la mise en place d’une défense efficace. Ces sites sont également moins surveillés par le public, car les médias et les organisations de défense des droits humains n’ont qu’un accès limité pour surveiller les conditions et rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur. Avec moins de possibilités de visites familiales, les détenus sont de plus en plus coupés du monde extérieur, isolés à la fois émotionnellement et physiquement. La détention en milieu rural devient une autre méthode de « disparition » des personnes.

Ces dernières années, la Louisiane est devenue l’un des principaux centres de détention d’immigrants du pays, se classant juste derrière le Texas pour le nombre de personnes détenues. La Louisiane détient actuellement environ 7 000 immigrants en détention civile. La Louisiane, ainsi que ses voisins, le Texas et le Mississippi, abritent 14 des 20 plus grands centres de détention de l’ICE du pays, et disposent également de tribunaux extrêmement conservateurs.

Les administrations répressives apprécient la Cour du 5e circuit de Louisiane, bien connue pour son conservatisme, et peuvent souvent obtenir les résultats qu’elles souhaitent plus facilement que dans d’autres États. C’est un juge fédéral de Louisiane qui a décidé que Khalil pouvait être expulsé parce qu’il représentait un risque pour la sécurité nationale en raison de ses convictions et de ses manifestations en faveur de la Palestine. Un juge de l’immigration de Jena a récemment refusé la caution à Doroudi. En revanche, le juge fédéral de New York a estimé que la détention de Yunseo Chung était illégale.

Les centres de détention fonctionnent comme des outils de punition à part entière. Au fil des ans, plusieurs centres situés dans la région rurale de la Louisiane ont fait l’objet de graves critiques pour violation des droits humains.

Öztürk a déclaré avoir été confrontée à des conditions « insalubres, dangereuses et inhumaines » dans le centre de Basile, où elle a lutté pour obtenir des soins médicaux adéquats. Les enquêteurs ont documenté les abus commis dans ce centre, notamment le fait que les détenus se voient refuser des soins médicaux, qu’ils reçoivent des produits d’hygiène féminine inadéquats et qu’on leur serve de la nourriture avariée.

Ces centres font plus que faire disparaître, contenir et punir. Hier comme aujourd’hui, la mégaentreprise de prisons privées GEO Group possède et gère le Central Louisiana ICE Processing Center à Jena (ainsi que le South Louisiana ICE Processing Center à Basile), en tant que centres de détention à but lucratif. Anciennement connu sous le nom de Wackenhut Corrections Corporation, tristement célèbre dans les années 1990 en tant qu’acteur majeur de l’essor des prisons privatisées à but lucratif, GEO Group a racheté Wackenhut en 2002. GEO Group, l’une des plus grandes sociétés pénitentiaires privées au monde, détient actuellement près d’un milliard de dollars de contrats gouvernementaux pluriannuels pour des prisons, des centres de détention, des transports et de la surveillance.

Cible elle-même, comme Israël, de stratégies de désinvestissement pour protester contre la violence systématique, la torture, le travail forcé et les abus, GEO Group risque de gagner des milliards supplémentaires en contrats fédéraux alors que l’administration Trump criminalise et rafle les immigrés, les Noirs, les musulmans et les étudiants.

Envoyés dans le Sud : du port d’esclaves à la capitale pénitentiaire

La Louisiane était un site clé dans le commerce intérieur des esclaves, la Nouvelle-Orléans étant le deuxième port négrier et le plus grand marché aux esclaves du pays, où les personnes asservies étaient achetées, vendues et transportées dans tout le Sud des USA. 

Pendant l’esclavage, les esclavagistes utilisaient souvent une expression pour menacer les esclaves : être « vendus le long de la rivière ». Cela signifiait être vendu plus au sud, le long du Mississippi, dans les plantations du Sud profond, comme les tristement célèbres champs de canne à sucre de Louisiane. Pour les esclaves, cette phrase avait le poids d’une condamnation à mort, symbolisant la séparation d’avec la famille et une souffrance quasi certaine. Être condamné plus au « Sud » était un outil d’isolement, de punition et de peur, une pièce maîtresse du contrôle exercé à l’époque de l’esclavage.

Dans les années qui ont suivi l’émancipation, cette exploitation a évolué au lieu de disparaître, jetant les bases du rôle central de l’État dans l’essor de l’incarcération de masse. De l’affermage des condamnés et du travail pénal à l’époque de Jim Crow au complexe industriel carcéral moderne, la Louisiane a longtemps profité des systèmes qui criminalisent et réifient les corps noirs. En fait, la Louisiane a accueilli la première prison privatisée du pays en 1844, un établissement qui a par la suite fait appel à une main-d’œuvre anciennement esclave à des fins lucratives.

Photographie de 1934 de prisonniers dAngola, prise par le folkloriste Alan Lomax, avec au premier plan le chanteur de blues Huddie « Lead Belly » Ledbetter, emprisonné pour tentative d'homicide, libéré plus tard dans l'année 

L’héritage de l’époque esclavagiste est peut-être incarné de la manière la plus frappante aujourd’hui par le tristement célèbre pénitencier de l’État de Louisiane, mieux connu sous le nom d’« Angola », qui est la plus grande prison de haute sécurité des USA. Il est situé sur le site isolé d’une ancienne plantation d’esclaves, d’une superficie de 18 000 acres [7 284 ha], et continue d’exploiter sa ferme en recourant à la main-d’œuvre carcérale. Des hommes incarcérés, noirs pour la plupart, travaillent la terre pour récolter entre autres du coton, souvent pour quelques centimes de l’heure, dans des conditions difficiles, chaudes et inhumaines, sous la surveillance de gardiens de prison armés et à cheval. C’est une image sinistre, qui s’est reflétée à la frontière du Texas en 2021, lorsque des agents de la patrouille frontalière usaméricaine se sont déplacés à cheval avec des fouets pour poursuivre et capturer des immigrés haïtiens.


Les groupes de pression qui prônent une réforme de la justice pénale ont joué un rôle clé dans la réduction de la population carcérale en Louisiane ces dernières années. Mais aujourd’hui, la détention des immigrants menace de remplacer ces chiffres en baisse, en particulier dans les zones rurales.

L’augmentation de la détention d’immigrants en Louisiane est parallèle à l’utilisation historique des prisons rurales du Sud et des camps de travail pour faire disparaître les personnes marginalisées de la vue du public. Les installations de l’ICE en Louisiane participent à une forme moderne de contrôle racial en détenant des immigrants et des dissidents politiques : ces installations sont transformées en sites où des corps volés sont enfermés à des fins de profit et de punition - loin des yeux, loin du cœur.

Ces centres de détention de Louisiane perpétuent la logique de l’esclavage usaméricain : des corps noirs et bruns, enfermés et exploités dans des communes rurales à des fins lucratives. Les architectes de la politique d’immigration des USA ont commencé à moderniser ce que la Louisiane a perfectionné pendant des siècles : le contrôle par la punition, le profit par l’emprisonnement et le silence par l’isolement.

Ce n’est pas une coïncidence si tant d’organisateurs propalestiniens ont été envoyés en Louisiane. Mais il y a un autre aspect de l’histoire du Sud qui pourrait guider notre réponse. La résistance fonctionne.

L’importance de Jena : un nœud de répression et de résistance

Lorsque nous parlons de la montée du fascisme aux USA et dans le monde, nous nous souvenons que le Sud des USA a conçu le schéma directeur d’une grande partie du fascisme européen et de l’apartheid sud-africain sous la forme de l’esclavage et de Jim Crow. Les systèmes imbriqués de suprématie blanche existent toujours dans le domaine social, dans les écoles, au sein de la police et dans les tribunaux. L’affaire des « 6 de Jena » montre que tous ces systèmes protègent le racisme blanc et tentent de contenir l’indignation des Noirs.

Avant d’être récemment sous les feux de la rampe, la petite ville de Jena, en Louisiane, était surtout connue pour l’affaire des 6 de Jena. En 2006, après que des nœuds coulants ont été accrochés à l’« arbre blanc » du lycée de Jena, six étudiants noirs ont été arrêtés et inculpés de tentative de meurtre pour avoir prétendument battu un jeune Blanc dans un contexte d’escalade des tensions raciales. Le jury était entièrement blanc et Mychal Bell, âgé de 17 ans, a été jugé comme un adulte et reconnu coupable. L’affaire est devenue un point chaud, car le jugement a suscité l’indignation nationale face à l’injustice raciale affichée. Vingt mille personnes se sont rassemblées dans la petite ville de Louisiane le jour de la condamnation de Mychal Bell pour protester contre le procès.


Jena, 20 septembre 2007

Les tensions raciales et les violences liées aux « 6 de Jena » ont commencé juste un an après que l’ouragan Katrina a mis en lumière les réalités du racisme, des décennies après les avancées du mouvement des droits civiques. « Katrina a fait prendre conscience aux Noirs qu’ils étaient des citoyens de seconde zone dans ce pays. Il a mis en lumière les souffrances endurées par les Noirs. Lorsque leurs abris et leurs moyens de subsistance leur ont été enlevés, ils ont été traités de pilleurs et laissés à l’abandon », a déclaré Assata Richards, de l’université de Pittsburgh, à propos de la montée des tensions à Jena à l’époque.

L’affaire des 6 de Jena montre également le pouvoir de la protestation, de l’organisation et de la construction d’un mouvement. Plus de 20 000 personnes sont descendues à Iéna en septembre 2007. Plus de 100 campus à travers le pays ont organisé des manifestations et des débrayages. Ces manifestations massives menées par des jeunes Noirs étaient le signe avant-coureur des manifestations « Black Lives Matter » et des soulèvements en faveur de la justice raciale à venir.

Bien qu’ils aient été accusés de tentative de meurtre et que Bell ait été jugé en tant qu’adulte, les charges retenues contre lui ont finalement été annulées et les autres adolescents noirs n’ont été condamnés qu’à une simple amende. Lorsque nous nous organisons et refusons de permettre aux systèmes répressifs d’isoler et de faire disparaître notre peuple, nous pouvons gagner.

Jena, en Louisiane, et l’industrie pénitentiaire privatisée qui enferme les militants propalestiniens représentent un ensemble de systèmes qui renforcent la suprématie blanche, la rentabilité des prisons et la répression anti-contestation. Ils reflètent un héritage continu de ciblage des personnes marginalisées, en particulier des corps noirs et bruns, à des fins de punition et de contrôle.

Jena témoigne de la réalité multiforme de la répression étatique raciste et de la violence sociale, mais elle peut aussi rappeler le pouvoir de l’organisation pour mettre fin à l’injustice.

Pourquoi nous devons être attentifs

La disparition et les détentions d’organisateurs propalestiniens sont une punition directe pour les puissants campements de jeunes du printemps 2024. Si nous continuons à montrer notre puissance pendant cette période, nous serons confrontés à davantage de répression. Plus de 40 projets de loi anti-manifestations ont été introduits en 2025 à travers les USA. Ces lois viendraient s’ajouter aux lois existantes visant les manifestations, les organisations à but non lucratif, l’entraide et les fonds de cautionnement.

À mesure que les mouvements se développent, la répression de l’État s’intensifie. Et les entreprises privées sont prêtes à en profiter. Le cours de l’action de GEO Group a doublé après les élections de novembre.


Cours des actions GEO GROUP au 1er mai 2025

Le complexe industriel carcéral est une cible majeure contre laquelle nous pouvons nous organiser pour le démanteler. L’omniprésence de l’État policier et des systèmes pénitentiaires élargit la base des personnes qui sont affectées et qui peuvent être organisées pour résister. Des centres de détention de l’ICE à la surveillance de nos quartiers, presque toutes les communautés sont concernées. Les lycéens et les collégiens doivent faire face à une présence policière accrue. La criminalisation de la dissidence est en train d’être codifiée à tous les niveaux de la législation locale, étatique et fédérale.

Les manifestations du mouvement en 2007 ont changé l’issue de l’affaire des 6 de Jena et ont fait progresser la justice raciale. Nous ne pouvons pas rester silencieux aujourd’hui alors que des personnes sont isolées, confinées et expulsées. Nous devons être courageux, et nous devons le faire collectivement.

Les nouvelles quotidiennes sur les disparitions, les détentions et la criminalisation accrue de l’activité des mouvements peuvent être décourageantes. Il est essentiel de comprendre les liens actuels et historiques, et nos stratégies sont plus solides lorsqu’elles s’appuient sur une analyse claire de ce qui se passe, de ceux qui en bénéficient et des forces qui sont affectées et en mouvement. En ce moment de danger à plusieurs niveaux, notre responsabilité est d’évaluer les liens et les modèles afin d’agir de manière décisive et stratégique.

En tant qu’organisatrices, nous posons les questions suivantes : pourquoi des personnes sont-elles enlevées et envoyées dans des prisons lointaines ? Qui profite matériellement de l’expansion de l’État policier ? Que pouvons-nous apprendre de l’histoire sur la manière dont l’opposition se déplace ? Que pouvons-nous apprendre des mouvements qui, aux USA et dans le monde, ont affronté des États autoritaires ?

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité des mouvements est nécessaire pour prévenir et démanteler les États autoritaires.

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité du mouvement est nécessaire pour prévenir et démanteler l’autoritarisme et le système carcéral qui est nécessaire pour le maintenir en place. Démasquez les formes d’expansion de la police, de la surveillance, des prisons et de la détention dans votre communauté et organisez-vous pour les dénoncer et les éliminer.

Le projet sioniste va bien au-delà de l’État d’Israël et de son génocide à Gaza. Alors que les USA soutiennent et aident le génocide, la violence de l’État augmente pour contenir notre résistance. Dans tout le pays, les étudiants luttent contre une répression accrue et des mesures disciplinaires, et les universités font face à des menaces existentielles sur leur autonomie et leur liberté. Un exemple de la portée du sionisme aux USA est le Georgia International Law Enforcement Exchange (GILEE), un programme d’échange de policiers basé sur un campus universitaire qui forme la police usaméricaine aux tactiques militaires de l’apartheid et développe les technologies de surveillance israéliennes à Atlanta. Mais les étudiants de l’université d’État de Géorgie s’organisent pour mettre fin à ce programme.


Juillet 2022: 16 policiers de Géorgie et du Tennessee suivent un stage de deux semaines en Israël dans le cadre du programme 
GILEE, lancé en 1992



Les jeunes établissent des liens et nous montrent à tous comment être courageux, depuis les lycéens qui ont manifesté pour protester contre le racisme des procès de Jena 6 jusqu’à ceux qui luttent contre Cop City à Atlanta, en passant par les campements de 2024. La solidarité et le soutien à l’organisation des jeunes et des étudiants en ce moment sont essentiels pour que nous soyons tous libres.

Mahmoud Khalil, prisonnier politique dans le contexte actuel de montée du contrôle autoritaire, nous le rappelle : « Les étudiants sont depuis longtemps à l’avant-garde du changement : ils ont mené la charge contre la guerre du Viêt Nam, se sont tenus en première ligne du mouvement pour les droits civiques et ont mené la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice ».

Jena, 15 avril 2025

21/03/2025

“Je suis un prisonnier politique”
Lettre de Mahmoud Khalil depuis un centre de détention de l’ICE

Mahmoud Khalil, Jacobin, 20/3/2025
Traduit par Fausto Giudice
Tlaxcala  

Mahmoud Khalil, qui a été détenu et visé par une procédure d’expulsion par l’administration Trump pour avoir dénoncé les atrocités commises à Gaza, a dicté une lettre au public depuis sa cellule de détention en Louisiane. 
Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille dans le froid et passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises contre un grand nombre de personnes privées de la protection de la loi.

Qui a le droit d’avoir des droits ? Ce ne sont certainement pas les êtres humains entassés dans les cellules ici. Ce n’est pas l’homme sénégalais que j’ai rencontré et qui est privé de liberté depuis un an, sa situation juridique étant dans l’incertitude et sa famille outre-océan. Ce n’est pas le détenu de vingt et un ans que j’ai rencontré, qui a mis les pieds dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être ensuite expulsé sans même une audience.

La justice échappe aux contours des centres d’immigration de ce pays.

Le 8 mars, j’ai été arrêté par des agents du Département de la sécurité intérieure (DHS) qui ont refusé de me présenter un mandat et qui nous ont interpellés, ma femme et moi, alors que nous revenions d’un dîner. À présent, les images de cette nuit-là ont été rendues publiques. Avant que je ne sache ce qui se passait, les agents m’ont menotté et m’ont fait monter de force dans une voiture banalisée. À ce moment-là, ma seule préoccupation était la sécurité de Noor. Je ne savais pas si elle serait également emmenée, car les agents avaient menacé de l’arrêter pour ne pas m’avoir quitté. Le DHS ne m’a rien dit pendant des heures. Je ne connaissais pas la raison de mon arrestation ni si j’étais menacé d’expulsion immédiate. Au 26 Federal Plaza [à New York], j’ai dormi sur le sol froid. Tôt le matin, des agents m’ont transporté dans un autre centre à Elizabeth, dans le New Jersey. Là-bas, j’ai dormi par terre et on m’a refusé une couverture malgré ma demande.

Mon arrestation était une conséquence directe de l’exercice de mon droit à la liberté d’expression alors que je plaidais pour une Palestine libre et la fin du génocide à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Le cessez-le-feu de janvier étant désormais rompu, les parents à Gaza bercent à nouveau leurs enfants dans des linceuls trop petits et les familles sont obligées de choisir entre la faim et le déplacement ou les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre la lutte pour leur liberté totale.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été chassée de ses terres depuis la Nakba de 1948. J’ai passé ma jeunesse à proximité de ma patrie, mais loin d’elle. Mais être Palestinien est une expérience qui transcende les frontières. Je vois dans ma situation des similitudes avec le recours par Israël à la détention administrative - l’emprisonnement sans procès ni accusation - pour priver les Palestiniens de leurs droits. Je pense à notre ami Omar Khatib, qui a été incarcéré sans inculpation ni jugement par Israël alors qu’il rentrait chez lui après un voyage. Je pense au directeur de l’hôpital de Gaza et pédiatre Dr Hussam Abu Safiya, qui a été fait prisonnier par l’armée israélienne le 27 décembre et qui se trouve aujourd’hui dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure régulière est monnaie courante.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. 

J’ai toujours pensé que mon devoir n’était pas seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi de libérer mes oppresseurs de leur haine et de leur peur. Ma détention injuste est révélatrice du racisme anti-palestinien dont les administrations Biden et Trump ont fait preuve au cours des seize derniers mois, alors que les USA ont continué à fournir à Israël des armes pour tuer des Palestiniens et ont empêché toute intervention internationale. Pendant des décennies, le racisme anti-palestinien a motivé les efforts visant à étendre les lois et les pratiques usaméricaines utilisées pour réprimer violemment les Palestiniens, les Arabes usaméricains et d’autres communautés. C’est précisément pour cela que je suis pris pour cible.

Alors que j’attends des décisions juridiques qui mettent en jeu l’avenir de ma femme et de mon enfant, ceux qui ont permis que je sois pris pour cible restent confortablement installés à l’université de Columbia. Les présidents [Minouche] Shafik, [Katrina] Armstrong et la doyenne [Keren] Yarhi-Milo ont préparé le terrain pour que le gouvernement usaméricain me cible en sanctionnant arbitrairement des étudiants propalestiniens et en permettant que des campagnes virales de dénigrement - basées sur le racisme et la désinformation – continuent en toute impunité

Columbia m’a ciblé pour mon activisme, en créant un nouveau bureau disciplinaire autoritaire pour contourner les procédures régulières et faire taire les étudiants qui critiquent Israël. L’université Columbia a cédé aux pressions fédérales en divulguant les dossiers des étudiants au Congrès et en cédant aux dernières menaces de l’administration Trump. Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins vingt-deux étudiants de Columbia – dont certains ont été privés de leur diplôme de licence quelques semaines avant l’obtention de leur diplôme – et l’expulsion du président des SWC [Student Workers of Columbia] Grant Miner à la veille des négociations contractuelles en sont des exemples évidents.

Ma détention, si elle a un sens, témoigne de la force du mouvement étudiant pour faire évoluer l’opinion publique en faveur de la libération des Palestiniens. Les étudiants ont longtemps été à l’avant-garde du changement, menant la charge contre la guerre du Vietnam, se tenant en première ligne du mouvement des droits civiques et menant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. Dans les semaines à venir, les étudiants, les défenseurs des droits et les élus doivent s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiles fondamentales de tous.

Sachant parfaitement que ce moment transcende ma situation personnelle, j’espère néanmoins être libre d’assister à la naissance de mon premier enfant.


13/03/2025

ALAN MACLEOD
La professeure de l’université Columbia au centre du scandale de la déportation de Mahmoud Khalil est une ancienne espionne israélienne

La professeure au centre du scandale de l’arrestation en vue de le déporter de l’étudiant palestinien à l’Université de Columbia Mahmoud Khalil est une ancienne agente des services de renseignements israéliens, révèle MintPress News.

Alan MacLeod, MintPress News, 11/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Mahmoud Khalil, récemment diplômé de la School of International and Public Affairs (SIPA) de l’université, a été enlevé par l’Immigration Customs Enforcement (ICE) samedi pour son rôle dans l’organisation de manifestations l’année dernière contre l’attaque d’Israël sur Gaza. Keren Yarhi-Milo, directrice de cette École des affaires internationales et publiques, est une ancienne officière du renseignement militaire israélien et fonctionnaire à la mission d’Israël auprès des Nations unies. Yarhi-Milo a joué un rôle important en suscitant l’inquiétude du public face à une prétendue vague d’antisémitisme intolérable déferlant sur le campus, jetant ainsi les bases de l’importante répression des libertés civiles qui a suivi les manifestations.


Keren Yarhi-Milo pose avec Hillary Clinton lors de son séjour à Columbia en tant qu’enseignante invitée en 2023. Mme Clinton préside le conseil consultatif de l’Institute of Global Politics (IGP), fondé par Yerhi-Milo
Photo | Facebook | Hillary Clinton

Des fantômes parmi nous

Avant d’entrer dans le monde universitaire, la Dre Yarhi-Milo a servi en tant qu’officière et analyste du renseignement au sein des forces de défense israéliennes. Étant donné qu’elle a été recrutée dans les services de renseignement en raison de sa capacité à parler couramment l’arabe, son travail consistait probablement à surveiller la population arabe.

Après avoir quitté le monde du renseignement, elle a travaillé pour la mission permanente d’Israël auprès des Nations unies à New York. C’est là qu’elle a rencontré l’homme qu’elle a épousé, porte-parole officiel d’Israël auprès des Nations unies.

Bien qu’elle soit aujourd’hui universitaire, elle n’a jamais quitté le monde de la sécurité internationale, dont elle a fait son domaine d’expertise. Elle s’est efforcée de faire entendre la voix des femmes dans ce domaine. L’une d’entre elles était Avril Haines, alors directrice de la sécurité nationale des USA, avec qui elle s’est entretenue en 2023. Bien que Khalil ait été un élève de son école, elle n’a rien dit au sujet de son arrestation. En effet, plutôt que de s’exprimer sur la question (comme le demandaient les militants), elle a choisi cette semaine d’inviter Naftali Bennett, premier ministre d’Israël de 2021 à 2022, à s’exprimer à Columbia. Les étudiants qui ont protesté contre l’événement de mardi ont été condamnés par les autorités universitaires pour avoir “harcelé” Yarhi-Milo.

Des manifestations sans précédent, une répression sans précédent

L’année dernière, Columbia a été l’épicentre d’un mouvement de protestation massif sur les campus universitaires du pays. On estime  qu’au moins 8 % des étudiants usaméricains ont participé à des manifestations dénonçant l’attaque génocidaire contre Gaza et appelant les établissements d’enseignement à se désinvestir d’Israël. La réaction a été tout aussi massive. Plus de 3 000 manifestants ont été arrêtés y compris des membres du personnel universitaire.

11/03/2025

“La première arrestation d'une longue série à venir” : Mahmoud Khalil menacé de déportation des USA

Mahmoud Khalil, un étudiant palestinien de 30 ans récemment diplômé de l'université Columbia, vient d'être arrêté à New York et placé dans un centre de rétention en Louisiane. Il est menacé de déportation alors qu'il est titulaire d'une carte verte de résident et marié à  une citoyenne usaméricaine. Lire nos traductions des articles du New York Times consacrés à  cette affaire