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08/08/2024

YUVAL ABRAHAM
“Commandez sur Amazon” : Comment les géants de la technologie stockent des mégadonnées pour la guerre d’Israël

L’armée israélienne utilise le service de cloud (nuage) d’Amazon pour stocker des informations de surveillance sur la population de Gaza, tout en se procurant d’autres outils d’intelligence artificielle auprès de Google et de Microsoft à des fins militaires, révèle une enquête.

 

Yuval Abraham , +972 Magazine/Sikha Mekomit (Local Call), 4/8/2024

Traduit par Tlaxcala

 

Yuval Abraham (1995) est un journaliste indépendant, documentariste et traducteur arabe-hébreu israélien, co-réalisateur avec  Basel Adra, Hamdan Ballal et Rachel Szor du film No Other Land, qui a reçu le Prix du meilleur documentaire à la Berlinale 2024. @yuval_abraham

 

Le 10 juillet, la commandante du Centre d’informatique et des systèmes d’information de l’armée israélienne - qui assure le traitement des données pour l’ensemble de l’armée - s’est exprimée lors d’une conférence intitulée “IT for IDF” [TI pour les FDI]  à Rishon Lezion, près de Tel-Aviv. Dans son discours devant un public d’environ 100 militaires et industriels, dont +972 Magazine et Local Call ont obtenu un enregistrement, la colonelle Racheli Dembinsky a confirmé publiquement pour la première fois que l’armée israélienne utilise des services de stockage dans le nuage et d’intelligence artificielle fournis par des géants civils de la technologie dans son assaut actuel contre la bande de Gaza. Les logos d’Amazon Web Services (AWS), de Google Cloud et de Microsoft Azure apparaissent à deux reprises dans les diapositives de la conférence de Mme Dembinsky.

 


 

Le stockage en nuage est un moyen de conserver de grandes quantités de données numériques hors site, souvent sur des serveurs gérés par un fournisseur tiers. Mme Dembinsky a d’abord expliqué que son unité militaire, connue sous l’acronyme hébreu Mamram, utilisait déjà un “nuage opérationnel” hébergé sur des serveurs militaires internes, plutôt que sur des nuages publics gérés par des entreprises civiles. Elle a décrit ce nuage interne comme une “plateforme d’armes”, qui comprend des applications permettant de marquer des cibles pour les bombardements, un portail permettant de visionner des images en direct de drones survolant le ciel de Gaza, ainsi que des systèmes de mise à feu, de commandement et de contrôle.

 

Mais avec le début de l’invasion terrestre de Gaza par l’armée israélienne à la fin du mois d’octobre 2023, a-t-elle poursuivi, les systèmes militaires internes ont rapidement été surchargés en raison du nombre considérable de soldats et de personnel militaire qui ont été ajoutés à la plate-forme en tant qu’utilisateurs, causant des problèmes techniques qui menaçaient de ralentir les fonctions militaires d’Israël.


Metoo, I’m a killer”: La colonelle Racheli Dembinsky a succédé en 2023 à la générale Yaël Grossman, qui elle-même avait succédé à la colonelle Talya Gazit en 2020, à la tête du MAMRAM (Centre d’informatique et de systèmes d’information de l’armée israélienne)

 

La première tentative pour résoudre le problème, explique Dembinsky, a consisté à activer tous les serveurs de réserve disponibles dans les entrepôts de l’armée et à mettre en place un autre centre de données, mais cela n’a pas suffi. Ils ont alors décidé qu’ils devaient « sortir du cadre, se tourner vers le monde civil ». Selon elle, les services en nuage proposés par les grandes entreprises technologiques ont permis à l’armée d’acheter des serveurs de stockage et de traitement illimités en cliquant sur un bouton, sans obligation de stocker physiquement les serveurs dans les centres informatiques de l’armée.

 

14/05/2024

PÄUL BIGGAR
Meta et Lavender : comment l’armée israélienne a-t-elle accès aux données des utilisateurs de Whatsapp ?

Paul Biggar , 16/4/2024
Traduit par Tlaxcala

Un détail peu discuté dans l'article de Yuval Abraham sur +972 Mag, Lavender : La machine d’IA qui dirige les bombardements israéliens à Gaza, est qu'Israël tue des personnes sur la base de leur appartenance au même groupe Whatsapp [1] qu'un militant présumé [2]. D'où proviennent ces données ? WhatsApp les partage-t-il ?


Mark Zuckerberg. Photo : David Paul Morris/Bloomberg via Getty Images

Lavender est le système israélien de "pré-criminalité" [3] - ils utilisent l'IA pour deviner qui tuer à Gaza, puis les bombarder lorsqu'ils sont chez eux, avec toute leur famille. (De manière obscène, ils appellent ce programme « Where's Daddy ? » [Où est Papa ?]).

L'une des données fournies à l'IA est de savoir si vous faites partie d'un groupe WhatsApp avec un membre présumé du Hamas. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas : je fais partie de nombreux groupes WhatsApp avec des inconnus, des voisins, et dans le carnage de Gaza, il y a fort à parier que les gens créent des groupes pour se connecter.

Mais la partie sur laquelle je veux me concentrer est de savoir s'ils obtiennent ces informations de Meta. Meta a fait la promotion de WhatsApp en tant que réseau social « privé », y compris le cryptage « de bout en bout » des messages.

Le fait de fournir ces données à Lavender met à mal leur affirmation selon laquelle WhatsApp est une application de messagerie privée. C'est plus qu'obscène et rend Meta complice des assassinats par Israël de cibles « pré-criminelles » et de leurs familles, en violation du droit international humanitaire et de l'engagement publiquement déclaré de Meta en faveur des droits humains. Aucun réseau social ne devrait fournir ce type d'informations sur ses utilisateurs à des pays pratiquant la « pré-criminalité ».

Il est important de noter que Meta participe déjà largement au génocide mené par Israël et soutenu par les USA, notamment en supprimant de manière significative et bien documentée les contenus soutenant la liberté des Palestiniens, ainsi qu'en adoptant une nouvelle politique anti-“antisioniste” visant à étouffer toute dissidence concernant les crimes d'Israël [4].

Pourquoi Meta fait-il cela ? Pourquoi Meta est-il si heureux de partager avec Israël des métadonnées sur l'appartenance à un groupe - une façon de contourner l'idée d'un réseau social “privé”- et d'être complice du génocide ?

Examinons leurs dirigeants, en particulier les trois plus hauts responsables qui ont des liens étroits avec Israël.

Leur directeur de la sécurité de l'information, Guy Rosen, est leur principal décideur politique. Il est israélien, vit à Tel Aviv [5] et a fait partie de l'unité 8200 de l'armée israélienne. L'Unité 8200 est la NSA israélienne et c'est le département qui a construit et fait fonctionner Lavender. Des initiés m'ont dit que Rosen est la personne la plus associée aux politiques anti-“antisionisme [4], et qu'il est également responsable de la suppression des contenus palestiniens.

Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Meta, a également été un soutien important de la propagande israélienne. Zuckerberg a donné 125 000 dollars à Zaka, l'un des groupes qui a créé et continue de diffuser une grande partie de la propagande originale sur les fausses atrocités du 7 octobre, y compris le canular discrédité du « viol de masse du 7 octobre » [6].

Entre-temps, Sheryl Sandberg, ancienne directrice de l'exploitation et actuelle membre du conseil d'administration de Meta, a fait une tournée pour diffuser la même propagande discréditée [6]. Prétendant défendre les victimes de violences sexuelles, elle ignore en quelque sorte la longue histoire des viols israéliens de Palestinien·nes, en particulier dans les prisons israéliennes, où des milliers de prisonniers sont maintenus en “détention administrative pendant des mois sans procès ni représentation légale. Tous ces éléments démontrent que la tournée de Sandberg vise à diffuser la propagande israélienne, qui a été utilisée pour tuer plus de 33 000 Palestiniens, et non à protéger les femmes [7].

Cette alliance avec Israël de la part des plus hauts responsables de Meta - RSSI, PDG et membre du conseil d'administration - explique pourquoi l'armée israélienne est en mesure d'obtenir ces informations de WhatsApp, une application censée être “privée”.

Questions pour Meta

Pour que le monde entier puisse faire confiance aux déclarations de WhatsApp en matière de confidentialité et de sécurité, Meta doit répondre aux questions suivantes :

  • Meta a-t-elle fourni au gouvernement israélien des informations (y compris des intrants ou des données de formation) utilisées par Lavender, Gospel ou Where's Daddy ?
  • Comment Meta empêchera-t-il les gouvernements d'utiliser des informations privées pour tuer les utilisateurs de WhatsApp et leurs familles ?
  • Meta estime-t-il que les actions d'Israël à l'égard des civils de Gaza et de Lavender sont conformes à la politique de Meta en matière de droits humains ?
  • Si ce n'est pas le cas, pourquoi Meta n'a-t-elle pas révoqué tout accès au gouvernement israélien susceptible de mettre les civils en danger ?
  • Pourquoi Meta n'a-t-elle pas publié son rapport de transparence pour le second semestre 2023 ?
  • Dans quelle mesure les dirigeants de Meta, notamment le PDG Mark Zuckerberg et le RSSI Guy Rosen, étaient-ils au courant du partage des métadonnées de WhatsApp avec le gouvernement israélien et savaient-ils si elles allaient être utilisées à des fins militaires ?
  • Meta annulera-t-il immédiatement l'accès à toute information WhatsApp du gouvernement, de l'armée et des forces de répression d’Israël ?

Sans réponse à ces questions, il semble impossible de prendre au sérieux l'affirmation selon laquelle WhatsApp est une application de messagerie privée.

Notes

[1] Extrait de l'article de +972 :

« Ce guide contient plusieurs exemples de "centaines et de milliers" de caractéristiques susceptibles d’augmenter la cote d’un individu, comme le fait de faire partie d’un groupe Whatsapp avec un militant connu, de changer de téléphone portable tous les quelques mois et de changer fréquemment d’adresse. » 

[Cependant, je pense que “militant suggéré est une meilleure appellation, étant donné le manque total de preuves ou de vérifications qu'Israël utilise avant de bombarder toute leur famille.

[J'appelle cela de la pré-criminalité car il n'y a aucune preuve qu'un crime ou une violence ait été commis par la cible, ou que la cible ait pris part à la violence ou au soulèvement contre Israël [3b]. En fait, l'article de +972 indique clairement qu'il n'y a aucune tentative de trouver ou d'examiner des preuves, ni aucune diligence raisonnable pour prouver que la cible est une cible valable en vertu du droit humanitaire.

[3b] Il convient également de noter que le fait d'être membre du Hamas n'est pas illégal ni même répréhensible : l'occupation de Gaza par Israël est illégale au regard du droit international, et la résistance du Hamas contre les FDI est légale et morale. (Les violences commises par le Hamas le 7 octobre contre les civils sont bien sûr illégales et immorales, de la même manière que les violences commises par les FDI contre les civils avant et après le 7 octobre sont illégales et immorales).

[4] Voici les réflexions de Jewish Voice for Peace sur la politique antisioniste de Meta, via The Intercept :

« En tant qu'organisation juive antisioniste pour la liberté des Palestiniens, nous sommes horrifiés d'apprendre que Meta envisage de s'étendre alors qu'il traite le “sionisme” - une idéologie politique - de la même manière que “juif/juive” - une identité ethno-religieuse », a déclaré Dani Noble, un organisateur de Jewish Voice for Peace, l'un des groupes que Meta a contacté pour discuter de ce changement possible. Dani Noble a ajouté qu'un tel changement de politique « aura pour conséquence de protéger le gouvernement israélien de la responsabilité de ses politiques et de ses actions qui violent les droits humains des Palestiniens ».

[5] Je n'ai pas pu vérifier qu'il vit toujours à Tel-Aviv, mais il prétend l'avoir fait en 2022.

[6] L'un des plus grands éléments de la propagande israélienne qu'ils ont mis en avant sans relâche est celui de la violence sexuelle de masse le 7 octobre. Il s'agit d'une affirmation délibérée visant à déshumaniser les Palestiniens, ainsi que de nombreuses autres affirmations discréditées sur les atrocités du 7 octobre, afin de permettre le génocide de Gaza par Israël avec le soutien de l'Occident. Ils ont même organisé des groupes de discussion à ce sujet.

Malgré de nombreux rapports, il n'y a que peu ou pas de preuves de viols commis par le Hamas le 7 octobre, et encore moins du “viol collectif” qui a été largement rapporté. Naturellement, il est impossible de prouver que quelque chose ne s'est pas produit, mais les affirmations existantes sont délibérément mises en avant malgré l'absence de preuves.

Mondoweiss l'a bien dit :

« Au cours des quatre derniers mois, une campagne de propagande concertée, montée par le gouvernement israélien et amplifiée par divers médias occidentaux, a accusé le Hamas d'avoir utilisé le viol comme arme de guerre le 7 octobre. Les allégations selon lesquelles le Hamas aurait planifié et mené une campagne systématique de violence sexuelle (avec des actes allant du plus grotesque au plus fétichiste et bizarre) ont été utilisées pour dépeindre la résistance palestinienne comme inhumaine et pour justifier le génocide israélien en cours à Gaza. Récemment, des analyses démontrant la nature fallacieuse de ces affirmations - les fabrications, les erreurs factuelles et les malversations journalistiques, les témoignages non crédibles des témoins et des premiers intervenants, les affiliations militaires israéliennes des principales sources, ainsi que l'absence de toute preuve médico-légale ou de preuve vidéo ou photographique - ont fait leur apparition dans le maonstream ».

L'article du NYTimes a été complètement discrédité, principalement en raison d'un podcast réalisé par la journaliste principale de l'article, Anat Schwarz, qui a elle-même déclaré que son enquête détaillée n'avait trouvé aucune preuve :

« Après avoir vu ces interviews,  Schwartz a commencé à appeler des personnes du kibboutz Be'eri et d'autres kibboutzim pris pour cible le 7 octobre, dans le but de retracer l'histoire. « Il n'y avait rien. Il n'y avait rien », a-t-elle déclaré. « Personne n'a rien vu ni entendu ». Elle a ensuite contacté l'ambulancier de l'unité 669, qui lui a raconté la même histoire que celle qu'il avait racontée à d'autres médias, ce qui l'a convaincue que les violences sexuelles étaient systématiques. « J'ai dit : "D'accord, c'est arrivé, une personne l'a vu se produire à Be'eri, donc ça ne peut pas être qu'une seule personne, parce que ce sont deux filles. Ce sont des sœurs. C'est dans la pièce. Il y a là quelque chose de systématique, quelque chose qui me fait penser que ce n'est pas un hasard », conclut Schwartz dans le podcast.

Un rapport approfondi sur les preuves existantes se trouve dans l'article de The Intercept, qui renvoie à un grand nombre de rapports, notamment ceux de Max Blumenthal, Mondoweiss, Electronic Intifada et Tech for Palestine's Oct 7 Fact Check.

Comme beaucoup l'ont souligné, nous devons en effet croire les femmes au sujet des violences sexuelles qu'elles subissent. Cependant, aucune femme n'a déclaré avoir subi des violences sexuelles le 7 octobre. En effet, Haaretz rapporte que la police n'arrive pas à trouver les victimes présumées, ni à relier les preuves à celles-ci. Il y a une victime présumée dans l'article du NYTimes, et sa famille nie les faits. En fait, Zaka, les premiers intervenants qui sont la principale source de la propagande discréditée du 7 octobre, admettent que les preuves sont le fruit de leur “imagination” :

« Ses employés n'ont pas reçu de formation en médecine légale ou en expertise des scènes de crime. "Lorsque nous entrons dans une maison, nous faisons appel à notre imagination", a déclaré Yossi Landau, un haut responsable de la Zaka, décrivant le travail du groupe sur les sites des attentats du 7 octobre. "Les corps nous disaient ce qui s'était passé, c'est ce qui s'est passé". Landau est cité dans le rapport du Times, bien qu'il ne soit pas fait mention de ses antécédents bien documentés de diffusion d'histoires sensationnelles d'atrocités qui se sont avérées fausses par la suite ».

Toutes les affirmations que j'ai vues sur les violences sexuelles sont finalement liées aux affirmations inventées par Zaka, y compris tous les reportages que j'ai vus dans les médias israéliens et occidentaux. Ces affirmations sont souvent blanchies en renvoyant à d'autres rapports tels que celui du NY Times, ou par le biais du rapport sans enquête de la représentante spéciale des Nations unies pour la violence sexuelle dans les conflits, Pramila Pattent, qui était également basé sur les mêmes affirmations sans aucune autre enquête.

[7] Une remarque similaire a été faite au sujet de son livre, Lean In [En avant toutes] , lorsqu'il a été publié en 2013. Plutôt que de s'attaquer aux problèmes systémiques sur le lieu de travail, beaucoup ont eu l'impression qu'elle disait aux femmes de se résigner et de faire avec, et que son plaidoyer consistait en fait à soutenir les structures de pouvoir existantes plutôt que les femmes, comme elle le fait aujourd'hui en soutenant la propagande israélienne.

12/03/2024

TAMER NAFAR
Les gauchards israéliens “désabusés” qui attaquent Yuval Abraham projettent leur propre lâcheté

 

 Tamer Nafar, Haaretz, 12/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

De nombreux Israéliens juifs ont déclaré avoir été “désillusionnés” par la gauche après le 7 octobre. Ils ont dessoulé, disent-ils. Mais de nombreux Juifs israéliens ne se sont jamais soûlés, n’ont jamais vécu dans l’illusion ; ils se sont levés tous les matins et se sont battus 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour l’égalité. Comme Yuval Abraham, par exemple, et le film qu’il a réalisé avec Basel Adra, Rachel Szor et Hamdan Ballal, “No Other Land”.

Basel Adra et Yuval Abraham posent avec le prix du film documentaire de la Berlinale, pour “No Other Land”, après la cérémonie de remise des prix du 74e  Festival international du film de la Berlinale à Berlin, en Allemagne, le mois dernier. Photo : Liesa Johannssen / Reuters

Quand j’entends les “désabusés” dire des choses comme « la partie de gauche en moi n’existe plus », ou « j’ai cru à la paix et j’ai été déçu », ils me rappellent cette vieille blague : un homme s’adresse à Dieu et lui demande « ça fait des années que je prie pour gagner à la loterie, pourquoi ça n’arrive pas ? », ce à quoi Dieu répond « parce que tu n’as jamais joué à la loterie ». Je demande donc à tous ceux qui sont déçus par les idéaux humanistes : avez-vous rempli vos obligations humanistes ? Parce que Yuval Abraham l’a fait.

La plupart des médias se sont concentrés sur le discours de remise de ^prix de Basel et Yuval. Les grands médias l’ont qualifié d’ « antisémite », puis ont retiré l’accusation sans s’excuser. Les gauchistes désabusés ont traité Abraham de lâche. J’ai décidé de ne pas me fier au discours, mais de voir le film lui-même. Ma conclusion : il n’est pas un lâche, au contraire. Ceux qui le qualifient ainsi projettent leur propre lâcheté.

Ce film est bouleversant. J’aurais aimé le regarder il y a quelques mois, j’aurais peut-être alors pu m’accrocher à la lueur d’espoir qu’il offre. En ce moment, j’ai du mal à me concentrer sur la moindre étincelle d’espoir.

Alerte au spoiler : les habitants palestiniens de Masafer Yatta perdent. Mais même une défaite a des héros : les militants palestiniens qui gardent la tête haute face aux bulldozers israéliens, parce qu’ils n’ont pas le choix, et le héros juif Yuval Abraham, qui décide d’abandonner la bulle de sécurité dans laquelle vivent la plupart des Israéliens pour se battre pour la justice humaine.

Les deux protagonistes se tiennent sans crainte avec une caméra, documentant des scènes qu’aucune personne “désabusée” ne pourrait regarder plus d’une seconde sans fermer les yeux ou se détourner. Il y a des scènes difficiles où l’armée décide d’encercler des terres palestiniennes avec des panneaux déclarant qu’il s’agit d’une “zone d’entraînement militaire” - il s’avère que cela a été fait dans le but exprès d’empêcher les villages palestiniens de s’étendre, selon les minutes enregistrées d’auditions gouvernementales des années 70 qui ont été récemment déclassifiées. L’un des intervenants à ces auditions était Ariel Sharon.

Une autre scène montre un groupe de colons masqués attaquant les résidents palestiniens à coups de pierres, tandis que les soldats se tiennent à l’écart et protègent les colons. L’un des soldats est filmé en train de participer aux jets de pierres. Un autre soldat s’en prend à Yuval et lui crie : « Allez, connard, va écrire ton article ». Et Yuval continue à documenter, sans peur.

La caméra filme la fusillade insensée qui a laissé Haroun Abou Aran paralysé, ainsi que sa mère qui supplie qu’on lui construise une chambre confortable et saine pour qu’il ne reste pas paralysé dans une grotte. À la fin du film, une légende informe les spectateurs que Harun, 26 ans, est mort des suites de ses blessures par balle.

Et si cela ne suffit pas, il y a la scène où un camion de ciment déverse du béton sur des terres agricoles devant l’agriculteur lui-même ; et si cela ne suffit pas, il y a un tracteur sur le côté qui arrache tout le système d’irrigation de l’agriculteur ; et si cela ne suffit pas, ils apportent une tronçonneuse pour finir le boulot.

La scène la plus difficile pour moi est celle qui implique des enfants de l’âge de mes fils. Les enfants sont dans une salle de classe quand soudain des dizaines de soldats armés ferment la porte sur eux. Les enfants commencent à s’enfuir, terrifiés, sautent par une fenêtre, puis se tiennent à l’écart, regardant en pleurant un bulldozer démolir la salle de classe. Les colons regardent eux aussi, comme s’il ne leur manquait qu’un peu de pop-corn.

Le film montre un Palestinien qui tente d’empêcher la démolition de sa maison, tandis qu’une policière à labelle allure lui dit : « Monsieur, vous nous empêchez de faire notre travail ». Je me demande si cette policière elle aussi a dessoulé. Peut-être pense-t-elle aujourd’hui avoir été trop “humaine”.

Démolition d’une structure à Masafer Yatta, en Cisjordanie, en 2022. Photo : Mussa Issa Qawasma / Reuters

Le discours de Yuval et Basel, sur lequel vous avez tous décidé de vous focaliser, ne dit pas tout. Il ne dit que peu de choses sur un système raciste et arrogant qui continue à suivre une voie vouée à l’échec. Mais leur discours est, je pense, un signe vers une voie alternative, peut-être non pavée ; un signe qui déclare : il n’y a pas de société partagée sans une lutte palestinienne partagée. Le discours était aussi courageux que le lieu l’exigeait, en particulier en Allemagne, qui arme toujours l’occupation et se trouve une fois de plus du mauvais côté de l’histoire.

Mon partenaire et frère, le réalisateur Udi Aloni, est monté sur la même scène en 2016 lorsque nous avons remporté le prix du public pour le long métrage Junction 48, et a appelé à l’égalité. Il a également été pris pour cible par les médias israéliens grand public, avec le titre embarrassant « Notre photographe a réussi à documenter le discours d’Aloni avec une caméra cachée » - alors qu’Aloni s’était exprimé devant des milliers de personnes équipées de téléphones et d’appareils photo.

Il n’y a « pas d’autre terre », pas d’autre combat. Il n’est pas trop tard pour que les soi-disant sobres dessoulent pour de bon. Tout ce dont ils ont besoin, c’est du courage de Yuval Abraham.


 


Tamer Nafar (
تامر النفار/ תאמר נפאר)  né en 1979 à Al-Ludd/Lod/Lydda, est un rappeur, acteur, scénariste et activiste social palestinien, Israélien de papier. Il est le leader et l’un des membres fondateurs de DAM, le premier groupe de hip-hop palestinien. DAM est un acronyme pour “Da Arab MCs” et signifie également “durable” ou “éternel” en arabe ou “sang” en arabe et en hébreu. @TamerNafarOfficial