La remise d’un si grand nombre de figures importantes des cartels a constitué l’un des efforts les plus importants déployés par le Mexique dans l’histoire moderne de la guerre contre la drogue pour envoyer les trafiquants répondre de leurs actes devant les tribunaux usaméricains.
Alan Feuer, The New York Times, 27/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Alan Feuer couvre l’extrémisme et la violence politique pour le Times, en se concentrant sur les affaires pénales liées à l’attaque du 6 janvier au Capitole et à la première présidence Trump.
Le gouvernement mexicain a envoyé
jeudi aux USA 29 hauts responsables de cartels recherchés par les autorités usaméricaines,
dont un célèbre baron de la drogue que les autorités usaméricaines cherchaient
à traduire en justice depuis 40 ans, selon les déclarations des gouvernements usaméricain
et mexicain.
Le transfert a concerné non
seulement plusieurs puissants chefs de cartel, mais aussi certains des
meurtriers les plus prolifiques dans les annales de la criminalité mexicaine.
Le nombre et l’importance des personnes envoyées en même temps aux USA ont fait
de cet événement l’un des efforts les plus importants déployés par le Mexique
dans l’histoire moderne de la guerre contre la drogue pour envoyer les
trafiquants répondre de leurs actes devant les tribunaux fédéraux usaméricains.
Ce développement est intervenu
alors que l’administration Trump s’appuyait fortement sur le gouvernement
mexicain pour intensifier sa lutte contre les cartels, et la concession des
responsables mexicains est apparue comme une première victoire pour le
président Trump dans ce qui sera probablement une lutte de plus longue haleine
contre les groupes criminels.
Parmi les personnes envoyées par
avion aux USA figure Rafael Caro Quintero, membre fondateur du cartel de la
drogue de Sinaloa, qui a été condamné au Mexique pour avoir commandité le
meurtre, en 1985, d’Enrique Camarena, un agent de la Drug Enforcement
Administration, a indiqué la ministre de la justice Pam Bondi dans un
communiqué. Mettre la main sur Caro Quintero a été pendant des décennies une
véritable obsession pour les fonctionnaires de l’agence antidrogue.
« Comme le président Trump l’a
clairement indiqué, les cartels sont des groupes terroristes, et ce ministère
de la Justice se consacre à la destruction des cartels et des gangs
transnationaux », a déclaré Bondi dans son communiqué. « Nous
poursuivrons ces criminels avec toute la rigueur de la loi en l’honneur des
courageux agents des forces de l’ordre qui ont consacré leur carrière - et dans
certains cas, donné leur vie - pour protéger des innocents du fléau des cartels
violents ».
Le transfert des hommes
recherchés, qui étaient détenus par le Mexique, intervient alors qu’une
délégation mexicaine de haut niveau est arrivée à Washington pour rencontrer de
hauts responsables usaméricains afin d’élaborer un accord de sécurité dans un
contexte de tension entre les deux pays. Le ministère mexicain des Affaires
étrangères a publié une déclaration annonçant la libération des membres du
cartel avant que Bondi ne publie sa propre déclaration.
« Cette action fait partie
du travail de coordination, de coopération et de réciprocité dans le cadre du
respect de la souveraineté des deux nations » indique le communiqué mexicain.
Ces dernières semaines, l’administration
Trump s’est engagée dans un un débat houleux pour savoir jusqu’où - et avec quelle
force - pousser le gouvernement mexicain à s’attaquer aux cartels qui, depuis
des années, sèment la violence sanglante au Mexique et font passer des
quantités incalculables de drogues illégales aux USA.
Certains responsables de la
Maison-Blanche ont adopté une position agressive, préconisant une action
militaire unilatérale contre les barons de la drogue et les infrastructures des
cartels au Mexique afin d’empêcher les stupéfiants, tels que le fentanyl, de
franchir la frontière. D’autres ont plaidé pour une approche plus pragmatique,
affirmant qu’un partenariat renforcé avec le gouvernement mexicain garantirait
la poursuite de la coopération sur des questions telles que l’immigration.
Au cours de ces délibérations, Trump
et ses alliés ont exercé d’énormes pressions diplomatiques et économiques sur
la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, notamment en menaçant d’imposer
des droits de douane élevés à son pays.
Jeudi, lors d’une conférence de
presse conjointe avec le premier ministre britannique, Keir Starmer, Trump a
maintenu cette pression, affirmant que le flux de drogues mortelles traversant
la frontière sud n’avait pas cessé.
« Les drogues continuent de
se déverser dans notre pays, tuant des centaines de milliers de personnes »,
a-t-il déclaré, même si le nombre de décès par overdose a récemment baissé aux USA,
selon les responsables de la santé publique. 3Nous perdons
bien plus que 100 000 personnes. Je veux dire, des morts ».
Néanmoins, la décision du Mexique
d’envoyer les trafiquants emprisonnés aux USA a été saluée dans les milieux usaméricains
de l’application de la loi comme une victoire majeure et un signal clair que Sheinbaum
avait l’intention de coopérer avec l’administration Trump pour sévir contre les
cartels.
« C’est un moment
incroyablement important qui marque un véritable tournant », a déclaré Ray
Donovan, l’ancien chef des opérations de la D.E.A. « Cela montre la
volonté de la présidente Sheinbaum de travailler avec nous pour cibler et
démanteler les organisations criminelles qui ont eu un impact sur les USA et le
Mexique pendant des générations ».
Caro Quintero est un personnage
hors norme au Mexique. Il est également honni par les agents fédéraux usaméricains
chargés de la lutte contre la drogue pour le rôle qu’il a joué dans la torture
et le meurtre de Camarena, connu sous le nom de Kiki, alors qu’il travaillait
sous couverture au Mexique. Le meurtre de Camarena a longtemps été considéré comme une
sorte de catalyseur qui a propulsé les forces de l’ordre usaméricaines plus
profondément dans la guerre cataclysmique du Mexique contre les cartels.
Après avoir été condamné à 40 ans
de prison, Caro Quintero a été libéré de la prison mexicaine en 2013 sur la
base d’un vice de forme et est retourné se cacher dans la région rurale de
Sinaloa, son État d’origine. Il a finalement été capturé par les autorités mexicaines près de San Simón, une
ville de Sinaloa, en 2022.
Quelques heures seulement après
son arrestation, un hélicoptère militaire s’est écrasé à l’extérieur de la
ville voisine de Los Mochis, tuant les 14 marines mexicains qui se trouvaient à
bord. Le président mexicain de l’époque, Andrés Manuel López Obrador, avait
alors déclaré que les soldats tués avaient participé à la mission visant à
capturer l’ancien seigneur du crime.
Caro Quintero est inculpé de
plusieurs chefs d’accusation liés au trafic de stupéfiants devant le tribunal
fédéral de Brooklyn depuis 2020. Il pourrait y comparaître devant un juge
fédéral dès vendredi, a déclaré l’une des personnes au fait de l’affaire.
Le Mexique a également remis aux USA
Miguel Ángel Treviño Morales, un ancien chef du cartel des Zetas dont la
brutalité est tristement célèbre et qui a été capturé au Mexique en 2013.
Treviño, mieux connu sous le nom
de Z-40, du nom de son indicatif radio au sein des Zetas, est largement
considéré comme l’un des membres les plus violents des cartels mexicains, ayant
contribué à perfectionner la pratique consistant à utiliser le carnage comme
message.
Son organisation a été fondée par
des commandos mexicains très bien entraînés et lourdement armés qui avaient
initialement pour mission de s’attaquer aux gangs, mais qui ont fini par vendre
leurs services à un cartel en particulier, le cartel du Golfe. Après une
période de prospérité et d’effusion de sang, les Zetas, avec Treviño dans leurs
rangs, ont fait cavalier seul et sont devenus l’une des organisations
criminelles les plus puissantes et les plus redoutées du Mexique.
Treviño fait l’objet d’accusations
de trafic de drogue qui se recoupent dans les tribunaux fédéraux du Texas,
notamment ceux d’Austin et de Laredo.
Sur la liste des personnes
envoyées aux USA figuraient d’autres dirigeants - et tueurs - des Zetas. Il y
avait également des agents de haut niveau d’autres groupes criminels, dont le
cartel Nueva Generación Jalisco et le cartel La Familia Michoacana.
L’une des personnes récupérées
par les agents fédéraux usaméricains est José Ángel Canobbio Inzunza, qui
serait le bras droit d’Iván Archivaldo Guzmán Salazar, fils du célèbre baron de
la drogue Joaquín Guzmán Loera, plus connu sous le nom d’El Chapo. Canobbio
Inzunza, qui fait l’objet de poursuites à Chicago, a été arrêté au Mexique la
semaine dernière seulement.
NdT
- 6 des 29 extradés sont inculpés aux USA pour des crimes pouvant être punis par la peine de mort, mais le traité d’extradition signé par le Mexique et les USA en 1978 exclut l’exécution de condamnés.
- Le Département d'État a désigné ces six cartels mexicains comme organisations terroristes étrangères (FTO) : Cártel de Sinaloa, Cártel Jalisco Nueva Generación (CJNG), Cártel del Noreste, Nueva Familia Michoacana, Cártel del Golfo, Cárteles Unidos. S’y ajoutent le Tren de Aragua [Venezuela] et la Mara Salvatrucha (MS-13) [Salvador/USA]