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28/08/2025

QASSAM MUADDI
Israël voulait punir le village palestinien d’al-Mughayyir : il a donc détruit 10 000 de ses oliviers

Israël a déraciné 10 000 oliviers à al-Mughayyir lors d’un siège de trois jours de ce village palestinien de Cisjordanie. L’armée israélienne a déclaré que le déracinement des arbres visait à « dissuader » les habitants du village et à leur faire « payer un prix fort ».

Qassam Muaddi, Mondoweiss, 26/8/2025

Traduit par Tlaxcala

 Les habitants palestiniens d’al-Mughayyir inspectent les dégâts causés par le siège israélien de trois jours sur le village, le 25 août 2025. (Photo : Anne Paq/Activestills)

Israël vient de détruire les oliveraies du village palestinien d’Al-Mughayyir, au nord-est de Ramallah, où la production d’huile d’olive représente une part importante des revenus annuels de la plupart des familles. L’armée israélienne avait imposé un couvre-feu au village jeudi dernier et avait commencé à fouiller les maisons, arrêtant un nombre indéterminé de Palestiniens, dont le maire du village, Ameen Abu Alia, pendant trois jours. Le siège d’al-Mughayyir fait suite à des informations selon lesquelles un colon israélien aurait été attaqué près du village, après quoi les bulldozers de l’armée israélienne ont déraciné quelque 10 000 oliviers dans la plaine orientale du village, selon l’association locale des agriculteurs. Certains de ces arbres avaient jusqu’à 100 ans.

L’armée israélienne a déclaré que le couvre-feu et la destruction des terres agricoles du village visaient à capturer l’agresseur, mais le quotidien israélien Haaretz a cité le chef du commandement central de l’armée israélienne qui a déclaré que « l’arrachage des arbres visait à dissuader tout le monde. Pas seulement ce village, mais tout village qui tenterait de s’en prendre aux résidents [colons israéliens] ». Le commandant israélien aurait déclaré que « chaque village doit savoir que s’il commet une attaque, il en paiera le prix fort et sera soumis à un couvre-feu et encerclé ».

Le village d’al-Mughayyir est dans le collimateur de l’armée israélienne et des colons depuis au moins deux ans. Depuis octobre 2023, les colons israéliens ont attaqué al-Mughayyir à plusieurs reprises, la plus grande attaque ayant eu lieu en avril 2024, au cours de laquelle les colons ont endommagé des baraques agricoles et des maisons, et tué un Palestinien qui défendait sa maison depuis son toit. L’armée israélienne a de plus en plus restreint l’accès des villageois à leurs terres agricoles, en particulier à leurs oliveraies situées à l’est, rendant finalement toute la plaine orientale du village inaccessible aux Palestiniens.


 Le village surplombe les pentes de la vallée du Jourdain, juste à côté de la route israélienne Allon, construite au début des années 1970, qui traverse la partie orientale de la Palestine du nord au sud, parallèlement à la vallée du Jourdain. Depuis 2019, le gouvernement israélien a déclaré son intention d’annexer toute la zone à l’est de la route Allon, y compris l’ensemble de la vallée du Jourdain.

Depuis octobre 2023, les colons israéliens ont intensifié leurs attaques contre les communautés rurales palestiniennes dans ces zones, expulsant des dizaines de familles bédouines et vidant la région de toute communauté palestinienne. Ces derniers mois, les colons israéliens et l’armée israélienne se sont concentrés sur le harcèlement des villages adjacents à la route israélienne, restreignant les déplacements des Palestiniens et leur accès à leurs terres.

Des moyens de subsistance détruits

« Vers 8 h 30 du matin, l’armée d’occupation est entrée dans le village et a imposé un couvre-feu, puis elle a commencé à entrer dans les maisons et à les fouiller », a déclaré Fayez Jabr, agriculteur et villageois d’al-Mughayyir, à Mondoweiss. « Certaines maisons ont été fouillées trois ou quatre fois, et l’armée d’occupation a arrêté de nombreux jeunes hommes et le maire. Pendant ce temps, les bulldozers de l’occupation ont continué à déraciner les oliviers dans la plaine orientale. »

« Ils ont déraciné des milliers d’arbres sur une superficie de quatre kilomètres carrés, ce qui représente jusqu’à la moitié de la production d’olives d’al-Mughayyir », a poursuivi Jabr. « Toutes les familles du village ont été touchées. »

Jabr a ajouté que l’armée israélienne avait également détruit les cultures d’olives dans d’autres parties des terres agricoles du village. « Il y a quatre mois, ils ont déraciné 80 oliviers appartenant à mon cousin et moi-même à l’ouest du village », a-t-il déclaré, indiquant que l’armée israélienne avait confisqué des terres agricoles dans la partie sud du village pour construire une nouvelle route destinée à relier un avant-poste de colons récemment établi sur un parc pour enfants appartenant au village.

« Nos terres agricoles au sud du village ont été confisquées et nous avons un accès restreint aux terres agricoles à l’ouest », a précisé Jabr. « Les terres agricoles les plus importantes de la plaine orientale ont maintenant été rasées au bulldozer. »

Jabr a fait remarquer que les seuls oliviers qui restaient aux villageois se trouvaient dans les environs immédiats du village, autour et entre les maisons. « Avant octobre 2023, ma famille et moi produisions jusqu’à 80 bidons d’huile d’olive, de 16 litres chacun », a-t-il rappelé. « Mais au cours des deux dernières saisons, nous avons à peine produit 10 bidons. »

À moins de deux mois de la récolte annuelle des olives, la destruction d’un si grand nombre d’oliviers aura un impact sur une industrie locale déjà en difficulté. « Nous aurons de la chance si nous produisons deux bidons cette année », a déclaré Jabr.

L’intensification des attaques de l’armée israélienne contre les terres agricoles palestiniennes en Cisjordanie s’est accompagnée d’une expansion croissante des plans de colonisation israéliens. La semaine dernière, le gouvernement israélien a approuvé la construction de nouveaux quartiers de colons dans une zone stratégique de Cisjordanie à l’est de Jérusalem, connue sur les cartes israéliennes sous le nom de E-1. Ce projet s’inscrit dans l’objectif plus large d’Israël de séparer le nord et le centre de la Cisjordanie du sud afin d’effacer la contiguïté territoriale d’un éventuel État palestinien, notamment grâce à un projet d’infrastructure récemment approuvé qui redirigerait les mouvements palestiniens dans la zone E1 via un réseau de tunnels.

Le projet de colonisation E-1 permettrait de relier la colonie israélienne illégale de Maale Adumim à Jérusalem, d’étendre la présence des colons israéliens entre Jérusalem et la vallée du Jourdain et de diviser effectivement la Cisjordanie en deux. Selon le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, ce projet « effacerait l’État palestinien par des actes, et non par des mots ».

Dans le même temps, les colons israéliens ont multiplié leurs attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), « le nombre mensuel de Palestiniens blessés par des colons israéliens a plus que doublé en juin et juillet 2025 (environ 100) par rapport à une moyenne de 49 par mois entre janvier et mai 2025 et de 30 par mois en 2024 ».

Depuis octobre 2023, les forces israéliennes et les colons ont tué au moins 1 000 Palestiniens en Cisjordanie, tandis que les forces israéliennes en ont arrêté plus de 10 000.

 



27/08/2025

GIDEON LEVY
Cisjordanie occupée : en une nuit, des colons ont saccagé trois communautés palestiniennes, faisant un mort
Signé : “Vengeance des Juifs nazis”

Des colons masqués, armés de matraques, ont surgi au milieu de la nuit et ont incendié des voitures en mettant le feu à leur moteur. Les soldats, arrivés une heure plus tard, ont tiré des gaz lacrymogènes sur les habitants qui tentaient encore d’éteindre les flammes.


Une voiture incendiée à Silwad

 Gideon Levy et Tomer Appelbaum (photos), Haaretz, 24/8/2025

Traduit par Tlaxcala

Mohammad Romaneh, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, affirme n’avoir jamais été témoin d une série d’attaques aussi coordonnées et bien orchestrées que celles de la nuit du 31 juillet.

Dans trois communautés palestiniennes différentes de Cisjordanie, des dizaines d’habitants se sont réveillés exactement au même moment, peu après 2 h 15 du matin, et ont vu leurs voitures partir en fumée dans la cour de leur maison. Les flammes ont également léché les maisons et mis en danger leurs occupants. Dans les trois endroits – la ville de Silwad et les villages de Ramun et Abu Falah, tous situés dans la même région, près de Ramallah – le mode opératoire était le même : des individus masqués ont fait irruption et ont commencé à incendier des voitures à un rythme rapide, en mettant d’abord le feu aux moteurs.

Une attaque particulièrement audacieuse a été menée à Silwad, où des colons se sont infiltrés pour la première fois ; ils se sont répartis en trois groupes et ont incendié des voitures garées devant trois maisons. Des voitures pour prendre la fuite les attendaient à un kilomètre de là, sur l’autoroute 60, qui traverse la Cisjordanie.

Dans tous les cas, des matériaux inflammables ont été utilisés pour attiser les incendies et provoquer des explosions lorsque les Palestiniens ont versé de l’eau dessus. Des témoins oculaires ont rapporté que les voitures ont pris feu très rapidement et que la chaleur semblait inhabituellement intense.

Une nouvelle colonie a été établie il y a environ un an sur des terres appartenant à Silwad. Elle est actuellement habitée par deux familles de squatteurs qui ont pris le contrôle de pas moins de 10 000 dunams (1000 hectares) de terres agricoles, soit apparemment environ la moitié de toutes les terres agricoles de la ville, auxquelles les habitants ne s’approchent plus par crainte de représailles de la part des colons.

Quoi qu’il en soit, tôt ce vendredi matin, les pogromistes, qui sont arrivés à pied dans la ville, ont laissé des graffitis injurieux en hébreu et une traînée de destruction. Une personne est également morte sur place, probablement des suites d’une inhalation de fumée, alors qu’elle tentait d’éteindre l’incendie de la voiture de son frère. Le défunt, Khamis Ayyad, 40 ans, père de cinq enfants, était un citoyen usaméricain qui exploitait un service de livraison à Chicago depuis la ville de Cisjordanie.

Restes d’une voiture incendiée à Silwad, il y a environ un mois. Romaneh, chercheur à B’Tselem, est convaincu que l’attaque avait été planifiée à l’avance, y compris la collecte de renseignements. 

Hussein Hamad, ancien ouvrier du bâtiment âgé de 67 ans et père de sept enfants, vit avec sa famille élargie dans un spacieux immeuble de trois étages à Silwad. Hamad s’est réveillé à 2 h 15 du matin au bruit de pierres qui tombaient. Son fils, Rifat, 47 ans, qui travaille dans une usine de marbre, a également été réveillé par le bruit dans son appartement. En regardant par la fenêtre, Rifat a vu deux hommes masqués s’éloigner vers l’ouest, en direction de l’autoroute 60. Il était certain qu’il s’agissait de voleurs, a-t-il déclaré cette semaine au journal Haaretz.

Il n’aurait jamais imaginé que des colons puissent entrer à pied dans une ville palestinienne et incendier des voitures. Hamad leur a crié en arabe, et ils lui ont répondu en hébreu, une langue que Rifat ne parle pas. Il a alors compris que les colons étaient déjà passés devant sa maison. En descendant, il a découvert un spectacle aussi effrayant qu’étonnant : quatre des véhicules de la famille, garés dans la cour, étaient en flammes.

Le SUV Kia Sorento de son père, le véhicule utilitaire Mercedes-Benz 416 que Rifat utilise pour son travail, la Hyundai appartenant à sa sœur Aya et la Mazda de son frère Nur – tous brûlaient violemment. Seule la Skoda de Rifat a été épargnée.

Les flammes se sont propagées et ont commencé à brûler les murs du bâtiment dans lequel vivent 13 membres de la famille, dont deux jeunes enfants et une femme enceinte. La Mercedes était garée devant la fenêtre d’un débarras où se trouvait un bidon de fioul destiné au chauffage en hiver. Si le feu s’était propagé à cet endroit, une catastrophe encore plus grave aurait pu se produire. Rifat s’est précipité pour aller chercher un tuyau d’arrosage afin d’éteindre les flammes, mais celles-ci n’ont fait que monter plus haut, et des explosions ont également été entendues, probablement dues au phosphore ajouté par les pyromanes.

Pendant ce temps, deux voitures ont pris feu dans la cour des voisins, qui vivent aux USA. Mohammed Atshe, 40 ans, qui se trouvait dehors avec sa femme et leur fils de 4 ans, essayant de faire dormir le petit, a raconté à Romaneh, de B’Tselem, qu’il avait remarqué quatre silhouettes qui erraient dans les environs. Pensant qu’il s’agissait d’un incident entre voisins, il leur a crié : « Shebab, hadu » – « Les gars, calmez-vous ».

Les quatre se sont tournés vers lui, et il a vu qu’ils tenaient des gourdins. Ils lui ont crié dessus en hébreu, qu’il ne comprend pas, et, réalisant qu’il s’agissait de colons, il a couru aussi vite qu’il le pouvait avec sa femme et son fils vers l’immeuble des Hamad, où il a vu d’autres voitures en feu. Avec sa femme et son enfant, il s’est enfui vers le centre de la ville, où les habitants qui avaient entendu les explosions s’étaient rassemblés. Les habitants ne croyaient toujours pas qu’ils étaient attaqués par des colons, qui avaient osé entrer dans la ville à pied.

Un incendie s’est également déclaré près d’une autre maison, à quelque distance de celle des Hamad et des Atshe. Avant de s’enfuir vers l’autoroute 60, les colons ont incendié une Ford Focus appartenant à Anas Ayyad, 39 ans, un citoyen usaméricain qui vit avec sa famille dans une villa à la périphérie ouest de Silwad. Sa voiture était également garée dans la cour, et non dans la rue.

À ce moment-là, les habitants tentaient d’éteindre l’incendie qui ravageait le bâtiment des Hamad. Certains jeunes qui ont poursuivi les incendiaires ont raconté plus tard à Romaneh que deux véhicules, une camionnette et une voiture particulière, les attendaient sur l’autoroute. Les auteurs ont pris la fuite vers le sud, en direction d’Ofra et d’autres colonies situées le long de la route.

Une voiture incendiée à Silwad, il y a environ un mois. Les assaillants sont entrés à pied, ont utilisé un accélérant pour intensifier le feu et ont laissé derrière eux un slogan haineux en hébreu.

Près d’une heure s’est écoulée avant que les pompiers et les secours arrivent à Silwad tôt ce matin-là, en provenance de la ville de Bir Zeit, près de Ramallah. Environ un quart d’heure plus tard, une force militaire israélienne est arrivée à la résidence Hamad. Les soldats ont lancé des gaz lacrymogènes sur ceux qui luttaient encore contre les flammes.

Les habitants affirment que l’armée aurait dû voir les événements se dérouler depuis le poste de contrôle qui sépare le village de Yabrud de Silwad, et qui est visible à l’œil nu.

À 4 h 30, d’autres soldats sont arrivées. Un soldat arabophone a interrogé Rifat. L’après-midi suivant, des policiers sont arrivés, escortés par l’armée. Ils ont photographié les carcasses fumantes des voitures, recueilli le témoignage de Rifat et confisqué la caméra de sécurité installée sur la clôture de l’école en face du bâtiment des Hamad. Les forces israéliennes n’ont pas pris la peine de se rendre au domicile d’Anas Ayyad. La même nuit, un message a été publié dans le groupe WhatsApp de Silwad annonçant la mort de Khamis Ayyad.

Mais les raids ne se sont pas limités à Silwad, comme on l’a dit. Au même moment, des colons masqués sont entrés dans le village de Ramun, à environ 4 kilomètres à l’est, et ont incendié quatre ou cinq voitures. À Khirbet Abu Falah, à environ 10 kilomètres au nord de Silwad, d’autres maraudeurs ont incendié une voiture et deux oliviers.

Selon Romaneh, plusieurs groupes de colons ont agi séparément, compte tenu du laps de temps et de la distance entre les sites. Mais la méthode était identique dans les trois endroits. Le chercheur de terrain affirme être certain que toute l’opération avait été planifiée à l’avance, y compris la collecte de renseignements.

Plus tard dans la matinée, la famille Hamad a fait enlever les restes des véhicules et a commencé à réparer l’entrée noircie du bâtiment. Les travaux de rénovation étaient terminés lorsque nous nous sommes rendus sur place cette semaine ; tous les véhicules, à l’exception de la Mercedes utilitaire, étaient complètement détruits. Bien sûr, leur assurance ne couvre pas les actes de violence commis par les colons. Rifat estime les dommages à 270 000 shekels (environ 70 000 €), auxquels s’ajoutent 10 000 shekels pour la réparation de l’entrée et le remplacement des fenêtres brisées par le feu. À cela s’ajoutent des dépenses supplémentaires, notamment pour l’éclairage, de nouvelles caméras et un portail. Le châssis calciné d’une des voitures a été laissé à l’extérieur du débarras en guise de mémorial improvisé.

Une voiture incendiée par des colons devant une maison à Silwad, dont les propriétaires vivent aux USA. 

Nous nous rendons en voiture chez la famille Ayyad. Khamis a vécu 17 ans à Chicago avant de revenir dans sa ville natale il y a cinq ans afin d’y élever ses cinq enfants nés aux USA. En raison de son travail, Khamis avait adapté son emploi du temps à l’heure de l’Illinois : il se couchait à 5 heures du matin et se levait à midi.

Son frère, Anas, qui a vécu pendant 20 ans en Pennsylvanie, est également citoyen usaméricain et est également revenu en Cisjordanie avec sa femme et ses enfants. Anas nous raconte qu’il s’est réveillé vers 2 h 30 du matin ce vendredi-là à cause du bruit dans la cour. Sa Ford était déjà en feu. Khamis, qui habitait à proximité, s’est précipité pour aider à éteindre les flammes. Mais celles-ci et la fumée ne faisaient que monter plus haut.

Après avoir réussi à éteindre le feu, Khamis a dit à Anas qu’il ne se sentait pas bien. Il s’est soudainement mis à vomir. Anas l’a emmené d’urgence à la clinique médicale d’urgence locale. À leur arrivée, Khamis a cessé de respirer ; il a alors été évacué vers l’hôpital gouvernemental de Ramallah, où son décès a été prononcé.

Selon Anas, le scanner réalisé sur son frère a montré que ses poumons avaient été brûlés par la fumée qu’il avait inhalée. Les résultats de l’autopsie, réalisée par la suite à l’hôpital An-Najah de Naplouse, n’étaient pas encore connus au moment de la rédaction de cet article.

Quelques jours plus tard, Anas a été convoqué au poste de police du district de Binyamin pour témoigner. Lorsqu’il est arrivé à l’heure prévue, l’agent à l’entrée lui a dit qu’il n’avait pas de rendez-vous et l’a renvoyé. C’est la dernière fois qu’il a eu des nouvelles de la police.

Un porte-parole de la police israélienne a envoyé cette semaine la réponse suivante à une question du journal Haaretz, qui est confuse et contredit la version des faits d’Anas : « En ce qui concerne les domaines de responsabilité, nous tenons à préciser que l’armée israélienne, le Shin Bet [service de sécurité] et la police opèrent chacun dans le cadre de leur sphère de compétence, conformément aux procédures d’application de la loi en vigueur à Ayosh [région de Judée-Samarie] et à sa division en zones A/B/C.

L’armée israélienne, en tant que souveraine dans ce domaine, est chargée de prévenir les événements violents et de [maintenir] la sécurité courante dans les zones A et B. Le pouvoir d’enquête dans les affaires impliquant des violences criminelles est attribué à la police israélienne, dans certains cas avec l’aide du Shin Bet. Dans chaque enquête menée par la police du district de Shai [Judée-Samarie], dans les cas de violence extrême, la police met en œuvre tous les moyens et toutes les capacités à sa disposition pour traduire les auteurs en justice ».

 

Hussein Hamad près de son domicile à Silwad, il y a environ un mois. Une force militaire israélienne est arrivée plus d’une heure après le début des incendies, alors qu’elle aurait pu voir ce qui se passait depuis le poste de contrôle.

« Contrairement à ce qui est affirmé, le frère de l’homme qui a été tué n’a pas été « expulsé » de la station de Binyamin. Une enquête a révélé que la première fois, un garde à l’entrée de la zone industrielle de Shaar Binyamin ne l’avait pas autorisé à entrer, conformément aux directives de sécurité de l’armée israélienne, qui interdisent l’entrée des Palestiniens sans coordination préalable. De plus, la convocation initiale qu’il avait reçue concernait un autre poste, et non celui de Binyamin.

La deuxième fois, après qu’il a été convoqué au poste de Binyamin, une coordination appropriée a été effectuée avec le consulat [usaméricain], et il est entré dans le poste sans retard inutile. L’ensemble de la procédure requise a été menée sur place de manière complète et professionnelle.

Nous tenons à souligner que l’enquête est menée de manière professionnelle et approfondie par l’unité centrale du district de Shai, qui met tout en œuvre pour retrouver les auteurs des infractions et les traduire en justice. »

Le service du porte-parole de l’armée israélienne a déclaré : « Des informations ont été reçues concernant l’incendie de biens et de véhicules à Silwad, Khirbet Abu Falah et Ramun, qui se trouvent [dans le périmètre] de la brigade de Binyamin. Dès réception de ces informations, les forces de sécurité se sont précipitées sur les lieux. Au cours des perquisitions menées par les troupes à Silwad et Khirbet Abu Falah, des voitures incendiées et des graffitis en hébreu ont été découverts, mais aucun suspect n’a été localisé. Lorsque les forces sont arrivées pour fouiller Kafr Ramun, aucune découverte n’a été faite et aucun suspect ni incendie criminel n’a été identifié dans la zone. À la suite de ces événements, des enquêtes ont été ouvertes par la police israélienne».

Jude, le fils de Khamis âgé de 8 ans, erre dans la maison, hébété, et ne répond pas aux questions des étrangers. Comme ses frères et sœurs, il est né à Chicago et son père est maintenant mort à Silwad dans un incendie allumé par des colons. À l’exception de Haaretz, aucun média israélien n’a rendu compte de ces incidents.

Les photos prises par Romaneh, chercheur de terrain pour B’Tselem, le lendemain des invasions sont sinistres : des châssis de voitures calcinés, des murs carbonisés et, griffonné en rouge sur un mur du bâtiment de la famille Hamad, « Vengeance des Juifs nazis » – avec une étoile de David à côté.

08/08/2025

HAARETZ
Se taire, c’est se rendre

Éditorial, Haaretz, 8/8/2025
Traduit par Tlaxcala

 


Le cabinet de sécurité s’est réuni jeudi soir pour discuter d’une nouvelle extension de la guerre à Gaza, un maillon supplémentaire dans une longue chaîne qui finira certainement par avoir son propre nom. Les noms changent, mais le refrain reste le même : occupation, destruction et transfert forcé de dizaines de milliers de Palestiniens. D’autres soldats seront sacrifiés sur cet autel, et les otages israéliens restants seront perdus. Le gouvernement Netanyahou a fait de ces deux groupes des dommages collatéraux.

Face à cette vision cauchemardesque, motivée par des considérations personnelles et messianiques juives, nous ne pouvons rester indifférents. Nous ne devons pas rester silencieux. C’est pourquoi plus de 2 000 artistes et personnalités culturelles ont signé une pétition appelant à la fin de la guerre, intitulée « Stop à l’horreur à Gaza ». Celle-ci a tendu un miroir important au public, même si de nombreux Israéliens préfèrent le briser ou détourner le regard.

La pétition des artistes reflétait une vérité humaine fondamentale que le gouvernement cherche à étouffer : il est immoral de faire du mal à des innocents. Par conséquent, selon la pétition, il est impossible d’accepter « le meurtre d’enfants et de civils, les politiques de famine, les déplacements massifs et la destruction sensible de villes entières ». Les ordres illégaux ne doivent pas être donnés, et s’ils le sont, ils ne doivent pas être obéis, ajoute la pétition, réitérant ce qui devrait être évident. Mais pas en Israël sous le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Depuis la publication de la pétition, une campagne systématique a été menée pour faire taire les signataires. Parmi les participants figurent des ministres et des politiciens hors du gouvernement, des collaborateurs des médias, des militants d’extrême droite et de nombreuses autres personnalités culturelles. Des maires ont également annoncé qu’ils ne commanderaient pas de spectacles aux artistes ayant signé la pétition, qu’ils accusent d’« incitation à la haine contre les soldats de l’armée israélienne ». Il est devenu évident que dans l’Israël d’aujourd’hui, une seule opinion peut être exprimée entre l’opposant Yair Lapid et le rappeur d’extrême droite Yoav (« l’Ombre ») Eliasi. Ce consensus frauduleux est un chœur qui chante à l’unisson.


Alon Oleartchik et Assaf Amdursky

La pression exercée sur les signataires de la pétition n’a été que partiellement couronnée de succès. Certains d’entre eux (Assaf Amdursky, Alon Oleartchik) n’ont pas résisté à la pression et aux menaces et ont retiré leur signature. Dans le cas d’Oleartchik, sa rétractation publique a porté ses fruits : une de ses représentations qui avait été annulée a été rétablie. Cela montre non seulement le pouvoir de la censure, officielle et officieuse, mais aussi le fait que certaines personnes choisissent de collaborer avec elle.

Face à cette campagne de musellement, nous ne devons pas céder. Le plan que Netanyahou est en train de mettre en œuvre conduira à la destruction totale de Gaza, mais aussi des fondements moraux d’Israël. En s’opposant à la guerre et à ses crimes, les personnalités culturelles se sont jointes à des personnes partageant les mêmes opinions dans le monde universitaire, les organisations non gouvernementales et même au sein de l’armée elle-même. Toutes sont essentielles pour forger une alternative au culte de la mort prôné par le gouvernement.

Aujourd’hui plus que jamais, après tant de jours de tueries sans précédent et alors qu’Israël est à deux doigts de sombrer dans une guerre perpétuelle, chaque Israélien doit s’élever haut et fort contre cette situation. Se taire, c’est se rendre.

22/07/2025

ODED CARMELI
Quand les Israéliens ont-ils cessé de lire des livres ?

En Israël, un livre salué par la critique peut se vendre à 200 exemplaires, voire un seul. Les lecteurs ne s’intéressent plus au célèbre romancier David Grossman : ils préfèrent la littérature érotique et la propagande de droite.


Lire tout en tenant un parapluie en équilibre et en flottant dans la mer Morte, au début du XXe siècle. Photo : Bibliothèque du Congrès, Science Photo Library

Oded Carmeli, Haaretz, 20/7/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Écouter résumé audio

Oded Carmeli (Kfar Saba, 1985) est un poète, journaliste et éditeur israélien vivant à Tel Aviv. En 2006, il a cofondéKetem, un fanzine littéraire avant-gardiste (2006-2008), ainsi que le premier Festival de poésie de Tel Aviv (2007). Il travaille actuellement comme rédacteur et écrit pour plusieurs journaux et magazines, dont Hava ALehaba (Allons vers l’avenir.), fondée en 2011, à laquelle est rattachée une maison d’édition, Hava Laor, créée en 2015. Carmeli a remporté le prix « Poetry for the Road » de Tel Aviv en 2008.Bibliographie


 Si vous visitez la bibliothèque publique Beit Ariela à Tel Aviv, vous n’en croirez pas vos yeux. L’endroit est bondé. La salle de lecture est pleine à craquer, la salle d’étude est bondée, et n’espérez pas trouver une place à une table dans la bibliothèque Rambam. Mais comme dans le sketch « Cheese Shop » des Monty Python, il manque une chose : les livres.

De nombreuses autres formes d’activité humaine s’y déroulent. Les architectes dessinent, les avocats tamponnent des documents, les monteurs vidéo montent des films. Ils font tout sauf lire des livres.

J’ai vu un homme en chemise déchirée s’approcher d’une étagère et en sortir un gros ouvrage intitulé « Encyclopédie des idées ». « Waouh, me suis-je dit, voilà quelqu’un qui aime approfondir ses connaissances ! » Mais il a posé le livre à plat et a placé son ordinateur portable dessus. Il avait raison. C’est mieux pour les articulations quand le clavier est surélevé.

Bas du formulaire

Il y a peu, la bibliothèque a publié une annonce sur Facebook (je pense que la municipalité de Tel Aviv bat tous les autres gouvernements locaux du monde en matière de publicités par habitant). La vidéo montre un homme qui s’approche d’une bibliothécaire et lui demande : « Avez-vous le nouveau livre de... » Mais la bibliothécaire l’interrompt : « Oh ! Les livres, c’est un bon début. Laissez-moi vous montrer ce que nous avons d’autre à la bibliothèque. »

Elle lui montre ensuite des choses  comme un studio de podcast et une imprimante 3D. Et quand le pauvre garçon lui rappelle : « Mais tu m’avais promis de me prêter ce livre », elle lui propose des conférences, des ateliers et des spectacles. J’avais envie de crier : « Donne-lui ce livre ! Ce garçon veut un livre ! Il est la preuve vivante que quelqu’un veut encore lire des livres ! »


Des visiteurs travaillant sur leurs ordinateurs portables à la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem. Photo Yahel Gazit

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Un bon livre publié par un bon éditeur et bénéficiant de bonnes critiques se vend à environ 500 exemplaires de nos jours (oui, ça inclut les livres électroniques et les livres audio). Un livre plus populaire se vendra à 1 000 exemplaires, et un best-seller pourra atteindre les 10 000 exemplaires.

Il y a dix ans, un livre ordinaire se vendait à 1 000 exemplaires, un livre à succès à quelques milliers et un best-seller atteignait les dizaines de milliers. Mais la population de lecteurs a diminué. Israël connaît une explosion démographique, mais l’Israël intellectuel est en voie d’extinction.

En réalité, un livre encensé par la critique peut se vendre à 200 ou 300 exemplaires. Et un livre qui fait la une des journaux du week-end peut ne pas se vendre à un seul exemplaire ce week-end-là.

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Selon le ministère de la Culture, 74 % de la population dans la colonie d’Efrat, en Cisjordanie ont emprunté des livres à leur bibliothèque locale en 2022, contre seulement 8 % à Tel Aviv. Dans la colonie de Kiryat Arba, 71 % des habitants étaient abonnés à une bibliothèque, contre 10 % à Kfar Sava.

Dans la colonie d’Elkana, ce chiffre était de 62 % ; à Metula, dans le nord, il était de 13 %. Tout comme dans les unités d’élite de l’armée, chaque année, on voit de plus en plus de personnes portant la kippa dans les bibliothèques, les librairies et les salons du livre.

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Chaque année, des sondages sur la lecture sont publiés pendant la Semaine du livre hébreu. Par exemple, le quotidien Israel Hayom a publié une enquête montrant que l’année dernière, 51 % des Israéliens ont lu entre un et cinq livres, 18 % entre six et dix, 10 % entre onze et vingt, 19 % plus de vingt, et 2 % ont donné la réponse étrange : « Je ne m’en souviens pas ».

Mais les sondages mentent. Ou plutôt, les personnes interrogées mentent. Il n’est pas agréable d’admettre son ignorance. Comment le sais-je ? Parce que si 51 % des Israéliens lisaient réellement entre un et cinq livres par an, nous, les éditeurs, serions millionnaires.

Pour savoir combien lisent réellement les Israéliens, il faut creuser profondément dans les données fournies par le Bureau central des statistiques. En 2022, les dépenses moyennes des ménages en Israël s’élevaient à 17 600 shekels (4 490€) par mois. Sur ce montant, les ménages consacraient en moyenne 22 shekels [=5,61€] à l’achat de livres, soit un peu plus 0,1%.

En 2003, ces chiffres étaient respectivement de 10 139 shekels [=2587€] et 19,1 shekels [=4,87€], soit près de 0,2%. En bref, les Israéliens dépensent aujourd’hui deux fois moins pour les livres qu’il y a vingt ans.

Étant donné que le prix moyen d’un livre neuf est d’environ 80 shekels [=20€], une famille moyenne de 3,17 personnes achète aujourd’hui un tiers de livre par mois, y compris les livres pour enfants et les livres religieux. Ainsi, l’Israélien moyen, qui dépense 7,07 shekels [=1,80€] par mois en livres, atteint le montant total nécessaire pour acheter un livre tous les 11,5 mois. En d’autres termes, les Israéliens achètent un livre par an. (Ils l’achètent, mais cela ne signifie pas qu’ils le lisent.)


La bibliothèque publique Beit Ariela à Tel Aviv pendant une grève. Photo Daniel Bar-On

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La bonne question n’est pas pourquoi nous avons arrêté de lire. Après tout, lire n’est pas une partie de plaisir ; se saouler ou boire en regardant une émission culinaire à la télévision est bien plus agréable.

La bonne question est pourquoi les gens lisent. Et la réponse est que jusqu’à récemment, tout le monde s’accordait à dire qu’il était impossible d’être cultivé sans lire de livres. Et tout le monde s’accordait à dire qu’une personne cultivée était un euphémisme pour désigner une personne intelligente.

Il n’y a pas si longtemps, les membres de la classe moyenne invitaient leurs amis dans leur salon et voulaient paraître cultivés. Ils leur demandaient donc : « Avez-vous lu le dernier roman d’A. B. Yehoshua ? Et si vous ne le faisiez pas, vous étiez humilié. Vous étiez un idiot.

Mais aujourd’hui, quiconque poserait cette question serait considéré comme un idiot. C’est ainsi que les lecteurs de la classe moyenne ont été éliminés.

Le problème, bien sûr, c’est qu’il est vraiment impossible d’être intelligent sans lire de livres. Mais aujourd’hui, vous pouvez obtenir une licence et une maîtrise – en littérature – sans vraiment lire quoi que ce soit. Vous en ressortirez complètement idiot, mais avec un diplôme.

C’est dommage, car toute l’histoire de l’humanité (dans tous les domaines, de la physique à l’architecture, de l’intellect aux émotions) est codée dans un code spécial, et les livres sont le moyen le moins cher et le plus démocratique de le déchiffrer.

Tout le monde peut désormais se rendre dans un magasin physique ou en ligne et, à un prix raisonnable, acheter une biographie d’Hitler et savoir qui était Hitler. Mais les gens écouteront 100 épisodes de podcasts sur Hitler ou regarderont 1 000 documentaires Netflix sur le Führer et éviteront la source.

Pourquoi ? Parce que le lendemain, devant la machine à café au travail, ils pourront recommander un documentaire Netflix. Mais il est impossible de recommander une biographie de Ian Kershaw. Recommander un livre ? Parler de livres ? C’est une source de honte. Les livres sont passés d’un signe d’honneur à une marque de Cain.


La librairie Matmon dans le quartier Teder de Tel Aviv. Photo Avshalom Halutz

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En 2014, des chercheurs de l’université de Haïfa ont découvert que l’Israélien sioniste religieux moyen ouvrait un livre six fois par mois, contre deux fois par mois pour l’Israélien laïc moyen. Pour l’Israélien moyen dont la relation à la religion est qualifiée de « traditionnelle », ce chiffre était d’une fois par mois.

Au cours de la décennie qui a suivi, l’appétit intellectuel des sionistes religieux s’est accru, tandis que celui des laïcs s’est réduit aux dimensions de celui des Israéliens « traditionnels ». Il s’agit là d’un changement tectonique dans les habitudes de lecture des Israéliens. Les religieux ont également commencé à lire des livres laïques, tandis que les laïcs ont cessé de lire.

En 2019, Dvir Sorek, un soldat issu d’une yeshiva hesder – qui combine le service militaire et l’étude de la Torah – a été tué dans une attaque terroriste dans le bloc de colonies de Gush Etzion. Son père, Yoav Sorek, est l’un des chroniqueurs sionistes religieux les plus en vue et le rédacteur en chef du journal Hashiloach.

Dvir, âgé de 19 ans, a été poignardé à mort alors qu’il tenait un livre à la main du célèbre romancier David Grossman. Il avait acheté cette œuvre une heure plus tôt comme cadeau de fin d’année pour son rabbin.

Peut-on imaginer un adolescent de Tel Aviv lire Grossman ? Peut-on imaginer un adolescent de Tel Aviv acheter un livre de Grossman pour l’offrir à son professeur ?


Projection d’un film palestinien à la librairie Café Yafa à Jaffa. Photo Avshalom Halutz

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Lorsque la police a fait une descente dans une succursale de la librairie Educational Bookshop à Jérusalem-Est cet hiver, les gauchistes se sont empressés de citer Heine, le poète allemand qui a écrit : « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. » Si seulement la moitié des personnes qui ont été si choquées achetaient un seul livre – à Jérusalem-Est ou à Jérusalem-Ouest – et le lisaient réellement, le Messie viendrait.

Mais en réalité, la distance culturelle entre les forces de police du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et les personnes qui le détestent est faible, et elle ne cesse de se réduire.

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« Fahrenheit 451 » (c’est un livre) raconte l’histoire de soi-disant pompiers dans un monde futuriste dont le travail consiste à brûler des livres. Mais il s’avère qu’il ne s’agit que de pyrotechnie, car les gens ont tout simplement cessé de lire. Une loi interdisant la lecture n’est promulguée que bien plus tard. Vous voulez vous engager dans la résistance ? Lisez un livre.

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Quiconque souhaite acheter une bibliothèque peut faire défiler des dizaines de photos de beaux modèles sans jamais voir un seul livre. Au lieu de livres, les bibliothèques servent à ranger des bibelots, des poteries, de la vaisselle en porcelaine, des plantes grimpantes et des trains miniatures. Même le mot « bibliothèque » cède peu à peu la place à des alternatives telles que « armoire », « étagère » ou « solution de rangement ».

Il n’y a pas si longtemps, un salon sans bibliothèque était une anomalie. Mais bientôt, ce sera l’inverse. Le salon comprendra une cuisine ouverte, un canapé et un écran géant, et personne ne regrettera ces livres aux couvertures abîmées, ces témoins de notre identité.

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Le romancier usaméricain Joshua Cohen m’a dit un jour qu’en yiddish, un mur recouvert de livres s’appelait « papier peint juif ».

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La nouvelle coutume qui consiste à laisser des livres dans la rue à la disposition de toute personne intéressée ne peut être interprétée que d’une seule manière : les vivants ne sont pas enclins à hériter des trésors culturels des morts. Fils et filles, petits-fils et petites-filles se lamentent devant les riches bibliothèques de leurs mères et pères, grands-pères et grands-mères.

Ils feuillent rapidement les livres de science-fiction, les biographies de grands hommes, les classiques russes qui semblent contenir toutes les souffrances du monde, et ils ne peuvent se résoudre à les jeter à la poubelle. Ils posent donc les livres sur un banc en espérant que quelqu’un d’autre les trouvera intéressants. Mais bien sûr, il n’y a personne d’autre.

Il existe une vieille blague au sein du parti de gauche Meretz qui dit que chaque fois que l’on entend une ambulance, c’est soit un gauchiste qui meurt, soit un droitier qui naît. On pourrait également dire que chaque fois que l’on entend une ambulance, c’est soit un lecteur qui meurt, soit un téléspectateur qui naît.


Bibliothèque nationale d’Israël. Photo Yahel Gazit

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Les éditeurs reviennent des salons du livre de Paris et de Francfort comme s’ils avaient assisté à une résurrection. Il y a vraiment des lecteurs, rapportent-ils. La littérature est bien vivante à l’étranger.

Ce n’est bien sûr pas tout à fait exact. Le voile de l’ignorance tombe sur le monde entier. C’est une pandémie d’ignorance. Mais la littérature francophone, avec environ 80 millions de lecteurs en Europe, peut survivre en marge. Et la littérature germanophone, avec plus de 90 millions de lecteurs, peut survivre et même prospérer en marge, car les marges de l’Allemagne sont larges.

Mais la littérature hébraïque ne peut pas survivre comme un passe-temps, à l’instar de la philatélie ou de la photographie naturaliste. Elle n’existerait tout simplement pas. Les frontières de la littérature hébraïque s’étendent du Jourdain à la mer Méditerranée. Et à l’intérieur de ces frontières, on compte environ 6 millions de locuteurs natifs de l’hébreu qui lisent également de la littérature profane. C’est tout.

Si ces 6 millions de personnes ne lisent pas de livres traduits, rien ne sera traduit en hébreu. Si ces 6 millions de personnes ne s’intéressent pas à la non-fiction, il n’y aura pas de non-fiction en hébreu. Et si ces 6 millions de personnes ne lisent pas de poésie, il n’y aura pas de poésie en hébreu.

La « littérature de la diaspora » est une absurdité hédoniste. Personne n’imprimera un livre en hébreu pour les 20 000 Israéliens de Berlin ou les 5 000 du nord du Portugal. Tous deux dépendent de la république littéraire d’Israël. Et la république littéraire d’Israël dépend de trois ou quatre librairies indépendantes situées dans ou à proximité de la rue Allenby à Tel Aviv.

« Si Hamigdalor n’existait pas, je ne trouverais pas de littérature originale », m’a confié un ami éditeur, en référence à la librairie située rue Mikveh Israel.


Hamigdalor

Lorsque j’ai écrit cet article, le livre le plus vendu sur le site web de la librairie en ligne Ivrit, la plus grande librairie en ligne d’Israël pour les livres électroniques et l’une des plus importantes pour les livres imprimés, était le premier ouvrage de la série « Billionaires of Manhattan » : « Most Eligible Billionaire ». La traduction en hébreu a été publiée par Darling Publishing, un éditeur dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler.

Voici un résumé du livre : « La rumeur dit que Henry, génie des affaires, est tout aussi doué au lit. Et oui, il est irrésistible. Du sexe dans un costume à 7 000 dollars. Mais... il est arrogant et agaçant. ... Il n’y a aucune chance que ce sourire narquois me fasse craquer. ... De toute façon, qui a besoin de culottes ? »


Ahmad Muna, l’un des propriétaires de la librairie Educational Bookshop à Jérusalem-Est, est assis devant son magasin fermé après une descente de la police israélienne en mars. Photo Olivier Fitoussi

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Comme chacun sait, la lecture est inversement proportionnelle à la qualité de l’écriture. « L’année dernière a vu une augmentation significative du nombre de livres publiés, avec plus de 1 000 nouveaux titres », se vantait un communiqué de presse d’une maison d’édition indépendante qui a atterri dans ma boîte mail. La société ajoutait une citation festive de son PDG : « Le rayon livres israélien s’est considérablement enrichi en 2024. »

J’ai donc demandé à l’agent de relations publiques combien d’exemplaires de chacun de ces 1 000 livres avaient été vendus en moyenne. Je n’ai pas obtenu de réponse.

Mais avec des éditeurs comme ceux-là, au moins, vous savez à quoi vous attendre. Malheureusement, même les vrais éditeurs ont cessé de vendre des livres aux lecteurs. À la place, ils vendent désormais des livres aux écrivains.

Pour publier quelques centaines d’exemplaires d’un livre chez Nine Lives Press, il faut compter entre 35 000 [=8 900€] et 50 000 shekels [=12 750€]. Selon les rumeurs qui circulent dans le milieu, chez les grands éditeurs comme Yedioth ou Kinneret, ce plaisir pourrait même vous coûter 90 000 shekels [= 23 000€].

Je pense que toute cette industrie des rêves et des cauchemars est immorale. Il n’y a aucune différence entre quelqu’un qui aborde une fille dans un centre commercial, la complimente sur sa beauté et lui propose de lui créer un book de mannequin tout en sachant pertinemment que personne ne le regardera jamais, et un éditeur ou un rédacteur en chef qui publie un livre dont il sait qu’il ne vaut rien, encaisse le chèque et renvoie le pauvre écrivain chez lui pour écouter le chant des criquets.

Mon objectif n’est pas de protéger les auteurs, mais les lecteurs. Qui regarderait la télévision si un programme sur trois était financé par des acteurs qui rêvent de passer à l’écran ? Qui visiterait une galerie d’art qui expose 100 artistes par an si la moitié de leurs œuvres étaient méprisables, mais que la galerie ne vous disait pas lesquelles, car la moitié qu’elle considérait comme méprisables finançait l’autre moitié qu’elle considérait comme exceptionnelles ?

Un livre dont la publication est financée par l’auteur devrait comporter un avertissement, tout comme les cigarettes ou les céréales pour petit-déjeuner riches en sucre. Pourquoi un article de journal intitulé « Cinq conseils pour les jeunes qui contractent un emprunt immobilier » doit-il être étiqueté « contenu promotionnel », alors que le même auteur peut s’acheter un livre documentaire et le laisser trôner parmi tous les autres ouvrages sur les étagères ?

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Une autrice dont le premier roman a été publié par une grande maison d’édition s’est un jour épanchée sur mon épaule. « Personne ne s’intéresse à mon livre, m’a-t-elle confié, parce que tout le monde pense que je l’ai payé. »

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Les quelques personnes qui se sont rendues à la Semaine du livre hébreu à Tel Aviv l’année dernière se souviennent sans doute des deux files d’attente qui ont fait fleurir le désert.

L’une était une file de jeunes filles hurlantes qui roulaient des valises vides dans le but de les remplir de littérature érotique. (Adel Yahalomim est apparemment la maison d’édition la plus rentable d’Israël.)

L’autre était une file de jeunes hommes tendus qui prenaient soin de détourner les yeux des jeunes filles qui criaient. Ils se dirigeaient vers des maisons d’édition de droite. (Sella Meir est apparemment la deuxième maison d’édition la plus rentable d’Israël.)

Il y a dix ans, l’écrivain Gabriel Moked m’a dit que la gauche était en train de perdre parce qu’elle s’était débarrassée de ses atouts intellectuels et avait cessé de soutenir la publication de revues et de livres. C’était une réponse bizarre à une question sur « le problème de la gauche », et il était tellement évident qu’il cherchait de l’argent pour ses revues et ses livres que je l’ai enfoui au fond de mon esprit. Mais aujourd’hui, je me rends compte qu’il avait tout à fait raison.

Lorsque la droite veut quelque chose, elle ne lance pas une campagne, elle publie des ouvrages volumineux, comme les deux livres en hébreu de Simcha Rothman, membre du parti Sionisme religieux : « Le parti de la Cour suprême » et « Pourquoi le peuple devrait-il choisir les juges ? ». Il existe également un recueil d’écrits traduits de l’ancien juge de la Cour suprême usaméricaine Antonin Scalia ; le titre du livre en hébreu se traduit par « Au nom de la loi ». Les éditeurs de droite proposent ensuite ces ouvrages à prix réduit – « le pack judiciaire » – sans aucune gêne.

Il existe également un coffret intitulé « Les fondements de la démocratie », qui comprend des ouvrages des commentateurs de droite Gadi Taub, Nave Dromi et Erez Tadmor, ainsi que le « coffret Ben Shapiro », qui comprend le best-seller « Comment débattre avec les gauchistes et les détruire : 11 règles pour gagner le débat ». Le ministre des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, a un jour qualifié Sella Meir d’« arme intellectuelle ». Il avait raison.

Sifriyat Shibolet, une coentreprise de Sella Meir et du Fonds Tikvah qui traduit des ouvrages conservateurs étrangers, compte actuellement 3 000 abonnés. Combien de personnes sont encore abonnées à Sifriya La’am, un projet de la maison d’édition Am Oved qui propose à ses abonnés des ouvrages originaux et traduits en hébreu ?

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Dans dix ans, il ne restera plus ici que des cafards, Benjamin Netanyahou [s’il n’est pas dans une cellule à La Haye, NdT] et de la littérature [prétendument] érotique.