Josie Glausiusz, Haaretz , 6/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Que peut-on dire d’une société qui vend des éclairs incitant les FDI à détruire Gaza alors que les enfants palestiniens font la queue dans les cuisines communautaires, incapables de savourer ne serait-ce qu’un biscuit ?
Éclairs vendus dans une boulangerie de Modi’in avec un glaçage portant l’inscription : “Que Tsahal les ratiboise !” Photo Josie Glausiusz
Une rangée d’éclairs, dégoulinant de crème, sont alignés dans le réfrigérateur d’une boulangerie, leur surface sucrée glacée avec une écriture bleue : “Que l’armée israélienne les frappe durement !” ou, littéralement, “Que Tsahal les ratiboise !” Lorsque j’ai vu ces éclairs dans une boulangerie de ma ville de Modi’in, trois jours avant la fête de l’indépendance, je me suis sentie malade de rage. Une friandise enfantine gluante est “encrée” d’un message violent, destinée à être savourée alors que les enfants de Gaza survivent avec un seul repas, ou un seul pain pita, par jour. Sur les éclairs sont plantés de petits drapeaux israéliens.
Le mot hébreu écrit sur les éclairs signifie “tondre”, comme pour tondre une pelouse, mais tondre est aussi un euphémisme pour quelque chose de plus brutal. L’expression “tondre l’herbe” a été popularisée en 2013 pour désigner la “stratégie d’usure d’Israël visant principalement à affaiblir les capacités de l’ennemi”. En d’autres termes, tondre l’herbe signifie bombarder périodiquement Gaza pour assurer une tranquillité temporaire à Israël.
En début de semaine, le cabinet de sécurité israélien a “approuvé à l’unanimité” un plan visant à étendre les opérations à Gaza, en déplaçant la population vers le sud et en maintenant ensuite “une présence israélienne soutenue”. Le cabinet a également approuvé un plan visant à renouveler l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, mais seulement après le début des opérations militaires (prévues au plus tôt à la mi-mai), et gérée par des sociétés civiles privées plutôt que par l’ONU et des groupes humanitaires déjà familiarisés avec le contexte gazaoui.
Que dire d’une société qui vend des éclairs incitant à la destruction alors qu’à moins de cent kilomètres de là, des enfants de Gaza font la queue dans des cuisines communautaires, tendant des pots vides et des bacs en plastique pour obtenir leur allocation d’un repas pour la journée, peut-être un ragoût de lentilles, de pois chiches ou de riz, et incapables de savourer ne serait-ce qu’un biscuit ?
Que dire d’une société qui célèbre le jour de l’indépendance avec des barbecues alors qu’environ 60 000 enfants de Gaza montrent actuellement des signes de malnutrition, selon le ministère de la santé de Gaza ?
Ce n’est pas comme si la nourriture n’existait pas. Le Programme alimentaire mondial (PAM) indique qu’il dispose de "plus de 116 000 tonnes d’aide alimentaire" - ce qui permettrait de nourrir environ la moitié des habitants de la bande de Gaza, soit un million de personnes, pendant quatre mois - qui attendent d’entrer à Gaza dès la réouverture des points de passage. Israël a interrompu toute aide alimentaire et humanitaire à Gaza le 2 mars, puis a rompu un bref cessez-le-feu avec le Hamas le 18 mars, date à laquelle les FDI ont recommencé à “tondre la pelouse” à Gaza.
Le 25 avril, le Programme alimentaire mondial a annoncé qu’il n’y avait plus de nourriture à Gaza.
Des Palestiniens font la queue pour obtenir une portion de nourriture chaude distribuée par une cuisine caritative dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Photo Eyat Baba/AFP
En lisant les reportages des médias et en parcourant les réseaux sociaux, je suis frappée par la profonde dissonance cognitive dont souffrent tant de membres de la société israélienne. Nous nous délectons de l’abondance sucrée et crémeuse, d’un éventail de légumes et de fruits frais tout au long de l’année et de magasins aux noms tels que “Meatman”, qui vantent les mérites de steaks marbrés. Non loin de là, les Palestiniens de Gaza brûlent des déchets plastiques et toxiques pour faire cuire le peu de nourriture qu’ils peuvent obtenir ou récupérer.
J’ai moi-même passé le jour de l’Indépendance avec des nausées dues à la fumée des incendies de forêt de la veille qui s’était répandue dans ma ville. Au même moment, je sentais l’odeur de la viande grillée sur les barbecues de mon quartier. Je m’interrogeais sur l’apparente indifférence à l’égard de la souffrance humaine si proche de moi.
Ce n’est pas comme si les Israéliens ne savaient pas, ou ne pouvaient pas savoir, ce qu’il en est de la faim et de la malnutrition à Gaza. Un flot de reportages documente la malnutrition dans les moindres détails et illustre ses rapports par des vidéos d’enfants suppliants.
En tant que journaliste scientifique ayant rendu compte de la coopération transfrontalière entre scientifiques israéliens et palestiniens, même en temps de guerre, je suis de nombreux entrepreneurs technologiques palestiniens à Gaza sur LinkedIn. Parfois, en scrollant, je vois des vidéos de femmes préparant d’énormes cuves de lentilles, tandis que des enfants et des adultes font la queue avec leurs bols et leurs casseroles. Je vois des photos d’enfants émaciés. J’apprends le prix d’un litre d’huile végétale à Gaza en lisant leurs posts : Le kilo de sucre, écrivent-ils, coûte 100 shekels, soit 28 dollars.
Une fillette palestinienne tente de soulever un récipient d’eau rempli à partir d’un réservoir de distribution dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza Photo Eyad Baba/ AFP
Les Palestiniens de Gaza ne sont pas les seuls à souffrir de la faim. Le Hamas détient encore 59 captifs, presque tous israéliens, mais aussi trois Thaïlandais, un Népalais et un Tanzanien. Israël pense que 35 de ces otages sont morts. Il est presque certain que les captifs encore en vie, enchaînés dans des tunnels par leurs ravisseurs du Hamas, sont gravement affamés : les familles de trois captifs israéliens décharnés libérés en février les ont comparés à des survivants de l’Holocauste.
Lors d’une audience à la Cour internationale de justice, la conseillère juridique des Nations unies, Elinor Hammarskjöld, a déclaré qu’Israël avait clairement l’obligation, en tant que force d’occupation, d’autoriser et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire destinée à la population de Gaza. Le ministre des affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a réagi en qualifiant les audiences de “cirque”.
Le jour de la commémoration de l’Holocauste, un groupe de manifestants affiliés à l’organisation israélienne Parents Against Child Detention a fait la queue dans une rue de Tel Aviv, tenant des casseroles vides pour protester contre le blocus de l’aide israélienne à Gaza, tandis que les passants criaient et les injuriaient.
J’ai demandé à Moria Shlomot, PDG de PACD, ce qu’elle pensait de ces éclairs. Elle a écrit : « Pendant que les enfants de Gaza meurent de faim, les enfants d’Israël mangent des éclairs remplis de haine. Des éclairs empoisonnés. Cela me choque ». Elle a ajouté que « plus de 10 000 enfants de Gaza ont été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition sévère et plus de 1 600 enfants sont en situation de malnutrition aiguë sévère » depuis le début de l’année 2025, comme le rapporte le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.
Ce n’est certainement pas un cirque pour ces enfants ou leurs familles. Et pour autant que je sache, aucun d’entre eux ne se laisse tenter par des éclairs moelleux.