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17/11/2022

DOMINIQUE ZIEGLER
Crépuscule de la Françafrique

Dominique Ziegler (Genève, 1970) est auteur, metteur en scène et scénariste BD. Bio

On se souvient du discours frontal de Thomas Sankara adressé à François Mitterrand lors de la visite d’État de ce dernier au Burkina Faso en 1986. Sans prendre de gants, Sankara balança ses quatre vérités au président français, par ailleurs ancien ministre de la France d’outre-mer sous la Quatrième République et artisan méticuleux de la politique postcoloniale de la France. Sankara reprocha entre autres à Mitterrand d’avoir accueilli avec les honneurs «le tueur Pieter Botha», dirigeant de l’Afrique du Sud de l’apartheid, et d’être tâché du sang de ses victimes. Le «socialiste» français l’avait très mal pris. Il est possible qu’au moment où se fomentait l’élimination de Sankara, l’affront ait pesé dans la balance.

Depuis les pseudo-indépendances des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, rares sont les dirigeants africains à s’être confrontés à l’ancienne puissance coloniale. Ceux qui l’ont fait l’ont payé de leur vie. L’ostracisme ou le meurtre a été le lot de nombres d’opposant·es à la tutelle française et a incité beaucoup de militant·es ou politicien·nes africain·es à une certaine prudence verbale (et physique) dans la sphère publique. C’est donc avec un plaisir non dissimulé qu’on a pu apprécier des éléments du discours du premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, à la tribune de l’ONU, en septembre dernier. Le premier ministre traite les autorités françaises de «junte au service de l’obscurantisme» et les accuse de «pratiques néocoloniales, condescendantes, paternalistes et revanchardes». Stupéfaction chez les Blancs!

On éprouve le même plaisir en regardant les vidéos de la pasionaria suisso-camerounaise Nathalie Yamb, une des figures emblématiques du renouveau de la fierté africaine. Florilège: «La France n’est grande que quand elle grimpe sur les épaules de l’Afrique»; «C’est contre notre engagement pour l’émancipation et le respect des Africaines et des Africains qu’Emmanuel Macron a décidé d’aller en guerre et de réaffirmer que nous, populations d’Afrique, nous sommes des sous-hommes, des animaux, incapables de penser, de décider et de parler pour eux-mêmes!» Nathalie Yamb dénonce sans fioritures le «racisme, le racialisme condescendent de Macron et de la classe politique française et européenne à l’égard des Africains».

Ce type de propos, souvent cantonnés aux sphères d’extrême gauche (ce que n’est pas Nathalie Yamb, plutôt libérale), semble se répandre dans toutes les couches de la société africaine. Selon Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture malienne: «Toute l’Afrique de l’Ouest est en mouvement.» On ne peut que s’en réjouir.

La violence de l’État français a l’égard des peuples africain·es a toujours bénéficié de l’impunité la plus absolue, n’a jamais fait l’objet de la moindre poursuite devant une cour pénale. Le Nuremberg de la Françafrique se fait toujours attendre. Il y a pourtant matière. En attendant ce jour, qui devrait arriver tôt ou tard, une nouvelle génération d’Africain·es semble bien décider à en finir une bonne fois avec le colon historique. Au risque parfois, suivant les gouvernements ou personnes, d’une tolérance malaisante envers l’ennemi de l’ennemi, à savoir d’autres régimes impérialistes comme la Russie ou la Chine. Mais on conviendra que la marge de manœuvre est étroite pour sortir de la nasse.

Au Burkina Faso, le cas de figure est à peu près identique. Une nouvelle génération de militaires semble bien décidée à se dégager de la tutelle de l’État français, qui installa au pouvoir l’assassin de Sankara, Blaise Compaoré, dont la dictature, longue de vingt-sept années, a maintenu le pays dans la misère, sur laquelle prospère aujourd’hui le jihadisme. Difficile de savoir à ce stade où ces nouveaux dirigeants conduisent le pays, et la mesure de leurs possibilités, mais ils bénéficient en tout cas du soutien populaire.

L’édifice de la Françafrique paraît enfin se lézarder. Signe de la panique puérile qui s’est emparée de la classe dirigeante française: Nathalie Yamb vient de recevoir l’interdiction officielle de la part du gouvernement Macron de pénétrer sur le territoire français. Nathalie Yamb a pourtant seulement rappelé des réalités historiques et politiques évidentes. C’en est trop pour Macron et son gouvernement qui, au prétexte de propos «antifrançais», ont réservé ce traitement inédit à une femme dont la seule force de frappe est internet.

Signe des temps, Alpha Blondy, grande star ivoirienne du reggae, pourtant plutôt condescendant à l’époque avec son président Houphouët-Boigny, homme clé du dispositif françafricain, vole au secours de Nathalie Yamb avec des accents à la Malcolm X. Et ressuscite au passage le souvenir du FLN algérien de la guerre d’indépendance dans une diatribe virulente à l’égard de l’État français! Les choses bougent, indéniablement.

29/09/2021

HOWARD FRENCH
Enemigos del progreso: hechos y fechorías de la Franciáfrica

 La obsesión de Francia por mantener su influencia sobre sus antiguas colonias de África Occidental ha propiciado  dictaduras brutales en Burkina Faso y el Chad

Howard W. French, The New York Review of Books, 7/10/2021
Traducido del inglés por
Sinfo Fernández, Tlaxcala

Libros reseñados :

Thomas Sankara: A Revolutionary in Cold War Africa

por Brian J. Peterson

Indiana University Press, 333 pp., $90.00; $35.00 (paper)

 

France’s Wars in Chad: Military Intervention and Decolonization in Africa

por Nathaniel K. Powell

Cambridge University Press, 360 pp., $99.99

 

Living by the Gun in Chad: Combatants, Impunity and State Formation
por Marielle Debos, traducido del francés (
Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l'entre-guerres) by Andrew Brown

Zed, 239 pp., $95.00; $29.95 (paper)

 

The Trial of Hissène Habré: How the People of Chad Brought a Tyrant to Justice

por Celeste Hicks

Zed, 217 pp., $95.00; $24.95 (paper)

En algún momento de finales de 1983, o muy a principios de 1984, viajé a Uagadugú, la capital de un país de África Occidental llamado entonces Alto Volta, para hacerme una idea sobre un hombre cuyo reciente ascenso al poder era ya una sensación en todo el continente. Yo era un reportero inexperto; a decir verdad, ni siquiera era un periodista hecho y derecho. A los treinta y tres años, casi una década mayor que yo, Thomas Sankara acababa de convertirse en presidente de un país sin salida al mar  afectado por la sequía, que se había independizado de Francia en 1960 y seguía siendo uno de los lugares más pobres del mundo y la definición casi perfecta de un remanso político.

Thomas Sankara, presidente de Burkina Faso, y el presidente francés François Mitterrand, Ouagadougou, noviembre 1986.
Foto
Patrick Aventurier/Gamma-Rapho/Getty Images

Conocí a Sankara por casualidad, poco después de llegar a Uagadugú en tren desde Abiyán, en Costa de Marfil, donde yo vivía. De alguna manera me enteré de una reunión pública que iba a celebrar en un barrio tranquilo de la ciudad, y llegué a tiempo para encontrarlo sentado en un lugar a la sombra de un árbol entablando una conversación relajada con un grupo de ciudadanos de a pie. Al ser el único extranjero presente, y bastante alto, llamé pronto la atención de Sankara. Me pidió que me presentara y le dije que era un periodista estadounidense. Sankara me preguntó qué opinaba Estados Unidos de la nueva revolución de su país, lo que me hizo tropezar torpemente con una respuesta no preparada. Luego, sonriendo, me instó a sentarme y, dirigiéndose tanto a la multitud que murmuraba como a mí, dijo que, como “amigo” extranjero, era bienvenido.

Sankara había puesto a su pequeño país en las noticias y había empezado a agitar su región al no ejecutar a sus oponentes, ni expulsar a las comunidades comerciales de emigrantes de continentes lejanos, ni declararse emperador, presidente vitalicio o mariscal de campo, como estaba ocurriendo por esas fechas en otros países africanos. En cambio, dejó claro que no iba a tolerar el enriquecimiento personal de los funcionarios y prohibió el uso de limusinas a los altos cargos de su gobierno. Incluso rechazó la idea de promoverse a sí mismo desde el rango de capitán del ejército.

Sankara, que era un lector voraz y un joven oficial intelectualmente ágil que había sido entrenado por el ejército francés en Madagascar y había vivido un tiempo breve en París, se había convertido en un héroe nacional a los veinticinco años en una breve e inútil guerra fronteriza con Mali, pero esto fue tanto por su abierto pacifismo como por cualquier acción en la batalla. El impopular gobierno, tratando de aprovechar su fama, lo nombró primer ministro en 1983, para detenerlo unos meses después por su abierto progresismo. Se había convertido en presidente pocos meses antes de mi visita, tras un golpe militar organizado por uno de sus mejores amigos, el capitán del ejército Blaise Compaoré.

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27/09/2021

HOWARD FRENCH
Ennemis du progrès : faits et méfaits de la Françafrique

Howard W. French, The New York Review of Books, 7/10/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'obsession de la France - conserver son influence sur ses anciennes colonies d'Afrique de l'Ouest - a conduit à des dictatures brutales au Burkina Faso et au Tchad.

Livres recensés :

Thomas Sankara: A Revolutionary in Cold War Africa [Thomas Sankara:Un révolutionnaire dans l'Afrique de la guerre froide]
by Brian J. Peterson
Indiana University Press, 333 pp., $90.00; $35.00 (paper)

France’s Wars in Chad: Military Intervention and Decolonization in Africa [Les guerres de la France au Tchad : Intervention militaire et décolonisation en Afrique]
by Nathaniel K. Powell
Cambridge University Press, 360 pp., $99.99

Living by the Gun in Chad: Combatants, Impunity and State Formation
by Marielle Debos,
traduit du français (Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l'entre-guerres) par Andrew Brown
Zed, 239 pp., $95.00; $29.95 (paper)

The Trial of Hissène Habré: How the People of Chad Brought a Tyrant to Justice  [Le procès d'Hissène Habré: comment le peuple tchadien a traduit un tyran en justice]
by Celeste Hicks
Zed, 217 pp., $95.00; $24.95 (paper)


Thomas Sankara, président du Burkina Faso, et le président français François Mitterrand, Ouagadougou, novembre 1986. Photo Patrick Aventurier/Gamma-Rapho/Getty Images

À la fin de l'année 1983 ou au tout début de l'année 1984, je me suis rendu à Ouagadougou, la capitale d'un pays d'Afrique de l'Ouest qui s'appelait alors la Haute-Volta, pour me faire une idée d'un homme dont la récente accession au pouvoir faisait déjà sensation sur tout le continent. J'étais un reporter inexpérimenté - à vrai dire, je n'étais même pas encore un journaliste à part entière. À l'âge de trente-trois ans, presque dix ans de plus que moi, Thomas Sankara venait de devenir président d'un pays enclavé, affligé par la sécheresse, qui avait obtenu son indépendance de la France en 1960 et qui restait l'un des endroits les plus pauvres du monde et la définition presque parfaite d'un marigot politique.

J'ai rencontré Sankara par un heureux hasard, peu après mon arrivée à Ouagadougou en train depuis Abidjan, en Côte d'Ivoire, où je vivais. J'avais eu vent d'une réunion publique qu'il tenait dans un quartier tranquille de la ville, et je suis arrivé à temps pour le trouver assis à l'ombre d'un arbre, engageant une conversation détendue avec un groupe de citoyens ordinaires. Étant le seul étranger présent, et plutôt grand de surcroît, j'ai rapidement attiré l'attention de Sankara. Il m'a demandé de me présenter, et j'ai dit que j'étais un reporter des USA. Sankara m'a demandé ce que l'Amérique pensait de la nouvelle révolution de son pays, ce qui m'a fait trébucher maladroitement sur une réponse non préparée. Puis, en souriant, il m'a invité à m'asseoir et, s'adressant autant à la foule qui murmurait qu'à moi, il m'a dit qu'en tant qu'"ami" étranger, j'étais le bienvenu.

Sankara avait placé son petit pays au centre de l'actualité et commencé à secouer sa région, non pas en exécutant des opposants ou en expulsant des communautés de commerçants migrants de continents lointains, ni en se déclarant empereur, président à   vie ou maréchal, comme cela se passait à cette époque dans d'autres pays africains. Au lieu de cela, il a clairement indiqué qu'il n'y aurait aucune tolérance pour l'enrichissement personnel des fonctionnaires et a interdit l'utilisation de limousines par les membres de haut rang de son gouvernement. Il a même rejeté l'idée de se promouvoir au-dessus du grade de capitaine de l'armée.