Alors que la
guerre au Yémen s’achève ou commence à s’achever, une nouvelle guerre est
déclenchée au Soudan. Ces deux conflits, qui se déroulent de part et d’autre de
la mer Rouge, ont en commun d’être en grande partie des guerres par
procuration, dans lesquelles l’intervention extérieure (en particulier celle des
pétromonarchies du Golfe) joue un rôle majeur.
C’est vers l’Arabie
saoudite et les Émirats arabes unis que le secrétaire d’État usaméricain
Anthony Blinken s’est tourné pour les exhorter à redoubler d’efforts afin de
rétablir le calme et de mettre un terme à la guerre qui a éclaté samedi entre
les deux grands alliés : Le général Abdelfattah Al Burhan et son adjoint le
général Mohamed Hamdan Dagalo (alias Hemedti, “Petit Mohamed”). Ce dernier a
atteint son grade élevé sans avoir fréquenté aucune académie militaire ou
civile, mais grâce à sa direction des Forces de soutien rapide (FSR, milice),
fortes de 100 000 hommes - notoirement connues pour leurs meurtres et leur répression
(au Darfour) - et à l’acquisition de vastes quantités d’or volé.
Tjeerd Royaards
Plusieurs
indices ont mis en évidence les allégeances des parties qui se battent pour le
pouvoir au Soudan et l’identité de leurs soutiens extérieurs.
Tout d’abord,
l’attaque par les FSR du personnel égyptien stationné à la base militaire de
Merowe, dont beaucoup ont été capturés, implique que l’Égypte est accusée de
soutenir Burhan et l’armée régulière qu’il commande.
Deuxièmement,
les liens étroits entre Hemedti, qui contrôle le commerce de l’or et les mines
du Soudan, et le groupe russe Wagner. Les USA ont fait pression sur Burhan pour
qu’il expulse le groupe au motif qu’il est un partenaire dans l’extraction et
la vente de cet or et qu’il utilise les recettes pour financer la guerre de la
Russie en Ukraine, qu’il est le fer de lance de l’influence russe en Afrique et
qu’il prépare le terrain pour l’établissement d’une base militaire russe au
Soudan.
Direction les Émirats - Omar Dafalla
Troisièmement,
les Émirats arabes unis sont devenus le plus gros investisseur extérieur au
Soudan. Il y a quelques jours, ils ont acheté pour 1,5 milliard de dollars d’or
soudanais, que Hemedti contrôle, ainsi que des millions d’hectares de terres
agricoles. Les deux parties sont manifestement très proches. Le FSR de Hemedti
a combattu aux côtés des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans la
guerre au Yémen, en y envoyant des milliers de ses combattants.
Quatrièmement,
la position saoudienne reste floue et hésite entre les deux parties. Le fait
que les liens de l’Arabie saoudite soient tendus avec l’Égypte et les Émirats
arabes unis, qui sont les principaux soutiens des deux camps rivaux, complique
la situation. Les Émirats arabes unis ont envoyé un conseiller présidentiel,
plutôt que leur ministre des Affaires étrangères, à la récente conférence
ministérielle de Djeddah sur la Syrie, convoquée par le prince héritier
saoudien Mohamed Ben Salman. Les relations avec l’Égypte ne sont pas non plus
au beau fixe. Le président Abdelfattah Al Sissi n’a pas réussi, lors de sa
brève visite de Ramadan à Djeddah, à obtenir le paquet rapide d’aide financière
qu’il recherchait. Faisant preuve d’une neutralité affichée, l’Arabie saoudite
a exhorté Hemedti et Burhan à se rencontrer à Riyad pour négocier la fin de
leur guerre.
Hemedti (le serpent) face à Burhan avec son projet de "Damj" (la fusion des FSR dans l'armée officielle) -Omar DafallaSur le
papier, l’armée régulière soudanaise se classe au 75e rang mondial,
avec 205 000 hommes, 191 avions de guerre (vieillissants) et 170 chars d’assaut.
En théorie, cela signifie qu’elle a le dessus et qu’elle a plus de chances de
vaincre les forces rebelles de Hemedti. Mais cela est loin d’être acquis,
compte tenu de l’intervention extérieure croissante.
Cette guerre
ne peut se terminer que si l’une des parties bat et écrase l’autre, et non par
une médiation ou des appels éloquents à un arrêt immédiat. Tout indique qu’elle
pourrait se prolonger et se transformer en une guerre civile ou interrégionale
qui entraînerait une anarchie armée dans le pays.
Si la guerre
du Yémen, qui devait être réglée en trois mois, a duré huit ans, et la guerre
civile libanaise quinze ans, combien de temps pourrait durer une guerre civile
soudanaise si elle était déclenchée ?
Ce serait
une perspective terrible. Les combats ont déjà fait 200 morts et des centaines
de blessés, dont de nombreux civils. Il faut espérer qu’un cessez-le-feu sera
rapidement conclu*. Mais l’inquiétude et le pessimisme sont justifiés par l’ingérence
des acteurs extérieurs qui ont contribué à déclencher cette guerre et qui
continuent à jeter de l’huile sur le feu, ainsi que par l’aggravation des
querelles entre eux.
Le seul
point positif parmi les rapports contradictoires sur le déroulement de la
guerre est que le bon peuple soudanais ne soutient aucun des deux camps. Ils
les tiennent tous deux pour responsables de l’effondrement économique, de l’insécurité,
de la faim croissante (un tiers des Soudanais se trouvent sous le seuil de la
faim selon le Programme alimentaire mondial) et, surtout, de l’échec de l’accord
visant à transférer le pouvoir aux groupes civils qui ont mené à bien la
révolution contre le régime militaire et ses coups d’État en série.
Le Soudan
est victime d’une grande machination qui peut déboucher sur n’importe quelle
issue, y compris la partition ou la guerre civile. L’establishment militaire
est sans conteste le principal responsable de cette calamité. Les luttes de
pouvoir entre les généraux et les commandants sont motivées par des raisons
purement égoïstes, sans tenir compte de l’unité territoriale du pays ni des
intérêts et du bien-être de sa population.
La "tatbia" (normalisation des relations avec Israël) - Omar Dafalla
C’est ce qui
résulte de la normalisation et de la grande escroquerie usaméricaine qui a
promis au peuple soudanais la prospérité et la générosité si Burhan serrait la
main de Benjamin Netanyahou et si Hemedti se prosternait devant Tel-Aviv et considérait
Israël comme un État ami qui résoudra tous les problèmes du Soudan.
En bref,
nous assistons à un nouveau désastre majeur concocté par les USA et Israël avec
la complicité, volontaire ou involontaire, des régimes arabes.
NdT
*Un cessez-le-feu humanitaire de 24 heures du 19 au 20 avril, conclu sous les auspices du Triple Mécanisme (ONU-UA-IGAD) n'a tenu que quelques heures. Antonio Guterres vient d'appeler les parties au conflit à un cessez-le-feu de 3 jours à l'occasion de l'Aïd El Fitr.