Il est temps
de se marier
L’histoire de la
Jeunesse pionnière arabe est pleine de contradictions qui résonnent d’une
manière douloureusement contemporaine. La chronique qui suit est basée sur des
entretiens réalisés au cours de la dernière décennie. De nombreuses personnes
impliquées ne sont plus en vie, d’autres sont trop âgées pour raconter une
histoire cohérente. Néanmoins, une réunion de quelques vétérans a eu lieu
récemment à l’occasion de la projection d’un court documentaire réalisé par
David Ofek et moi-même. Ce film, intitulé "I Used to Be Zvi" [On
m’appelait Zvi, voir en bas de l’article], raconte l’histoire d’Ahmad
Masrawa, originaire d’Arara, qui, à l’âge de 14 ans, a été invité à faire
partie de la « société des jeunes » du kibboutz Yakum, au sud de
Netanya. Le film sera projeté en septembre 2019 dans les cinémathèques du pays
dans le cadre d’un projet intitulé « La voix d’Ahmad », commandé par
l’école de cinéma et de ttélévision Sam Spiegel.
« Cette histoire doit être comprise en fonction de l’atmosphère de l’époque - il est
difficile de l’assimiler aujourd’hui », dit Masrawa. « C’était le
chaos dans les villages ». L’expropriation des terres agricoles par Israël
a provoqué la faim chez les fellahs, et le gouvernement militaire les a
empêchés de chercher du travail en dehors de leurs villages. Ses parents ont
reçu une offre qu’ils ne pouvaient pas refuser : « Du monde conservateur
et religieux du village, j’ai été invité à entrer dans le monde caché. Les
seuls Juifs que je connaissais à l’époque étaient le gouverneur militaire et l’officier
de police. Mais j’ai compris que la situation ne pouvait pas être pire ».
Masrawa dit au revoir à ses parents et monte dans le bus pour Yakum. Dans le
kibboutz, ses amis et lui ont reçu de nouveaux noms : Zvi, Yitzhak, Amos,
Natan.
Avraham Ben Tzur
Contrairement
à l’expérience de Masrawa, dans de nombreux cas, les parents arabes se sont
opposés avec véhémence au départ de leurs enfants. « Les parents et les
personnes âgées y voyaient un signe de compromis avec un ennemi occupant »,
écrivait Haolam Hazeh en 1952. Les dirigeants juifs du groupe étaient
également conscients de ce conflit. Avraham Ben Tzur, décédé en 2013, avait 85
ans lorsque je l’ai interviewé, confiné dans sa chambre au kibboutz Lehavot
Bashan. Sa mémoire déclinait également, mais ses archives étaient dans un état
exemplaire, comprenant des coupures de presse jaunies, des dossiers de
correspondance et, joyau de la couronne, un journal méticuleux qu’il avait tenu
et qui relatait la vie du premier groupe.
Travailler la terre ensemble. Le mouvement a atteint
son apogée vers 1960. Photo : archives privées d’Ahmad Masrawa
À l’aide de
grosses lunettes, Ben Tzur lit un extrait de son journal concernant le premier
membre du nouveau groupe, Mahmoud Younes, qui, contrairement aux autres, est
issu d’une famille aisée et propriétaire terrienne : « 5 avril 1952. Hier,
Mahmoud est revenu d’une visite dans son village. Toute sa famille l’a incité à
quitter le kibboutz et à revenir au village. “Après tout, tu possèdes des
terres. Et pourquoi devrais-tu faire du travail manuel ? Il est temps que tu te
maries et que tu t’occupes de ta ferme” ».
Atallah Mansour. Photo : Gil Eliahu
Ce chemin inédit
était parsemé de malentendus, parfois amusants. « Aujourd’hui, un nouveau
venu nous a rejoints, originaire de Gush Halav [Jish] et nommé Atallah »,
lit Ben Tzur dans son journal. « Au début, il m’a fait très mauvaise
impression. Trois choses en particulier : 1. Il ne vous regarde pas dans les
yeux ; 2. Emmerdeur. » Même des décennies plus tard, Ben Tzur a refusé de
lire le troisième problème, car « le gars pourrait encore se sentir
offensé ». Atallah Mansour, un catholique de 85 ans qui vit seul dans sa
maison de Nazareth, a une explication pour la mauvaise impression qu’il a
faite. Son principal objectif en venant au kibboutz était d’apprendre l’hébreu.
À cette fin, dit-il, il harcelait les membres du kibboutz à chaque occasion,
demandant la signification des mots. Il dit de Ben Tzur : « Il était
timide, mais il voulait vraiment pouvoir parler arabe et faisait un effort
suprême pour prononcer les lettres correctement. Nous en riions et le
taquinions ».
Le village de
Mansour n’avait pas d’école secondaire. À l’âge de 14 ans, il s’est rendu au
Liban pour y suivre une scolarité, mais il a dû y retourner après la guerre de
1948 pour éviter de devenir un réfugié. « Je me suis dit que si j’étais
déjà dans ce pétrin, autant suivre le courant », raconte-t-il en souriant.
« J’avais déjà les yeux ouverts à l’époque. J’ai pensé que c’était un mode
de vie idéal d’égalité et de coopération ». Invité à faire partie du
premier groupe de stagiaires arabes au kibboutz Sha’ar Ha’amakin, au sud-est de
Haïfa, il a quitté son emploi - il extrayait les clous des planches utilisées
dans la construction - pour se retrouver affecté à une unité de construction au
sein du kibboutz. « Dans ce kibboutz, il y a un poulailler que j’ai
construit », note-t-il. « À la fin de chaque journée de travail, je
me rendais dans la salle de lecture et je pratiquais l’hébreu. J’avais l’impression
que l’apprentissage de la langue me faciliterait la tâche à l’avenir ».
Mansour avait raison. Il est devenu
le premier journaliste arabe à écrire en hébreu, d’abord pour Haolam Hazeh,
puis, pendant quatre décennies, pour Haaretz. Les étagères de son bureau
regorgent de livres et de périodiques, la plupart en hébreu. Il est lui-même l’auteur
de quelques-uns de ces livres, dont son ouvrage de 1966 « In a New
Light » [Sous un nouveau jour], le premier roman écrit en
hébreu par un Arabe en Israël. Il s’agit de l’histoire d’un jeune Arabe qui
tombe amoureux d’une fille du kibboutz et qui n’est autorisé à rester dans le kibboutz
qu’à condition de se faire passer pour Juif.
Membres du mouvement de la Jeunesse pionnière arabe,
1956. L’organisation « a fait naître toutes sortes d’espoirs concernant la
fraternité, la paix et l’amitié », déclare le fils d’un vétéran. Photo :
Archives Hashomer Hatzair
Mansour
raconte comment lui et ses amis ont appris à danser la hora (« des
filles juives ont été amenées de l’établissement d’enseignement et nous ont
appris »), et comment les jeunes Arabes ont enseigné la debka aux
Juifs. Ils appréciaient l’abondance relative du kibboutz, mais durent s’habituer
à la bouillie au petit-déjeuner, sans parler du gefilte fish [carpe
farcie] et d’autres particularités similaires. « Une fois, un clou s’est
enfoncé dans mon pied », se souvient Mansour. « On m’a emmené à la
clinique et on m’a dit que je devais bien manger, alors on m’a donné du poisson
salé tous les jours. J’en ai goûté une fois et j’ai failli m’évanouir, car je
ne supportais pas l’odeur ».
La semaine de
travail est de 45 heures. Le soir, après le travail, ils apprennent l’hébreu et
étudient le sionisme et le socialisme (« Quelle est la différence entre
une ferme collective [soviétique] et un kibboutz ? Le kibboutz est un rêve, la
ferme collective est un enfer »). Il y a également eu un petit cours sur l’électricité.
Un jeune homme d’Arara a donné une conférence sur la vie de Pouchkine, une
jeune femme de Nazareth a écrit un article sur les problèmes rencontrés par les
femmes dans les villages arabes. Mansour édite le bulletin du groupe, « Rayon
de lumière ». Le mouvement a également fondé une maison d’édition en
langue arabe, qui a publié quelque 200 titres.
« Un
jour, la police militaire s’est présentée au kibboutz et a demandé s’il y avait
des Arabes », se souvient Masrawa. « Je me suis caché sur la colline,
entre les cabanes de mon groupe ». Les membres du kibboutz ont tenu tête à
la police militaire, l’ont empêchée d’entrer et ont refusé de livrer les jeunes
Arabes. Shaul Yoffe, qui avait été commandant dans les commandos du Palmach
avant 1948 et qui était l’un des fondateurs du kibboutz, a chassé les policiers.
Masrawa éprouve non seulement du soulagement, mais aussi un véritable sentiment
d’appartenance. Les journaux relatent le courage avec lequel les membres du
kibboutz Yakum ont protégé leurs pupilles, qui se trouvaient techniquement dans
les kibboutzim de manière illégale, ayant quitté leur village sans permis.
Après ses
années à Yakum, Masrawa a travaillé dans le bâtiment à Tel Aviv, a étudié l’allemand
en Allemagne et est devenu propriétaire d’une papeterie à Arara. Il s’est marié
à 40 ans, a eu quatre enfants et est aujourd’hui grand-père. Après la guerre
des six jours de 1967, il a rejoint le Matzpen, un groupe socialiste radical
judéo-arabe, et a été actif dans les cercles de la gauche juive. Son histoire
se confond avec celle de l’élite politique et bohème de l’époque (« Le
vendredi, nous nous retrouvions au Café Kassit » à Tel-Aviv, lieu de
rendez-vous des intellectuels pendant les premières décennies d’Israël).
Aujourd’hui, il reste un activiste social et politique.
Leur période « pionnière »
a conduit de nombreux participants arabes à s’engager politiquement à leur
retour dans leur pays. La grande majorité d’entre eux ont rejoint le MAPAM et
ont aidé le parti à recruter des électeurs parmi les citoyens arabes d’Israël.
Le mouvement a produit des dirigeants de gouvernements locaux et même deux
membres de la Knesset. Mustafa (un pseudonyme) était membre du premier groupe
de la Jeunesse pionnière arabe et était très ami avec Golda Meir dans les
dernières années de sa vie. Son fils Nayif, 54 ans, se souvient : « Je
lui ai rendu visite à l’hôpital avec ma mère et nous avons échangé des cadeaux ».
Lorsqu’une petite fille est née dans la famille, Golda Meir a envoyé une chaîne
en or pour elle, et le père, profondément ému, a donné à la petite fille le nom
de la politicienne juive. « C’était bizarre » raconte Nayif. « Les
enfants l’insultaient, se moquaient d’elle : “Pourquoi t’ont-ils donné un
nom pareil” ? Nous, les membres de la famille, l’inondions délibérément de
tâches ménagères et lui disions en plaisantant : “Golda, viens ici, Golda, fais
ceci”. Jusqu’à ce qu’elle y mette fin : elle a convoqué tout le monde à une
réunion de famille et a annoncé qu’elle avait choisi un nouveau nom - musulman
- par elle-même ».
Rushdi Massarwi et sa fille, Kifah. Photo : Rami
Shllush
De la place
pour tous
Certains des
anciens pionniers arabes y repensent avec une nostalgie qu’ils ont transmise à
la génération suivante. Rushdi Massarwi, 78 ans, a été invité à une projection
du film au printemps dernier et s’est dit « si heureux de revoir ses
anciens camarades ». Il reste reconnaissant au mouvement kibboutznik de l’avoir
libéré d’une vie sous le gouvernement militaire et de lui avoir donné les
moyens de subvenir à ses besoins, alors que les possibilités d’éducation et d’emploi
étaient limitées dans le village, dont la plupart des terres ont été saisies
par Israël.
« Mon
père a fait partie de ce mouvement par choix et non par contrainte »,
explique Kifah, la fille de Rushdi. « Il croyait en cette voie et nous l’a
inculquée à nous, les enfants, dès le début. Grand-mère Nehama du [kibboutz]
Gan Shmuel, grand-mère Merika du kibboutz Dalia, grand-mère Etka de Lehavot
Habashan - elles étaient toutes comme des membres de la famille pour moi. Elles
m’apportaient des jouets de qualité que l’on ne voyait pas dans les villages
arabes à l’époque, et pendant les vacances d’été, elles m’accueillaient au
kibboutz, où j’apprenais l’hébreu ».
Les modes de
vie communautaires ont également été appliqués dans la maison familiale de Baka
Al Garbiyeh. Les tâches ménagères étaient réparties à la suite d’une assemblée
familiale et d’une discussion ouverte. À l’âge adulte, Kifah a eu une carrière
diversifiée en tant que responsable de l’organisation des femmes Na’amat, du
gouvernement local de sa ville et du conseil d’administration d’une entreprise
publique. Elle explique que tout a commencé au kibboutz. « J’ai compris,
inconsciemment, que le juif n’était pas un ennemi. J’ai reçu une éducation [qui
m’a permis] de comprendre et de connaître l’autre côté. C’est ce qui a
déterminé le cours de ma vie ».
Nayif a lui
aussi grandi dans l’esprit des kibboutz. Son père, Mustafa, a été nostalgique
du kibboutz jusqu’à son dernier jour. « Il évoquait ses souvenirs heureux
et joyeux. Je voyais son enthousiasme à l’idée d’avoir travaillé dans la grange
ou à la récolte. Parfois, il empruntait ou même volait quelques lires pour se
rendre au kibboutz. Et les gens du kibboutz sont venus à ses funérailles ».
Jeunes Juifs et Arabes dansant la debka au kibboutz
Yakum près de Netanya, 1955. Photo : Archives Hashomer Hatzair / Centre de
recherche et de documentation Yad Yaari
Mahmoud
Younes, lui aussi, a toujours laissé planer une aura romantique sur sa période
au kibboutz. Après une sortie arabo-juive au lac Kinneret en 1952, qui
comprenait des danses folkloriques, il a raconté l’expérience dans un journal
de Hashomer Hatzair : « Nous avons hissé le drapeau très lentement... et
parmi les collines de Mishmar Ha emek, le salut des Shomrim [Gardes, membres
de la Jeune Garde, NdT] a été entendu avec force : Hazak Ve’amatz ! [Soyez
forts et copuyrageux !] Cette salutation m’est allée au cœur et m’a rempli
d’une force de pionnier ». Il concluait en écrivant qu’il rentrerait
bientôt chez lui pour brandir la bannière du socialisme, « une tâche très
difficile dans le village féodal arriéré sous la domination du gouvernement
militaire […] Nous revenons pour crier dans nos villages qu’il existe un autre
Israël, un Israël démocratique, un Israël de paix, qu’il existe un autre peuple
juif […] qui souhaite se lier à nous dans la lutte pour l’indépendance des deux
peuples ».
En 2008,
lorsque Hashomer Hatzair a fêté ses 95 ans, Younes a participé à « Shomer
un jour, Shomer toujours », une grande réunion à Givat Haviva, le centre d’éducation
du mouvement des kibboutz, qui met en œuvre des programmes destinés à
promouvoir une société arabe et juive partagée. De son côté, Younes est
toujours habité par le même esprit. D’un pas léger, les cheveux blancs mais
abondants, il déambule, le cœur battant, lors de la réunion avec les camarades.
Il demande aux jeunes en chemise bleue à quelle branche du mouvement de
jeunesse ils appartiennent.
Mahmoud Younes
« J’ai l’impression
de faire partie de tout cela », dit-il. « Aujourd’hui encore, lorsque
je me dispute dans le village, les gens m’appellent le Yaari des Arabes »,
en référence au leader idéologique de l’Hashomer Hatzair, Meir Yaari
(1897-1987). « J’ai cru les institutions du MAPAM lorsqu’elles parlaient
du droit des Arabes à l’autodétermination, et j’ai cru, et je crois encore
aujourd’hui, qu’il y a une place pour les deux peuples dans la patrie commune ».
Une personne qu’il a rencontrée lors du rassemblement s’est souvenue avec
affabilité qu’ « ils étaient gentils, mais qu’ils causaient des
problèmes ». Quels problèmes ? Des problèmes de “sécurité”, parce que le
gouvernement militaire les persécutait. Il reste quelque chose de l’éducation
qu’ils ont reçue de nous. Dommage que [le projet] n’ait pas continué, mais que
peut-on y faire ? »
Pour Ben Tzur,
le passage du temps n’a guère ébranlé sa foi dans l’idée. « Dès le départ,
l’idée n’était pas que les Arabes remplissent les conditions de l’éducation
idéologique standard de l’Hashomer Hatzair. L’intention n’était pas d’en faire
des Juifs, mais des pionniers », dit-il. Ben Tzur a fait remarquer qu’il
avait enseigné à ses pupilles le destin du peuple juif et son besoin d’un État,
et qu’à l’époque, il ne voyait aucune contradiction entre les aspirations
nationales des Juifs et des Arabes. « L’intention était d’éduquer à un
nationalisme arabe positif, non pas un nationalisme agressif qui se
retournerait contre le sionisme, mais un nationalisme qui épouserait les
valeurs historiques et littéraires », dit-il. « Je croyais que les
choses pouvaient être résolues dans l’esprit de la fraternité des nations.
Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi sûr ».
Quand la paix viendra
En 1960, le
mouvement de la jeunesse pionnière arabe était à son apogée. Ses membres
travaillaient, étudiaient et participaient aux manifestations et aux pétitions
contre le gouvernement militaire. Mais c’est précisément à ce moment-là que les
fissures ont commencé à se creuser. Les initiateurs juifs de l’idée ont reconnu
que le mouvement était dirigé d’en haut et n’était pas indépendant. Ils se sont
également rendu compte que la majorité d’entre eux ne participaient qu’aux
camps de travail, où ils ne gagnaient qu’un salaire dérisoire. Contrairement
aux Juifs des villes, qui trouvaient dans leur travail une affiliation
idéologique, beaucoup de jeunes Arabes étaient attirés dans les kibboutzim par
ce salaire, qui, aussi modeste fût-il, mettait leur famille à l’abri de la
faim.
Walid Sadik. Photo : Arieh Gal
« À la différence
du village arriéré et sous-développé, où il n’y avait ni électricité ni routes,
là [dans les kibboutzim] tout était impeccable », se souvient Walid Sadik
de Taibeh, qui est devenu député du MERETZ dans les années 80 et 90. « Les
filles portaient des shorts bleus et c’était déjà une raison d’aspirer à
devenir membre d’un kibboutz ». Sadik est arrivé au kibboutz Gan Shmuel en
tant que membre d’un groupe pendant les pauses de ses études à l’université
hébraïque de Jérusalem. Au début, le kibboutz s’est révélé très séduisant.
Sadik, qui est décédé il y a quatre ans, était une personne élégante et digne,
avec les manières d’un gentleman. Lors de conversations tenues il y a une
dizaine d’années, il disait : « La première fois que je suis entré dans la
salle à manger, je m’attendais à ce qu’un serveur vienne me servir, jusqu’à ce
que quelqu’un s’aperçoive de mon erreur et m’explique qu’il s’agissait d’un
self-service ».
Il se sentait
offensé lorsque les membres du kibboutz ne le saluaient pas lorsqu’ils le
croisaient et lorsqu’ils ne l’invitaient pas chez eux. « Comme je ne
connaissais pas leurs coutumes, j’ai pris cela très à cœur. J’avais l’impression
qu’ils me considéraient comme un travailleur extérieur qu’ils pouvaient ignorer ».
Selon Sadik, même les « enfants de l’extérieur » - comme le futur
député Meretz Ran Cohen - avaient un statut plus élevé que le sien à Gan
Shmuel. « Je travaillais dans la cour et je faisais le ménage, alors qu’ils
vivaient dans de plus belles maisons et occupaient des emplois plus
intéressants, comme l’agriculture et la cueillette des fleurs, domaines dans
lesquels je souhaitais vivement travailler ».
Cohen, qui est
arrivé seul d’Irak en Israël à l’âge de 10 ans, a été surnommé “petit Saïd” (ce
qui signifie, de manière insultante, qu’il ressemblait à un Arabe) pendant son
séjour à Gan Shmuel. Il explique cette différence en soulignant que les Arabes
sont arrivés au kibboutz dans le cadre de camps de travail, alors qu’après
quelques années, les enfants de l’extérieur, qui vivaient réellement au
kibboutz, bénéficiaient de conditions égales à celles des enfants nés dans le
kibboutz. Cohen et Sadik ont tous deux fait partie de la coalition
gouvernementale formée par Yitzhak Rabin, en tant que deux des 12 membres du MERETZ
à la Knesset en 1992.
Ahmad Masrawa
a également remarqué qu’il existait des différences de classe sociale dans la
société modèle du kibboutz. Les jeunes Arabes travaillaient cinq heures par
jour et étudiaient trois heures, tandis que les « enfants du dehors »
juifs avaient l’emploi du temps inverse. « J’ai eu l’audace de demander
pourquoi et on m’a répondu que les Juifs étaient subventionnés par la Aliyat Hano'ar [Aliya des
jeunes]. Déjà à l’époque, j’avais du mal à croire que Hakibbutz Ha’artzi
[le mouvement des kibboutz] s’effondrerait en soutenant un groupe de 15 jeunes ».
En revanche,
en ce qui concerne les vêtements, la justice distributive s’imposait. Masarwa :
« J’avais deux pantalons et deux chemises, et je me souviens encore du
numéro de ma lessive : 264. Un jour, je suis allée rendre visite à mon frère,
qui travaillait dans le bâtiment dans la rue Bialik à Tel Aviv. J’ai vu une
belle chemise dans une vitrine et il me l’a achetée. Lorsque je suis rentré au
kibboutz et que je l’ai envoyée à la blanchisserie, elle n’est pas revenue.
Elle avait été nationalisée ».
Pionniers arabes lors de la marche de quatre jours de
Hashomer Hatzair en 1964. Photo : Hashomer Hatzair Archive / Centre de
recherche et de documentation Yad Yaari
Masarwa a été
affecté aux travaux des champs et a été ravi de semer et de récolter. Il était
bien conscient que cette option était pratiquement inexistante dans son village
: « Avant la guerre, les terres d’Arara s’étendaient jusqu’au mont Carmel
; nous avions 36 000 dounams [3 600 hectares]. Après la guerre, il
ne restait au village que 1 500 dunams ». Lorsqu’il voulait être seul, il
se promenait parmi les maisons arabes abandonnées près du kibboutz. Lorsqu’il
demande où se trouvent les voisins du kibboutz, on lui répond qu’ils sont « partis »,
mais il ne se laisse pas convaincre. « Lors de l’appel, j’ai continué à
chanter la Hatikva avec tout le monde, mais des questions sans réponse ont
commencé à se poser ».
Il est
rapidement apparu que l’ « accomplissement » de l’esprit du Hashomer
Hatzair - qui aurait signifié la création d’un kibboutz arabe - était
impossible. En 1958, l’infatigable Mahmoud Younes demande au ministre de l’Agriculture,
Kadish Luz, de réserver des terres pour que le mouvement puisse y construire
une communauté coopérative. Le ministre le renvoie à l’Agence juive, qui lui
répond que les « terres nationales » sont réservées aux Juifs.
Quelques années plus tard, Masrawa tente également d’obtenir un accord pour la
création d’un kibboutz arabe dans son village natal. Il a reçu une réponse sans
équivoque de l’Autorité foncière israélienne, dont il se souvient encore par
cœur : « Ahmad, ne sois pas naïf. Sur les terres expropriées de ton
village, nous établirons trois communautés juives, qui prendront les armes en
cas de besoin ».
Certains
membres du mouvement ont réussi à appliquer dans leurs villages ce qu’ils
avaient appris au kibboutz. En 1956, un jardin potager coopératif appelé « Le
Pionnier » a été fondé à Kafr Yasif. À Taibeh, une coopérative agricole
appelée « L’Espoir » a été créée et comprenait un projet - jamais
réalisé - d’installation d’un cinéma coopératif. La coopérative la plus réussie
est un projet de forage d’eau que Younes a mis en place à Arara en 1957. Mais
le manque de terres, de financement et de soutien de la part de l’establishment,
ainsi que l’absence de participation de la société arabe, ont condamné la
plupart des coopératives.
Atallah
Mansour a lui aussi compris que « le kibboutz est une solution réservée
aux Juifs. Quiconque n’est pas juif, mais simplement un être humain qui veut
vivre et travailler, n’y a pas sa place ». L’injustice infligée aux
villages arabes chrétiens d’Ikrit et de Biram, dans le nord de la Galilée,
évacués par l’armée israélienne en 1948 avec la promesse (non tenue) d’un
retour rapide des habitants, et dont une partie des terres a été accaparée par
les kibboutz Baram et Sasa, ajoute au sentiment d’une duplicité de la part de
Hashomer Hatzair.
« Nous
étions encore sous le régime militaire, sous surveillance et répression, nos
bouches étaient fermées et nos sentiments refoulés, et nous avons ignoré tout
cela consciemment afin de pouvoir profiter des plaisirs des kibboutzim », dit
Walid Sadik. « Nous étions intéressés par un salaire, car il n’y avait pas
d’argent dans le village à l’époque. La rémunération que nous recevions pour
notre travail était bonne et plus importante à l’époque que ces questions gênantes ».
En échange de
la possibilité de travailler sous les auspices des kibboutzim, sans permis du
gouvernement militaire, les hôtes arabes essayaient de se tenir cois. « Gan
Shmuel est construit en partie sur les terres du village de Sarkas, et les
habitants de Gan Shmuel ont eux-mêmes expulsé les habitants palestiniens
pendant la guerre. Je connais personnellement, par leurs noms, les personnes
qui ont procédé à l’expulsion », dit Sadik. « Lorsque nous avons
parfois soulevé la question du fait que les kibboutzim, qui déclaraient s’opposer
aux expropriations de terres, étaient en fait en train de coloniser ces mêmes
terres expropriées, on nous a répondu : “Quand la paix viendra, nous nous
entendrons. Après tout, à ce jour, aucun réfugié ne s’est manifesté pour
réclamer sa terre”. Nous n’avions pas de conscience palestinienne telle qu’elle
existe aujourd’hui, nous parlions de ‘terre volée’, pas de la Palestine ».
Sadik a résumé
le chapitre kibboutz de sa vie en disant que « la coexistence était
forcée, pas authentique. La coexistence s’exprime dans la vie quotidienne, dans
les actes, pas dans les théories. C’était de l’hypocrisie en soi, et je pense
que la même hypocrisie existe encore aujourd’hui. Les kibboutzim croient avant
tout qu’il s’agit d’un État juif et que les Juifs qui y vivent sont plus
privilégiés que les Arabes et ont la priorité en tout. C’est, à mon avis, l’esprit
qui réside dans chaque juif sioniste, et en particulier parmi les kibboutzniks,
les colons les plus sionistes qui soient ».
Mansour a
proposé l’image suivante pour décrire la dynamique entre Hashomer Hatzair et
les Arabes de souche : « Ils sont venus nous voir, dans notre maison, et
nous ont dit : “Nous voulons la moitié de la maison”. Ensuite, ils ont dit : “Très
bien, vous pouvez rester. Si vous nous aidez à faire la vaisselle, nous vous
donnerons peut-être une chambre”. Mais si je reste dans ma propre maison, je
veux m’asseoir dans le salon, et non pas vivre dans la cour ou dans le couloir,
là où sont rangées les chaussures. Nous étions égaux en principe, mais nous n’avons
pas été traités comme des égaux ne serait-ce qu’un seul jour ».
Mahmoud Younes, en keffieh. Au centre, Ya’akov Hazan,
fondateur du mouvement de jeunesse Hashomer Hatzair et du parti MAPAM.
1956. Photo : Archives de Hashomer Hatzair
Un ver dans le
fruit
Mais l’épreuve
la plus difficile pour le mouvement se situe au niveau personnel, dans les
histoires d’amour entre jeunes hommes des villages arabes et jeunes femmes
juives des kibboutzim. Le projet a produit quelques couples mixtes. Khaled et
Naomi ont quitté le kibboutz pour la ville. Mohammed Jasser Haj Yehiyeh et
Yehudit, du kibboutz Merhavia, ont également décidé de partir et de s’installer
dans la ville arabe de Taibeh, où ils ont élevé quatre enfants. Après la mort
de Mohammed il y a quelques années, Yehudit et les enfants ont quitté Taibeh.
La lutte la
plus intense et la plus connue menée par un couple mixte a été celle de Tzvia
Ben Matityahu, du kibboutz Givat Hashlosha, et de Rashid Jaffer Masarawa, de
Baka El Garbiyeh, aujourd’hui âgé de 78 ans. Il a rejoint un camp de travail de
la Jeunesse pionnière arabe au kibboutz Kfar Masaryk alors qu’il était encore
en cinquième année. « Ce fut le début de mon histoire d’amour avec le
kibboutz », dit-il. Au cours de l’été précédant la cinquième, tous ses
camarades de classe ont fait de même. Un an plus tard, il a quitté la maison,
malgré les objections vigoureuses de ses parents. « Mon père m’a dit : “Ils
mangent du porc au kibboutz”. Finalement, il a accepté, à condition que je ne
fasse pas de mauvaises choses. »
Rashid a d’abord
été logé au kibboutz Dalia, avant de déménager à Givat Hashlosha, où il a
rencontré Tzvia, qui était en onzième année.
« Nous
étions tous deux des athlètes », se souvient-il. « Nous sommes tombés
amoureux. Les jeunes Juifs du kibboutz m’ont encouragé, et les plus âgés
avaient honte de me dire : “Ne va pas avec elle, parce que tu es arabe”. Plus
tard, quand ils sont venus me dire que ce n’était pas bon, il était trop tard ».
Tzvia ne pouvait pas croire que le kibboutz qu’elle aimait tant n’accepterait
pas cette histoire d’amour, mais Rashid a tout de suite compris le problème. Il
s’étrangle lorsqu’il parle de ce qui s’est passé.
Tzvia Ben
Matityahou, Rashid Jaffer Masarawa et leur enfant. Titre : « Le kibboutz
est-il raciste ? »
Après s’être
marié à Chypre, le jeune couple a dû quitter le kibboutz. Ils se sont installés
à Hadera et ont donné à leur fils premier-né un double nom : Ronen en hébreu et
Riad en arabe. Souffrant du traitement de leurs voisins dans la ville juive,
ils décident de tenter leur chance à Gan Shmuel, un kibboutz du mouvement
Hashomer Hatzair.
« On nous
a dit qu’il n’y avait pas de racisme et que nous serions certainement acceptés.
C’est Ran Cohen qui nous a persuadés. On nous avait déjà montré notre chambre
et la maison des enfants pour le bébé, mais lors de l’assemblée du kibboutz,
juste avant le vote, quelqu’un a mentionné que j’étais originaire de Sarkas. Il
savait que mes parents étaient originaires du village [palestinien] démoli, et
il a soutenu que si j’étais accepté comme membre, cela signifierait que je
retournerais dans mon village ». À ce stade de son récit, Rashad s’est
effondré et a pleuré, encore profondément contrarié par la décision majoritaire
du kibboutz de ne pas lui accorder l’adhésion, à la suite de réunions et de
votes houleux.
« C’était
un drame énorme, avec des dimensions idéologiques », se souvient Ran
Cohen. « L’angoisse était réelle. Les opposants disaient : “Le kibboutz
est un organisme sioniste situé sur des terres du Fonds national juif, alors
pourquoi voudrions-nous y installer des Arabes ?” Il y avait aussi un aspect
social. Après tout, le kibboutz est une entité juive avec des fêtes, des
coutumes et une culture juives. Comment un Arabe pourrait-il s’y intégrer ? J’ai
fait valoir qu’il s’agissait d’une question humaine, d’une question de dignité
humaine, et que Rashad et Tzvia, ainsi que leur bébé, méritaient une place sur
cette terre. En fin de compte, j’ai vu que cela allait provoquer une rupture
qui allait briser le kibboutz. Certains membres voulaient quitter le kibboutz à
cause de cette question et j’ai dû les en empêcher ».
Cette histoire
croustillante a été largement couverte par Haolam Hazeh en 1964, sous le
titre « Le kibboutz est-il raciste ? ». À propos de Gan Shmuel, l’hebdomadaire
écrivait : « Il est soudain apparu que ces craintes du ghetto juif ont
surgi au cœur de ce qui est considéré comme la gloire de la nouvelle nation
hébraïque : dans le cœur des membres de ce kibboutz fort et profondément
enraciné. »
Tzvia a
comparé son histoire à celle de filles des kibboutz qui étaient tombées
amoureuses d’un Juif irakien ou marocain. Son monde s’est effondré, dit-elle au
magazine, lorsqu’elle a compris qu’ « il était interdit à quelqu’un
de rejoindre le kibboutz - non pas parce qu’il est inapte, non pas parce qu’il
est oisif, non pas parce qu’il est mutilé ou sans éducation, mais parce qu’il
est né Arabe ! Même le kibboutz, ce beau fruit, est rongé par le ver du racisme ».
Par la suite, le couple a été admis au kibboutz Ein Dor, mais Rashid ne s’est
pas adapté à la vie dans ce kibboutz. Ils ont vécu avec leurs trois enfants à
Hadera, puis à Tel Aviv et à Netanya. Leur fils aîné a servi comme officier
dans l’armée israélienne.
Les
participants au mouvement de la jeunesse pionnière arabe ont considéré le sort
de Rashad et de Tzvia comme la preuve définitive que la réalisation de soi n’était
pas dans les cartons. Non seulement l’État n’allouerait pas la moindre parcelle
de terre à la communauté arabe, mais aucun jeune pionnier ne serait accepté
comme membre d’un kibboutz juif. Entre-temps, la fin du gouvernement militaire
en 1966 a créé des possibilités d’études et d’emploi pour les jeunes Arabes
soudainement mobiles. Des milliers d’entre eux affluent vers les villes pour
travailler dans la construction. Selon Ben Tzur, la fin a également été
accélérée par les volontaires étrangers qui ont afflué dans les kibboutzim
après la guerre des Six Jours. « Culturellement, ils étaient bien mieux
adaptés à la vie de kibboutz, de sorte qu’il n’y avait plus besoin de bras
arabes ».
Parallèlement,
avec la montée du nassérisme et la reconnaissance des conséquences de la
guerre, les jeunes Arabes ont commencé à exprimer leur nationalisme
palestinien. Lors d’un rassemblement à l’été 1967, les membres de la Jeunesse pionnière
arabe ont stupéfié leurs camarades juifs par leur objection véhémente à l’ « option
jordanienne » - c’est-à-dire la déclaration de la Jordanie comme seul État
palestinien - que le MAPAM préconisait comme solution au conflit. Comme l’explique
Ben Tzur : « Soudain, j’ai senti que tout avait changé, que tout avait
pris une direction nationaliste. Ils parlaient de se battre et d’établir un
État pour eux-mêmes. Cela m’a beaucoup surpris ; j’ai compris que c’était la
fin ».
Selon Ahmad
Masrawa, « une discussion s’est engagée au sujet d’un État palestinien et
du retour des réfugiés. J’ai dit : “Expliquez-moi comment le sionisme et le
socialisme vont ensemble”. En y repensant aujourd’hui, je me dis qu’ils nous
ont jeté du sable dans les yeux. Ils ont tourné l’idéal en dérision. Ils ont
joué avec des idées nobles, mais dans la pratique, ils se sont comportés
autrement. Qu’attendaient-ils vraiment de nous ? »
Le fils de
Khaled et Naomi, qui a choisi de vivre en tant que juif, a déclaré que son père
avait été tourmenté toute sa vie par des questions d’identité. « Lorsque j’ai
décidé de m’enrôler pour le service militaire obligatoire, mon père s’est
acharné sur moi, mais au bout du compte, il s’est promené fier que je porte des
bottes rouges [de parachutiste] ». Son père, dit-il, a su profiter des
opportunités que lui offrait le kibboutz, mais le fils nuance douloureusement
cette remarque : « L’idée était géniale, mais le racisme l’a emporté.
Amener ces jeunes gens sur la terre promise et leur dire ensuite : “Vous ne
pouvez pas, parce que vous êtes arabes” [...] Hashomer Hatzair aurait dû penser
à la fin de cette histoire avant d’arracher ces jeunes à leur village et de
leur faire miroiter toutes sortes d’espoirs en matière de fraternité, de paix
et d’amitié. Eux, les Juifs, pensaient qu’eux, les éclairés, pourraient les
éduquer et en faire des personnes décentes, mais en fin de compte, ils ont
brisé leurs rêves et les ont transformés en travailleurs subalternes. Le kushi
[basané] a fait son devoir, le kushi peut s’en aller" - dégage,
le kushi. Il est triste que je n’aie rien de plus chaleureux ou de
meilleur à dire sur le sujet ».
L’historien
Shaul Paz décrit le dédoublement de personnalité des mouvements de jeunesse
hébraïques à l’égard des Arabes en disant qu’il s’agit d’un « flottement
de deux âmes ». La cause en est, selon lui, le conflit entre le besoin
sioniste d’une colonisation pionnière des terres, d’une part, et la justice et
la fraternité des nations, d’autre part. Dans les quelques pages qu’il consacre
à la jeunesse pionnière arabe dans son livre en hébreu de 2017 intitulé « Nos
visages vers le soleil levant : les membres des mouvements de jeunesse
pionniers en Israël : La deuxième génération, 1947-1967 », Paz
soutient que le mouvement était avant tout un moyen d’atténuer la fracture
morale parmi les jeunes Juifs et de les rallier à une idée noble.
Selon Paz,
originaire du kibboutz Mizra, les dirigeants de Hashomer Hatzair « voulaient
croire que, de même qu’un nouveau Juif était créé, un nouvel Arabe serait
également créé, qui pourrait être un socialiste, un pionnier et un kibboutznik.
Même les plus grands rêveurs comme Abraham Ben Tzur et Aharon Cohen savaient
dès le départ que les Arabes ne seraient pas autorisés à créer un kibboutz,
mais bien sûr ils ne le leur ont pas dit. Il était commode pour eux de créer
cette illusion car, après tout, ils ne parlaient que de fraternité des nations,
d’égalité, de solidarité, de socialisme et de tous ces slogans. Un mouvement de
jeunesse pionnier doit poser des défis utopiques afin d’enflammer les jeunes et
de les amener à coopérer. C’est un sentiment merveilleux, vous savez - qui n’aime
pas donner ? Mais cela s’est accompagné de discriminations et d’inégalités.
Comme pour les Mizrahim [Juifs originaires d’Afrique du Nord et des pays
arabes], nous savions mieux qu’eux, nous les avons encouragés et nous les avons
amenés ici, mais nous ne les avons jamais considérés comme des égaux ».
Comme le dit
Paz, la Jeunesse pionnière arabe a été « une expérience fascinante,
stupéfiante et de courte durée qui a disparu des mémoires. Avec elle ont
disparu nos rêves, nos aspirations et nos illusions qu’un autre Israël était
possible ».