La perle du jour

 « Le public n'est plus dupe des mensonges propagandistes qui résonnent dans les médias. Ces lettres ont été écrites par un petit groupe de radicaux, manipulés par des organisations financées par des fonds étrangers dans le seul but de renverser le gouvernement de droite. Ce n'est pas une vague. Ce n'est pas un mouvement. C'est un petit groupe de retraités bruyant, anarchiste et déconnecté, dont la plupart n'ont pas servi [dans l’armée] depuis des années ». C’est ainsi que Netanyahou a réagi aux pétitions qui se succèdent en rafales, émanant de centaines et de milliers de réservistes de l’armée de l’air, du corps médical militaire, de la marine, demandant au gouvernement d’arrêter de bombarder Gaza pour épargner les Israéliens encore captifs [les fameux « otages », qui sont encore une trentaine en vie plus une trentaine à l'état de cadavres]]. Bibi, qui a 75 ans, n’a pas l’intention, quant à lui de devenir un paisible retraité, ni bruyant ni silencieux. Les pilotes signataires de la première pétition seront rayés des cadres de l’armée génocidaire, ce qui est une bonne chose.

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16/04/2025

PAULO SLACHEVSKY
Gaza : le ghetto de Varsovie du XXIe siècle

 Paulo Slachevsky, 15/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

« Le déni et la dissimulation des violations systématiques des droits de l’homme : l’interdiction d’entrée des journalistes étrangers et les plus de 170 journalistes, photographes et communicateurs assassinés depuis octobre 2023, dont beaucoup étaient des cibles directes des missiles, sont la preuve de la même stratégie de dissimulation par Israël que par les nazis, et par tant de dictatures comme celle sous laquelle nous avons vécu nous-mêmes »

Paulo Alejandro Slachevsky Chonchol (Santiago du Chili, 1961) est un photographe et éditeur chilien, fondateur en 1990 avec Silvia Aguilera des éditions LOM, membre du Groupe (antisioniste) juif Diana Arón, portant le nom d’une militante du MIR victime de la dictature de Pinochet. Co-éditeur du livre Palestina Anatomía de un Genocidio (LOM, 2024)


Le 19 avril 1943, des résistants juifs se sont soulevés contre les nazis dans le ghetto de Varsovie. Depuis la fin de l’année 1940, plus de 400 000 Juifs de la capitale et d’autres villes polonaises s’y entassaient, emprisonnés sur 300 hectares. La famine, les épidémies et les déportations vers les camps de la mort avaient déjà décimé une grande partie des habitants.

En janvier 1943, un premier soulèvement armé contre les nazis réussit à stopper brièvement les déportations. Pour se venger, les nazis assassinent un millier de Juifs sur la place principale du ghetto. Dans les mois qui suivent, les résistants préparent la défense de ceux qui restent en vie.

Lorsque, le 19 avril, les troupes allemandes entrent avec plus de 2 000 soldats, officiers, commandos SS et collaborateurs polonais pour procéder à la dernière déportation de ceux qui restent dans le ghetto, elles se heurtent à une résistance acharnée qui les oblige à battre en retraite.

Pendant un mois, les survivants ont mené une lutte héroïque et inégale. Le 16 mai 1943, le ghetto n’était déjà plus qu’un champ de ruines. On estime qu’environ 13 000 Juifs ont été tués dans les combats.


Dessin de Malcolm Evans, licencié en 2003 du quotidien NZ Herald pour ses dessins antisionistes

82 ans plus tard, alors que nous sommes témoins de ce que vivent les Palestiniens à Gaza, une terre historique aujourd’hui ravagée par les bombes, les chars et les bulldozers, et où plus de 60 000 Palestiniens ont été tués par les troupes israéliennes - pour la plupart des filles, des garçons et des femmes - il est impossible de ne pas voir le lien dramatique qui existe entre un événement et l’autre :

Gaza est aujourd’hui le ghetto de Varsovie du XXIe siècle.

Exécutions massives et aveugles : dans le ghetto comme à Gaza, la mort rôde à chaque coin de rue. L’occupant agit avec un pouvoir omnipotent sur la vie et la mort comme un simple caprice, l’arbitraire est imposé, ainsi qu’un système sadique qui terrorise et écrase les civils sans raison apparente, les faisant fuir d’un côté à l’autre, exterminant des familles entières, avec les grands-parents, les parents, les enfants et ceux qui leur sont proches et avec qui ils vivent.

La famine est une autre similitude dramatique : tant dans le ghetto qu’à Gaza, hier les nazis, aujourd’hui les Israéliens, ont mené une politique explicite consistant à affamer la population, à contrôler l’apport alimentaire minimal et à l’interrompre complètement en cas de confrontation directe.

C’est la réalité vécue par les habitants du ghetto de Varsovie et c’est ce que vit aujourd’hui Gaza depuis plus d’un mois, où Israël a interdit tout accès à l’aide humanitaire, après presque deux ans d’interruptions constantes et des décennies d’approvisionnement minimal.

À cela s’ajoutent la destruction et la coupure de l’approvisionnement en eau par Israël, cet élément fondamental de la vie, ce qui constitue un autre crime de guerre et un crime contre l’humanité.

L’absence d’accès aux soins médicaux : ni les enfants, ni les personnes âgées, ni les blessés, ni les malades ne peuvent bénéficier de soins médicaux en raison de l’absence d’approvisionnement, ainsi que de la destruction des installations sanitaires, de la déportation, de l’emprisonnement et de l’assassinat de médecins et de personnel de santé, réalités dans lesquelles l’horreur et la cruauté des occupants d’hier et d’aujourd’hui se valent.

Affiche de la Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB), l’Organisation juive de combat. Le texte dit : “Tous les hommes sont frères : les jaunes, les bruns, les noirs et les blancs. Parler de peuples, de couleurs, de races, c’est une histoire inventée !”

Racisme, suprématie et cruauté extrême et inhumaine dans le traitement d’autrui : ces marques du nazisme, qui ont conduit à l’enfermement des Juifs d’hier dans des ghettos et des camps de concentration, se sont malheureusement enracinées depuis longtemps dans la société israélienne et s’expriment dans toute leur férocité à Gaza et en Cisjordanie à l’encontre des Palestiniens d’aujourd’hui.

Traitant leurs semblables comme des animaux, des terroristes et des sous-hommes, ils se permettent de franchir toutes les limites de ce que nous avons compris comme étant l’humanité, agissant de manière sadique et brutale envers ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis.

C’est une double tragédie, lorsque ceux qui pratiquent cette politique criminelle sont les descendants d’un peuple qui en a fait l’expérience, osant le faire au nom du judaïsme, ce qui salit la mémoire de ceux qui ont connu la même oppression.

Le combat inégal : des pierres, des cocktails Molotov, quelques pistolets, fusils de chasse et mitrailleuses, contre des chars, des canons et des troupes expérimentées sur le champ de bataille des rues de Varsovie.

La disproportion brutale des moyens dans la bataille menée dans le ghetto, comme à Gaza, où les milices sont confrontées aux missiles, aux avions et aux dernières technologies israéliennes d’armement et de surveillance, ne permet pas de parler de guerre, mais d’extermination génocidaire face à la résistance désespérée des victimes.

La volonté expresse des oppresseurs - les nazis hier, l’État d’Israël aujourd’hui - d’éliminer tous les habitants du territoire martyrisé, en procédant à un nettoyage ethnique criminel : un autre élément commun aux deux drames.

Les éléments qui scellent l’analogie sont malheureusement innombrables.

Les mêmes images se répètent lorsque l’on voit ces armées, parmi les plus modernes et les mieux préparées de leur temps, anéantir des peuples entiers réduits à l’impuissance. Hier et aujourd’hui, des dizaines de milliers de visages sont marqués par la douleur et la catastrophe. Et malheureusement, à chaque fois, les puissances internationales soutiennent l’oppresseur ou sont complices de son inaction.

La Convention sur le génocide et la législation sur les crimes contre l’humanité n’existaient pas à l’époque. Ces règles ont été mises en place dans la justice internationale pour que les crimes commis par les nazis contre les Juifs, les Tziganes et les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale ne se répètent pour aucun peuple.

Lorsque les nazis ont anéanti la rébellion du ghetto de Varsovie, Szmul Zygielbojm a écrit :

La responsabilité du crime d’extermination totale des populations juives de Pologne incombe en premier lieu aux fauteurs du massacre, mais elle pèse indirectement sur l’humanité entière, sur les peuples et les gouvernements des nations alliées qui n’ont, jusqu’ici, entrepris aucune action concrète pour arrêter ce crime ; Je ne peux ni me taire ni vivre lorsque les derniers vestiges du peuple juif, que je représente, sont tués. Mes camarades du ghetto de Varsovie sont tombés les armes à la main, dans leur dernière lutte héroïque. Je n'ai pas eu la chance de mourir comme eux, avec eux. Mais ma place est avec eux, dans leurs fosses communes. Par ma mort, je souhaite exprimer ma plus profonde protestation contre l'inaction avec laquelle le monde observe et permet la destruction du peuple juif. Je suis conscient du peu de valeur de la vie humaine, surtout aujourd'hui. Mais puisque je n'ai pas pu y parvenir de mon vivant, peut-être que ma mort sortira de leur léthargie ceux qui peuvent et qui doivent agir maintenant, afin de sauver, au dernier moment possible, cette poignée de Juifs polonais qui sont encore en vie.

Szmul Zygielbojm, député du Bund au parlement polonais en exil à Londres, s’est suicidé à Londres le 11 mai 1943. Ses paroles pourraient être reprises pour décrire ce qui se passe aujourd’hui en Palestine.  

Le Bund, Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie (Algemeyner Yidisher Arbeter Bund in Lite, Poyln un Rusland), avait fait sortir clandestinement Szmul de Varsovie occupée après sa résistance farouche et publique à l’enfermement des Juifs dans un ghetto.  

Avant la Seconde Guerre mondiale, le Bund était la plus grande organisation de la gauche juive dans le Yiddishland, le monde juif des pays de l’Est.

En Pologne, en 1938, le Bund était également la principale force parmi les Juifs : sur les 138 conseillers municipaux juifs élus lors des élections de cette année-là, 97 étaient issus du Bund. Ils étaient antifascistes, antinazis et antisionistes.

Aujourd’hui, par une triste ironie de l’histoire, ces glorieux Juifs rouges et résistants au nazisme seraient accusés d’antisémitisme par Israël et de nombreux pays européens pour leur position clairement antisioniste.

Marek Edelman, l’un des jeunes dirigeants du Bund, était à l’âge de 20 ans commandant adjoint de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Survivant du nazisme, Edelman a toujours porté haut les bannières du mouvement, luttant contre toutes les oppressions, y compris le sionisme : « Être juif signifie être toujours avec les opprimés, jamais avec les oppresseurs « ,disait-il.

Le ghetto de Varsovie est une autre page d’horreur de l’histoire, mais au sein de cette horreur, la résistance des partisans juifs est commémorée avec gloire : il en va de même pour Gaza aujourd’hui.

Tout comme l’infamie nazie est universellement condamnée comme l’expression ultime du mal et de l’horreur, et que les résistants au nazisme sont loués pour leur héroïsme, l’histoire condamnera Israël et ses complices comme génocidaires et criminels de guerre.

Les Palestiniens qui ont héroïquement résisté à leur machine de mort resteront dans la mémoire de la lutte pour la dignité humaine.

Nous ne pouvons qu’espérer que cette reconnaissance juste et nécessaire n’arrivera pas trop tard, et que les gouvernements du monde et la justice internationale mettront fin à leur passivité actuelle, arrêteront le génocide et le nettoyage ethnique, et permettront au peuple palestinien d’avoir enfin la justice et la paix qu’il mérite.

Lire aussi  

22/02/2025

LUIS CASADO
Johannes Kaiser, empereur de l’apocalypse : l’homme qui veut euthanazier le Chili

 Luis CasadoRebelión, 19/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Johannes Maximilian Kaiser Barentsvon Hohenhagen, le Führer du Parti National-Libertarien, candidat à la candidature pour l’élection présidentielle chilienne, prévue pour novembre 2025, a inventé le fil à couper le beurre : la réduction de « la charge fiscale pour faciliter l’esprit d’entreprise et la création d’emplois », ainsi que l’élimination de « la bureaucratie inutile qui freine l’épargne, l’investissement et la création de richesses ».

Le libre marché, l’ultra-libéralisme : il essaie de vendre sa poudre de perlimpinpin comme la nouveauté de l’année, alors qu’elle est plus vieille que les crinolines.

Ce n’est pas moi qui le dis : le Marchand de Venise de Shakespeare le savait dans sa pièce écrite en 1596-1597, il y a donc cinq siècles.

Le marchand Antonio accepte un prêt de Shylock, et la garantie qu’il offre est d’accepter que l’usurier lui coupe une tranche de sa propre chair s’il ne paie pas.

William n’invente rien : le paiement par le sang a été la règle (sans jeu de mots...) et reste très populaire aujourd’hui. Mieux encore, certains suggèrent que le rasoir et la tronçonneuse sont des versions de la même technique, ajoutant que nous Chiliens devrions adopter notre propre version de l’arnaque, revisitée et mise à jour.

Précisément parce que saigner les chrétiens à blanc était the must depuis l’arrivée de Pedro de Valdivia. Et pour ne pas manquer de chrétiens à saigner, l’Église s’est chargée de convertir la population autochtone avec le vieux truc usé du Paradis et de la Vierge Marie... Gloire à eux !

Le quotidien El Mercurio, plongé à fond dans la campagne du Führer Kaiser - ou Kaiser Führer, comme vous voudrez - met en exergue les brillantes idées du « cerveau économique » du candidat.

« ...le coordinateur économique de son programme, Victor Espinosa*, avait glissé - au moins - l’idée d’éliminer la Banque centrale, au milieu d’une explication plus large sur la possibilité d’ouvrir à la concurrence des monnaies à l’intérieur du pays ».

Parmi les monnaies qui entreraient en concurrence... la crypto-monnaie de Milei ?


Kaiser et son “cerveau économique” Victor Espinosa

Le “cerveau” de Kaiser, qui personnifie la réponse chilienne à l’IA par l’imbécillité naturelle, a inventé la réduction de « la charge fiscale pour faciliter l’esprit d’entreprise et la création d’emplois », ainsi que l’élimination de « la bureaucratie inutile qui freine l’épargne, l’investissement et la création de richesse ». (1)

Un certain Elon Musk réclame des royalties, tandis que Milei se réjouit d’être devenu célèbre.

El Mercurio demande « Quels impôts prévoyez-vous de réduire ou d’éliminer ? »

Le “cerveau” du Führer déploie la doxa, enfin, sa doxa :

« Il existe un large consensus sur la nécessité de réduire l’impôt sur les sociétés, car c’est lui qui pèse le plus sur l’investissement et la croissance. En une décennie, l’augmentation de cet impôt, à contre-courant de la tendance mondiale, a coûté à notre économie l’équivalent de 8 points de PIB. Aujourd’hui, avec un taux de 27%, le Chili se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE (23%). Mais nous ne nous contentons pas d’égaler la moyenne ; nous voulons que le Chili soit l’un des pays les plus compétitifs au monde. C’est pourquoi nous nous tournons vers les économies qui ont réussi à mettre en place des politiques fiscales intelligentes. L’Estonie, par exemple, maintient un taux d’imposition sur les sociétés de 20 %, alors que les USA, première économie mondiale, cherchent à le ramener à 15 %. Nous éliminerons les impôts qui créent des distorsions et des freins à la croissance. Il s’agit notamment de l’impôt sur les plus-values, qui représente une double imposition injuste, puisque ces plus-values sont déjà soumises à l’impôt sur le revenu. Nous réformerons également l’impôt foncier, qui est actuellement calculé sur la base d’évaluations volatiles du marché. Nous proposons de supprimer cet impôt pour les personnes âgées et de le remplacer par un système plus prévisible. Nous allons également revoir la TVA sur la construction ».

L’exemple qui réconforte le “cerveau” du Führer est... l’Estonie, qui en 1997 avait un PIB bien plus élevé qu’aujourd’hui, et qui montre dans les dernières années des baisses significatives de ce même PIB : -14,6% en 2009, -2,9% en 2020, -3,0% en 2023...

Une note de Wikipédia décrit le miracle estonien :

« À partir de 2009, le pays a subi une grave crise économique, et a vu son taux de chômage dépasser les 15,2 % en janvier 2010. L’économie de ce petit pays, très dépendant financièrement des banques suédoises, s’est alors révélée très fragile. La crise financière de 2008 a provoqué une débâcle dans le petit pays balte qui avait créé sa propre bulle immobilière : entre juin 2008 et juin 2009, le PIB a chuté de 15 %, la production industrielle de 34 % ». (2)

L’Estonie représente 0,22 % du PIB de l’UE et 0,3 % de sa population. La population de l’Estonie est de 1 315 000 habitants, ou plutôt elle diminue de manière significative chaque année.

L’Estonie a subi une perte importante de population depuis la fin des années 1990 (-4,9/1000 en 1998 ; -3,8/1000 en 1999), due à l’émigration d’une partie de ses habitants, mais surtout à un taux de fécondité très bas (1,37 enfant par femme en 2000 et 1,64 en 2010).

Dans le merveilleux exemple du “cerveau” Espinosa, la population émigre ou ne souhaite pas avoir d’enfants.

La comparaison avec le Chili pourrait être plus éloquente. Le PIB de l’Estonie représente 13,30 % du PIB du Chili et sa population 6,5 % de la nôtre. On se demande pourquoi le “cerveau” Espinosa n’a pas choisi l’exemple de l’Andorre ?

Les futés du Mercurio, inquiets du destin probable des fortunes chiliennes, ont interrogé le “cerveau” Espinosa sur la “méritocratie”. La réponse, la voici - détendez-vous, tout va très bien, madame etc.- :

« Selon les données du SII [Trésor Public], la principale richesse des Chiliens est constituée d’actions d’entreprises, souvent des groupes familiaux qui, dans de nombreux cas, ont créé leur entreprise à partir de rien au fil des ans. Il est donc normal que les fondateurs souhaitent assurer la continuité de ces projets et que leurs héritiers s’intéressent au maintien de la richesse créée par les générations précédentes. Il est évident que cette continuité passe par la méritocratie ; ceux qui prennent les rênes doivent être activement impliqués dans l’entreprise et avoir les compétences nécessaires pour la faire progresser. Nous pensons que le capital doit être taxé, mais sans devenir un obstacle à la continuité familiale. À cet égard, nous considérons que le modèle estonien d’imposition des successions, qui attribue la richesse aux héritiers à un coût nul et ne la taxe que lorsqu’elle est vendue, est très raisonnable. Cette approche nous semble essentielle pour renforcer les entreprises familiales, comme en Espagne, où les entreprises familiales sont sur un pied d’égalité avec les grandes entreprises ».


Kaiser et Milei, les crypto-führer

Comme on l’a dit, le bavardage du “cerveau” Espinosa est plus vieux que sassoir sur son cul, et a déjà provoqué un désastre planétaire en 2008 quand tout le système financier mondial, enthousiasmé par la dérégulation, le libre marché, l’ultra libéralisme et le vas-y, c’est pas toi qui paies, a fait faillite partout et que les États ont été obligés de faire des émissions monétaires insensées pour les remettre à flot.

Les banques prononcent alors cette fameuse phrase devenue mythique : Dieu vous le rendra !

Déjà dans ces années-là, un homme politique européen, un social-démocrate connu pour sa sagesse, sa prudence et sa grande capacité à ne rien faire pour fâcher le grand capital, expliquait la cause du désastre financier qui a secoué l’empire, l’Union européenne et les cinq continents.

Michel Rocard, qui a été maire, député, candidat à la présidence de la République, ministre et Premier ministre de la France, a été interviewé en 2011 sur TV5Monde à propos de la crise de 2008 :

Dans l’interview, un journaliste demande : « Qui est responsable de ce désastre ? »

Michel Rocard : « Il s’appelle Milton Friedman, il a eu le prix Nobel d’économie en 1976, il a produit une doctrine terrifiante par sa nocivité, dont personne ne s’est rendu compte. C’est l’homme suivi par treize autres prix Nobel d’économie... »

Journaliste : « Et par Margaret Thatcher et Ronald Reagan... »

Michel Rocard : « Ronald Reagan s’est mis à l’appliquer, et comme les États-Unis c’est gros, ça avait de l’importance... Les idées peuvent tuer, et c’est pas rien de faire tout un moment sur des idées... Dans toute une science économique qui, jusqu’à Keynes, et peut-être d’abord avec Keynes, avait le chômage comme préoccupation principale.... »

Journaliste : « ...et la régulation des marchés... »

Michel Rocard : « La régulation du marché en conséquence, le souci était le bien vivre, le plein emploi et la croissance. Dans ce système-là, les monétaristes, cet homme-là (Milton Friedman), ont inventé une philosophie qui dit, premièrement, que le marché s’auto-équilibre, et deuxièmement, que chaque équilibre de marché est optimal »

Journaliste : « Il n’y a pas besoin de régulation... »

Michel Rocard : « Pas besoin de régulation... Et ça fait plaisir... Les principaux gouvernements qui y sont allés tout de suite, c’est l’anglais, l’américain, le japonais, trente autres etc... La plupart des grands gouvernements de la planète ont adopté cette doctrine qui est devenue le cœur de l’enseignement de l’économie. Parce que le drame, c’est ce qui est arrivé à l’économie, comme si en médecine on découvrait que Louis Pasteur avait tout faux. Et qu’aujourd’hui, pour le gouvernement grec, pour le gouvernement français, ils voudraient recevoir des avis d’économistes qui ne soient pas des politiquement corrects de l’agrégation ancienne mode, qui ne soient pas formés par ce système de concepts dont les faits ont démontré qu’ils étaient toxiques. La grande responsabilité réside dans le fait que les gouvernements du monde entier se sont rués là-dedans. Pourquoi ? Parce qu’ils ont dit : débarrassons-nous e l’État, débarrassons-nous de l’impôt, gagnons plus et vive le profit, mais ça ne marche pas. Et maintenant, nous sommes obligés d’en sortir par une pratique - austérité, etc. - une pratique qui est antagonique à ce que disait le système, par une intervention publique pour sauver les banques, ce qu’on a fait en 2008, ce qui dément le système lui-même, et il faut réinventer une cohérence économique. La voilà, la responsabilité... »

Milton Friedman, ce grand irresponsable, ce sage fou qui a fondé l’école d’économie de Chicago, est l’une des idoles du “cerveau” Espinosa, avec Ludwig von Mises, autre prophète de l’Apocalypse.

Pour mesurer ce que le “cerveau” Espinosa célèbre comme des succès, il suffit de mentionner la dette publique de deux grandes puissances embarquées dans les politiques économiques ultra-libérales prônées par le conseiller du Führer : les USA et la France.

La dette publique des USA, cumulée par une douzaine de présidents, a franchi la barre des 34 000 milliards de dollars. Ce montant équivaut à 120% du PIB yankee.

La dette publique française dépasse les 3 303 milliards d’euros, soit 114% du PIB.

Pour prouver l’incohérence des ultra-libéraux, rappelons que pour entrer dans la zone euro, le traité de Maastricht impose à chaque pays d’avoir une dette publique inférieure à 60% de son PIB et un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB (le déficit français est de plus de 6%...). 

Les USA n’ont pas cette épée de Damoclès au-dessus de la tête : ils émettent de la monnaie quand bon leur semble, ont un déficit budgétaire qui “ m’en touche une sans faire bouger l’autre”, et ils exportent l’inflation dans le monde entier. Petit détail : le Chili ne jouit pas de ce privilège insensé.

L’arrivée éventuelle du Führer Kaiser à la présidence de ce qui reste de la république serait la pire catastrophe de l’histoire du Chili, avec la dictature de Pinochet.

On vous aura prévenus.

NdT

*Victor Espinosa a rédigé une thèse de doctorat à Madrid sous la houlette de Jesús Huerta de Soto, grand ponte de l’anarcho-capitalisme et militant du Parti de la Liberté Individuelle (P-LIB) espagnol, et l’ un des mentors de Javier Milei

NdA

(1) https://www.emol.com/noticias/Economia/2025/02/16/1157506/cerebro-economico-kaiser-propuestas.html

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Économie_de_l%27Estonie

 

21/02/2025

LUIS CASADO
Croissance, vous avez dit croissance ?

Luis Casado, 21/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Le dictionnaire de la RAE (Académie royale d’Espagne] est une mine infinie de trésors. Depuis mon enfance, dans la bibliothèque du Lycée de San Fernando, j’ai cherché le sens des mots qui m’attiraient autant ou plus que les sourires de Paulina. Elle ne fut qu’une illusion éphémère, mais l’envie de connaître les étymons qui composent notre langue m’a marqué à jamais.

Si vous cherchez le mot “crecimiento” (croissance), le RAE propose deux significations, mais gardez l’œil ouvert :

 * Action et effet de croître (crecer)

* Augmentation de la valeur intrinsèque de la monnaie.

 J’espère que vous êtes partis en courant et que vous avez été satisfaits : des réactions différentes mais compréhensibles. Peut-être pas tant que ça, puisque depuis mon enfance je me souviens que la monnaie avait une tendance irrépressible à se transformer en merde et à finir par ne plus rien valoir. Tout d’abord, la monnaie n’a pas de valeur intrinsèque, mais seulement la valeur que lui donnent ceux qui la créent, la manipulent et l’instrumentalisent.

 Un billet de banque sur lequel vous écrivez 20 000 pesos vaut intrinsèquement la même somme d’argent que celui sur lequel vous écrivez 100 pesos, 1 000 pesos ou ce qui vous chante. Dans l’histoire récente, le peso a déjà été remplacé par l’escudo (mille anciens pesos pour un escudo), escudo qui a été bientôt remplacé par le peso (mille escudos pour un peso), ce qui porte la perte de valeur à un million de fois, rappelez-moi d’écrire à la RAE.

 Si je m’attarde sur le petit mot “crecer” c’est parce qu’il concentre toute la capacité programmatique des baladins qui aspirent au pouvoir politique au Chili, ce qui est la preuve irrémédiable du caractère farfelu de leur message.

 Une acromégalie gonadique a dû les traumatiser dans leur enfance. Ces types vendent de la pommade, ils en vivent, comme l’inventeur de l’arnaque au tonton malade, mais en moins drôle. Felipe m’a fait remarquer à juste titre qu’on ne peut pas faire la différence entre l’un et l’autre, car il n’y a rien de plus semblable à un crétin progressiste qu’un crétin réactionnaire.

 Le premier est destiné à disparaître, tandis que le second est dans les douleurs de m’accouchement.

Il a un avenir, du moins en apparence, un peu comme Adolf en septembre 1919, lorsqu’il a rejoint le Deutsche Arbeiterpartei. Un an plus tard, le Führer le rebaptise Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, le parti nazi pour les amis, et on a vu ce qu’on a vu.

Une publication liée aux “hommes de travail” (c’est ainsi qu’on appelle le capitaliste au Chili) s’efforce de nous introduire (c’est le terme approprié) auprès de l’Elon Musk chilien, enlevez votre chapeau et saluez.

Il s’agit d’un “chercheur” qui a pris en charge la coordination du programme économique d’un certain Kaiser, avec pour mission de ramener l’impôt sur les sociétés de 27% à 15% et de réduire le nombre de ministères de 25 à seulement 9.

L’empereur, je veux dire Kaiser (en allemand Kaiser = empereur), terminait sa énième relecture de Mein Kampf quand l’idée géniale lui est venue : ce n’est pas autre chose, c’est l’histoire du Troisième Reich que ce Kaiser connaît.

Il se souvient de Hjalmar Schacht, un escroc impérial (pendant la Première Guerre mondiale, Schacht avait été nommé administrateur économique des territoires occupés en Belgique, puis révoqué peu après par les autorités militaires : il avait contacté son ancien employeur, la Dresdner Bank, pour recevoir les fonds du gouvernement belge saisis par les forces allemandes...) qui aida Adolf Hitler à collecter des fonds pour ses campagnes politiques. En 1932, Schacht organise une pétition d’industriels pour exiger la nomination d’Hitler au poste de chancelier. Une fois au pouvoir, Hitler nomme Schacht président de la Reichsbank puis ministre de l’Économie en 1934.

Kaiser a donc trouvé son Hjalmar Schacht, un certain Victor Espinosa, un “chercheur” qui, jusqu’à présent, n’a su qu’enthousiasmer Kaiser.

La publication affirme qu’ « il a un profil académique", ce qui ne veut pas dire grand-chose ou tout dire : c’est un gugusse inexpérimenté. La même publication déclare : "Il a fait ses études de troisième cycle en Espagne et n’a pas occupé de postes à responsabilité dans l’État ou dans le monde privé. Il a été formé par l’un des mentors intellectuels de Milei ».

En clair, c’est un idiot qui n’a jamais travaillé pour personne, ce qui, en économie, n’est pas un obstacle à l’ascension vers les sommets.

Espinosa reconnaît qu’il appartient à une école de pensée où le travail, c’est les autres, puisque ces génies - et leurs employeurs - ne font que penser. Son mémoire de fin d’études s’intitulait « Ludwig von Mises et le rôle de l’économiste : une approche historique ».

Ludwig von Mises est le père putatif de Milei, Musk, Trump et d’autres fanatiques talentueux de la croissance du profit tels que Milton Friedman et Friedrich Hayek. Le truc de Ludwig von Mises, c’est le raisonnement pragmatique :

* s’ils ou elles tètent, ce sont des mammifères....

* s’ils rongent, ce sont des rongeurs

* s’ils pratiquent l’onanisme, ce sont des économistes...

Ludwig von Mises a prononcé des phrases pour l’éternité, genre :

« L’économie de marché n’a besoin ni d’apologistes ni de propagandistes. ... Si vous cherchez un monument [à sa gloire], regardez autour de vous ».

Ludwig regardait vers La Dehesa [équivalent chilien d’Auteuil-Neuilly-Passy]...

Mais votre serviteur et ses lecteurs regardent surtout les favelas, les bidonvilles, les chabolas, les chozas the huts and shacks, die Strohhütten, трущобы.... Bref, nous regardons la misère générée par le marché libre d’une part, et la concentration inimaginable de la richesse entre quelques mains d’autre part.

Voulez-vous une autre citation de Ludwig von Mises ? La voici :

« Le système de production capitaliste est une démocratie économique dans laquelle chaque centime donne droit à un vote. Les consommateurs constituent le peuple souverain ».

Un consommateur comme Elon Musk, avec une fortune de 38 000 000 000 000 000 de cents de dollar, a droit à 38 milliards de voix. C’est pour cela qu’il est là où il est.

Et comme les “consommateurs” constituent le peuple souverain, les connards comme Donald Trump, Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et consorts... règnent sur le beau monde imaginé par Ludwig von Mises et ses épigones.

Regardez ce qui nous attend avec ce putain d’empereur néo-nazi, et son “chercheur” Victor Espinosa, on vous aura prévenus.

Espinosa rêve de jouer le rôle de Terminator, de supprimer l’impôt sur les sociétés, les ministères, les syndicats, le droit du travail, le salaire minimum, l’éducation publique, la santé publique, tout ce qui sent le service public et, surprise, même la Banque centrale. Ce n’est pas une plaisanterie :

« Espinosa s’est montré favorable à l’élimination de la Banque centrale. Dans une émission en continu, il a déclaré que « pour éliminer la Banque centrale et ne pas nous obliger à utiliser le peso, il faut modifier la Constitution. Et nous avons besoin d’une majorité de 4/7. Si nous avons ce quorum, ce sera merveilleux ».

Espinosa ne dit pas s’il veut utiliser le reichsmark ou une autre de ses inventions. Il pourrait tout aussi bien revenir au mode de paiement utilisé autrefois dans les campagnes chiliennes : la “galleta”[du français galette, aujourd’hui on dit cookie, NdT].

En attendant, le progressisme doit encore identifier son prochain traître, pardon, candidat.

Voilà où nous en sommes.


 NdT

Johannes Maximilian Kaiser Barents‐von Hohenhagen, 49 ans, n’a pas créé le parti national-socialiste, mais national-libertarien. Il se voit déjà élu président du Chili en novembre 2025, avec un programme à faire pâlir d’envie Javier Milei. Un exemple de ses positions : « qui ne contribue pas, on le déporte ». Dehors donc les Vénézuéliens, les Haïtiens et autres Boliviens, qui taillent les rosiers, font le ménage et la cuisine et cirent les chaussures de ces messieurs-dames de la haute…

 

 Herr Kaiser a défrayé la chronique lorsqu'il fut élu député par les followers de sa chaîne youtube il y a 4 ans. Il se vantait d'avoir suivi 7 cursus universitaires, de Santiago à Innsbruck en passant par Heidelberg, mais n'en avait mené aucun à bien.

 

06/11/2024

ANDRÉS FIGUEROA CORNEJO
Mireille Fanon, fille de l’auteur des Damnés de la terre : « L’État chilien est raciste et colonial »


Andrés Figueroa Cornejo, 5/11/2024

Andrés Figueroa Cornejo est un journaliste et communicateur social chilien, collaborateur de nombreux sites ouèbe

Le 4 novembre, au terme d’une vigoureuse mission d’observation des droits humains au Chili entamée le 16 octobre, l’éminente juriste Mireille Fanon, fille du brillant militant anticolonialiste et intellectuel révolutionnaire Franz Fanon, a fait ses adieux à un jeune public dans la salle d’honneur de l’université de Santiago. Durant son séjour au Chili, son agenda a été marqué par des visites aux prisonniers politiques mapuches et non mapuches.

À cette occasion, la combattante française a évoqué la situation actuelle en Palestine, précisant que « c’est une guerre d’extermination qui est en train de se dérouler. Et il faut reprendre le concept de « génocide » de Raphael Lemkin, qui stipule qu’un acte de génocide est dirigé contre un groupe national et ses entités. Malheureusement, la commission de l’ONU en charge du dossier n’a pas étendu le terme de génocide au-delà du cas juif lui-même. En fait, aujourd’hui, le génocide de la Palestine se déroule avec le soutien de l’ONU et de la communauté internationale. Par conséquent, nous sommes également complices de ce qui se passe », et il a demandé : »Comment est-il possible pour une organisation de commettre un génocide sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit ?
Il faut remonter à l’époque de la création de la Palestine, sous mandat britannique, pour comprendre. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les Nations unies venaient d’être créées, les Juifs d’Europe ont réclamé un État qui leur soit propre. La résolution 194 de l’ONU a été utilisée à cet effet, arguant que la Palestine était un territoire sans peuple pour un peuple sans territoire.
Les deux premières fois que la résolution a été votée, la proposition a été rejetée, jusqu’à ce que la pression américaine sur la France fasse passer la résolution ».
La fille de l’auteur des Damnés de la terre a déclaré qu’elle avait passé les deux dernières semaines à visiter les prisons où des membres du peuple mapuche sont détenus et qu’elle s’était rendu compte qu’« il existe de nombreuses similitudes entre les cas palestinien et mapuche. Un réseau d’accords entre l’État espagnol et l’État chilien qui a trompé les représentants du peuple d’origine, plaçant la culture et les relations sociales des Mapuches sous la juridiction de la République chilienne. C’est ce qui permet aujourd’hui aux entreprises capitalistes d’exploiter le territoire ancestral.
Tout comme la résolution 194 a permis à l’État d’Israël de “manger” les territoires palestiniens, un faux traité promu par l’État chilien a permis au capital de “manger” les territoires mapuches. De même, la communauté internationale ne reconnaît pas le droit des peuples palestinien et mapuche à se défendre.
« Dans les deux cas, il est facile de constater que le droit international est comateux. La Convention 169 de l’OIT est inapplicable et inopérante dans le cas des Mapuches. Il en va de même, en général, pour le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes.
« Le peuple mapuche devrait bénéficier de la solidarité de tout le peuple chilien pour protéger sa culture, sa terre ancestrale, sa spiritualité, son autonomie et je le dis, tant pour le peuple mapuche que pour le peuple palestinien, et pour les colonies françaises actuelles, dont la Martinique, la terre d’origine de Franz Fanon, le pays de ma famille. Nous avons des exemples similaires ici, en Colombie, en Argentine, aux USA, qui remontent à 1492, lorsque la marchandisation des corps a été imposée pour la première fois et que les colons se sont approprié des terres qui ne leur appartenaient pas par le sang et le vol. Jamais les empires et les colons n’ont payé pour ces crimes, jamais il n’y a eu de réparations politiques et collectives (et je ne parle pas de réparations individuelles qui nous enfermeraient dans la logique du capitalisme libéral, mais de transformation du paradigme de la domination). Depuis, la mondialisation de l’esclavage a émergé en toute impunité. Tout cela au nom de la hiérarchisation des races, société dans laquelle nous vivons encore aujourd’hui et qui est fondée sur la modernité eurocentrique. Cependant, le suprémacisme blanc refuse de reconnaître l’énorme valeur des cultures des Amériques, de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Asie, etc. Si nous voulons changer le monde, nous n’avons pas d’autre choix que d’initier ces réparations à partir de cette ère de l’humanité. Si nous voulons changer le monde, nous n’avons pas d’autre choix que d’initier ces réparations pour cette époque de l’humanité. Nous n’avons pas le droit de nous tromper dans la lutte. Sinon, les criminels seront à nouveau récompensés et les victimes seront criminalisées, qualifiées de terroristes, emprisonnées, torturées, harcelées. Nous ne devons pas oublier que plus de la moitié de la population palestinienne a été emprisonnée. Ici il faut citer Franz Fanon : «Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir».


Comment juges-tu le régime chilien après ta visite ?
« L’État chilien est raciste, il trafique avec des entreprises capitalistes auxquelles il vend des terres mapuches. C’est un État fortement colonial, et pas seulement avec les Mapuches. En fait, il ne mentionne même pas qu’il y a des Afro-Chiliens dans le nord du pays, qui sont invisibles pour lui. Même les Mapuches n’en parlent pas. J’ai rencontré des jeunes en prison qui déclarent ne pas être racistes, mais qui ne considèrent pas l’invisibilisation des Afro-Chiliens comme un problème. Cela m’amène à penser qu’il existe un important racisme structurel institutionnalisé. Et ce qui le sous-tend, non seulement dans l’État chilien, mais dans de nombreux États à travers le monde, c’est la croyance que la société est divisée entre êtres humains et es êtres non-humains. C’est pourquoi je suis convaincue que seule la force des peuples a entre ses mains la tâche de surmonter les relations de colonialité qui prévalent ».


05/10/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Miguel Enríquez, une vie féconde impérissable


Sergio Rodríguez Gelfenstein, 5/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ce 5 octobre marque le 50e anniversaire de la mort au combat de Miguel Enríquez, secrétaire général du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) au Chili. Il y a quelques années, pour commémorer cet anniversaire, j’ai pris la parole lors d’un événement auquel j’étais invité. Je reprends l’« aide-mémoire » de ce discours et l’actualise pour la nécessaire commémoration de la vie et de l’œuvre de Miguel Enríquez.

Je ne veux pas tomber dans une fausse originalité qui m’amènerait à prononcer des mots pompeux, à rappeler des lieux communs et à prononcer les phrases sans engagement qui caractérisent les discours dans lesquels on commémore la vie et l’œuvre d’un combattant populaire, pour ensuite, dans la vie de tous les jours, faire le contraire de ce que l’on dit.

Je ne suis pas seulement là pour dire « honneur et gloire ». C’est pourquoi je vais me permettre de reprendre les mots enflammés d’un grand révolutionnaire vénézuélien, Jorge Rodríguez Senior, qui, le 2 octobre 1975, à l’occasion du premier anniversaire de la mort au combat de Miguel Enríquez, dans un discours prononcé dans l’Aula Magna de l’Université centrale du Venezuela, a dit ceci : « Rendre hommage à Miguel Enriquez est pour les révolutionnaires vénézuéliens et les révolutionnaires du monde entier un engagement et un devoir inaliénable », ajoutant plus tard qu’il s’agissait “... de s’engager à travailler sérieusement à la formation des outils de combat des peuples opprimés du monde...”.

Quarante-neuf ans se sont écoulés depuis cette date mémorable et cinquante depuis le dernier combat de Miguel Enríquez dans la rue Santa Fe du quartier San Miguel de Santiago du Chili. La situation dans le monde, en Amérique latine, au Chili et au Venezuela est différente, mais l’impact de son exemple est toujours présent, comme en témoignent les dizaines d’événements qui ont lieu ces jours-ci au Chili et dans d’autres pays.

Cependant, dans certains secteurs, l’idée persiste que le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR), dont Miguel était le Secrétaire Général, a adopté des positions d’ultra-gauche qui ont joué un rôle décisif dans la chute du gouvernement de l’Unité Populaire (UP) présidé par Salvador Allende. Ces idées étaient et sont toujours présentes au Venezuela. Je pense qu’il vaut la peine d’esquisser quelques réflexions à ce sujet en hommage à Miguel Enríquez à l’occasion du 50e anniversaire de sa disparition physique.

L’accusation rebattue contre le MIR d’être une organisation d’ultra-gauche oblige à établir une définition de ce qu’est la « gauche », afin de replacer cette caractérisation dans sa juste dimension, d’autant plus qu’elle a été décontextualisée de manière intéressée.

Pour qu’il y ait une ultra-gauche, il faut qu’il y ait une gauche. Dans le Chili de 1973, il y avait sans aucun doute des organisations qui s’inspiraient de cette position politique. Cependant, le diagnostic le plus juste de ce qui allait se passer et de ce qui s’est passé a été fait par le MIR dirigé par Miguel Enríquez. Par ailleurs, ce mouvement n’était pas préparé à affronter avec succès la situation créée, alors qu’il était censé l’être.


Il faut rappeler que même le président Allende croyait en cette possibilité lorsque, en pleine défense de La Moneda le 11 septembre, il a dit à sa fille Beatriz de transmettre le message suivant à Miguel Enríquez : « Maintenant, c’est ton tour Miguel ! Le secrétaire général du MIR lui-même avait exprimé son point de vue sur la situation et la possibilité d’un coup d’État dans un discours prononcé au théâtre Caupolicán de Santiago le 17 juillet de la même année. Cependant, rien n’enlève au MIR sa contribution ultérieure et incontestable à la fin de la dictature. Miguel Enríquez a donné un exemple de conséquence qui a été présent jusqu’au dernier jour du gouvernement civilo-militaire qui, vaincu en 1989, continue d’exercer une forte influence sur la politique chilienne jusqu’à aujourd’hui.

Je dois avouer que depuis ma modeste position de lycéen, j’étais un farouche opposant au MIR et que c’est dans les tranchées des combats de la guerre de libération au Nicaragua en 1979 que j’ai pris conscience de la futilité de cette animosité construite de manière intéressée par les dirigeants de la gauche traditionnelle chilienne. J’ai découvert dans les militants du MIR des camarades d’une extraordinaire conviction et des valeurs de solidarité et de lutte profondément enracinées.

Tout cela pour dire que ceux d’entre nous qui étaient à « gauche » et qui caractérisaient le MIR comme une organisation d’ultra-gauche, n’étaient pas loin d’assumer - malgré nos différences - des positions erronées quant à la définition de l’ennemi principal, ce qui permettrait d’établir une politique correcte d’alliances pour unir les forces - dans la diversité - afin d’affronter l’empire et ses laquais locaux à partir de meilleures positions.

Il convient de dire que, dans le Chili d’aujourd’hui, un grand nombre des dirigeants de l’époque, ceux du MIR et ceux de tous les partis qui ont fait partie du gouvernement de l’Unité populaire, font partie du système créé par Pinochet et en tirent profit. D’où l’insignifiance du débat de ces années-là quand on découvre aujourd’hui que les deux partis aspiraient à la même chose.


Le désir frénétique d’être au gouvernement est aujourd’hui au-dessus de toute conviction et de tout comportement éthique que l’on aurait pu avoir dans les années glorieuses de l’Unidad Popular, y compris en établissant des accords avec les promoteurs du coup d’État, qui sont les mêmes qui attaquent actuellement le Venezuela dans tous les forums internationaux auxquels ils participent, les mêmes qui ont soutenu le coup d’État de 2002 contre le président Chávez, les mêmes qui ont réussi à Cúcuta en 2019, les mêmes qui ont participé activement au groupe de Lima.

Il convient de dire que le gouvernement actuel - qualifié de « centre-gauche » - maintient les pratiques néolibérales cimentées par la dictature de Pinochet, a paralysé la mobilisation populaire de 2019, a saboté l’appel à une assemblée constituante originale qui renverserait légalement le système constitutionnel créé par le dictateur et est devenu un féroce répresseur des étudiants, des travailleurs et des Mapuches.

De ce point de vue, on peut se demander qui a été, qui était et qui est de gauche, qui est d’ultra-gauche et qui est une gauche réformiste sans vocation au pouvoir, qui a gaspillé le potentiel de participation et d’organisation populaire généré par le gouvernement de l’UP ? D’un autre point de vue, on pourrait accuser les partis de la gauche traditionnelle d’être les principaux responsables du coup d’État. Ni l’un ni l’autre, ce serait une caricature simpliste de la lutte politique et sociale.

Supposer une analyse aussi superficielle et grossière, c’est sous-estimer l’incroyable potentiel de déstabilisation de l’empire, qui utilise tous les instruments politiques, économiques et militaires pour inverser le cours de l’histoire. C’est là qu’il faut chercher les véritables explications du coup d’État, ainsi que dans l’incapacité du mouvement populaire à construire un rapport de forces qui fasse avancer le processus de changement sans se tromper d’ennemi principal. Dans le cas du Chili en 1973, le MIR ne pouvait certainement pas être placé dans ce camp.

Miguel Enríquez s’est épuisé à présenter une proposition d’organisation et de lutte pour les travailleurs et le peuple chilien. Il l’a fait dans d’innombrables interviews, discours et lettres bien avant le coup d’État, avant même l’arrivée au pouvoir du président Allende. Bien entendu, il a été violemment attaqué par la droite et diabolisé par la gauche traditionnelle.

Après le 11 septembre, dès le 17 février 1974, est publiée la « Directive du MIR pour l’union des forces prêtes à promouvoir la lutte contre la dictature ». Toujours sous la direction de Miguel Enríquez, le document affirme que : « La tâche fondamentale est de générer un large bloc social pour développer la lutte contre la dictature gorille jusqu’à son renversement. Pour ce faire, il est nécessaire d’unir l’ensemble du peuple dans la lutte contre cette dictature et, en même temps, il est stratégiquement nécessaire d’atteindre le plus haut degré d’unité possible entre toutes les forces politiques de gauche et progressistes désireuses de promouvoir la lutte contre la dictature gorille ». Il a proposé la création d’un Front politique de résistance auquel il a appelé à participer les partis politiques de l’UP, les secteurs du Parti démocrate-chrétien (PDC) désireux de lutter contre la dictature gorille et le MIR.

En même temps, il proposait de construire l’unité sur la base d’une plate-forme immédiate avec trois objectifs : l’unité de tout le peuple contre la dictature gorille, la lutte pour la restauration des libertés démocratiques et la défense du niveau de vie des masses. Cette large plate-forme a permis d’intégrer tous les secteurs qui s’opposaient réellement à la dictature.

Aujourd’hui, on pourrait établir des points communs entre cette situation et celle à laquelle le Venezuela est confronté aujourd’hui, le plus important étant l’intention manifeste des USA de répéter au Venezuela ce qu’ils ont réalisé au Chili il y a 51 ans. Dans les deux cas, les laquais locaux se plient servilement aux intérêts impériaux et adoptent des postures terroristes pour atteindre leurs objectifs. De même, dans les deux cas, l’application d’une politique correcte d’unité aurait conduit, ou conduit actuellement, à l’accumulation des forces nécessaires pour aller de l’avant.

Il est valable de s’être opposé ou de s’opposer au MIR chilien et à ses propositions de lutte dans les années 60 et 70 du siècle dernier, mais il faut être clairvoyant pour reconnaître la valeur morale et éthique indéniable de Miguel Enriquez. Ce n’est que sa conséquence révolutionnaire qui l’a fait rester au Chili après l’instauration de la dictature, pour assumer un rôle dans la direction des forces de résistance. L’attitude du MIR est indissociable de celle de son secrétaire général.

Miguel Enriquez a été la figure la plus visible d’une pléiade de dirigeants qui ont façonné une étape très complexe de la lutte politique au cours de laquelle il a fallu passer du réformisme social-chrétien soutenu par l’Alliance pour le progrès, aux jours radieux du gouvernement du président Allende et, de là, à la dictature criminelle de Pinochet, également soutenue politiquement, militairement et économiquement par les USA et le cadre politique fourni par la droite fasciste et démocrate-chrétienne dans son opposition féroce et déloyale à Salvador Allende.

Se souvenir de Miguel Enriquez est un acte de justice, c’est une responsabilité envers la mémoire qui doit accompagner la lutte des peuples, c’est réaffirmer qu’après une étape vient une autre étape dans laquelle l’engagement pour la recherche d’un monde meilleur est ratifié, c’est s’assurer que son absence physique ne nous empêche pas de partager avec joie la grandeur d’un homme qui n’a vécu que 30 ans, mais qui sera toujours présent dans la lutte et la victoire du Chili et de l’Amérique Latine.

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04/10/2024

Vie et mort de Miguel Enríquez, révolutionnaire chilien
Assassiné à 30 ans le 5 octobre 1974 à Santiago du Chili

Miguel Enríquez aurait eu 80 ans le 27 mars 2024. Mais il est mort, âgé d’à peine 30 ans, le 5 octobre 1974, à Santiago du Chili, assassiné par les sbires de la dictature militaire qui s’était abattue sur le Chili le 11 septembre 1973. Miguel Enríquez était l’un des fondateurs et le dirigeant du MIR, le Mouvement de la gauche révolutionnaire. Il avait consacré les dix dernières années de sa courte vie à la lutte révolutionnaire. Pedro Naranjo Sandoval, qui fut un militant du MIR, dont il s’est fait l’historien, nous raconte la vie de Miguel Enríquez. Manuel Cabieses Donoso nous raconte son dernier jour de vie. Et le sous-commandant insurgé Marcos lui rend hommage depuis les montagnes du sud-est mexicain.


Vie et mort de Miguel Enríquez, révolutionnaire chilien
Collection “erga omnes” n° 5
Éditions The Glocal Workhop/L’Atelier Glocal, 5 octobre 2024
134 pages, A5

Classification Dewey : 320 – 920 – 980

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