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02/07/2025

Hommage à Patrice Lumumba pour le centenaire de sa naissance

Fausto GiudiceTlaxcala, 2/7/2025

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Tribute to Patrice Lumumba on his birth centenary


Ils étaient nés le même mois de la même année, ils sont morts la même année, à onze mois de distance. Ce n’étaient pas leurs seuls points communs. Tous deux étaient des combattants de l’Afrique en lutte pour sa décolonisation. Et tous deux ont laissé une marque indélébile dans la longue mémoire des peuples. Patrice Emery Lumumba était né le 2 juillet 1925 au Congo, Frantz Fanon était né en Martinique le 20 juillet. Le premier, éphémère Premier ministre du Congo à peine indépendant, avait, par son discours de prise de fonction en présence du roi Baudouin, signé son arrêt de mort. Il fut kidnappé, torturé et exécuté par une bande de tueurs katangais, belges et français avec la bénédiction de la CIA, le 17 janvier 1961.


Maison natale à Onalua, territoire de Katakokombe, district du Sankuru, dans le Kasaï oriental

Le second, Frantz Ibrahim Omar Fanon, devait mourir de leucémie en décembre 1961. Les deux hommes s’étaient connus (en 1958, au Ghana et en 1960 au Congo) et s’appréciaient mutuellement. Et avant tout, ils partageaient la conviction que les peuples africains ne pourraient s’émanciper réellement qu’en s’unissant, en se coordonnant contre leur ennemi commun. Frantz Fanon, qui contribua de manière décisive à la dimension panafricaniste du FLN algérien, écrivit le texte puissant et admirable ci-dessous, publié un mois après la mort de Lumumba, dans Afrique Action, l’hebdomadaire créé quelques mois auparavant à Tunis par Béchir Ben Yahmed, et qui allait devenir Jeune Afrique. Après ce texte, nous vous proposons un poème de Langston Hughes, le grand poète de la Renaissance de Harlem et deux chansons, la première du chanteur congolais Franco et son groupe l’OK Jazz, et la seconde du Cubain Carlos Pueblo. Notre manière de marquer le centenaire de la naissance de Lumumba.

Frantz Fanon
La mort de Lumumba :
Pouvions-nous faire autrement ?

Afrique Action, Tunis, N° 19, 20 février 1961
Repris dans Frantz Fanon, Pour la révolution africaine. François Maspero/La Découverte. 1964/1969/2001

Les observateurs qui se sont trouvés dans les capitales africaines pendant le mois de juin 1960 pouvaient se rendre compte d’un certain nombre de choses. De plus en plus nombreux, en effet, d’étranges personnages venus d’un Congo à peine apparu sur la scène internationale s’y succédaient.
Que disaient ces Congolais ? Ils disaient n’importe quoi. Que Lumumba était vendu aux Ghanéens. Que Gizenga était acheté par les Guinéens, Kashamura par les Yougoslaves. Que les civilisateurs belges partaient trop tôt, etc...

Mais si l’on s’avisait d’attraper dans un coin un de ces Congolais, de l’interroger, alors on s’apercevait que quelque chose de très grave se tramait contre l'indépendance du Congo et contre l’Afrique.

Des sénateurs, des députés congolais aussitôt après les fêtes de l’indépendance se sauvaient hors du Congo et se rendaient... aux États-Unis. D’autres s'installaient pour plusieurs semaines à Brazzaville. Des syndicalistes étaient invités à New-York. Là encore, si l’on prenait l’un de ces députés ou de ces sénateurs dans un coin et qu’on l’interrogeait, il devenait patent que tout un processus très précis allait se mettre en route.

Dès avant le 1er juillet 1960, l’opération Katanga était lancée. Son but ? Bien sûr, sauvegarder l’Union Minière. Mais au-delà de cette opération, c’est une conception belge qui était défendue. Un Congo unifié, avec un gouvernement central, allait à l’encontre des intérêts belges. Appuyer les revendications décentralisatrices des diverses provinces, susciter ces revendications, les alimenter, telle était la politique belge avant l’indépendance.

Dans leur tâche, les Belges étaient aidés par les autorités de la Fédération Rhodésies-Nyassaland. On sait aujourd’hui, et M. Hammarskjöld mieux que quiconque, qu’avant le 30 juin 1960, un pont aérien Salisbury-Elisabethville alimentait le Katanga en armes. Lumumba avait certain jour proclamé que la libération du Congo serait la première phase de la complète indépendance de l’Afrique centrale et méridionale et il avait très précisément fixé ses prochains objectifs : soutien des mouvements nationalistes en Rhodésie, en Angola, en Afrique du Sud.

Un Congo unifié ayant à sa tête un anticolonialiste militant constituait un danger réel pour cette Afrique sudiste, très proprement sudiste, devant laquelle le reste du monde se voile la face. Nous voulons dire devant laquelle le reste du monde se contente de pleurer, comme à Sharpeville, ou de réussir des exercices de style à l’occasion des journées anticolonialistes. Lumumba, parce qu’il était le chef du premier pays de cette région à obtenir l’indépendance, parce qu’il savait concrètement le poids du colonialisme, avait pris l’engagement au nom de son peuple de contribuer physiquement à la mort de cette Afrique-là. Que les autorités du Katanga et celles du Portugal aient tout mis en œuvre pour saboter l’indépendance du Congo ne nous étonne point. Qu’elles aient renforcé l’action des Belges et augmenté la poussée des forces centrifuges au Congo est un fait. Mais ce fait n’explique pas la détérioration qui s’est installée progressivement au Congo, ce fait n’explique pas l’assassinat froidement décidé, froidement mené de Lumumba, cette collaboration colonialiste au Congo est insuffisante à expliquer pourquoi en février 1961 l’Afrique va connaître autour du Congo sa première grande crise.

Sa première grande crise car il faudra qu’elle dise si elle avance ou si elle recule. Il faudra qu’elle comprenne qu’il ne lui est plus possible d’avancer par régions, que, comme un grand corps qui refuse toute mutilation, il lui faudra avancer en totalité, qu’il n’y aura pas une. Afrique qui se bat contre le colonialisme et une autre qui tente de s’arranger avec le colonialisme. Il faudra que l’Afrique, c’est-à-dire les Africains, comprennent qu’il n’y a jamais de grandeur à atermoyer et qu’il n’y a jamais de déshonneur à dire ce que l’on est et ce que l’on veut et qu’en réalité l’habileté du colonisé ne peut être en dernier ressort que son courage, la conception lucide de ses objectifs et de ses alliances, la ténacité qu’il apporte à sa libération.

Lumumba croyait en sa mission. Il avait une confiance exagérée dans le peuple. Ce peuple, pour lui, non seulement ne pouvait se tromper, mais ne pouvait être trompé. Et de fait, tout semblait lui donner raison. Chaque fois par exemple que dans une région les ennemis du Congo arrivaient à soulever contre lui l’opinion, il lui suffisait de paraître, d’expliquer, de dénoncer, pour que la situation redevienne normale. Il oubliait singulièrement qu’il ne pouvait être partout à la fois et que le miracle de l'explication était moins la vérité de ce qu’il exposait que la vérité de sa personne.

Lumumba avait perdu la bataille pour la présidence de la République. Mais parce qu’il incarnait d’abord la confiance que le peuple congolais avait mise en lui, parce que confusément les peuples africains avaient compris que lui seul était soucieux de la dignité de son pays, Lumumba n’en continua pas moins à exprimer le patriotisme congolais et le nationalisme africain dans ce qu’ils ont de plus rigoureux et de plus noble.

Alors d’autres pays beaucoup plus importants que la Belgique ou le Portugal décidèrent de s’intéresser directement à la question. Lumumba fut contacté, interrogé. Après son périple aux États-Unis la décision était prise : Lumumba devait disparaître.

Pourquoi ? Parce que les ennemis de l’Afrique ne s’y étaient pas trompés. Ils s’étaient parfaitement rendu compte que Lumumba était vendu, vendu à l’Afrique s’entend. C’est-à-dire qu’il n’était plus à acheter.

Les ennemis de l’Afrique se sont rendu compte avec un certain effroi que si Lumumba réussissait, en plein cœur du dispositif colonialiste, avec une Afrique française se transformant en communauté rénovée, une Angola « province portugaise » et enfin l’Afrique orientale, c’en était fini de « leur » Afrique au sujet de laquelle ils avaient des plans très précis.

Le grand succès des ennemis de l’Afrique, c’est d’avoir compromis les Africains eux-mêmes. Il est vrai que ces Africains étaient directement intéressés par le meurtre de Lumumba. Chefs de gouvernements fantoches, au sein d’une indépendance fantoche, confrontés jour après jour à une opposition massive de leurs peuples, ils n’ont pas été longs à se convaincre que l’indépendance réelle du Congo les mettrait personnellement en danger.

Et il y eut d’autres Africains, un peu moins fantoches, mais qui s’effraient dès qu’il est question de désengager l’Afrique de l’Occident. On dirait que ces Chefs d’Etat africains ont toujours peur de se trouver en face de l’Afrique. Ceux-là aussi, moins activement, mais consciemment, ont contribué à la détérioration de la situation au Congo. Petit à petit, on se mettait d’accord en Occident qu’il fallait intervenir au Congo, qu’on ne pouvait pas laisser les choses évoluer à ce rythme.

Petit à petit, l’idée d’une intervention de l’ONU prenait corps. Alors on peut dire aujourd’hui que deux erreurs simultanées ont été commises par les Africains.

Et d’abord par Lumumba quand il sollicita l’intervention de l’ONU. Il ne fallait pas faire appel à l’ONU. L’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme, et chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur.

Voyez le Cameroun. De quelle paix jouissent les sujets de M. Ahidjo tenus en respect par un corps expéditionnaire français qui, la plupart du temps, a fait ses premières armes en Algérie ? L’ONU a cependant contrôlé l’autodétermination du Cameroun et le gouvernement français y a installé un « exécutif provisoire ».

Voyez le Viet-Nam.

Voyez le Laos.

Il n'est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles.

En réalité l'ONU est la carte juridique qu'utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute a échoué.

Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d'indépendance des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère.

Car enfin, avant l’arrivée de l’ONU, il n’y avait pas de massacres au Congo. Après les bruits hallucinants propagés à dessein à l'occasion du départ des Belges, on ne comptait qu’une dizaine de morts. Mais depuis l’arrivée de l’ONU on a pris l'habitude chaque matin d’apprendre que les Congolais par centaines s’entremassacraient.

 

Un exemple de propagande coloniale sur le Congo au moment de la Conférence panafricaine de fin août 1960. On peut voir Fanon avec Yazid à partir de 0 :17

On nous dit aujourd’hui que des provocations répétées furent montées par des Belges déguisés en soldats de l’Organisation des Nations Unies. On nous révèle aujourd'hui que des fonctionnaires civils de l'ONU avaient en fait mis en place un nouveau gouvernement le troisième jour de l'investiture de Lumumba. Alors on comprend beaucoup mieux ce que l’on a appelé la violence, la rigidité, la susceptibilité de Lumumba.

Tout montre en fait que Lumumba fut anormalement calme.

Les chefs de mission de l’ONU prenaient contact avec les ennemis de Lumumba et avec eux arrêtaient des décisions qui engageaient l’État du Congo. Comment un chef de gouvernement doit-il réagir dans ce cas ? Le but recherché et atteint est le suivant : manifester l’absence d’autorité, prouver la carence de l’État.

Donc motiver la mise sous séquestre du Congo.

Le tort de Lumumba a été alors dans un premier temps de croire en l'impartialité amicale de l’ONU. Il oubliait singulièrement que l’ONU dans l’état actuel n'est qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les Grands, pour continuer entre deux conflits armés la « lutte pacifique » pour le partage du monde. Si M. Iléo en août 1960 affirmait à qui voulait l’entendre qu'il fallait pendre Lumumba, si les membres du cabinet Lumumba ne savaient que faire des dollars qui, à partir de cette époque, envahirent Léopoldville, enfin un Mobutu tous les soirs se rendait à Brazzaville pour y faire et y entendre ce que l'on devine mieux aujourd'hui, pourquoi alors s’être tourne avec une telle sincérité, une telle absence de réserve vers l’ONU ?

Les Africains devront se souvenir de cette leçon. Si une aide extérieure nous est nécessaire, appelons nos amis. Eux seuls peuvent réellement et totalement nous aider à réaliser nos objectifs parce que précisément, l'amitié qui nous lie à eux est une amitié de combat.

Mais les pays africains de leur côté, ont commis une faute en acceptant d’envoyer leurs troupes sous le couvert de l'ONU. En fait, ils admettaient d'être neutralisés et sans s’en douter, permettaient aux autres de travailler.

Il fallait bien sûr envoyer des troupes à Lumumba, mais pas dans le cadre de l’ONU. Directement. De pays ami à pays ami. Les troupes africaines au Congo ont essuyé une défaite morale historique. L’arme au pied, elles ont assisté sans réagir (parce que troupes de l’ONU) à la désagrégation d’un État et d’une nation que l’Afrique entière avait pourtant salués et chantés. Une honte.


L’ONU envoya au Congo à partir du 16 juillet 1960 19 928 casques bleus, dont 8 800 Ghanéens et 2 500 Tunisiens, qui furent les premiers contingents à débarquer. Sur la photo, de g. à dr., un policier ghanéen, un soldat suédois et un soldat non identifié à “Léopoldville” (Kinshasa)

Notre tort à nous Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas. Notre tort est d’avoir cru que l’ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité. Si Lumumba gêne, Lumumba disparaît. L'hésitation dans le meurtre n’a jamais caractérisé l’impérialisme.

Voyez Ben M’Hidi, voyez Moumié, voyez Lumumba. Notre tort est d'avoir été légèrement confus dans nos démarches. Il est de fait qu’en Afrique, aujourd’hui, les traîtres existent. Il fallait les dénoncer et les combattre. Que cela soit dur après le rêve magnifique d’une Afrique ramassée sur elle-même et soumise aux mêmes exigences d’indépendance véritable ne change rien à la réalité.

Des Africains ont cautionné la politique impérialiste au Congo, ont servi d’intermédiaires, ont cautionné les activités et les singuliers silences de l’ONU au Congo.

Aujourd'hui ils ont peur. Ils rivalisent de tartufferies autour de Lumumba déchiqueté. Ne nous y trompons point, ils expriment la peur de leurs mandants. Les impérialistes eux aussi ont peur. Et ils ont raison car beaucoup d’Africains, beaucoup d’Afro-Asiatiques ont compris. Les impérialistes vont marquer un temps d’arrêt. Ils vont attendre que « l’émotion légitime » se calme. Nous devons profiter de ce court répit pour abandonner nos craintives démarches et décider de sauver le Congo et l’Afrique.

Les impérialistes ont décidé d’abattre Lumumba. Ils l’ont fait. Ils ont décidé de constituer des légions de volontaires. Elles sont déjà sur place.

L’aviation katangaise sous les ordres de pilotes sud-africains et belges a commencé depuis plusieurs jours les mitraillages au sol. De Brazzaville, des avions étrangers se rendent bondés de volontaires et d’officiers parachutistes au secours d’un certain Congo.

Si nous décidons de soutenir Gizenga, nous devons le faire résolument.

Car nul ne connaît le nom du prochain Lumumba. Il y a en Afrique une certaine tendance représentée par certains hommes. C’est cette tendance dangereuse pour l’impérialisme qui est en cause. Gardons-nous de ne jamais l’oublier : c’est notre sort à tous qui se joue au Congo.

Langston Hughes

TOMBE DE LUMUMBA

Lumumba était noir
Et il ne faisait pas confiance
À ces putains toutes poudrées
De poussière d’uranium.

Lumumba était noir
Et il ne croyait pas
À ces mensonges que les voleurs agitaient
Dans leur tamis « liberté ».

Lumumba était noir.
Son sang était rouge —
Et pour avoir été un homme
Ils l’ont tué.

Ils ont enterré Lumumba
Dans une tombe sans épitaphe.
Mais il n’a pas besoin d’épitaphe —
Car l’air est sa tombe.

Le soleil est sa tombe,
La lune l’est, les étoiles le sont,
L’espace est sa tombe.

Mon cœur est sa tombe,
Et là est son épitaphe.
Demain son épitaphe sera
Partout.

Traduction : Pascal Neveu, dans La panthère et le fouet, éditions YPSILON

Franco & L'O.K. Jazz

 Liwa Ya Emery

La mort d'Emery


Oh mawa vraiment na liwa ya Patrice

Oh comme c'est triste, tellement triste, que Patrice soit mort.

Oh ndenge nini tokolela ye

Oh comment allons-nous pleurer pour lui ?

 

Tango ekoki te

Ce n'était pas encore le moment.

Lumumba Patrice akeyi na mawa

Lumumba Patrice est malheureusement décédé.

Bationalistes balati mpiri

Les nationalistes sont tous en noir.

Po na liwa ya martyr Emery, ngo mawa

Nous pleurons la mort d'Emery, le martyr, oh, quelle tristesse !

 

Lumumba, soki okoyoko ngai

Lumumba, si tu m'entends

Banationalistes bomana pasi

Les nationalistes sont persécutés.

Po na kombo ya  MNC

Parce qu'ils appartiennent au MNC (Mouvement National Congolais)

Zonga mbala ata ya suka

Reviens, même pour la dernière fois

Tokumisa yo na kombo ya Uhuru

Pour que nous puissions te louer au nom d'Uhuru (liberté)

 

Lumumba akofeli lUnité Nationale

Lumumba a été assassiné parce qu'il voulait que notre pays reste uni

Oh bana na ye nani akobokolo

Oh, qui élèvera ses enfants ?


Carlos Puebla


SON A LUMUMBA

 

Ce crime impérialiste

L'univers le condamne

C'est la fin de la chaîne

Du credo colonialiste

 

Tout le mal qu'ils ont fait

Tout le mal

Ils devront très bientôt le payer

 

Ils croient qu'en tuant Lumumba

Leur triomphe est sûr et certain

Mais ils ne savent pas qu'il y a des morts

Qui ne se laissent pas ensevelir.

 

Tout le mal qu'ils ont fait

Tout le mal

Ils devront très bientôt le payer

 

Ils n'ont pas pris en compte

Quelque chose de fondamental

Qu'ils ne pourront jamais tuer

Ce qu'il représente

 

Tout le mal qu'ils ont fait

Tout le mal

Ils devront très bientôt le payer

 

Lumumba, en son nom, clôt

Ce qui ne tient pas dans la tombe

Il n'y a pas de tombe pour Lumumba

Car la lumière ne s'enterre pas

 

Tout le mal qu'ils ont fait

Tout le mal

Ils devront très bientôt le payer

 

Lumumba est aujourd'hui le chant profond

de la foi qui se fait entendre

Lumumba poursuit la lutte

Pour la liberté du monde

 

Tout le mal qu'ils ont fait

Tout le mal

Ils devront très bientôt le payer



17/04/2025

FAUSTO GIUDICE
Fanon façon Barny : tout faux

Fausto GiudiceBastaYeki !, 17 avril 2025

Samedi 12 avril 2025, Jean-Claude Barny a réalisé une sacrée performance à Tunis et sa banlieue. Son film était projeté à 18h au cinéma Le Rio, à 19h à l’IFT (Institut français de Tunisie) et à 21h à L’Agora de La Marsa. Il était présent à l’issue de chaque projection, en compagnie de trois de ses acteurs : Alexandre Bouyer – l’incarnation de Frantz Fanon himself -, qui a raconté que durant le tournage, il a perdu 10 kilos, et deux jeunes acteurs tunisiens, Sfaya Mbarki, jouant le rôle de Farida, une militante du FLN très peu crédible (voir plus bas), et un jeune garçon dont je n’ai pas capté le nom.


C’est que le film de Barny, Fanon, censé se passer en bonne partie à Blida en Algérie, a été tourné en Tunisie avec une majorité d’acteurs et de figurants tunisiens, dans des décors naturels tunisiens, ce qui suscite la première gêne chez le spectateur quelque peu averti.

Tout le monde n’est pas Spike Lee et ne peut pas trouver 34 millions de dollars pour faire jouer à Denzel Washington le rôle de Malcolm X.
Tout le monde n’est pas Abdenour Zahzah pour être capable de réaliser avec seulement 500 000 € un film de fiction impeccable et véridique, car étayé, documenté et réfléchi pendant une vingtaine d’années.
En tout cas, Monsieur Barny, c’est clair, n’est ni Spike Lee ni Abdenour Zahzah.

Et il n’a pu ramasser que 4 millions d’Euros pour réaliser son inepte biopic. Heureusement, des personnes qui lui voulaient du bien lui avaient refilé une première version du scénario d’Abdenour, dans lequel il a pompé allègrement pour concocter sa chorba. Mais ça n’a pas suffi à rendre son film digne, ne serait-ce que du Festival de Montpellier.

Monsieur Barny, quand donc allez-vous vous vous décider à arracher votre masque noir et nous montrer votre peau blanche ? Blanche comme le linceul dans lequel vous avez enveloppé Frantz, après l’avoir assassiné.
Une fois poussé mon cri du cœur et du cerveau, je vais tenter de l’expliquer ci-dessous, en détail.

Remarques générales

Il est clair d’emblée que Barny a vu Le Vent des Aurès de Lakhdar-Hamina (1967), le premier long métrage de l’Algérie indépendante, mais qu’il n’a ni la formation ni le talent pour lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville. Au départ, Barny avait un projet mégalomane de raconter les 36 ans de vie de Frantz Fanon, de Fort-de-France à la Dominique, au Maroc, à Lyon et Saint-Alban, à Blida, Tunis, Accra, Bamako etc. Devant l’ampleur du projet, il se rabat sur les 8 dernières années de la vie du héros, choisissant de ne mettre en scène que Blida et Tunis. À partir de là, il a pratiquement tout faux, nous offrant une vision totalement faussée des divers événements qu’il cherche à raconter.

Ses acteurs, mal dirigés, ne savent pas sur quel pied danser et semblent hésiter à chaque scène. Le commissaire de police qui craque après s’être retrouvé dans le rôle de tortionnaire devient dans le film un sergent névrotique de l’armée, Josie, la femme militante de Frantz, devient une épouse d’une platitude consternante jouée par la pauvre actrice belge Déborah François, qui a l’air de se demander ce qu’elle fout là et semble regretter les frères Dardenne. Le seul Belge qui s’en sort est Olivier Gourmet, devenu le grand spécialiste des rôles secondaires de méchant sournois.

Détails incongrus

Venons-en maintenant aux quelques plus gros ratés du récit.

Frantz Fanon avait deux types d’écriture, l’une professionnelle, l’autre politique.
La première était constituée de notes cliniques quotidiennes, manuscrites, et consignées dans les archives de l’hôpital de Blida, où Abdenour Zahzah et Bachir Ridouh les ont consultées pour leur premier film de 2002, Franz Fanon, mémoire d’asile et dans lesquelles Zahzah a puisé pour son deuxième film de 2024, Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, au temps où Docteur Frantz Fanon était Chef de la cinquième division entre l’an 1953 et 1956.

La seconde était constituée par ses textes politiques. Il n’a jamais dicté un seul texte à sa femme Josie, contrairement à ce que Barny met en scène. Ses textes politiques, il les parlait (Sartre : « Fanon parle à haute voix »), marchant de long en large, et Marie-Jeanne Manuellan, assistante sociale mutée au Centre neuropsychiatrique de jour de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis dirigé par Fanon, les tapait sur une machine achetée pour l’occasion rue de Marseille, quand elle ne prenait pas en note tout ce qui se disait dans les consultations. Elle aura tapé les deux derniers livres de Fanon, L’An V de la Révolution algérienne et Les Damnés de la terre [écouter l’ entretien avec Marie-Jeanne Manuellan et voir son livre Sous la dictée de Fanon, Éditions de l’Amourier, 2017].

L’accent lyonnais/vénissian de Mehdi Senoussi, qui joue Hocine, le principal infirmier travaillant avec Fanon, est lui aussi fort mal venu.

Et que dire de Farida, la jeune militante du FLN interprétée par Sfaya Mbarki, qui se balade dans les rues d’une ville algérienne habillée d’un pantalon fuseau et portant négligemment un hijab décontracté, ce qui lui donne l’air d’une Iranienne ou d’une Afghane émancipée du XXIème siècle, mais en tout cas pas celui d’une jeune combattante clandestine dans l’Algérie des années 1950. Quiconque a une idée minimale de la société algérienne de cette époque, ne serait-ce que pour avoir vu le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, sait que « Farida » se serait déplacée soit vêtue d’un haïk (équivalent algérien du safsari tunisien) soit déguisée en petite pied-noire proprette, en jupe plissée ou tailleur.

La palme du grotesque revient à Salem Kali, lui aussi très mal venu -avec son passé de champion de kung fu et de protagoniste de film de zombies – pour incarner Abane Ramdane, parlant un arabe de karakouz [1] : le summum est atteint dans la scène où il fait un discours aux allures de prêche à des paysans réunis dans une étable. Le public tunisien n’a pas pu se retenir de rigoler lorsqu’il prononce, la bouche en cul-de-poule sous sa moustache : « Di-mou-kra-tttiiyaa ». Abane Ramdane était un Kabyle trilingue ayant reçu une éducation française et un modèle d’intellectuel organique, réalisant l’alchimie de la constitution du mouvement national de libération. Il pensait certes, avec Mao, que « le pouvoir est au bout du fusil », mais, toujours avec Mao, que « le parti commande aux fusils et il ne faut jamais permettre que les fusils commandent au parti ». Ce fut ce qui signa son arrêt de mort. Il fut étranglé sur ordre des 3 B (Belkacem, Boussouf, Bentobbal] et avec l’assentiment des trois autres B [Ben Bella, Boumediène, Bouteflika), dans une ferme entre Tétouan et Tanger où on lui avait tenu un traquenard, et non pas, comme le filme Barny, dans une villa de Tunis.

Et pour finir, la dernière scène, celle de l’enterrement. Fanon n’a pas été enterré par quelques fellahs en gandoura dans une plaine et dans un linceul, mais dans un cercueil à Aïn Kerma, en territoire algérien, par un détachement de l’Armée de Libération Nationale qui lui a rendu les honneurs militaires. Ces faits documentés – par exemple dans l’excellent documentaire d’Hassane Mezine, Fanon hier, aujourd’hui (2018) - ont été ignorés par Si Barny.

Pour conclure, Madame la France a trouvé dans le bioupik barnyen une occasion très bon marché - ça ne mange pas de pain - de se redorer le blason auprès de ses encore-colonisés de tous les continents. Mais pas auprès des décolonisés, dont votre serviteur pense faire partie. À bon entendeur salut. Quant aux autistes et autres narcissiques konparézon*, qu’ils continuent à contempler leur nombril.

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Notes

1 - Karakouz : terme tunisien désignant le théâtre d'ombres d'ombres d'origine ottomane, dérivé du turc Karagöz (oeil noir), nom du personnage plébéien et lourdaud, devenu en Grèce Karagiorgios. Karakouz en tunisien désigne généralement le cirque politicard.

*Par un hasard qui n’a rien de curieux, le film a eu son avant-première au Festival de Marrakech, au Maroc, un royaume dont tout le monde sait, au moins depuis la disparition forcée de Mehdi Ben Barka, qu’il est un bastion avancé des luttes de libération des peuples opprimés.

**Konparézon : prétentieux en kréyòl gwadloupèyen (créole guadeloupéen)



09/07/2024

HAMZA HAMOUCHENE
A psicologia da opressão e da libertação
O que Fanon diria sobre o genocídio em curso na Palestina?

 

Hamza Hamouchene, Africa is a Country, 28/6/2024
Traduzido por
Helga Heidrich, editado por Fausto Giudice, Tlaxcala

Hamza Hamouchene é um pesquisador e ativista argelino que vive em Londres. Atualmente, é coordenador do programa da África Setentrional no Transnational Institute (TNI). @BenToumert

 

Para a Europa, para nós mesmos e para a humanidade... precisamos elaborar novos conceitos e tentar criar um novo homem.

 - Frantz Fanon, Os condenados da Terra


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08/07/2024

HAMZA HAMOUCHENE
La psicologia dell’oppressione e della liberazione
Cosa direbbe Fanon del genocidio in corso in Palestina?

Hamza Hamouchene, Africa is a Country, 28/6/2024
Tradotto da Fausto Giudice, Tlaxcala


Hamza Hamouchene
è un ricercatore e attivista algerino residente a Londra. Attualmente è coordinatore del programma Nord Africa presso il Transnational Institute (TNI). @BenToumert

Per l'Europa, per noi stessi e per l'umanità, compagni, bisogna rinnovarsi, sviluppare un pensiero nuovo, tentare di metter su un uomo nuovo.
- Frantz Fanon, I dannati della terra


 

05/02/2024

De New York à Gaza : actualité de Frantz Fanon
Une nouvelle biographie et des débats : Israël est-il un État colonial ?

La parution récente d’une nouvelle biographie de Frantz Fanon relance les débats sur la légitimité de la violence des opprimés et sur la nature de l’État d’Israël. Nous publions la traduction de quatre articles.

  •  Le monde a rattrapé Frantz Fanon, par Adam Shatz...p. 1
  •  Quand le médecin ordonnait la violence comme remède, par Jennifer Szalai…p. 6
  • Frantz Fanon aurait-il soutenu le massacre du 7 octobre ? Son biographe n’en est pas si sûr, par Etan Nechin…p.10
  • Qu’est-ce que le “colonialisme de peuplement” [settler colonialism] ?, par Jennifer Schuessler…p. 21

12/10/2023

MARK LEVINE
La conception de la violence de Fanon ne s’applique pas en Palestine

Mark LeVine, Aljazeera, 10/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le colonialisme israélien est bien plus que de la “violence à l’état de nature” et il faudra donc bien plus qu’une “plus grande violence” pour le vaincre.

Mark LeVine est professeur d’histoire et directeur du programme d’études mondiales sur le Moyen-Orient à l’université de Californie à Irvine. Son dernier ouvrage s’intitule We’ll Play till We Die : Journeys Across a Decade of Revolutionary Music in the Muslim World (University of California Press). Il est aussi guitariste de rock.

Au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre Israël depuis Gaza, mon fil d’actualité Facebook a été envahi par des amis partageant des variantes d’une célèbre citation du philosophe et psychiatre anticolonialiste d’origine martiniquaise Frantz Fanon, selon laquelle la violence du colonialisme ne peut qu’être, et sera naturellement, contrée par la violence du colonisé. La citation est tirée de l’ouvrage Les Damnés de la terre et ne peut être comprise que dans le contexte de l’argumentation plus complète de Fanon : "Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature, et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence. » [p. 61]

Emad Hajjaj

Personne ne peut nier le caractère brillant de Fanon ni sa compréhension pionnière et profonde des effets psychologiques de la violence coloniale sur le colonisé et le colonisateur (en tant que psychiatre, il a traité des officiers coloniaux français et des Algériens et a constaté qu’ils souffraient de troubles psychiatriques similaires). Mais la seconde partie de l’argumentation de Fanon, la plus célèbre, n’est pas compréhensible sans la première partie, et la première partie - en particulier dans le contexte israélien - est de fait profondément erronée.

Le colonialisme, en particulier le colonialisme de peuplement - et encore plus particulièrement le colonialisme de peuplement sioniste - est en grande partie une “machine à penser” dotée d’une logique et d’une rationalité très puissantes et anciennes qui sont la clé de son succès. C’est pourquoi il est essentiel, pour ceux qui analysent et combattent la violence coloniale, de se demander à quoi ressemblerait une “plus grande violence” et comment elle peut être mesurée, sans parler de sa réalisation.

Je n’ai encore vu aucun scénario plausible dans lequel les Palestiniens acquièrent les moyens de déployer une “violence bien plus grande” à l’égard d’Israël/de l’entité sioniste pendant un certain temps, quel que soit le rapport de force géostratégique concevable. Même si l’Iran (la seule puissance qui soutient la Palestine de manière significative), par exemple, voulait livrer des armes plus lourdes aux Palestiniens, le contrôle d’Israël sur les points d’accès, ainsi que celui de l’Égypte et de la Jordanie, l’en empêcherait. La Palestine n’est pas l’Ukraine, soutenue par de grandes puissances et capable d’utiliser des corridors terrestres, maritimes et aériens pour obtenir un flux ininterrompu de livraisons d’armes afin de lutter contre un adversaire beaucoup plus grand et mieux armé. C’est même tout le contraire.

Plus largement, la Palestine d’aujourd’hui n’est pas l’Algérie de 1956, qui était la référence la plus importante de Fanon. Israël n’est pas non plus la France, avec une métropole où les colons peuvent revenir (à moins que nous ne considérions Tel Aviv comme la métropole). Il n’y aura pas de guerre d’indépendance de longue haleine aboutissant à ce que la grande majorité des Juifs quittent à la française une Palestine reconquise. Mais il existe plusieurs scénarios qui pourraient conduire à un retour de la Nakba, comme le réclament aujourd’hui de nombreux politiciens israéliens.

De plus, lorsque Fanon parle de l’effet “cathartique” et “purificateur” de la violence par/pour le colonisé dans Peau Noire, Masques Blancs, un autre argument souvent cité, il est important de rappeler qu’il fait d’abord référence au colonisé qui « adopte subjectivement une attitude de Blanc » et non à l’utilisation de la violence pour se purifier de la maladie psychologique du colonialisme en préparation de la longue lutte pour l’indépendance. Lorsque le moment de la violence révolutionnaire survient, explique-t-il dans Les Damnés de la terre, c’est encore au début de la lutte, lorsque le sujet colonisé, dégradé depuis longtemps, « découvre que sa vie, sa respiration, les battements de son cœur sont les mêmes que ceux du colon. Il découvre qu’une peau de colon ne vaut pas plus qu’une peau d’indigène. C’est dire  que cette découverte introduit une secousse essentielle dans le monde ». À ce moment-là, « toute l’assurance nouvelle et révolutionnaire du colonisé en découle. Si, en effet, ma vie a le même poids que celle du colon, son regard ne me foudroie plus, ne m’immobilise plus, sa voix ne me pétrifie plus. Je ne me trouble plus en sa présence. Pratiquement, je l’emmerde. Non seulement sa présence ne me gêne plus, mais déjà je suis en train de lui préparer de telles embuscades qu’il n’aura bientôt d’autre issue que la fuite ».

Dans le cas de la Palestine, ce type de violence s’est produit en 1921, 1929 et surtout en 1936, et non en 1987 ou 2000. Elle s’est appuyée sur l’autoreconnaissance des Palestiniens en tant que nation indépendante qui a vu le jour au début du 20e siècle, en même temps que le sionisme.

Je crains qu’en se concentrant sur la composante psychologique et le pouvoir de la violence, ainsi que sur le sentiment de liberté et de respect de soi produit par une violence telle que celle de la dernière attaque de masse, les gens placent les Palestiniens à un stade de développement national bien plus précoce qu’ils ne le sont aujourd’hui, ce qui conduit à des stratégies de résistance qui ne correspondent pas à l’état actuel du développement national ou au moment stratégique et politique. Cela permet également aux dirigeants israéliens, tels que le ministre de la défense Yoav Gallant, de déclarer, comme on pouvait s’y attendre, que « nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », alors qu’Israël entame ce qu’il faut bien appeler un siège mortel de la bande de Gaza, tandis qu’une grande partie du monde hoche la tête en semblant le comprendre.

En effet, pendant plus de 50 ans d’occupation et 30 ans d’ “autonomie” palestinienne post-Oslo, plutôt que “ le colonisé [qui]se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes”, ce qui s’est produit (comme je l’ai appris lors d’entretiens avec des thérapeutes dans les rares centres de santé mentale de Gaza depuis la fin des années 1990 jusqu’aux années 2000), c’est la transmission des traumatismes, les anciens prisonniers du Fatah torturés par Israël torturant à leur tour les membres du Hamas en utilisant les mêmes techniques que celles utilisées par les Israéliens sur eux - souvent en criant sur leurs victimes en hébreu tout en les torturant dans les mêmes pièces où ils ont été torturés. Le Hamas a poursuivi ce cycle pendant les deux décennies où il a exercé un contrôle effectif sur Gaza. Et aujourd’hui, nous le voyons avec des foules qui acclament les Israéliens kidnappés, battus et assassinés.

Quelle que soit la catharsis que cela constitue, ce n’est pas celle qui mènera à la victoire sur une société israélienne qui utilise la violence contre les Palestiniens comme sa propre catharsis traumatique depuis 75 ans, dans un monde qui a une très grande tolérance pour les victimes civiles palestiniennes, la plupart des Occidentaux continuant à soutenir Israël chaque fois qu’il y a un grand nombre de victimes juives israéliennes.

Enfin, il convient de noter que Fanon a considéré la présence de la France en Algérie sous l’angle du colonialisme/impérialisme européen de manière plus générale, en expliquant : « Très concrètement l’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux : Amérique latine, Chine, Afrique. De tous ces continents, en face desquels l’Europe aujourd’hui dresse sa tour opulente, partent depuis des siècles en direction de cette même Europe les diamants et le pétrole, la soie et le coton, les bois et les produits exotiques. L’Europe est littéralement la création du tiers monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés ». [Les Damnés de la Terre, p. 99]

Quoi que l’on puisse dire du colonialisme sioniste/israélien et de l’immense vol des ressources palestiniennes qu’il a impliqué, son objectif premier a été le vol et la colonisation de terres afin d’établir sa propre souveraineté sur ce territoire pour que ses citoyens puissent y vivre. Il est beaucoup plus proche du colonialisme nord-américain et australien - où les maladies, le nettoyage ethnique à grande échelle et finalement le génocide ont décimé la population indigène - que du colonialisme français en Algérie ou même en Afrique du Sud, où les Africains indigènes constituaient la grande majorité de la population totale. En effet, à l’instar de ces autres colonies européennes, les Juifs sionistes se sont dès le départ imaginés comme la population indigène et, dès le début des années 1970, ils ont tenté de s’identifier directement aux sujets coloniaux de Fanon ayant besoin d’une violence cathartique pour créer leur (re)nouvelle(s) nation(s).

Tragiquement, Fanon est mort en 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir les réalités de la politique postcoloniale en Algérie, ou dans toute l’Afrique d’ailleurs, où, comme le romancier kenyan et penseur décolonial Ngugi wa Thiong’o l’a si bien montré, les dirigeants des États nouvellement indépendants ont presque immédiatement commencé à traiter leurs peuples de la même manière que leurs anciens colonisateurs (un phénomène également vécu par l’[In]Autorité palestinienne et le Hamas depuis Oslo).

Il y a quarante ans, lorsqu’il décrivait cette dynamique de gouvernance postcoloniale dans ses mémoires de prison révolutionnaires, Wrestling with the Devil : A Prison Memoir, Thiong’o a utilisé le terme “néocolonial”, non pas pour indiquer la poursuite du contrôle européen par d’autres moyens, mais plutôt pour décrire la manière dont les dirigeants anticoloniaux ont adopté (et adapté) les mêmes techniques brutales et autoritaires que leurs colonisateurs pour asseoir et maintenir leur pouvoir ; une critique de la “colonialité du pouvoir” qui est aujourd’hui au cœur de la pensée décoloniale, de plus en plus populaire.

Cette colonialité du pouvoir ne permettra jamais aux Palestiniens d’accéder à une indépendance réelle, ni par l’intermédiaire de l’[I]AP néocoloniale, ni avec le Hamas à la tête du pays. Si les Palestiniens veulent vaincre le colonialisme sioniste, il faudra probablement une analyse de sa violence et de son pouvoir bien différente de celle proposée par Fanon il y a trois quarts de siècle, et il faudra probablement un changement de paradigme dans les concepts fondamentaux de ce que sont une nation, la liberté et l’indépendance à un moment où le monde entier, et pas seulement la Palestine/Israël, se dirige vers la conflagration.