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22/10/2025

Combien de temps la Chine peut-elle jouer la carte des terres rares ?

Arnaud Bertrand, 17/10/2025
English original
Traduit par FV

Arnaud Bertrand est un entrepreneur français, fondateur de HouseTrip (racheté par TripAdvisor), et désormais de Me & Qi. Il écrit sur la Chine, pays dans lequel il a vécu pendant 8 ans, ainsi que sur l'entrepreneuriat et la géopolitique.



C’est probablement la question géopolitique la plus importante du monde à l’heure actuelle : pendant combien de temps la Chine peut-elle jouer la “carte des terres rares” ?

Il est désormais bien établi que cela donne à la Chine un levier considérable. D’une part, l’état de panique frénétique du secrétaire américain au Trésor Bessent ces derniers jours en est un signe très clair : il a publiquement insulté de hauts responsables chinois à propos de cette mesure, a fait pression pour obtenir des “pouvoirs d’urgence” et a déclaré qu’il s’agissait d’une attaque chinoise contre le “monde” qui appellerait “une réponse collective complète” des États-Unis et de leurs alliés. Si ce n’est pas un signe que Washington a perdu son sang-froid, je ne sais pas ce que c’est.

Ce qui semble faire consensus — car je l’ai vu mentionné à maintes reprises — c’est que l’un des principaux goulets d’étranglement pour briser cette emprise chinoise sur les terres rares tient aux réglementations environnementales. Selon le récit dominant, l’Occident se serait en quelque sorte auto-exclu du secteur des terres rares en imposant des normes environnementales que la Chine, elle, aurait simplement ignorées. Et donc, par implication, il suffirait des bons ajustements réglementaires et de subventions publiques pour résoudre le problème en quelques années ; ce serait avant tout une question de volonté politique d’accepter certains compromis environnementaux.

Il y a là une part de vérité — le traitement des terres rares peut effectivement être très polluant — mais pour le reste, c’est une vision de type “solution miracle”.

La difficulté de briser l’emprise chinoise est beaucoup — BEAUCOUP — plus immense que de simples ajustements réglementaires. La domination de la Chine tient bien davantage à l’échelle de sa production manufacturière et à l’intégration verticale de ses chaînes d’approvisionnement ; en tant que telle, la briser nécessiterait une remise à niveau complète du niveau d’industrialisation de l’Occident. Nous parlons ici de quelque chose qui exigerait une refonte totale de la structure socio-économique occidentale, impliquant des milliers de milliards de dollars d’investissements — avec une rentabilité peut-être atteinte dans deux décennies — ainsi qu’un bouleversement profond de son système éducatif. En bref, une entreprise d’ampleur générationnelle, presque sans précédent.

On pourrait être tenté de comparer les efforts nécessaires à ceux du projet Manhattan ou du programme Apollo — c’est déjà énorme, non ? — mais ce serait en réalité sous-estimer massivement l’ampleur requise. Le niveau d’effort nécessaire est en fait plus comparable à celui d’une révolution industrielle qu’à n’importe quel projet monumental isolé.

Vous ne me croyez pas, n’est-ce pas ? Vous pensez sûrement que j’exagère ! Pas possible que ce soit aussi dramatique !

C’est précisément pour cela que j’ai écrit cet article : pour vous montrer en détail l’effort titanesque qu’il faudrait déployer pour un seul des éléments figurant sur la liste chinoise des contrôles à l’exportation : le gallium. Et gardez bien à l’esprit, en lisant cet article, qu’il ne s’agit que d’UN élément chimique sur 21 soumis à des restrictions, et que ces contrôles ne portent pas seulement sur les éléments chimiques, mais aussi sur les produits en aval (batteries lithium-ion, matériaux ultradurs, etc.).

Après avoir lu cet article, la panique de Bessent vous semblera presque modérée.

Qu’est-ce que le gallium ?

Le gallium n’est en réalité pas une terre rare : c’est un métal mou et argenté qui fondrait littéralement dans votre main par une journée chaude. Pourtant, c’est l’un des matériaux les plus stratégiquement importants du monde aujourd’hui, car il est – entre autres applications – fondamental pour la dernière génération de semi-conducteurs au nitrure de gallium (GaN), ainsi que pour les radars militaires modernes à antenne active AESA, capables de détecter des cibles à près du double de la portée précédente. Un haut dirigeant de Raytheon déclarait en 2023 que :

« Le GaN est la base de presque toute la technologie de défense de pointe que nous produisons. »

La Chine a accaparé une part stupéfiante de 98 % de la production mondiale primaire de gallium à faible pureté, ce qui signifie qu’elle exerce un contrôle quasi total sur ce matériau.

Que faudrait-il pour produire 100 tonnes de gallium ?

Posons-nous une question simple : que faudrait-il pour produire 100 tonnes de gallium ? Ce n’est pas un volume énorme : la Chine en produit 600 tonnes, avec une capacité de production de 750 tonnes, donc nous parlons de moins de 17 % de la production actuelle de la Chine.

Comprendre la production de gallium

Beaucoup de gens imaginent que l’extraction du gallium fonctionne comme celle de n’importe quel autre métal : on trouve un gisement, on le creuse, on ajoute quelques produits chimiques, on extrait le métal. Mais le gallium est fondamentalement différent : il n’existe pas sous forme de minerai indépendant, il est récupéré comme sous-produit de la production d’aluminium.

On peut le comparer à l’huile essentielle sur la peau d’une orange : le gallium, c’est cette petite quantité d’huile qui adhère à la pelure. Sans une usine de jus d’orange traitant d’énormes quantités d’oranges, il n’existe aucun moyen pratique d’obtenir séparément cette huile essentielle. De la même manière, on ne peut pas “exploiter du gallium” : il faut toute une industrie de l’aluminium fonctionnant à grande échelle pour capturer les traces de gallium qui apparaissent au passage.

Pour saisir l’ordre de grandeur, prenons l’exemple de la China Aluminum Corporation (Chalco), le plus grand producteur d’aluminium au monde : en 2022, l’entreprise a traité 17,64 millions de tonnes d’alumine, à partir desquelles elle a raffiné 6,88 millions de tonnes d’aluminium primaire, et extrait 146 tonnes de gallium — soit un rapport d’environ 1 pour 47 000 entre gallium et aluminium, ou 1 pour 120 000 entre gallium et alumine.

Construire des raffineries d’alumine et des fonderies d’aluminium

Les rapports que nous venons de voir signifient que, pour produire 100 tonnes de gallium, il faudrait d’abord une industrie de l’aluminium capable de produire 12 millions de tonnes d’alumine et 4,7 millions de tonnes d’aluminium métallique par an. C’est la première étape.

À titre de référence, la Chine détient aujourd’hui 60 % de la production mondiale d’aluminium. L’Inde est très loin derrière, avec seulement 3,5 millions de tonnes d’aluminium (raffiné à partir d’alumine) produites en 2022-2023 — ce qui signifie que tout le pays produit à peine la moitié de ce que Chalco, une seule entreprise chinoise, fabrique. Quant aux États-Unis, ils ont produit moins de 0,8 million de tonnes en 2023.

Ainsi, si les États-Unis voulaient devenir un acteur majeur du gallium, ils devraient augmenter presque par six leur capacité de production d’aluminium, passant des 0,8 million actuels aux 4,7 millions de tonnes nécessaires pour produire 100 tonnes de gallium — ce qui ne représenterait encore qu’un cinquième environ de la production chinoise de gallium.

Cela implique la construction de deux types d’usines : – des raffineries d’alumine, qui transforment la bauxite en alumine ; – et des fonderies d’aluminium, qui convertissent l’alumine en aluminium métallique par électrolyse — l’étape où l’on extrait le gallium.

En dehors de la Chine, le coût d’une fonderie d’aluminium est d’environ 4 milliards de dollars par million de tonnes de capacité annuelle, ce qui veut dire qu’il faudrait quelque 20 milliards de dollars rien que pour les fonderies. Les raffineries d’alumine ajouteraient environ 10 milliards supplémentaires. Nous parlons donc d’un investissement total d’environ 30 milliards USD rien que pour construire les usines nécessaires à ce niveau de production d’alumine.

Daryl Cagle

Le défi énergétique

Il y a cependant un problème : convertir l’alumine en aluminium métallique par électrolyse est un processus extrêmement énergivore. Les données de l’industrie indiquent que produire une tonne d’aluminium électrolytique consomme environ 13 000 à 15 000 kWh d’électricité.

Les États-Unis produisent actuellement 0,8 million de tonnes d’aluminium, ils devraient donc ajouter 3,9 millions de tonnes de capacité. Quelle quantité d’électricité cela représente-t-il ? En prenant la borne basse de 13 000 kWh par tonne, cela équivaut à environ 51 milliards de kWh supplémentaires — fournis en continu, 24 heures sur 24, 365 jours par an. Les fonderies d’aluminium ne peuvent pas simplement s’arrêter quand l’électricité manque ; le métal fondu se solidifierait dans les cuves électrolytiques et les détruirait.

Que représentent 51 milliards de kWh ? Pour situer l’ordre de grandeur, prenons le projet nucléaire américain le plus récent : les réacteurs Vogtle 3 et 4, en Géorgie. Ces deux réacteurs ont une capacité combinée de 2,2 GW et peuvent produire environ 17 à 18 milliards de kWh par an à plein régime. Les États-Unis devraient donc répliquer trois fois l’ensemble du projet Vogtle 3 & 4 pour atteindre les 51 milliards de kWh nécessaires — autrement dit, construire six nouveaux réacteurs répartis sur trois chantiers.

En termes de coût, Vogtle 3 & 4 ont finalement coûté 36,8 milliards de dollars après d’immenses dépassements, contre une estimation initiale de 14 milliards. Trois projets de cette ampleur représenteraient donc environ 110 milliards de dollars, et ce, avant même les 30 milliards nécessaires pour les raffineries et fonderies d’aluminium. Investissement total en infrastructures : environ 140 milliards USD.

Côté calendrier : les travaux de Vogtle 3 & 4 ont commencé en 2013, et l’unité 4 n’est entrée en service commercial qu’en avril 2024 — soit près de 11 ans. Même en supposant qu’on tire les leçons du projet et qu’on construise les trois nouveaux sites en parallèle (ce qui est douteux, vu la pénurie d’entreprises nucléaires qualifiées et d’équipements spécialisés), le calendrier réaliste pour trois projets de cette envergure irait au mieux jusqu’en 2035-2036.

Et rappelons-le : cet investissement de 140 milliards et ce délai de 12 ans ne permettraient de produire que 100 tonnes de gallium par an — soit à peine 17 % de la production chinoise actuelle et moins de 14 % de sa capacité, ce qui, encore une fois, ne concerne qu’un seul des 21 éléments chimiques placés par la Chine sous contrôle à l’exportation.

Le défi humain

Construire les installations n’est que la moitié du combat ; le plus grand défi consiste à trouver les personnes capables de les faire fonctionner. L’emploi manufacturier aux États-Unis a atteint son sommet en 1979 avec 19,6 millions de travailleurs, mais il est tombé à environ 12,9 millions fin 2024 — une perte de près de 7 millions d’emplois en 45 ans. Il ne s’agit pas seulement de chiffres : cela représente aussi une érosion fondamentale de la main-d’œuvre industrielle qualifiée.

Et le problème, c’est que le traitement de l’aluminium est une industrie très consommatrice de main-d’œuvre. La raison ? Les cuves d’électrolyse d’aluminium sont des systèmes dynamiques : les conditions varient d’une cellule à l’autre et d’une heure à l’autre, et les opérateurs doivent effectuer des centaines de petits ajustements quotidiens, fondés sur l’observation visuelle, le son et les relevés d’instruments — un ensemble de jugements complexes qu’il reste très difficile d’automatiser.

Il suffit de regarder les chiffres en Chine, le pays disposant des installations les plus avancées et de l’accès aux technologies d’automatisation les plus récentes : même là-bas, les plus grands producteurs emploient encore des dizaines de milliers de personnes. Chalco, dont nous avons déjà parlé, emploie 58 009 personnes pour produire 6,88 millions de tonnes d’aluminium. China Hongqiao, le deuxième producteur du pays (après Chalco), emploie 49 774 personnes et produit environ 6 millions de tonnes d’aluminium par an.

Nous parlons donc de ratios d’environ 8 500 personnes par million de tonnes d’aluminium dans les installations les plus performantes du monde, avec les horaires et l’efficacité chinois. Cela signifie que pour ajouter 3,9 millions de tonnes de capacité, les États-Unis devraient trouver au minimum 33 000 travailleurs supplémentaires rien que pour la production d’aluminium. Et tout cela suppose des années de formation : devenir opérateur qualifié en métallurgie de l’aluminium requiert des années d’expérience pratique sur des procédés industriels à haute température, des connaissances en métallurgie et en manipulation d’équipements complexes — pas des compétences qu’on acquiert via de simples cours rapides.

Et je ne parle même pas des travailleurs nécessaires pour la partie énergétique : la mise en service des nouvelles unités 3 et 4 de la centrale nucléaire de Vogtle a créé 800 emplois permanents dédiés à leur exploitation. Trois projets d’ampleur équivalente nécessiteraient donc environ 2 400 travailleurs supplémentaires pour les opérations nucléaires — ingénieurs, opérateurs de salle de contrôle, techniciens de maintenance et agents de sécurité.

Une tâche extrêmement difficile dans un pays où le secteur manufacturier comptera 1,9 million de postes non pourvus d’ici 2033, et où une part importante de la main-d’œuvre nucléaire actuelle partira à la retraite au cours de la prochaine décennie. Les États-Unis devraient consacrer des années à former environ 35 500 travailleurs industriels spécialisés pour ce seul projet lié au gallium — représentant 17 % de la capacité de production chinoise d’un seul élément — tout en compensant parallèlement les départs à la retraite.

Le défi de l’écosystème industriel

Ce n’est pas seulement une question d’usines, d’énergie et de main-d’œuvre : il faut un écosystème industriel complet.

Même si vous disposez de l’argent pour construire les usines, de la technologie pour bâtir les centrales électriques et de la capacité de recruter des dizaines de milliers de travailleurs, il subsiste un problème encore plus difficile : les infrastructures de soutien.

La production industrielle n’existe pas en vase clos ; elle nécessite un environnement économique et logistique complet.

Par exemple, produire de l’alumine requiert de la bauxite, de la chaux et du carbonate de sodium. Les États-Unis ne manquent pas de chaux ni de carbonate de sodium, mais la bauxite doit être importée. Il faut donc des canaux d’approvisionnement stables et des ports adaptés au transport.

La production d’aluminium électrolytique nécessite également des matériaux auxiliaires tels que des sels fluorés et des anodes de carbone ; il faut donc d’autres usines pour les fabriquer. On doit encore disposer de routes et de voies ferrées pour acheminer ces matériaux vers les zones industrielles.

Une fois les produits finis, il faut les transporter vers les ports pour l’exportation, ou vers les usines en aval (de semi-conducteurs, de radars, etc.). Tout cela exige un réseau logistique hautement développé.

Ces infrastructures de soutien ne se résument pas à construire quelques ponts ou à paver quelques routes ; elles incarnent le niveau global d’industrialisation d’un pays.

La Chine a mis quarante ans à bâtir, à partir de rien, le système industriel le plus complet au monde. De l’extraction de la bauxite à la production d’alumine et d’aluminium électrolytique, jusqu’à l’extraction et la purification du gallium, voire à la fabrication de puces en aval : chaque maillon de la chaîne dispose d’entreprises matures et d’infrastructures adaptées.

Cet écart d’écosystème industriel ne peut pas être comblé simplement avec de l’argent. Il faut du temps, de l’accumulation sur plusieurs générations, et une nation entière qui accorde une haute valeur au secteur manufacturier.



Le défi du marché

Le dernier défi, et peut-être le plus crucial, est celui du marché.

Supposons que les États-Unis parviennent, d’une manière ou d’une autre, à surmonter tous les autres obstacles : ils ont construit les trois projets énergétiques de type Vogtle, les deux usines nécessaires, trouvé des dizaines de milliers de travailleurs, et développé l’écosystème industriel complet autour de tout cela — il reste encore à vendre la production, c’est-à-dire l’aluminium et le gallium.

La consommation totale d’aluminium aux États-Unis s’élève à environ 4 millions de tonnes par an, et pourtant, comme nous l’avons vu, produire seulement 100 tonnes de gallium nécessite 4,7 millions de tonnes d’aluminium comme sous-produit inévitable. Le marché intérieur américain ne pourrait pas absorber une telle production : même en capturant tous les clients d’aluminium du pays, il resterait 700 000 tonnes de métal excédentaire.

Les marchés internationaux n’offrent aucune issue : le marché mondial de l’aluminium souffre déjà d’une surcapacité structurelle, et l’aluminium américain, produit à des coûts de marché avec des salaires plus élevés, ne pourrait pas concurrencer les prix chinois. Alors que faire ? Les États-Unis devraient-ils vendre à perte ? Comment l’opération pourrait-elle être durable ? Faudrait-il que le gouvernement américain subventionne les opérations année après année, pour maintenir le projet à flot malgré des pertes chroniques ?

Tout cela crée une situation économiquement irrationnelle : produire un matériau stratégique (le gallium) nécessiterait de maintenir en permanence une capacité industrielle non rentable (la production d’aluminium). Aucune entreprise fonctionnant selon les règles du marché n’accepterait de s’engager volontairement dans une telle entreprise — d’autant plus que, comme nous l’avons vu, l’investissement initial s’élèverait à 140 milliards de dollars.

Et les substituts ?

Vous y avez sans doute pensé :

« Si produire notre propre gallium demande un effort aussi colossal, alors on peut sûrement le remplacer par autre chose, non ? »

Le problème, c’est que les propriétés des matériaux ne sont pas négociables. Les semi-conducteurs au nitrure de gallium (GaN) ne sont pas utilisés parce qu’ils sont “à la mode” : ils le sont parce que le silicium ne peut pas physiquement faire ce que le GaN fait. Le GaN supporte dix fois plus de tension, fonctionne à des fréquences où le silicium échoue, et tolère des températures qui détruiraient les puces au silicium.

Réfléchissez : si les substituts étaient réellement viables, le Pentagone les utiliserait déjà. L’armée américaine a conscience de cette vulnérabilité liée aux terres rares depuis au moins l’embargo chinois de 2010 contre le Japon — cela fait quinze ans pour trouver des alternatives. Et pourtant, nous en sommes là, avec — encore une fois — un dirigeant de Raytheon déclarant que “le GaN est la base de presque toute la technologie de défense de pointe que nous produisons.”

Et même si l’on pouvait substituer le gallium, on se retrouverait probablement dans la même situation. Un substitut souvent mentionné est le carbure de silicium (SiC), mais… la Chine contrôle également la majorité de la production mondiale de SiC, et ce matériau ne correspond pas au GaN pour les applications les plus critiques.

Et même si des substituts parfaits existaient pour le gallium — ce qui n’est pas le cas — on serait quand même confronté au même problème pour les 20 autres éléments figurant sur la liste chinoise de contrôles à l’exportation.

La stratégie consistant à “tout substituer” finit par tourner à l’absurde. À un certain point, “trouver des alternatives pour 21 matériaux stratégiques essentiels” devient fonctionnellement équivalent à contester les lois de la physique : cela reviendrait à demander à la nature de nous fournir d’autres briques fondamentales que celles qui existent réellement.

Conclusion

Alors, pendant combien de temps la Chine peut-elle jouer la “carte des terres rares” ?

Nous venons de voir l’ampleur titanesque des efforts qu’il faudrait fournir pour ne produire que moins d’un cinquième de la quantité de gallium que la Chine produit :

  • un investissement initial d’environ 140 milliards de dollars ;
  • la construction de deux gigafactories et de trois centrales nucléaires de grande taille ;
  • la formation et le recrutement de plus de 35 000 travailleurs hautement spécialisés ;
  • la mise en place de tout l’écosystème industriel nécessaire autour de ces infrastructures ;

…le tout pour une opération qui ne pourrait jamais rivaliser avec les prix chinois sur les marchés mondiaux et qui, par conséquent, devrait probablement être subventionnée en permanence par les contribuables américains.

Prenez cet exemple et multipliez-le par 21, c’est-à-dire par le nombre total d’éléments chimiques couverts par les contrôles à l’exportation de la Chine (et encore, cela n’inclut pas les produits transformés qui sont eux aussi soumis à restrictions), et vous commencerez à saisir la puissance réelle de la “carte des terres rares”.

Un élément très similaire au gallium, également dominé par la Chine et inclus dans sa liste de contrôles, est l’indium, un sous-produit du cuivre. Comme pour le gallium, rompre l’emprise chinoise sur l’indium impliquerait de reconstruire toute une chaîne industrielle du cuivre : mines, fonderies, usines de traitement chimique, électricité, logistique, transport…

Commencez-vous à comprendre la panique de Bessent ?

Ce n’est pas quelque chose qu’un projet Manhattan ou un programme Apollo pourrait résoudre. C’est beaucoup plus inextricable : l’avantage de la Chine n’est pas technologique, mais systémique.

Nous ne parlons pas ici de projets ponctuels ; nous parlons d’un processus qui exigerait de refondre toute la structure sociétale, depuis l’éducation des enfants jusqu’à l’allocation du capital.

Considérez ce qu’il faut pour produire un seul opérateur qualifié dans une fonderie d’aluminium : d’abord, il faut qu’un élève de collège voie le travail industriel comme une voie respectable, et non comme un échec à l’université. Ensuite, il lui faut accéder à une école professionnelle bien équipée et connectée à l’industrie — des écoles que l’Occident a pour la plupart fermées dans les années 1980. Puis viennent 2 à 3 ans de formation et 3 à 5 ans d’expérience en atelier pour devenir pleinement compétent. Soit 8 à 10 ans entre le choix de carrière et la maîtrise du métier. Maintenant, multipliez cela par 35 000 travailleurs pour ce seul élément ; multipliez encore par 21 éléments, et re-multipliez par tous les postes de soutien nécessaires pour construire les installations et encadrer la formation.

La Chine dispose déjà de tout cela. En 2023, elle comptait 11 000 écoles professionnelles accueillant près de 35 millions d’étudiants. C’est normalisé, systématique, continu. L’Occident ne manque pas seulement de programmes : il manque de la culture et des institutions qui orientent les étudiants vers ces filières. Il faudrait reconstruire tout ce cadre avant même de pouvoir reconstruire la main-d’œuvre.

Ou prenons l’allocation du capital : bâtir une industrie des terres rares exige d’accepter des pertes pendant des décennies et des retours sur investissement à vingt ans. Cela requiert un capital patient, donc des investisseurs tolérant de longs horizons. De tels horizons supposent une stabilité politique et réglementaire, elle-même fondée sur un consensus sociétal considérant la fabrication comme stratégique. Et ce consensus… renvoie encore à l’éducation, aux médias, à la culture.

Alors, pendant combien de temps la Chine peut-elle jouer la carte des terres rares ? La réponse réaliste semble être : pour très, très longtemps.

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