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03/11/2023

GIDEON LEVY
Voici les enfants extraits des décombres après le bombardement du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 2/11/2023
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Un terroriste du Hamas a été sorti des décombres, porté dans les bras de son père. Son visage est couvert de poussière, son corps est agité de soubresauts, son regard est vide. On ne sait pas s’il est vivant ou mort. C’est un enfant de trois ou quatre ans, et son père, désespéré, l’a emmené d’urgence à l’hôpital indonésien de la bande de Gaza, qui débordait déjà de blessés et de morts.

Des Palestiniens cherchent des survivants sous les décombres de bâtiments détruits à la suite de frappes aériennes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, mercredi. Photo : Abed Khaled /AP : Abed Khaled /AP

Une autre terroriste a été extraite de l’épave. Cette fois, elle est bien vivante, ses cheveux clairs et bouclés sont blancs de poussière ; elle a cinq ou six ans et est portée par son père. Elle regarde à droite et à gauche, comme pour demander d’où viendra l’aide.

Un homme vêtu d’un gilet en lambeaux griffonne ici et là, un drap blanc plié comme un linceul dans les mains, recouvrant le corps d’un nourrisson, qu’il agite en signe de désespoir. C’est le corps de son fils, un nouveau-né. Ce nourrisson n’avait pas encore eu la chance de rejoindre le quartier général militaire du Hamas dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Il n’a vécu que quelques jours - l’éternité d’un papillon - et a été tué.

Des dizaines de jeunes ont continué à creuser dans les décombres à mains nues dans un effort désespéré pour extraire des personnes encore vivantes ou les corps de voisins, soulevant des morceaux de murs détruits pour dégager un enfant dont la main dépassant des ruines. Cet enfant était peut-être un terroriste de la force Nukhba du Hamas.

Tout autour se tiennent des centaines d’hommes, vêtus de haillons, qui se serrent désespérément les mains. Certains d’entre eux fondent en larmes. Un chauffe-eau solaire israélien portant un autocollant en hébreu gît dans les décombres, rappelant les jours passés. « Nous n’avons plus le temps de ressentir quoi que ce soit » déclare Mansour Shimal, un habitant du camp, à Al Jazeera.

Mardi après-midi, des avions de l’armée de l’air israélienne ont bombardé le bloc 6 du camp de réfugiés de Jabaliya. En Israël, on en a à peine parlé. Al Jazeera a rapporté que six bombes avaient été larguées sur le bloc 6, laissant un énorme cratère dans lequel une rangée d’immeubles d’habitation gris est tombée comme un château de cartes. Les pilotes ont dû annoncer qu’ils avaient atteint leur objectif. Les images étaient horribles.

Lorsque je me suis rendu dans le quartier Daraj de Gaza en juillet 2002, au lendemain de l’assassinat de Salah Shehadeh, j’ai vu une scène très dure. Mais elle était pastorale, comparée à ce que l’on a vu à Jabalya mardi. À Daraj, 14 civils avaient été tués, dont 11 enfants, soit environ un dixième du nombre de personnes tuées dans le bombardement de mardi à Jabaliya, selon les rapports palestiniens.

En Israël, les scènes de Jabaliya n’ont pas été montrées. Et pourtant, difficile à croire, elles ont bien eu lieu. Quelques chaînes étrangères les ont diffusées en boucle. En Israël, on a annoncé que le commandant du bataillon central du Hamas à Jabaliya, Ibrahim Biari, avait été tué lors d’une frappe de l’armée de l’air dans le camp de réfugiés le plus peuplé de Gaza et que des dizaines de terroristes avaient été tués. L’assassinat de Shehadeh avait été suivi d’un débat public incisif en Israël. Ce qui s’est passé mardi à Jabaliya a été à peine évoqué ici. Il s’est produit avant que les mauvaises nouvelles concernant les soldats israéliens tués ne soient annoncées, alors que le feu de camp de la guerre crépitait encore.

Selon les rapports, une centaine de personnes ont été tuées dans l’attentat de Jabaliya et quelque 400 ont été blessées. Les images de l’hôpital indonésien étaient tout aussi horribles. Des enfants brûlés jetés les uns à côté des autres, trois et quatre sur un lit sale ; la plupart d’entre eux ont été soignés à même le sol, faute de lits suffisants. Le mot “traitement” n’est pas le bon. En raison du manque de médicaments, des opérations chirurgicales vitales ont été effectuées non seulement à même le sol, mais aussi sans anesthésie. L’hôpital indonésien de Beit Lahia est devenu un véritable enfer.

Israël est en guerre, après que le Hamas a assassiné et kidnappé avec une barbarie et une brutalité qui ne peuvent être pardonnées. Mais les enfants qui ont été extraits des débris du bloc 6 et certains de leurs parents n’ont rien à voir avec les attaques contre Be’eri et Sderot.

Pendant que les terroristes sévissaient en Israël, les habitants de Jabaliya étaient blottis dans leurs baraques dans le camp le plus peuplé de Gaza, réfléchissant à la manière de passer une journée de plus dans ces conditions, qui ont été aggravées par le siège des 16 dernières années. Ils vont maintenant enterrer leurs enfants dans des fosses communes parce qu’à Jabaliya, il n’y a plus de place pour les enterrer individuellement.

 

13/09/2023

PABLO AZÓCAR
Bagatelles pour un massacre chilien

Pablo Azócar, La Tercera, 11/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Pablo Azócar (San Fernando, 1959) est un écrivain, poète et traducteur chilien, qui a longtemps été journaliste. Son dernier roman, El Silencio del Mundo, est une histoire d’amour sur fond de pandémie et d’explosion sociale au Chili en 2019. Son seul roman traduit en français est Natalia (Actes Sud, 2001)

Je me suis maintes fois demandé pourquoi Augusto Pinochet, dans le monde entier, figure dans toutes les listes des personnages les plus pervers de l’histoire universelle de l’infamie. La première réponse qui me vient à l’esprit est la cruauté. Peu de régimes ont exercé une cruauté aussi rigoureuse, froide et systématique. Le dictateur chilien a non seulement fait tuer plusieurs de ses amis et dirigeants auxquels il avait juré une fidélité éternelle, à commencer par le général Carlos Prats, qui l’avait élevé et hébergé comme on abrite son fils, mais il a aussi mis en place un appareil répressif qui a recouru aux cruautés les plus délirantes et inhumaines de mémoire d’homme.

Un célèbre auteur-compositeur-interprète s’est fait écrabouiller les mains pour qu’il puisse plus jouer de la guitare, une dirigeante étudiante s’est fait poser un fer à repasser brûlant sur le visage pour le déformer, deux adolescents ont été aspergés de paraffine et brûlés de fond en comble, un ouvrier s’est fait arracher les doigts au marteau pour qu’il ne puisse plus jamais exercer son métier, une infirmière s’est fait percer les mains avec des yatagans jusqu’au sang, un paysan de 16 ans s’est fait exploser le visage et a été retrouvé la bouche pleine d’excréments de cheval, un pianiste s’est fait arracher les ongles un par un, un leader politique s’est fait brûler la poitrine au chalumeau.

J’ai rencontré une adolescente enceinte parce qu’elle avait été sauvagement violée à plusieurs reprises dans une prison clandestine. J’ai rencontré un enfant à qui on avait mis de l’électricité dans l’entrejambe devant ses parents pour les faire “parler”. J’ai rencontré une femme qui ne pouvait pas avoir de relations sexuelles parce qu’on lui avait mis des rats dans le vagin, et une autre qui avait été entravée pour être pénétrée par un chien dressé.

Le rapport Rettig et surtout le rapport Valech - documents officiels de l’État chilien, rédigés par des autorités morales et des spécialistes de tout l’échiquier politique - contiennent certaines de ces atrocités. J’ai eu le courage de lire le rapport Valech d’un bout à l’autre, et l’expérience a été plus terrifiante que les pires romans d’horreur. Dans ce rapport, par exemple, on trouve une liste de plus d’un millier d’enfants ayant subi divers abus. Les personnes qui ont rédigé cet horrible rapport ont reçu des dizaines de milliers de témoignages, bien que de nombreuses victimes n’aient pas osé le faire pour ne pas revivre l’horreur, l’humiliation et la peur.

Le rapport Valech souligne que des millions de Chiliens ont également perdu leur emploi ou leur maison, ont été dénigrés, exclus et harcelés, des centaines de milliers ont dû s’exiler, et beaucoup de ceux qui sont restés ont dû endurer la stigmatisation et la persécution. Certains ont été arrêtés à plusieurs reprises et ont dû changer de ville. D’autres, dans leurs villages, ont connu le mépris de devoir vivre avec leurs propres tortionnaires. Plus de 700 casernes, postes de contrôle, commissariats de police, camps de concentration ou prisons secrètes - dans toutes les régions du pays - où les événements se sont déroulés, avec dates et détails, ont été consignés dans ce rapport terrifiant.

Malgré les années qui ont passé, les milliers de témoignages contenus dans le rapport Valech sont accablants. « Les fibres de mon anus ont été brisées lorsque des objets contondants ont été enfoncés dans mon corps ». « J’ai perdu la vue de l’œil droit à cause de coups de mitraillette ». « Puis un milicien a sorti son pénis et m’a forcé à le redresser avec ma bouche, puis il y en a eu un autre et un autre, le dernier est entré dans ma bouche, ma vie n’a plus jamais été la même, je n’avais alors que 15 ans ». « Ils m’ont appliqué le ‘téléphone’, me frappant à l’unisson sur les deux oreilles, m’éclatant l’oreille droite ». « Ils m’ont arraché les molaires sans anesthésie ». « Ils m’ont pendue par les pieds, m’ont fait manger des excréments et ont attrapé ma fille de neuf mois par le cou devant moi, en me disant qu’ils allaient la tuer ». « Ils m’ont écrasé les reins sous les coups et j’en garde encore des séquelles ». « Ils m’ont forcée à avoir des relations sexuelles avec mon père et mon frère ». « Ils m’ont tellement battue que j’ai perdu la mémoire et la vue ». « Ils nous ont fait nous déshabiller, en passant une barre entre nos coudes et l’arrière de nos genoux, la sensation était comme un démembrement ». « Mes testicules ont été déchirés par le courant ». « J’ai des traces de brûlures de cigarettes sur tout le corps ». « Mon vagin a été détruit, je n’ai pas pu déféquer sans douleur pendant des années. » « Ils m’ont laissée là et ma jambe s’est gangrenée ». « Mon utérus et mes ovaires ont dû être retirés en raison d’une hémorragie interne ». « Aujourd’hui, j’ai des problèmes cardiaques à cause du courant qu’ils m’ont appliqué ». « Je suis restée avec une terreur qui n’a jamais disparu, la paranoïa, la claustrophobie, l’angoisse ». « Je revois sans cesse ce que j’ai vécu à cette époque ». « Je pleure encore dans mon sommeil ».

Comment mesurer l’immensité de cette douleur ? Comment mesurer cette humanité outragée si massivement et, le plus souvent, si anonymement ? Quelles cicatrices peuvent rester dans la psyché d’un pays après une barbarie d’une telle ampleur ?

Ce qui est déconcertant, c’est le silence qui a suivi. Le pays officiel a tout simplement décidé d’étouffer l’affaire. Au nom de la “réconciliation” et de la stabilité politique, il a été décidé de ne plus jamais en parler. L’héroïque Vicariat de Solidarité a été fermé sans cérémonie, le cardinal Raúl Silva Henríquez a été effacé de l’histoire officielle, les rapports Valech et Rettig et les centaines de milliers de témoignages ont été consciencieusement cachés, il n’y a pas eu de politique de réparation et la presse n’en a pratiquement plus parlé. Les proches sont livrés à eux-mêmes. Comme dans les malédictions bibliques, les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ont été laissés seuls avec ce kyste.

Un demi-siècle plus tard, les conséquences sont évidentes. Aujourd’hui encore, de nombreux hommes politiques et parlementaires continuent de déifier Pinochet et de nier l’existence de cette horreur dantesque. Les forces armées refusent toujours de révéler le sort de plus d’un millier de disparus, un mot entré dans le lexique universel depuis les régimes militaires chilien et argentin. Le leader d’extrême droite José Antonio Kast, désormais favori des sondages pour la prochaine élection présidentielle, s’est déclaré “ami personnel” et a participé aux hommages rendus au militaire Miguel Krassnoff, l’un des tortionnaires les plus sanguinaires, condamné à plus de 900 ans de prison pour de multiples cas de violations des droits humains. La droite politique chilienne ne s’est pas “dépinochétisée”. Il n’y a pas de mea culpa, pas de prise de conscience de la sauvagerie de la politique d’extermination menée par l’Etat chilien dans ces années-là. Dirigeants, intellectuels et leaders continuent de parler de “tombés des deux côtés” et soutiennent qu’il ne s’agit que de quelques “excès”.

Lorsque le président Gabriel Boric a remis en juillet une distinction honorifique en Espagne au juriste Baltazar Garzón - qui avait fait arrêter Pinochet à Londres en 1998 au nom de la justice universelle des Nations unies - la droite chilienne a réagi avec indignation et a déposé une plainte formelle auprès du ministère des Affaires étrangères. « La reconnaissance de Garzón est une honte », a déclaré un député. « C’est une provocation », a déclaré un autre. Ils ne pardonnent pas à Garzón : ils ne lui pardonnent pas d’avoir sali la figure du “tata” [papa, papy] Pinochet. Tout cela n’est pas l’apanage de la droite : tout a été caché pendant tant d’années, la mémoire a été si systématiquement fermée, qu’aujourd’hui on peut se livrer gratuitement au négationnisme, ou à la relativisation des faits, ou appliquer le vieux système des liens de connivence.

Le paradoxe est terrible : le Chili est probablement le seul pays au monde où l’on n’a pas encore conscience de la monstruosité du régime Pinochet. Toutes les limites imaginables du bien et du mal ont été repoussées, ni Caligula ni Néron ne sont allés aussi loin. Les Allemands ont consacré des décennies, jour après jour, mois après mois, année après année, à se souvenir de l’holocauste hitlérien, dans des films, des essais et des romans, dans des photographies, des peintures et des monuments, dans des musées, des cérémonies et des mémoriaux.

L’holocauste chilien, quant à lui, n’a même pas de nom. C’est une bagatellisation qui s’est installée avec le poids de la nuit, une broutille qui continue à serpenter aujourd’hui, comme si rien ne s’était jamais passé.

 

27/05/2023

GREG GRANDIN
Henry Kissinger, un criminel de guerre, est toujours en liberté à 100 ans

Greg Grandin, The Nation, 15/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Greg Grandin (1962), membre du comité de rédaction de The Nation, est un historien usaméricain, professeur d’histoire à l’université de Yale et auteur de nombreux ouvrages. Il a notamment écrit Kissinger’s Shadow: The Long Reach of America’s Most Controversial Statesman (Metropolitan Books, 2015) et The End of the Myth : From the Frontier to the Border Wall in the Mind of America (Metropolitan Books, 2019), qui a reçu le prix Pulitzer 2020 pour la non-fiction générale.

Nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les crimes qu’il a commis quand il était en fonction, qu’il s’agisse d’aider Nixon à faire échouer les négociations de paix de Paris et à prolonger la guerre du Viêt Nam, ou de donner son feu vert à l’invasion du Cambodge et au coup d’État de Pinochet au Chili. Mais nous savons peu de choses sur les quatre décennies qu’il a passées au sein de Kissinger Associates.

Henry Kissinger aurait dû tomber avec les autres : Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [les plombiers du Watergate, NdT] et Nixon. Ses empreintes digitales étaient partout dans le Watergate. Pourtant, il a survécu, en grande partie en jouant sur la presse.


Illustration de Steve Brodner

Jusqu’en 1968, Kissinger avait été un républicain de Nelson Rockefeller, bien qu’il ait également été conseiller au département d’État dans l’administration Johnson. Selon les journalistes Marvin et Bernard Kalb, Kissinger a été stupéfait par la défaite de Richard Nixon face à Rockefeller lors des primaires. « Il a pleuré », écrivent-ils. Kissinger pensait que Nixon était « le plus dangereux de tous les hommes en lice à avoir comme président ».

Kissinger n’a pas tardé à ouvrir une voie détournée vers l’entourage de Nixon, en proposant d’utiliser ses contacts à la Maison Blanche de Johnson pour divulguer des informations sur les pourparlers de paix avec le Nord-Vietnam. Encore professeur à Harvard, il traite directement avec le conseiller en politique étrangère de Nixon, Richard V. Allen, qui, dans une interview accordée au Miller Center de l’université de Virginie, déclare que Kissinger, « de son propre chef », a proposé de transmettre des informations qu’il avait reçues d’un assistant qui participait aux pourparlers de paix. Allen a décrit Kissinger comme agissant de manière très discrète, l’appelant depuis des téléphones publics et parlant en allemand pour rendre compte de ce qui s’était passé pendant les pourparlers.

Fin octobre, Kissinger déclare à la campagne de Nixon : « Ils sabrent le champagne à Paris ». Quelques heures plus tard, le président Johnson suspend les bombardements. Un accord de paix aurait pu permettre à Hubert Humphrey, qui se rapprochait de Nixon dans les sondages, de prendre le dessus. Les collaborateurs de Nixon ont réagi rapidement en incitant les Sud-Vietnamiens à faire échouer les pourparlers.

Grâce aux écoutes téléphoniques et aux interceptions, le président Johnson a appris que la campagne de Nixon disait aux Sud-Vietnamiens de « tenir jusqu’après les élections ». Si la Maison-Blanche avait rendu cette informationpublique, l’indignation aurait pu faire basculer l’élection en faveur de Humphrey. Mais Johnson hésite. « C’est de la trahison  », a-t-il déclaré, cité dans l’excellent ouvrage de Ken Hughes, Chasing Shadows : The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate. « Ça ébranlerait le monde ».

Johnson a gardé le silence. Nixon a gagné. La guerre a continué.

Cette surprise d’octobre a donné le coup d’envoi d’une série d’événements qui allaient conduire à la chute de Nixon.

Kissinger, qui a été nommé conseiller à la sécurité nationale, conseille à Nixon d’ordonner le bombardement du Cambodge afin de faire pression sur Hanoi pour qu’il revienne à la table des négociations. Nixon et Kissinger étaient prêts à tout pour reprendre les pourparlers qu’ils avaient contribué à saboter, et leur désespoir s’est manifesté par la férocité. L’un des collaborateurs de Kissinger se souvient que le mot “sauvage” a été utilisé à maintes reprises lors des discussions sur les mesures à prendre en Asie du Sud-Est. Le bombardement du Cambodge (un pays avec lequel les USA n’étaient pas en guerre), qui allait finir par briser le pays et conduire à la montée des Khmers rouges, était illégal. Il fallait donc le faire en secret. La pression exercée pour garder le secret a fait naître la paranoïa au sein de l’administration, ce qui a conduit Kissinger et Nixon à demander à J. Edgar Hoover de mettre sur écoute les téléphones des fonctionnaires de l’administration. La fuite des Pentagon Papers de Daniel Ellsberg a fait paniquer Kissinger. Il craignait qu’Ellsberg, ayant accès aux documents, puisse également savoir ce que Kissinger combinait au Cambodge.

Le lundi 14 juin 1971, le lendemain de la publication par le New York Times de son premier article sur les Pentagon Papers, Kissinger a explosé en s’écriant : « Ça va totalement détruire la crédibilité américaine pour toujours.... Ça détruira notre capacité à mener une politique étrangère en toute confiance.... Aucun gouvernement étranger ne nous fera plus jamais confiance ».

« Sans la stimulation d’Henry », écrit John Ehrlichman dans ses mémoires, Témoin du pouvoir, « le président et le reste d’entre nous auraient pu conclure que les documents étaient le problème de Lyndon Johnson, et non le nôtre ». Kissinger « a attisé la flamme de Richard Nixon ».

Pourquoi ? Kissinger venait d’entamer des négociations avec la Chine pour rétablir les relations et craignait que le scandale ne sabote ces pourparlers.

Pour attiser les rancœurs de Nixon, il a dépeint Ellsberg comme un homme intelligent, subversif, aux mœurs légères, pervers et privilégié : « Il a épousé une fille très riche », a dit Kissinger à Nixon.

« Ils ont commencé à s’exciter l’un l’autre », se souvient Bob Haldeman (cité dans la biographie de Kissinger par Walter Isaacson), « jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux dans un état de frénésie ».

Un artiste du subterfuge : Bien que le Watergate ait été autant son œuvre que celle de Nixon, Kissinger s’en est sorti indemne grâce à ses admirateurs dans les médias. Ici, avec Lê Đức Thọ, le dirigeant du FNL du Sud-Vietnam, avec lequel il a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1973. Lê Đức Thọ a refusé le prix, et Mister K. ne l'a jamais réceptionné. (Photo Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg s’en sort indemne, dit Kissinger à Nixon, « Cela montrera que vous êtes un faible, Monsieur le Président », ce qui incite Nixon à créer les Plombiers, l’unité clandestine qui a procédé à des écoutes et à des cambriolages, y compris au siège du Comité national démocrate dans le complexe du Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward et Carl Bernstein ont tous publié des articles accusant Kissinger d’être à l’origine de la première série d’écoutes téléphoniques illégales mises en place par la Maison Blanche au printemps 1969 pour garder le secret sur les bombardements du Cambodge.

Atterrissant en Autriche en route pour le Moyen-Orient en juin 1974 et découvrant que la presse avait publié davantage d’articles et d’éditoriaux peu flatteurs à son sujet, Kissinger a tenu une conférence de presse impromptue et a menacé de démissionner. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agissait là d’un coup d’éclat. « Lorsque l’histoire sera écrite », a-t-il déclaré, apparemment au bord des larmes, « on se souviendra peut-être que certaines vies ont été sauvées et que certaines mères peuvent dormir plus tranquilles, mais je laisse cela à l’histoire. Ce que je ne laisserai pas à l’histoire, c’est une discussion sur mon honneur public ».

La manœuvre a fonctionné. Il « semblait totalement authentique », s’extasie le New York Magazine. Comme s’ils reculaient devant leur propre acharnement à dénoncer les crimes de Nixon, les journalistes et les présentateurs de journaux télévisés se sont ralliés à Kissinger. Alors que le reste de la Maison Blanche se révèle être une bande de voyous à deux balles, Kissinger reste quelqu’un en qui l’Amérique peut croire. « Nous étions à moitié convaincus que rien ne dépassait les capacités de cet homme remarquable », a déclaré Ted Koppel, d’ABC News, dans un documentaire de 1974, décrivant Kissinger comme « l’homme le plus admiré d’Amérique ». Il était, ajoutait Koppel, « le meilleur atout que nous ayons eu ».

Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les autres crimes de Kissinger, sur les immenses souffrances qu’il a causées pendant les années où il a occupé des fonctions publiques. Il a donné son feu vert à des coups d’État et permis des génocides. Il a dit aux dictateurs de tuer et de torturer rapidement, a vendu les Kurdes et a dirigé l’opération bâclée d’enlèvement du général chilien René Schneider (dans l’espoir de faire échouer l’investiture du président Salvador Allende), qui s’est soldée par l’assassinat de Schneider. Après le Vietnam, il s’est tourné vers le Moyen-Orient, laissant cette région dans le chaos, ouvrant la voie à des crises qui continuent d’affliger l’humanité.

En revanche, nous savons peu de choses sur ce qui s’est passé plus tard, au cours de ses quatre décennies de travail avec Kissinger Associates. La « liste des clients » de la société est l’un des documents les plus recherchés à Washington depuis au moins 1989, lorsque le sénateur Jesse Helms a demandé en vain à la voir avant d’envisager de confirmer Lawrence Eagleburger (un protégé de Kissinger et un employé de Kissinger Associates) au poste de secrétaire d’État adjoint. Plus tard, Kissinger a démissionné de son poste de président de la Commission du 11 septembre plutôt que de soumettre la liste à l’examen du public.

Kissinger Associates a été l’un des premiers acteurs de la vague de privatisations qui a suivi la fin de la guerre froide dans l’ex-Union soviétique, en Europe de l’Est et en Amérique latine, contribuant à la création d’une nouvelle classe oligarchique internationale. Kissinger avait utilisé les contacts qu’il avait noués en tant que fonctionnaire pour fonder l’une des entreprises les plus lucratives au monde. Puis, ayant échappé à la bavure du Watergate, il a utilisé sa réputation de sage de la politique étrangère pour influencer le débat public - au profit, on peut le supposer, de ses clients. Kissinger a été un ardent défenseur des deux guerres du Golfe, et il a travaillé en étroite collaboration avec le président Clinton pour faire passer l’ALENA au Congrès.

L’entreprise a également profité des politiques mises en place par Kissinger. En 1975, en tant que secrétaire d’État, Kissinger a aidé Union Carbide à installer son usine chimique à Bhopal, en travaillant avec le gouvernement indien et en obtenant des fonds des USA. Après la catastrophe provoquée par la fuite de produits chimiques de l’usine en 1984, Kissinger Associates a représenté Union Carbide, négociant un règlement à l’amiable dérisoire pour les victimes de la fuite, qui a causé près de 4 000 décès immédiats et exposé un demi-million d’autres personnes à des gaz toxiques.

Il y a quelques années, la donation par Kissinger de ses documents publics à Yale a fait grand bruit. Mais nous ne connaîtrons jamais la plupart des activités de son entreprise en Russie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient et ailleurs. Il emportera ces secrets dans la tombe. [il n’est donc pas immortel ?, NdT]


 

 

21/02/2023

THOMAS ROGERS
Le colonialisme allemand en Afrique : un passé qui ne passe pas

Thomas Rogers, The New York Review of Books, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Thomas Rogers est un journaliste germano-canadien indépendant vivant à Berlin. Ses reportages sur l’Allemagne ont été publiés entre autres dans le New York Times, Rolling Stone et Bloomberg Businessweek. @thomasmaxrogers

 

Les populations de l’Afrique autrefois occupée par l’Allemagne exigent des réparations pour la violence coloniale qui marque toujours la région à ce jour.

Des membres des communautés herero et nama participant à la marche annuelle de réparation, au départ du mémorial du camp de concentration de Swakopmund, en hommage aux victimes de la violence coloniale allemande, Swakopmund, Namibie, mars 2019. Photo Christian Ender/Getty Images

 Le 28 mai 2021, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a tenu une conférence de presse à Berlin pour annoncer ce qui était censé être une percée importante dans les tentatives du pays de régler son passé colonial. Maas s’est dit “heureux et reconnaissant” qu’après cinq ans de pourparlers, les négociateurs allemands et namibiens aient approuvé un “accord de réconciliation” sur les atrocités commises par les Allemands pendant la période coloniale. « À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, a-t-il dit, nous demanderons pardon à la Namibie et aux descendants des victimes ».

Entre les années 1880 et 1919, l’Allemagne a contrôlé ce qui est aujourd’hui le Togo, le Burundi, le Cameroun, la Namibie et le Rwanda, entre autres territoires africains, ainsi qu’une partie de ce qui est aujourd’hui la Papouasie-Nouvelle-Guinée et plusieurs îles du Pacifique occidental. Même selon les normes du colonialisme européen, les actions de l’Allemagne en Namibie - alors appelée Afrique du Sud-Ouest allemande - se distinguent par leur brutalité. Entre 1904 et 1908, des fonctionnaires et des soldats allemands ont tué des dizaines de milliers de Hereros (aujourd’hui souvent appelés Ovaherero) et des milliers de Namas dans une campagne d’extermination largement reconnue comme le premier génocide du XXe siècle.

L’Allemagne a longtemps évité de rendre des comptes pour ses actions en Namibie. Lorsque le chancelier Helmut Kohl s’est rendu dans le pays en 1995, il a refusé de rencontrer des représentants des Hereros, et lorsque le président Roman Herzog s’est rendu dans le pays en 1998, il a nié l’existence de motifs judiciaires justifiant des réparations. Le Bundestag n’a jamais reconnu officiellement les massacres comme un génocide. Mais l’annonce de Maas visait à signaler que l’Allemagne assumait enfin ses responsabilités historiques et incluait la promesse qu’elle verserait, « dans un geste de reconnaissance des souffrances incommensurables infligées aux victimes », 1,1 milliard d’euros  d’aide allouée à la reconstruction et au développement au cours des trente prochaines années.

Dans les semaines qui suivirent, cependant, toute bonne volonté résultant de cette annonce s’effrita. Les principaux groupes représentant les descendants des victimes ont fait valoir qu’ils avaient été injustement écartés des négociations, notamment en raison du refus de l’Allemagne d’inclure quiconque en dehors du gouvernement namibien. Beaucoup ont également dénoncé le paiement comme une compensation inadéquate pour une injustice aussi horrible, étant donné que le montant était simplement équivalent à l’aide étrangère que l’Allemagne a accordée à la Namibie depuis 1989, et ont exprimé leur indignation quant au fait que l’accord omettait le mot “réparations”. Le projet du président allemand Frank-Walter Steinmeier de se rendre à Windhoek, la capitale namibienne, pour demander officiellement pardon a été annulé après que des groupes hereros et namas ont menacé d’organiser une manifestation.

Henny Seibeb, chef adjoint du Landless People’s Movement de Namibie, un parti d’opposition représentant les groupes qui ont perdu des terres sous le colonialisme, m’a dit par téléphone l’année dernière qu’il considérait le montant proposé comme une “pure plaisanterie” qui ne reflétait pas la profondeur de l’injustice. Paul Thomas, l’un des dirigeants du comité technique sur le génocide des Namas, m’a dit :

À ce jour, nous sommes toujours sans terre et dans la pauvreté à cause de ce qui s’est passé il y a 115 ans. Mon arrière-grand-père a été décapité, certains de ses concitoyens ont été placés dans des camps de concentration et ont travaillé jusqu’à la mort. Il n’y a rien pour nous dans cet accord. Il est vide.

 

D’autres ont souligné une discordance qui a plané sur les négociations : bien que l’Allemagne ait refusé de tenir des pourparlers directs avec les représentants des Hereros et des Namas, elle a versé depuis 1952 plus de 90 milliards de dollars d’indemnisation aux victimes de l’Holocauste, en partie grâce à un accord négocié avec la Claims Conference, une ONG représentant les Juifs du monde entier. En juin 2021, le chef suprême ovaherero, Vekuii Rukoro, a déclaré dans une interview télévisée que l’Allemagne était prête à négocier avec la Claims Conference mais pas avec les Hereros et les Namas « parce qu’ils étaient des Européens blancs et que nous sommes des Africains noirs ».

Les Allemands sont arrivés pour la première fois dans ce qui est devenu l’Afrique du Sud-Ouest allemande en 1883 avec l’intention d’y établir un comptoir commercial. Un an plus tard, les commerçants ont contribué à convaincre le chancelier Otto von Bismarck de faire de ce territoire un protectorat allemand. Bismarck avait longtemps résisté aux appels du public et de ses rivaux politiques à établir un empire outre-mer. Les raisons de son changement d’avis font encore l’objet de débats, mais il a été en partie influencé par des rapports faisant état de gisements de diamants potentiels dans la région et par l’espoir, finalement faux, que des marchands privés supporteraient une grande partie du fardeau financier.

À l’époque, le territoire comptait entre 200 000 et 250 000 habitants, dont environ 80 000 membres de l’ethnie herero, qui vivaient avec de grands troupeaux de bétail. Les autres groupes comprenaient les Namas, les Ovambos, les Damaras, les Sans et les Basters. La zone fertile du territoire était bordée à l’ouest par le désert de Namibie et l’océan Atlantique, et au nord-est par l’Omaheke, une étendue de désert presque sans eau qui s’étend jusqu’au Botswana.

Lorsque les colons et les administrateurs allemands sont arrivés dans la région, ils ont trompé les Africains pour leur acheter de grandes parcelles de terre, les ont maltraités et ont humilié leurs chefs. Dans certains cas, ils ont également encouragé l’animosité entre les groupes locaux. Lorsque les Africains se sont défendus, Berlin a envoyé davantage de troupes. En janvier 1904, le conflit entre les Hereros et les Allemands s’est aggravé, conduisant les Hereros à lancer une offensive pour reprendre leur territoire. Plus d’une centaine d’Allemands ont été tués ; en réponse, Berlin a envoyé le général Lothar von Trotha, un vétéran de la rébellion des Boxers en Chine obsédé par l’idée de “guerre raciale”, pour prendre la tête de la colonie.

L'ordre d'extermination du général von Trotha (unique copie conservée au Botswana) : 


 Le conflit, connu sous le nom de Guerre des Hereros et des Namas, devint le prétexte d’atrocités généralisées. En août 1904, Trotha a attaqué environ 50 000 hommes, femmes et enfants hereros sur le plateau du Waterberg, dans le nord du territoire. Lorsque les survivants tentent de s’enfuir dans le désert d’Omaheke, les Allemands établissent un périmètre pour les encercler, occupent les puits d’eau et ordonnent de tuer tous ceux qui tentent de fuir le désert. En octobre, Trotha a publié une proclamation désormais célèbre appelant à l’extermination des Hereros :

Les Hereros ont cessé d’être des sujets allemands.....

Le peuple herero doit quitter ce pays. S’ils ne le font pas, je les obligerai à le faire avec le Grand Canon.

À l’intérieur des frontières du territoire allemand, tout Herero, avec ou sans arme à feu, avec ou sans bétail, sera abattu ; je ne donnerai plus refuge aux femmes et aux enfants. Je les repousserai vers leur peuple ou les ferai tirer dessus.

Un officier allemand, Ludwig von Estorff, a décrit dans son journal intime des “scènes terribles” alors que les Hereros fuyaient d’un point d’eau à l’autre « en perdant presque tout leur bétail et de très nombreuses personnes ». Certains Hereros égorgeaient leurs animaux et buvaient leur sang pour ne pas mourir de soif.

Pendant la guerre, les Allemands ont créé des camps de concentration destinés à fournir de la main-d’œuvre aux entreprises allemandes, mais les conditions y étaient si horribles que peu de prisonniers étaient en mesure de travailler. De nombreux Namas, qui avaient lancé une guérilla contre les Allemands, ont également été confinés dans les camps.



 Dans un camp situé sur Shark Island [l’Île aux requins], un affleurement rocheux et exposé de la côte atlantique, les prisonniers ne reçoivent pratiquement aucun vêtement, aucune nourriture et aucun abri. Berthold von Deimling, le commandant de la région sud du protectorat, déclara que tant qu’il serait aux commandes, “aucun Hottentot” - terme péjoratif pour désigner les Namas – “ne serait autorisé à quitter Shark Island vivant”. Entre septembre 1906 et mars 1907, 1 032 des 1 795 prisonniers du camp sont morts. Le nombre exact de victimes du génocide reste incertain, mais lorsque les prisonniers ont été autorisés à sortir des camps en 1908, jusqu’à 100 000 Hereros et environ 10 000 Namas avaient péri.

Après le génocide, les autorités allemandes ont exproprié la quasi-totalité du territoire des Africains et les ont forcés à rejoindre un marché du travail “semi-libre” dans lequel ils n’avaient guère d’autre choix que de travailler pour les propriétaires terriens allemands. Ceux qui refusaient étaient affectés de force à un employeur, et chaque Africain âgé de plus de sept ans était tenu de porter en permanence “un disque métallique à porter visiblement” et de le présenter sur demande à la police ou à “toute personne blanche”. Les mariages entre Africains et Allemands étaient interdits. Il était également interdit aux Africains de marcher sur les trottoirs et de monter à cheval, et tous les Africains étaient tenus de saluer les Allemands qui passaient. En 1921, le traité de Versailles a transféré la colonie à l’Afrique du Sud, qui a ensuite imposé le système d’apartheid sur le territoire.

Bien que la publication de Morenga (1978), un roman anticolonial à succès d’Uwe Timm, adapté par la suite en une mini-série populaire en trois parties, ait brièvement fait entrer l’Afrique du Sud-Ouest dans la conscience ouest-allemande, elle est restée éclipsée par les crimes des nazis et le traumatisme de la division nationale d’après-guerre. Même après la réunification allemande et l’indépendance de la Namibie vis-à-vis de l’Afrique du Sud en 1990, de nombreux Allemands n’étaient que vaguement conscients des atrocités commises en Afrique du Sud-Ouest ou s’imaginaient que le projet colonial allemand était plus éclairé que ceux de la Grande-Bretagne, de la France et de la Belgique.

Cette situation a commencé à changer au début des années 80, en grande partie grâce à la pression des groupes hereros et namas. Ces deux peuples sont peu représentés dans le gouvernement de la Namibie depuis l’indépendance. La South West Africa People’s Organisation (SWAPO) a dominé toutes les élections depuis 1990, en grande partie grâce au soutien des Ovambos. (Lors de l’élection la plus récente, en 2019, le parti a remporté soixante-trois des quatre-vingt-seize sièges du Parlement). Et malgré les programmes de redistribution de la Namibie, une quantité disproportionnée de terres appartient toujours à une petite minorité blanche. En 2003, la Herero People’s Reparations Corporation a intenté une action en justice devant le tribunal du district de Columbia (USA) pour demander des réparations à l’Allemagne - une procédure rendue possible par l’Alien Tort Statute [compétence universelle pour juger des crimes commis par des étrangers contre des étrangers en dehors des USA, NdT] des USA, qui permet aux étrangers de demander réparation pour des violations internationales des droits humains. Le gouvernement allemand a fait valoir qu’il était à l’abri de telles demandes parce que la convention des Nations unies sur le génocide de 1948 ne pouvait pas être appliquée rétroactivement. Bien que la plainte ait finalement été rejetée, elle a permis d’ouvrir la porte à des négociations.

Entre-temps, plusieurs universitaires - dont Joachim Zeller, Henning Melber, Isabel Hull, et surtout Jürgen Zimmerer, professeur d’histoire à l’université de Hambourg - ont commencé à attirer l’attention sur les crimes coloniaux de l’Allemagne. En 2001, Zimmerer a publié Deutsche Herrschaft über Afrikaner (German Rule, African Subjects), apparemment le premier livre approfondi sur les politiques de l’Afrique du Sud-Ouest allemande.

 Il se concentre sur les tentatives des autorités allemandes de créer un “État racial” utopique dans la colonie. Bien que le livre soit peut-être trop détaillé pour un lectorat général, il a été décisif pour dissiper ce que Zimmerer décrit comme le “brouillard” d’amnésie autour du colonialisme allemand.

Ce brouillard s’est encore levé au cours de la dernière décennie. En 2016, le Musée historique allemand de Berlin, le plus grand et le plus important musée d’histoire allemande, a accueilli la première grande exposition du pays sur sa période coloniale. L’achèvement maintes fois retardé du Humboldt Forum - un musée abritant des objets ethnologiques dans une reconstruction du palais berlinois des Hohenzollern - a également attiré l’attention sur l’histoire coloniale allemande. Alors que les protestations contre les inégalités raciales se multipliaient à l’étranger et en Allemagne, des militants et des universitaires ont fait valoir que les responsables du forum n’avaient pas fait suffisamment d’efforts pour enquêter sur la provenance de nombre de ses artefacts. En conséquence, de véritables changements sont intervenus dans la politique culturelle. L’été dernier, l’Allemagne a signé un accord inédit avec le Nigeria pour le rapatriement de tous ses Bronzes du Bénin, des sculptures pillées par les troupes britanniques en 1897 qui ont ensuite été vendues ou données à un certain nombre de musées européens et usaméricains. La ministre d’État à la Culture, Claudia Roth, a annoncé au début de l’année 2022 qu’elle envisageait des restitutions plus étendues, ajoutant que les crimes de l’ère coloniale constituaient « une tache blanche dans la culture mémorielle ».

Les efforts pour trouver un terrain d’entente avec les Hereros et les Namas restent plus délicats. Fin 2021, le nouveau gouvernement allemand dirigé par le social-démocrate Olaf Scholz a présenté un accord de coalition avec les Verts et les libéraux-démocrates (FDP), dans lequel il a fait de vagues promesses de commander des études indépendantes sur le colonialisme allemand et de commencer à développer un « site d’apprentissage et de mémoire du colonialisme ». Il a également promis de « faire avancer la recherche sur l’histoire coloniale » et de pousser à la “réconciliation” avec la Namibie.

Cela ne sera pas facile. Le gouvernement namibien a fait marche arrière sur son projet de ratifier l’accord de réconciliation et a demandé qu’il soit renégocié, et le gouvernement allemand a jusqu’à présent rejeté les appels à la réouverture des discussions. Ces discussions constitueraient un test pour la ministre verte des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a promis de mener une politique étrangère conforme aux principes progressistes, écologistes et féministes de son parti [vis-à-vis de l’Ukraine, par exemple ? NdT].

De nouveaux pourparlers devraient vraisemblablement impliquer directement les Hereros et les Namas et leurs diasporas, qui sont susceptibles d’exiger que tout paiement soit officiellement reconnu comme des réparations. Une telle concession, cependant, serait probablement rejetée par les négociateurs allemands, car elle pourrait ouvrir l’Allemagne à des revendications similaires de la part de la Grèce et de l’Italie, qui demandent une compensation pour les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle renforcerait également les actions en justice d’autres anciennes colonies contre les puissances européennes et pourrait donner lieu à une nouvelle vague de poursuites.

Le débat sur la réconciliation a été compliqué par d’autres événements. Au printemps 2020, un étrange conflit a éclaté à la suite de la décision de la Triennale de la Ruhr, un festival artistique de l’ouest de l’Allemagne, d’inviter l’universitaire camerounais Achille Mbembe à donner une conférence. Après qu’un politicien local a cité des passages de l’œuvre de Mbembe hors de leur contexte - ils établissaient des parallèles entre l’Holocauste et l’apartheid sud-africain et critiquaient les actions d’Israël en Palestine - le commissaire fédéral allemand à l’antisémitisme, Felix Klein, a déclaré que de telles comparaisons entre la Shoah et d’autres événements historiques représentaient un « modèle antisémite reconnaissable » et a demandé que Mbembe soit désinvité.

Bien que le festival ait finalement été annulé à cause du Covid-19, l’intervention de Klein a indigné de nombreux membres de la gauche qui estimaient que Mbembe et d’autres devaient être autorisés à suggérer des liens entre les crimes coloniaux et l’Holocauste. Les dirigeants de plus de trente institutions culturelles, dont le Deutsches Theater de Berlin et le Moses Mendelssohn Zentrum für europäisch-jüdische Studien de Potsdam, ont signé une lettre affirmant que « la responsabilité historique de l’Allemagne ne doit pas conduire à une délégitimation morale ou politique générale d’autres expériences historiques de violence et d’oppression ».

Depuis, journalistes et historiens se disputent à ce sujet dans les médias allemands. Le débat rappelle l’Historikerstreit, la “Querelle des historiens”, des années 1980, qui a éclaté après que l’historien Ernst Nolte a soutenu que l’Allemagne ne portait pas une charge exceptionnelle de culpabilité pour l’Holocauste, puisque des massacres avaient eu lieu auparavant - notamment en Union soviétique - et qu’ils n’étaient pas historiquement uniques. De nombreux chercheurs n’étaient pas d’accord : Jürgen Habermas a affirmé que de telles comparaisons minimisaient la responsabilité allemande et que l’Holocauste devait être considéré comme un événement historique unique. Le point de vue de Habermas est finalement devenu la pierre angulaire de l’approche allemande de la culture mémorielle.

Dans le cadre de ce que l’on appelle le Historikerstreit 2.0, Zimmerer - qui est le chercheur le plus connu à avoir étudié les liens entre l’Afrique du Sud-Ouest allemande et le Troisième Reich - est l’un des nombreux historiens à plaider en faveur d’une vision comparative. Il précise qu’il ne croit pas que le génocide des Hereros et des Namas ait été une répétition de l’Holocauste ou que les deux soient équivalents en termes d’échelle ou de motivation. Mais il soutient qu’en examinant les parallèles entre les deux, on peut parvenir à une vision plus précise des forces qui régissent l’histoire allemande et mondiale :

Pour l’histoire allemande, le génocide en Afrique du Sud-Ouest est significatif à deux égards. D’une part, il a montré l’existence de fantasmes génocidaires de violence (et les actions qui ont suivi) dans l’armée et l’administration allemandes dès le début du XXe siècle, et d’autre part, il a popularisé cette violence, contribuant ainsi à sa légitimation.

Zimmerer écrit que « les expériences coloniales représentent un réservoir culturel de pratiques culturelles dont pouvaient se prévaloir les personnes au service des nationaux-socialistes ». Dans les années 1920 et 1930, l’Afrique du Sud-Ouest allemande a été romancée dans les monuments commémoratifs publics, les programmes scolaires, les films et les livres, y compris un genre populaire connu sous le nom de “Kolonialliuteratur”. Jusqu’en 1945, le livre le plus vendu pour les jeunes lecteurs en Allemagne était Le Voyage de Peter Moor au Sud-Ouest, de Gustav Franssen qui raconte l’histoire d’un jeune homme qui se porte volontaire comme soldat dans la colonie allemande et participe héroïquement à la campagne contre les Hereros et les Namas. Zimmerer affirme que ces influences culturelles ont contribué à renforcer le soutien aux politiques nazies fondées sur la différence raciale et l’antisémitisme.

Il note que les géographes affiliés à l’université Friedrich-Wilhelm de Berlin (aujourd’hui Université Humboldt) ont participé à la conception de la politique coloniale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et ont encouragé les politiques expansionnistes qui ont conduit à l’occupation de l’Europe de l’Est sous le Troisième Reich. Les anthropologues qui devinrent plus tard les principaux partisans de la “biologie raciale” dans l’Allemagne nazie furent influencés par les recherches menées dans les colonies allemandes en Afrique. Certains des règlements imposés pendant l’occupation nazie de la Pologne - interdiction pour les Polonais de faire du vélo et d’entrer dans les salles de cinéma, obligation pour tous les Polonais de saluer les Allemands de passage - faisaient écho à des politiques précédemment instituées en Afrique du Sud-Ouest.

Zimmerer affirme également que « l’interprétation biologique de l’histoire du monde - la conviction qu’un Volk a besoin de s’assurer un espace pour survivre [le fameux Lebensraum, NdT] - est l’un des parallèles fondamentaux entre le colonialisme et la politique d’expansion nazie » en Europe de l’Est. Le Generalplan Ost (“schéma directeur pour l’Est”] d’Hitler prévoyait qu’une grande partie de l’Europe centrale et orientale ainsi que l’Union soviétique soient vidées de leurs habitants et colonisées par des fermiers allemands. Un effort particulier devait être fait pour recruter des colons ayant vécu auparavant dans les colonies africaines. En 1941, Hitler a déclaré à propos de l’Ukraine : « Le territoire russe est notre Inde, et comme les Anglais la gouvernent avec une poignée de personnes, nous gouvernerons notre territoire colonial ».

En 2021, dans Die Zeit, Zimmerer et l’universitaire usaméricain Michael Rothberg ont souligné que « l’interdiction de toute comparaison et contextualisation conduit à exciser la Shoah de l’histoire ».

 Une telle interdiction saperait les tentatives de tirer des enseignements de l’histoire : si un événement singulier ne peut se produire qu’une seule fois, il n’y a pas lieu de s’inquiéter qu’il se reproduise.

Certains ont affirmé que les partisans de la vision comparative déforment la nature idéologique de l’Holocauste et ignorent l’histoire particulière de l’antisémitisme en Europe. L’historien Saul Friedländer écrit :

Ce n’est pas une question de croyance que de savoir si l’Holocauste doit être considéré comme singulier ou non, car il ne se différencie pas seulement par des aspects individuels des autres crimes historiques, mais à un niveau fondamental..... L’antisémitisme nazi ne visait pas seulement à éradiquer les Juifs en tant qu’individus (d’abord par l’expulsion, puis par l’extermination) mais aussi à effacer toute trace du “Juif”.

À d’autres moments, le débat a fait appel à des arguments de type épouvantail, certains commentateurs affirmant à tort que les spécialistes du postcolonialisme veulent assimiler l’Holocauste aux crimes coloniaux. Parfois, il est devenu une cheval de bataille par procuration pour l’adoption de vues usaméricaines progressistes sur la justice raciale. L’éditeur et journaliste Thomas Schmid a accusé Zimmerer de faire partie d’une tentative “dans l’air du temps”, importée des USA, de « positionner l’Holocauste derrière le colonialisme », ce qui « correspond à la culture contemporaine de suspicion générale à l’égard de l’homme blanc (et de la femme blanche) ».

"Des excuses tout de suite-N amibie - In memoriam Hereros  Namas Génocide allemand 1904-1908-Pas de prescription pour le génocide"

Le nouvel Historikerstreit est né d’une confluence de facteurs - le débat sur les réparations, la réaction contre le Forum Humboldt et, plus généralement, la montée en Allemagne d’un sens de l’histoire mondialisé, dans lequel les débats sur l’esclavage aux USA et le colonialisme au Royaume-Uni, par exemple, sont souvent transposés sur des expériences locales. Mais elle a également coïncidé avec un débat sur l’identité allemande et la manière de concilier l’image de soi de l’Allemagne d’après-guerre, largement centrée sur l’expiation et la culpabilité pour l’Holocauste, avec son statut moderne de pays défini par l’immigration.

Au cours des dix dernières années, la proportion de résidents allemands immigrés ou ayant des parents immigrés est passée d’environ 19 % à 27 %. Beaucoup de ces nouveaux arrivants viennent de pays qui ont été colonisés par les puissances européennes. Des militants ont fait pression pour que l’identité allemande soit élargie afin d’accueillir des immigrants d’Afrique ou du Moyen-Orient, par exemple, en faisant valoir que leur plus grand traumatisme historique est le colonialisme, et non la Seconde Guerre mondiale.

Dans un commentaire sur le Historikerstreit 2.0 de la Neue Zürcher Zeitung, le journaliste Thomas Ribi a écrit que la culture mémorielle allemande ne devait pas changer pour accueillir ces nouveaux arrivants, car les immigrants ont été à l’origine d’une nouvelle vague de violence contre les Juifs : « L’immigration de ces dernières années a “enrichi” l’Allemagne d’une nouvelle forme d’antisémitisme, dérivée de l’islam ». Il est vrai que l’antisémitisme est un problème au sein de certaines communautés d’immigrés, en particulier celles du Moyen-Orient, mais les statistiques officielles suggèrent que la plupart des attaques antisémites en Allemagne sont le fait de membres de l’extrême droite teutonne. Il est clair que l’approche actuelle de la culture mémorielle allemande - et sa résistance à établir des liens entre l’Holocauste et le colonialisme - n’est pas non plus infaillible.

À l’automne 2021, Habermas s’est joint au débat. Dans Philosophie Magazin, il insiste sur le fait que la singularité de l’Holocauste ne signifie pas « que la compréhension de soi politique des citoyens d’une nation peut être gelée » et soutient que la transformation du pays au cours de la dernière décennie appelle une réévaluation de l’image de soi. Lorsqu’un immigrant arrive en Allemagne, écrit-il, il « acquiert en même temps la voix d’un concitoyen, qui compte désormais dans la sphère publique et peut changer et élargir notre culture politique ». L’imagination politique de l’Allemagne doit « se développer de telle sorte que les membres d’autres modes de vie culturels puissent s’y reconnaître avec leur héritage et, si nécessaire, aussi avec leur histoire de souffrance ».

"Une caisse de crânes herero a récemment été emballée par les troupes en Afrique du Sud-Ouest allemande et envoyée à l'Institut de pathologie de Berlin, où ils seront utilisés pour des mesures scientifiques. Les crânes, qui ont été débarrassés de leur chair par des femmes herero à l'aide de morceaux de verre et rendus expédiables, proviennent de Hereros pendus ou tombés au combat". (Document de 1905-1906)

Le débat a souvent fonctionné selon l’hypothèse que la mémoire est à somme nulle et qu’une plus grande reconnaissance des crimes coloniaux dévaloriserait l’importance historique de l’Holocauste. Rothberg propose un point de vue alternatif dans Multidirectional Memory: Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization (Stanford University Press, 2009, fr. Mémoire multidirectionnelle. Repenser l'Holocauste à l'aune de la décolonisation, Petra 2018]), qui a aiguisé ce débat lors de sa publication en Allemagne en 2021. Il affirme que « l’Holocauste est souvent opposé aux histoires globales du racisme, de l’esclavage et du colonialisme dans un affreux concours de victimisation comparative », mais qu’il faut « considérer la mémoire comme multidirectionnelle : comme sujette à une négociation permanente, à des références croisées et à des emprunts ; comme productive et non privative ».

En 2021, Zimmerer et Rothberg ont soutenu dans Die Zeit que

La solution n’est peut-être pas le souvenir ritualisé et les invocations de l’incomparabilité globale de l’Holocauste, mais des idées qui explorent la place historique de l’Holocauste dans l’histoire mondiale et des questions sur les façons dont sa mémoire est maintenant entrelacée avec les événements mondiaux d’après-guerre.

Si telle était l’approche historique de la Shoah, écrivent-ils, « le résultat final n’est pas moins de responsabilité allemande, mais plus, non pas moins, mais plus de lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Cela ne devrait-il pas être l’objectif de toute discussion sur l’Holocauste et les crimes du national-socialisme ? »

Une telle approche permet également de présenter un récit plus cohérent de l’histoire allemande, dans lequel le Troisième Reich n’est pas considéré comme une anomalie malveillante, mais plutôt comme une convergence d’événements incluant le colonialisme. Réexaminer les liens entre le Troisième Reich, le génocide des Hereros et des Namas et d’autres crimes coloniaux revient à jeter une lumière plus critique sur un arc plus large de l’histoire allemande, y compris la période wilhelmienne (1871-1914). C’est comprendre que le colonialisme a eu des conséquences à long terme non seulement pour les colonisés mais aussi pour les colonisateurs.

Dans un essai paru en 2017 dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le romancier allemand Navid Kermani, né de parents iraniens, a évoqué avec émotion l’importance de la honte dans le développement de son sentiment d’appartenance nationale. La première fois qu’il s’est senti allemand, a-t-il écrit, c’était lors d’une visite à Auschwitz : « Quiconque est naturalisé allemand devra également porter le fardeau d’être allemand ». Il résume ensuite l’identité allemande en paraphrasant un rabbin polonais, Nahman de Bratslav : « Il n’y a rien de plus entier qu’un cœur brisé ». Le chemin de la connaissance de soi et de l’harmonie, en d’autres termes, doit passer par un sentiment de honte partagé.

À LA MÉMOIRE DES VICTIMES
DE LA DOMINATION COLONIALE ALLEMANDE
EN NAMIBIE 1884-1915
EN PARTICULIER DE LA GUERRE COLONIALE
DE 1904-1907

L'ASSEMBLÉE DU DISTRICT
ET
LA MAIRIE DE L'ARRONDISSEMENT DE NEUKÖLLN DE BERLIN

Seule une personne qui connaît le passé a un avenir” 
Wilhelm von Humboldt

Le seul mémorial de Berlin dédié aux victimes du génocide des Hereros et des Namas est situé dans un cimetière près de Tempelhof, un aéroport transformé en parc à la limite sud-est du centre-ville, et reste inconnu de la plupart des Berlinois. Dans un coin envahi par la végétation, les visiteurs peuvent trouver une pierre de granit de 1907 portant une inscription commémorant sept soldats allemands qui « ont volontairement combattu dans les campagnes du Sud-ouest africain et sont morts en héros ». En 2009, grâce à la pression des militants, une plaque noire a été installée sous cette inscription pour honorer les « victimes de la domination coloniale allemande en Namibie ». Elle ne comporte pas le mot “génocide”, mais elle porte en bas une citation de Wilhelm von Humboldt, philosophe prussien et réformateur de l’éducation : « Seule une personne qui connaît le passé a un avenir ».

NdT

D’autres monuments à la gloire du colonialisme allemand ont été "complétés" par des plaques exposant ses crimes, à Brême et à Göttingen, suite à des attaques et manifestations militantes.

 Illustrations ajoutées par Tlaxcala