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07/05/2025

JOSIE GLAUSISZ
“Que Tsahal les ratiboise !” : pâtisseries génocidaires
En Israël, la violence est omniprésente dans la vie quotidienne

Josie Glausiusz, Haaretz , 6/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Que peut-on dire d’une société qui vend des éclairs incitant les FDI à détruire Gaza alors que les enfants palestiniens font la queue dans les cuisines communautaires, incapables de savourer ne serait-ce qu’un biscuit ?



Éclairs vendus dans une boulangerie de Modi’in avec un glaçage portant l’inscription : “Que Tsahal les ratiboise !” Photo Josie Glausiusz

Une rangée d’éclairs, dégoulinant de crème, sont alignés dans le réfrigérateur d’une boulangerie, leur surface sucrée glacée avec une écriture bleue : “Que l’armée israélienne les frappe durement !” ou, littéralement, “Que Tsahal les ratiboise !” Lorsque j’ai vu ces éclairs dans une boulangerie de ma ville de Modi’in, trois jours avant la fête de l’indépendance, je me suis sentie malade de rage. Une friandise enfantine gluante est “encrée” d’un message violent, destinée à être savourée alors que les enfants de Gaza survivent avec un seul repas, ou un seul pain pita, par jour. Sur les éclairs sont plantés de petits drapeaux israéliens.

Le mot hébreu écrit sur les éclairs signifie “tondre”, comme pour tondre une pelouse, mais tondre est aussi un euphémisme pour quelque chose de plus brutal. L’expression “tondre l’herbe” a été popularisée en 2013 pour désigner la “stratégie d’usure d’Israël visant principalement à affaiblir les capacités de l’ennemi”. En d’autres termes, tondre l’herbe signifie bombarder périodiquement Gaza pour assurer une tranquillité temporaire à Israël.

En début de semaine, le cabinet de sécurité israélien a “approuvé à l’unanimité” un plan visant à étendre les opérations à Gaza, en déplaçant la population vers le sud et en maintenant ensuite “une présence israélienne soutenue”. Le cabinet a également approuvé un plan visant à renouveler l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, mais seulement après le début des opérations militaires (prévues au plus tôt à la mi-mai), et gérée par des sociétés civiles privées plutôt que par l’ONU et des groupes humanitaires déjà familiarisés avec le contexte gazaoui.

Que dire d’une société qui vend des éclairs incitant à la destruction alors qu’à moins de cent kilomètres de là, des enfants de Gaza font la queue dans des cuisines communautaires, tendant des pots vides et des bacs en plastique pour obtenir leur allocation d’un repas pour la journée, peut-être un ragoût de lentilles, de pois chiches ou de riz, et incapables de savourer ne serait-ce qu’un biscuit ?

Que dire d’une société qui célèbre le jour de l’indépendance avec des barbecues alors qu’environ 60 000 enfants de Gaza montrent actuellement des signes de malnutrition, selon le ministère de la santé de Gaza ?

Ce n’est pas comme si la nourriture n’existait pas. Le Programme alimentaire mondial (PAM) indique qu’il dispose de "plus de 116 000 tonnes d’aide alimentaire" - ce qui permettrait de nourrir environ la moitié des habitants de la bande de Gaza, soit un million de personnes, pendant quatre mois - qui attendent d’entrer à Gaza dès la réouverture des points de passage. Israël a interrompu toute aide alimentaire et humanitaire à Gaza le 2 mars, puis a rompu un bref cessez-le-feu avec le Hamas le 18 mars, date à laquelle les FDI ont recommencé à “tondre la pelouse” à Gaza.

Le 25 avril, le Programme alimentaire mondial a annoncé qu’il n’y avait plus de nourriture à Gaza.

Des Palestiniens font la queue pour obtenir une portion de nourriture chaude distribuée par une cuisine caritative dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Photo Eyat Baba/AFP

En lisant les reportages des médias et en parcourant les réseaux sociaux, je suis frappée par la profonde dissonance cognitive dont souffrent tant de membres de la société israélienne. Nous nous délectons de l’abondance sucrée et crémeuse, d’un éventail de légumes et de fruits frais tout au long de l’année et de magasins aux noms tels que “Meatman”, qui vantent les mérites de steaks marbrés. Non loin de là, les Palestiniens de Gaza brûlent des déchets plastiques et toxiques pour faire cuire le peu de nourriture qu’ils peuvent obtenir ou récupérer.

J’ai moi-même passé le jour de l’Indépendance avec des nausées dues à la fumée des incendies de forêt de la veille qui s’était répandue dans ma ville. Au même moment, je sentais l’odeur de la viande grillée sur les barbecues de mon quartier. Je m’interrogeais sur l’apparente indifférence à l’égard de la souffrance humaine si proche de moi.

Ce n’est pas comme si les Israéliens ne savaient pas, ou ne pouvaient pas savoir, ce qu’il en est de la faim et de la malnutrition à Gaza. Un flot de reportages documente la malnutrition dans les moindres détails et illustre ses rapports par des vidéos d’enfants suppliants.

En tant que journaliste scientifique ayant rendu compte de la coopération transfrontalière entre scientifiques israéliens et palestiniens, même en temps de guerre, je suis de nombreux entrepreneurs technologiques palestiniens à Gaza sur LinkedIn. Parfois, en scrollant, je vois des vidéos de femmes préparant d’énormes cuves de lentilles, tandis que des enfants et des adultes font la queue avec leurs bols et leurs casseroles. Je vois des photos d’enfants émaciés. J’apprends le prix d’un litre d’huile végétale à Gaza en lisant leurs posts : Le kilo de sucre, écrivent-ils, coûte 100 shekels, soit 28 dollars.


Une fillette palestinienne tente de soulever un récipient d’eau rempli à partir d’un réservoir de distribution dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza Photo Eyad Baba/ AFP

Les Palestiniens de Gaza ne sont pas les seuls à souffrir de la faim. Le Hamas détient encore 59 captifs, presque tous israéliens, mais aussi trois Thaïlandais, un Népalais et un Tanzanien. Israël pense que 35 de ces otages sont morts. Il est presque certain que les captifs encore en vie, enchaînés dans des tunnels par leurs ravisseurs du Hamas, sont gravement affamés : les familles de trois captifs israéliens décharnés libérés en février les ont comparés à des survivants de l’Holocauste.

Lors d’une audience à la Cour internationale de justice, la conseillère juridique des Nations unies, Elinor Hammarskjöld, a déclaré qu’Israël avait clairement l’obligation, en tant que force d’occupation, d’autoriser et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire destinée à la population de Gaza. Le ministre des affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a réagi en qualifiant les audiences de “cirque”.

Le jour de la commémoration de l’Holocauste, un groupe de manifestants affiliés à l’organisation israélienne Parents Against Child Detention a fait la queue dans une rue de Tel Aviv, tenant des casseroles vides pour protester contre le blocus de l’aide israélienne à Gaza, tandis que les passants criaient et les injuriaient.

J’ai demandé à Moria Shlomot, PDG de PACD, ce qu’elle pensait de ces éclairs. Elle a écrit : « Pendant que les enfants de Gaza meurent de faim, les enfants d’Israël mangent des éclairs remplis de haine. Des éclairs empoisonnés. Cela me choque ». Elle a ajouté que « plus de 10 000 enfants de Gaza ont été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition sévère et plus de 1 600 enfants sont en situation de malnutrition aiguë sévère » depuis le début de l’année 2025, comme le rapporte le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.

Ce n’est certainement pas un cirque pour ces enfants ou leurs familles. Et pour autant que je sache, aucun d’entre eux ne se laisse tenter par des éclairs moelleux.


HAARETZ
Non à l’aventurisme militaire israélien au détriment des Druzes syriens et des captifs israéliens

Éditorial, Haaretz, 3/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Vendredi soir 2 mai, l’armée de l’air israélienne a frappé des cibles militaires à travers toute la Syrie. La veille, l’armée de l’air a frappé près du palais présidentiel à Damas. Il s’agit d’un “message clair au régime syrien”, a déclaré le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahou dans un communiqué. La direction est claire : le gouvernement israélien a décidé d’intensifier la guerre à Gaza et même de l’étendre au-delà des frontières de la Syrie, tout cela au détriment de la vie des captifs israéliens.


Funérailles de victimes druzes de nettoyage sectaire dans le village de Salkhad, dans le gouvernorat de Soueïda, dans le sud de la Syrie, samedi. Photo Shadi al-Dubaisi / AFP

Le ministre de la défense, Israel Katz, a mis en garde le nouveau président syrien, Ahmad al-Charaa, contre toute atteinte aux Druzes de son pays. « Nous sommes déterminés à protéger les Druzes et nous surveillons la situation. Si les attaques contre eux ne cessent pas, nous réagirons avec une grande sévérité ». Avec tout le respect dû à l’alliance d’Israël avec les Druzes - un lien qui n’était pas dans l’esprit des députés israéliens lorsqu’ils ont adopté la loi dite de l’État-nation et, par la suite, lorsqu’ils ont bloqué les amendements à cette loi - il semble qu’Israël intervienne dans l’histoire des Druzes afin d’exercer un effet de levier sur son emprise dans le sud de la Syrie.

Bien que les dirigeants druzes en Syrie considèrent le patronage israélien comme une monnaie d’échange contre le régime, leur position était et reste que la communauté fait partie intégrante de la Syrie et qu’elle rejette toute forme de partition ou de sécession. Israël ignore le fait que le nouveau régime syrien a reçu une légitimité internationale et arabe et qu’il a conclu plusieurs accords avec les Druzes vivant dans le pays.

L’implication et les menaces israéliennes contre le régime syrien ne servent pas les intérêts de sécurité d’Israël et pourraient placer les Druzes dans la position d’un satellite israélien, précisément au moment où eux et le régime s’efforcent d’établir un État unifié.

Naturellement, les attaques d’Israël ont suscité des menaces à son encontre. Le père du président syrien Ahmed al-Charaa, Hussein, a rejeté l’affirmation d’Israël selon laquelle il agit pour protéger les Druzes et l’a accusé d’exploiter la question pour faire taire la Syrie. « La réponse viendra d’un endroit auquel vous ne vous attendez pas », a-t-il averti.


Le président syrien Ahmed al-Charaa en Turquie le mois dernier. Photo OZAN KOSE/AFP

Ouvrir un front en Syrie en plus de Gaza, alors que le Liban est toujours instable, semble maintenant être une décision aventuriste et inutile, dont les conséquences pour les captifs pourraient être désastreuses. Les membres du cabinet agissent comme si la question des otages était une conspiration de “l’État profond” visant à renverser le gouvernement, plutôt qu’une réalité insupportable qu’ils ont le devoir de changer, par tous les moyens nécessaires.

Au lieu d’ouvrir de nouvelles arènes dans la guerre, le gouvernement ferait mieux de se concentrer d’abord sur le sauvetage des Israéliens retenus en captivité à Gaza. Depuis sa reprise, la guerre a principalement visé les habitants sans défense de la bande de Gaza assiégée. Un accord qui ramènerait à la maison tous les captifs, vivants et morts, doit être conclu.


06/05/2025

AMOS HAREL
Israël se dirige vers un nouveau désastre à Gaza, alimenté par les plans délirants de Netanyahou

L’offensive élargie à Gaza approuvée par le cabinet est susceptible d’échouer, conduisant à un enchevêtrement prolongé et à de lourdes pertes de soldats, de captifs et de Palestiniens - sans vaincre le Hamas. Netanyahou suit l’extrême droite, tandis que les dirigeants de Tsahal espèrent l’intervention de Trump

Amos Harel, Haaretz, 5/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Soldats de l’IDF à côté de chars près de la frontière de Gaza, lundi. Photo MENAHEM KAHANA/AFP

Permettez-moi d’être franc : nous nous dirigeons vers un nouveau désastre dans la bande de Gaza. Si le président Trump choisit de ne pas se mêler de l’affaire lors de sa visite dans le Golfe la semaine prochaine, Israël commencera à intensifier ses opérations militaires à Gaza une fois qu’il sera rentré à Washington. 

Étant donné la manière dont la manœuvre est planifiée, on peut s’attendre à une invasion de larges pans de Gaza, à un contrôle territorial prolongé, à des pertes en vies humaines parmi les captifs israéliens et les soldats, et à une nouvelle détérioration de la situation humanitaire dont souffrent déjà les Palestiniens. Il est toutefois douteux qu’elle parvienne à vaincre le Hamas de manière décisive.

Le cabinet de sécurité a tenu une longue réunion dimanche, au cours de laquelle les ministres ont approuvé le plan de l’armée pour une expansion majeure de son opération actuelle. Fait inhabituel, les politiciens se sont empressés de donner du crédit au chef d’état-major de Tsahal, Eyal Zamir. Des sources politiques (lire : le Premier ministre Benjamin Netanyahou) et des responsables de la défense (autrement dit, le ministre de la défense Israel Katz) ont expliqué que la nouvelle opération entraînerait enfin la défaite du Hamas et exercerait une pression irrésistible sur lui pour qu’il libère tous les captifs.


Eyal Zamir

Le ministre des finances Bezalel Smotrich, l’homme qui a dirigé la politique du gouvernement malgré tous les sondages montrant que son parti ne dépasserait pas le seuil d’entrée à la Knesset lors des prochaines élections, a déclaré dimanche : « Dès que nous commencerons l’opération, il n’y aura pas de retrait des territoires que nous avons conquis, pas même en échange d’otages ». 

S’adressant à une conférence parrainée par le journal sioniste religieux B’Sheva, il a poursuivi : « Nous occupons Gaza pour y rester. Il n’y aura plus d’entrées et de sorties ». Il a expliqué que tous les habitants de Gaza seraient évacués au sud du corridor de Morag. En d’autres termes, l’armée prévoit d’entasser plus de deux millions de personnes dans une zone représentant moins d’un quart de la bande de Gaza.

Lorsque Netanyahou et Katz ont interviewé Zamir avant sa nomination au poste de chef d’état-major, il leur a dit que l’armée aurait besoin de trois mois pour reconquérir Gaza et de neuf mois supplémentaires pour pacifier efficacement la région. Netanyahou préfère le citer sur la première partie du plan. 

Depuis qu’il a repris l’uniforme, Zamir a appris certaines choses et s’est peut-être un peu assagi. Les fuites de la réunion du cabinet de dimanche concernent les disputes que Zamir a eues avec le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et la ministre des missions nationales, Orit Strock. 

Zamir n’était apparemment pas satisfait de leur demande de réprimer davantage l’aide humanitaire, qu’Israël bloque depuis près de deux mois. « Vous nous mettez tous en danger », a déclaré Zamir, avertissant que l’élargissement de l’opération mettait en péril la vie des captifs.

Mais ce qui est également intéressant, c’est l’équilibre des forces en coulisses. Il ne fait aucun doute que les deux partis d’extrême droite souhaitent étendre l’occupation de Gaza, imposer un gouvernement militaire, renouveler les colonies et expulser les habitants. 

Netanyahou les suit pour préserver la coalition. Il n’a dérogé à cette position que deux fois depuis le 7 octobre 2023, lors d’accords de libération de captifs conclus en novembre 2023 et en janvier 2025. Seule une forte pression de la part de Trump a permis de conclure le second accord. 

Poursuivre la lutte sur plusieurs fronts permet de maintenir la coalition en vie. C’est plus important, de son point de vue, que la vie des otages. Aujourd’hui, Netanyahou doit tenir compte d’un autre élément : à la fin du mois, la phase de contre-interrogatoire de son procès doit commencer, ce qui le met très mal à l’aise. 

Trump ne permet pas encore à Netanyahou de lancer une attaque contre les installations nucléaires iraniennes. Les échanges de coups avec les Houthis au Yémen ne peuvent pas durer trop longtemps. Reste Gaza et, dans une moindre mesure, les frictions avec le nouveau régime syrien, sous prétexte de protéger la communauté druze.

L’avis du ministre de la défense n’a que peu d’importance. Quant au chef d’état-major et aux généraux, ils donnent l’impression, au sein du cabinet, de prier pour un miracle, même si ce n’est pas celui que Smotrich et Strock anticipent. Le miracle de l’establishment de la défense est censé venir de Trump, qui imposerait aux parties un accord partiel ou total sur les captifs et mettrait fin à une guerre totale et préjudiciable à Gaza qui n’a pas de date de fin prévisible. 

Ce n’est pas la ligne que Zamir avait adoptée, que ce soit en public ou lors de discussions à huis clos. Le nouveau chef d’état-major est un homme qui respecte la hiérarchie et la discipline. Selon lui, le cabinet dit à l’armée ce qu’il attend d’elle, et le rôle de l’armée est de présenter les plans opérationnels et les répercussions possibles. 

A l’exception des fanatiques du sionisme religieux et du kahaniste Otzma Yehudit, il est fort douteux que quiconque dans la salle dimanche se soit vraiment fait des illusions sur les résultats de la nouvelle opération, qu’ils ont solennellement baptisée “Chariots de Gédéon”. Si on les avait soumis à un détecteur de mensonges, on aurait probablement découvert que la plupart des officiers, et même la plupart des ministres du Likoud, ne croient pas que le plan conduira à la défaite du Hamas.

L’idée de déplacer les habitants de Gaza, que Smotrich colporte avec enthousiasme, est de préparer un transfert “volontaire” (et en pratique une expulsion violente). C’est le plan que Trump a évoqué il y a trois mois, lors de sa première rencontre avec Netanyahou. Depuis, le président n’en a pratiquement pas parlé. Il semble qu’il ait d’autres maux de tête, qu’il s’agisse de la guerre des tarifs douaniers avec la Chine ou de l’annonce qu’il a faite ce week-end d’imposer des droits de douane de 100 % sur les films réalisés à l’étranger afin de sauver Hollywood d’une “mort très rapide”, comme il l’a dit.

Jusqu’à présent, les appels aux réservistes ont été limités. Il n’y avait aucune raison de prétendre dimanche à une mobilisation totale. Seules quelques unités ont été appelées et, dans la plupart des cas, uniquement leurs officiers. Les brigades mobilisées sont destinées à remplacer les troupes régulières actuellement stationnées à la frontière libanaise, dans le Golan syrien et en Cisjordanie, qui seront ensuite redéployées à Gaza. 

Il reste moins de deux semaines avant que Trump n’achève sa tournée dans les États du Golfe. Si un accord n’est pas conclu et que le plan approuvé par le cabinet est mis en œuvre, plusieurs divisions de réserve devront être mobilisées à grande échelle.

En fait, le gouvernement Netanyahou est engagé dans des fantasmes qui seront très difficiles à réaliser. En cours de route, l’opération militaire pourrait entraîner la mort d’autres captifs et la perte de nombreux soldats. Ce n’est pas une coïncidence si la plupart des familles de captifs affichent un niveau d’anxiété aussi élevé. 

Étant donné que l’armée tentera de minimiser les pertes, les analystes s’attendent à ce qu’elle utilise une force particulièrement agressive qui causera des dommages considérables aux infrastructures civiles restantes de Gaza. Le déplacement de la population vers les zones des camps humanitaires, combiné à la pénurie actuelle de nourriture et de médicaments, pourrait entraîner d’autres décès massifs de civils.

Même si Israël a l’intention de reprendre les livraisons d’aide humanitaire, son plan est plein de lacunes. On peut se demander si Israël sait comment assurer seul un flux régulier de nourriture à une population aussi importante, d’autant plus que les organisations internationales ont déjà déclaré qu’elles ne coopéreraient pas avec lui dans la distribution de l’aide (d’un autre côté, Zamir refuse à juste titre de risquer la vie des soldats pour acheminer l’aide). En outre, l’armée semble avoir des difficultés à fournir des données sur la situation humanitaire réelle à Gaza.

À terme, Israël sera contraint d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire dans l’enclave. Mais cela prendra du temps, et les combats s’intensifieront d’ici là. Malgré la nouvelle administration Trump, hostile aux tribunaux internationaux, davantage de dirigeants et d’officiers israéliens pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires personnelles à leur encontre. Le gouvernement tente d’obtenir un avantage politique temporaire, dont le prix pourrait se payer en monnaie stratégique.


04/05/2025

GIDEON LEVY
En réalité, Israël se moque du sort des Druzes en Syrie

 Gideon Levy, Haaretz , 04/5/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il est parfois difficile de croire ce que l’on lit : Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, appelle la communauté internationale à « jouer son rôle dans la protection des minorités en Syrie, en particulier la communauté druze, contre le régime et ses gangs terroristes, et à ne pas fermer les yeux sur les graves incidents qui s’y déroulent ».


Un religieux druze, à gauche, qui est passé de la Syrie à Israël plus tôt dans la journée, est accueilli par un soldat israélien dans le sanctuaire du Prophète Shuaib [tombe de Jethro, le beau-père de Moïse], à Hittin, dans le nord d’Israël, vendredi. Photo Leo Correa/AP

Israël s’est depuis longtemps forgé une réputation de chutzpah [culot], mais il semble qu’il se soit surpassé cette fois-ci. Le ministre des Affaires étrangères appelle le monde à intervenir pour aider une minorité opprimée par un gouvernement dans un autre pays, alors que d’autres dirigeants politiques agissent déjà dans ce domaine.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné des instructions, Eyal Zamir, des Forces de défense israéliennes, a ordonné à l’armée de frapper des cibles précises et le ministre de la Défense Israel Katz a déjà menacé qu’Israël répondrait “durement” ; les Forces de défense israéliennes ont déjà bombardé. Une véritable armée du salut pour défendre les Druzes opprimés.

  Le ministre israélien des Affaires étrangères n’a aucun droit moral d’ouvrir la bouche et de prononcer ne serait-ce qu’un mot sur l’oppression d’une nation ou d’une minorité, et certainement pas d’appeler le monde à prendre leur défense. Israël, qui ferme les yeux sur l’Ukraine après avoir fait la même chose pendant la guerre civile en Syrie, n’a pas non plus le droit d’appeler le monde à ouvrir les yeux sur les événements en Syrie.

 
Des membres de la communauté druze israélienne se tiennent près de la frontière, en attendant que des bus transportant des religieux druzes syriens traversent la Syrie vers la ville de Majdal Shams, sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, vendredi. Photo : Maya Alleruzzo/AP

Le manque de conscience de soi des dirigeants israéliens bat tous les records. Lorsque Gideon Sa’ar parle d’un régime oppressif et de bandes de terroristes, il devrait avant tout parler de son propre pays. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où un régime oppressif et des voyous terroristes prospèrent comme en Israël, tourmentant les membres d’une autre nation. Et comment Israël réagit-il aux appels lancés au monde pour qu’il prenne la défense de la nation opprimée qui y vit ? Par des hurlements et des cris à l’antisémitisme.

Et comment Israël réagirait-il à une intervention militaire d’un autre État ou d’un autre acteur venant en aide aux opprimés ? C’est exactement ce que les pays arabes ont dit dans le passé, et ce que le Hezbollah et les Houthis disent aujourd’hui : ils interviennent contre Israël pour protéger les Palestiniens.

De même que les Druzes locaux exigent aujourd’hui qu’Israël vienne en aide à leurs frères syriens, les populations des pays arabes exigent que leurs gouvernements interviennent en faveur de leurs frères soumis à l’occupation israélienne.

Et qu’en est-il des frères de sang des Arabes israéliens [Il veut dire : Palestiniens de 48, NdT], qui ont été massacrés à Gaza, en Syrie et au Liban ? Israël a-t-il jamais envisagé de leur venir en aide ?

Un homme tient un bébé sauvé des décombres, qui a survécu à une frappe aérienne des forces loyales au président syrien Bachar el-Assad à Alep en 2014.Photo Hosam Katan/Reuters

Au Liban, Israël a dressé les phalangistes contre les Palestiniens. Lorsque le peintre palestinien Abed Abadi, vivant à Haïfa, a tenté d’exfiltrer sa sœur, née dans ce pays, du camp de réfugiés assiégé de Yarmouk, en Syrie, en 2014, Israël a refusé. Mais pour “sauver les Druzes”, Israël est prêt à bombarder.

Imaginez que la France bombarde les colonies israéliennes dans les territoires occupés parce qu’elle les considère comme des « bases terroristes », d’où sortent des terroristes pour nuire aux Palestiniens. Quel tollé cela provoquerait ici !

Cette demande est empreinte de cynisme. Après tout, Israël ne se soucie pas vraiment du sort des Druzes en Syrie, tout comme il ne se souciait pas vraiment des victimes de l’ancien régime syrien. Après l’adoption de la loi sur l’État-nation, il est évident que le gouvernement ne se soucie même pas des droits de la population druze d’Israël.


Des Druzes manifestent contre la loi sur l’État-nation en 2019.Photo Tomer Appelbaum

Se mobiliser pour la défense des Druzes de Syrie n’est rien de plus qu’une ruse cynique, un autre prétexte pour attaquer la Syrie dans sa faiblesse, peut-être aussi un clin d’œil aux électeurs druzes du Likoud. Au lieu de donner une chance au nouveau régime, Israël fait du bellicisme. C’est le seul langage qu’il a employé ces dernières années : frapper, bombarder, bombarder, tuer, démolir, autant que possible et en tous lieux.

Si Israël souhaite promouvoir la justice où que ce soit, qu’il commence chez lui, où d’horribles méfaits et crimes contre l’humanité sont de plus en plus souvent perpétrés.

Même l’appel d’Israël au monde pour qu’il envoie du matériel de lutte contre les incendies afin d’aider à surmonter les feux de forêt près de Jérusalem la semaine dernière, alors qu’il empêche la nourriture et l’aide humanitaire d’entrer à Gaza depuis plus de deux mois, est une demande impudente qui aurait dû être rejetée. Un pays qui affame deux millions de personnes n’a pas droit à l’aide de la communauté internationale, même lorsque des incendies menacent ses communautés.

Hittin, 5 février 1949 : un groupe de Druzes brandit un drapeau avec l’étoile à 5 branches représentant les 5 principes cosmiques (haad, plur. houdoud) de leurs croyances, généralement confondue par les ignorants avec l’étoile de David à six branches adoptée par les sionistes. En arabe, le nom de Sultan Pacha El Atrache (1891-1982), leader de la révolte antifrançaise syrienne de 1925-1927 et héros des mouvements de libération arabes

30/04/2025

AHMED HELOU
J’ai perdu 160 membres de ma famille élargie à Gaza, mais je n’ai pas perdu espoir
Paroles d’un combattant palestinien de la paix

À quinze ans, j’ai rejoint le Hamas, j’ai jeté des pierres, j’ai cousu des drapeaux palestiniens et j’ai passé sept mois en prison. Voici ce qui a changé mon point de vue sur les Israéliens et qui me motive à construire des ponts au-dessus des rivières de sang.

Ahmed Helou, Haaretz , 29/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Ahmed Helou, Palestinien d’Ariha/Jéricho, est un militant de  l’organisation Combattants pour la paix, qui vient d’organiser le 29 avril la cérémonie annuelle de la 20ème Journée commémorative conjointe israélo-palestinienne, en partenariat avec le Cercle des parents-Forum des familles (palestiniennes et israéliennes atteintes par la violence).


Des Palestiniens inspectent le site d’une frappe israélienne sur une maison, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.

J’écris ces mots dans la douleur la plus profonde qu’un être humain puisse endurer. Au cours de l’année écoulée, j’ai perdu 160 membres de ma famille élargie - hommes, femmes et enfants. Tous étaient des civils. Tous étaient désarmés. Ils ont été tués lors de frappes aériennes et de fusillades pendant la guerre à Gaza. En quelques minutes, des générations entières de la famille Helou ont été anéanties : tantes, oncles, cousins, nièces et neveux, tous tués dans leur maison.

Leurs corps ont été retrouvés dans les décombres, parfois serrés les uns contre les autres, parfois éparpillés. Certains n’ont pas été identifiés avant plusieurs jours. Notre famille, autrefois unie autour d’une table pour les fêtes, est devenue une liste de noms parmi les morts. 160 membres de la famille. 160 vies. 160 avenirs qui ne seront jamais.

Mon chagrin est sans fond. Parfois, j’ai du mal à respirer. Mais même depuis cet endroit - l’endroit où tout semble perdu - je choisis de me lever et de dire : nous ne devons pas abandonner. Nous ne devons pas nous abandonner à la haine, à la perte, à la vengeance. Aujourd’hui plus que jamais, j’appelle les deux peuples, israélien et palestinien, à choisir une autre voie. Un chemin non pas de sang, mais de vie. Non pas celui de la vengeance, mais celui de l’espoir.

Je suis un Palestinien de Jéricho. Bien que je sois né à Jéricho, mes racines sont profondément ancrées à Gaza et à Beersheba . Mes grands-parents sont nés à Gaza et se sont installés à Beersheba  au début du XXe siècle pour développer leur entreprise. Mes parents sont également nés et ont grandi à Beersheba . Pendant la guerre de 1948, ils ont tenté de retourner à Gaza, mais se sont réfugiés à Jéricho, espérant que sa proximité avec la frontière jordanienne leur permettrait de s’échapper si la situation s’aggravait. En 1967, ils ont dû fuir à nouveau, cette fois en Jordanie, où ils ont été témoins de plus de violence et de plus de morts.

J’ai grandi en entendant ces histoires de peur, de fuite, de personnes tuées sous leurs yeux. J’étais rempli de colère. Je voulais me venger. À l’âge de dix ans, pendant la guerre d’Israël au Liban en 1982, je traînais des pneus dans la rue pour les manifestations. Je pensais que je devais me battre. À quinze ans, j’ai rejoint le mouvement local du Hamas. J’ai lancé des pierres. J’ai cousu des drapeaux palestiniens, ce qui était illégal à l’époque, sachant que cela pouvait me conduire en prison. Et c’est ce qui s’est passé. En 1992, j’ai été condamné à sept mois de prison militaire israélienne en tant que détenu politique.

Mais la prison a aussi apporté quelque chose d’autre : une rencontre inattendue avec des personnes qui avaient des visions différentes de l’avenir. Pendant ma peine, le processus de paix d’Oslo a commencé. Lorsque mes parents m’ont rendu visite, ils m’ont parlé d’un nouvel accord de paix avec Israël, de deux États et du fait qu’il était désormais légal d’arborer le drapeau palestinien. Cela a fait germer une petite graine de quelque chose que je ne m’étais pas permis d’envisager : une possibilité.

Après ma libération, je me suis attaché à reconstruire ma communauté. J’ai aidé à lancer un groupe de jeunes à Jéricho. Nous avons fait du bénévolat dans des écoles, des hôpitaux et des maisons de retraite. J’ai suivi un cours de secouriste et je suis devenu ambulancier bénévole pour le Croissant-Rouge palestinien.


De la fumée s’élève de Gaza après une frappe aérienne, vue du côté israélien de la frontière. Photo Amir Cohen / Reuters

Lors des affrontements à Jérusalem-Est en 1996, j’ai apporté une aide médicale aux Palestiniens blessés. Un jour, j’ai couru pour aider un homme inconscient et j’ai découvert qu’il s’agissait de mon ami Firas. Alors que je le portais vers l’ambulance, un soldat israélien m’a tiré dans le dos. Je me suis effondré. Sur le chemin de l’hôpital, j’ai entendu le médecin dire à l’infirmier d’arrêter de réanimer l’autre blessé dans l’ambulance, mon ami. Il était mort.

De retour à Jéricho, j’ai demandé des nouvelles de Firas. Mon frère m’a emmené au cimetière. Il y avait quatre tombes : celle de Firas, un étudiant en droit de 21 ans, celle d’un garçon de 17 ans et celle d’un policier palestinien. J’ai demandé ce qu’il en était de la quatrième tombe. « Celle-ci était pour toi », m’a dit mon frère. « Nous pensions que tu allais mourir ». J’ai survécu, mais la balle est toujours logée près de ma colonne vertébrale.

Des années plus tard, en 2004, un ami m’a invité à un atelier avec des Israéliens. J’étais furieux. « Comment pouvez-vous me demander de rencontrer l’ennemi ? » ai-je crié. « Avec ceux qui ont tué mon peuple, volé ma terre, fait de moi un réfugié, m’ont emprisonné ? » J’y suis allé, mais j’ai juré de ne pas parler. Le premier jour, je suis resté silencieux. Le deuxième, j’ai commencé à parler. Le troisième, j’ai partagé un café avec eux. Au quatrième, je leur demandais avec incrédulité : « Êtes-vous vraiment juifs ? Es-tu vraiment israélien ? » Jusqu’alors, je n’avais rencontré des Juifs qu’en tant que soldats. Je n’avais jamais parlé à des civils et je n’avais jamais abordé la question des droits, de l’avenir ou de la paix.

J’ai continué à participer à des ateliers, puis je me suis rendu en Allemagne pour participer à un séminaire avec des Israéliens et des Palestiniens. En 2006, j’ai été invité à rencontrer les Combattants pour la paix à Jéricho. Je n’étais pas prêt. Mais j’ai continué à apprendre, à demander, à rencontrer. En 2013, on m’a demandé de prendre la parole lors de la cérémonie commune de la Journée commémorative. J’ai accepté. Depuis lors, je suis un membre engagé dans la résistance non violente et la protestation pacifique contre l’occupation.


Des Palestiniens déplacés par l’offensive aérienne et terrestre israélienne sur la bande de Gaza marchent dans un camp de tentes improvisé dans la ville de Gaza. Photo Jehad Alshrafi, AP

À l’âge de trente ans, j’ai épousé Hiba, qui est également originaire de Gaza. Pendant de nombreuses années, nous n’avons pas pu rendre visite à sa famille. Pendant plus de huit ans, avant le début de la guerre, nos quatre enfants n’ont pas obtenu de permis pour rendre visite à leurs grands-parents à Gaza. Depuis le 7 octobre, nous avons perdu plus de 160 membres de notre famille à Gaza. Mais je sais que la coopération internationale et la non-violence sont les seuls moyens de mettre fin à l’occupation et de parvenir à la paix.

Grâce à tout ce que j’ai vécu, je sais que les extrémistes des deux camps veulent que nous haïssions, que nous ayons peur, que nous perdions espoir. Ils veulent nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à la guerre, qu’un peuple ne peut survivre qu’en détruisant l’autre. Je refuse d’accepter cela. Je refuse de laisser ce récit l’emporter.

La paix n’est pas une faiblesse. C’est la force de choisir le chemin le plus difficile, d’écouter la douleur de l’autre, de reconnaître sa souffrance et de construire des ponts sur des rivières de sang. C’est le courage de s’opposer à ceux qui profitent d’une guerre sans fin et de dire : ça suffit.

En Israël, j’entends souvent dire : « Il n’y a pas de partenaire pour la paix ». Mais ce n’est pas vrai. Nous sommes ici : les Palestiniens qui croient en l’égalité, la coexistence et la justice pour les deux peuples. Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes déterminés. Déterminés à vivre, pas à mourir. À construire, et non à détruire. Même après avoir tout perdu.

J’ai choisi de consacrer ma vie à la paix et à la lutte non violente contre l’injustice, l’occupation et l’extrémisme, les nôtres comme les vôtres. C’est la seule voie qui reste : un avenir commun, fondé sur la reconnaissance mutuelle et la conviction que la paix est encore possible.

J’ai perdu mes proches, mais pas mon espoir. La paix n’est pas un slogan. C’est la seule façon de vivre.





27/04/2025

NITZAN PERELMAN BECKER
Ce que masque l’expression « Arabes israéliens »

Nitzan Perelman Becker, Université Paris Cité

Environ 20 % des citoyens israéliens sont Palestiniens. Désignés officiellement comme « Arabes israéliens » – une expression sujette à controverse –, ils subissent de nombreuses formes de discrimination et sont perçus, par le pouvoir en place ainsi que par une partie significative de la population juive, comme une « menace intérieure ». Une perception qui s’est encore durcie depuis le 7 octobre 2023.

Une grande partie des Juifs israéliens, ainsi que de nombreuses personnes extérieures à Israël, désignent les 1,7 million de Palestiniens citoyens de l'État d'Israël – soit près de 20 % de la population du pays – par l'expression d'«Arabes israéliens».

Lors des précédentes guerres menées par Israël à Gaza – en 2008, en 2012, en 2014 et en 2021 –, ces Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne s'étaient mobilisés en masse. Mais, face à la guerre actuelle, la plus longue et la plus dévastatrice – au point que, à peine trois mois et demi après son déclenchement, la Cour internationale de justice évoquait déjà un risque de génocide –, ils demeurent en grande majorité silencieux. Ils s'abstiennent de manifester et, même sur leurs réseaux sociaux privés, évitent de critiquer les opérations meurtrières conduites par Tsahal dans la Bande de Gaza. Comment expliquer ce silence ?

Citoyens de seconde zone

Les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne sont les descendants des quelque 150 000 Palestiniens qui ont réussi à rester sur leurs terres ou dans leurs foyers malgré la Nakba – terme arabe signifiant « désastre », désignant l'expulsion massive des Palestiniens de la Palestine historique, accompagnée de massacres et de destructions, survenue entre 1947 et 1949.

Lorsque l’État d’Israël est officiellement fondé en 1948, ces Palestiniens obtiennent le passeport israélien, mais sont immédiatement placés sous un régime militaire, distinct de celui des citoyens juifs. Ce régime, en vigueur jusqu’en 1966, limite drastiquement leur liberté de mouvement, d’expression, d’association, ainsi que leur accès à l’emploi. Son abolition, obtenue au terme d’une mobilisation politique, marque une reconnaissance formelle de leur égalité citoyenne – du moins, sur le papier.

Bien qu’officiellement présentés comme des citoyens égaux, les Palestiniens voient leur identité palestinienne niée par l’usage institutionnalisé de l’expression « Arabes israéliens ». Cette appellation s’est longtemps imposée jusque dans leurs pièces d’identité où figurait, jusqu’aux années 2000, la mention « nationalité : arabe » – en opposition à la « nationalité juive » réservée aux citoyens juifs.

En Israël, et particulièrement à travers la langue hébraïque, les termes « nation » ou « nationalité » prennent une dimension ethnique : la notion de nation israélienne, qui engloberait l’ensemble des citoyens de l’État, n’existe tout simplement pas.

La mention a été supprimée non pour corriger une discrimination, mais parce qu’en 2002, la Cour suprême autorise l’enregistrement de personnes converties au judaïsme réformé comme juives. Opposé à cette reconnaissance, le ministre de l’intérieur ultra-orthodoxe Eli Yishaï décide alors de supprimer toute mention de nationalité.

Aujourd’hui encore, un ensemble de lois et de réglementations institutionnelles accorde des droits spécifiques aux Juifs au détriment des citoyens non juifs – en particulier des Palestiniens. Par exemple, une loi adoptée en 2003 interdit aux citoyens israéliens mariés à des Palestiniens ou Palestiniennes des territoires occupés de vivre en Israël, entraînant la fragmentation des familles. En pratique, cette mesure ne vise que les citoyens palestiniens d’Israël : les couples mixtes, entre Juifs et Palestiniens citoyens de l’État, restent très rares (2,1 % en 2008), et les unions entre Juifs israéliens et Palestiniens des territoires occupés sont quasi inexistantes.

En outre, les lois foncières en Israël favorisent l’accès à la propriété pour les Juifs et renforcent la ségrégation territoriale. Environ 13 % des terres de l’État sont gérées par le Fonds national juif, qui interdit leur vente ou leur location à des non-Juifs.

Parallèlement, des politiques sont mises en œuvre pour « judaïser » certaines régions à forte population palestinienne, comme le Néguev et la Galilée. Plusieurs lois facilitent la création de localités purement juives – notamment la loi de 2011 sur les commissions d’admission, qui autorise les communautés juives de ces régions à décider d'admettre ou non tout nouvel arrivant dans ces zones, ou encore la loi fondamentale sur l’État-nation, qui érige le « l'implantation juive » en « valeur nationale ».

Adoptée en 2018, cette loi stipule que seul le peuple juif dispose du droit à l’autodétermination en Israël, sans préciser les frontières concernées – ouvrant ainsi la voie à une interprétation englobant l’ensemble du territoire entre la mer Méditerranée et le Jourdain. Autrement dit, elle inscrit dans le droit la légitimité d’une suprématie ethnique et nie explicitement le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

Enfin, certaines mesures législatives réservent des avantages financiers aux personnes ayant accompli leur service militaire – une obligation dont les Palestiniens sont exemptés -, permettant d'instaurer des privilèges sans mentionner explicitement l'appartenance ethnique.

Ces éléments sont fréquemment passés sous silence quand Israël est présenté comme une démocratie exemplaire ou la « seule démocratie du Moyen-Orient ».

Une « menace intérieure »

Le cadre légal est accompagné d'un racisme systémique, les Palestiniens étant largement perçus comme une menace intérieure. Cette perception se renforce pendant les périodes de guerre ou de tension, notamment après mai 2021, après que des affrontements violents ont éclaté entre Juifs et Palestiniens dans des villes « mixtes », où la présence palestinienne est plus marquée.

« Israël : à Kfar Qasim, le malaise des Arabes israéliens face à la guerre », France 24 (2024).

Jérusalem est au cœur de toutes ces tensions : l’évacuation programmée d’une famille palestinienne à Sheikh Jarrah, l’irruption violente de la police israélienne sur l’esplanade des Mosquées et l'interdiction de prière aux musulmans – y compris les citoyens palestiniens de l'État – en plein mois de ramadan, attisent la colère des Palestiniens citoyens d'Israël.

Dans le débat public, toute contestation de l’action des autorités par les citoyens palestiniens d’Israël est aussitôt interprétée comme la preuve de leur déloyauté envers l’État. Ils sont alors souvent présentés comme un « front intérieur » qu'il faudrait combattre comme un ennemi. Cette vision ne date pas des suites du 7 octobre 2023.

Par exemple, le 10 mai 2021, à la Knesset, Shlomo Karhi, alors député du Likoud et aujourd’hui ministre des communications, comparant les Palestiniens d’Israël aux « ennemis de l'extérieur », affirme :

« Ce terrorisme ne surgit pas de nulle part. Comme des bêtes sauvages qui sentent la faiblesse de leur proie, les ennemis arabes sentent la peur. Les ennemis de l’extérieur nous attaquent, et ceux de l’intérieur […] les soutiennent. »

Un discours tenu également, le 18 mai 2021, par Amichai Chikli, à l’époque député du parti d’extrême droite Yamina et aujourd’hui ministre des affaires de la diaspora :

« Il est de notre devoir de repousser les ennemis d'Israël : les repousser à Gaza, dans les rues de Lod, partout et aussi d’ici, de cet hémicycle, de la Knesset d’Israël. »

Les Palestiniens citoyens d’Israël disposent de droits politiques, dont celui de voter et de siéger à la Knesset. Deux partis arabes y sont actuellement représentés : Hadash-Ta’al, une alliance de la gauche radicale portée par un programme progressiste centré sur l’égalité et la fin de l’occupation ; et Raam, un parti islamiste conservateur, engagé dans une stratégie pragmatique visant à améliorer les conditions de vie des citoyens palestiniens. Aux législatives de 2022, ils ont remporté 5 sièges chacun, sur les 120 que compte la Knesset.

Lors de ces élections, plus de 85 % des citoyens arabes du pays ont voté pour ces partis. En excluant les Druzes – qui votent majoritairement pour des partis juifs et ne se définissent pas comme Palestiniens –, ce chiffre serait encore plus élevé. Il convient toutefois de souligner que la présence de ces partis au Parlement, souvent brandie comme preuve du caractère démocratique de l’État, est régulièrement remise en cause par la droite israélienne, qui les qualifie d’« ennemis » ou de « terroristes ».

Avant même le 7-Octobre, les événements de mai 2021 avaient renforcé ce discours, exploité par Benyamin Nétanyahou et ses alliés à leur retour au pouvoir, fin 2022. Pendant qu'ils se trouvaient dans l'opposition, ils accusaient le gouvernement précédent, en raison de la présence d'un parti arabe dans la coalition, de « soutenir le terrorisme ». Cette campagne de délégitimation, assimilant les Palestiniens à une menace intérieure, a joué un rôle crucial dans la victoire électorale du bloc pro-Nétanyahou aux législatives de 2022.

« Israël, les ministres du chaos », documentaire sur les ministres israéliens d’extrême droite, co-écrit par l’autrice de cet article, Arte (novembre 2024).

Vivre dans le viseur

Depuis l'arrivée du sixième gouvernement Nétanyahou, fin 2022, le racisme anti-arabe a atteint un niveau inégalé. Il se manifeste, entre autres, par une indifférence face à la forte hausse des crimes au sein même de la communauté palestinienne en Israël. En 2023, 223 Palestiniens d’Israël ont été assassinés, le taux de résolution de ces crimes étant inférieur à 10 %. Le gouvernement, et notamment Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale et ancien membre du mouvement suprémaciste Kach, reste inactif face à cette situation.

Dans les villes palestiniennes israéliennes, la tension monte, alimentée par des discours xénophobes et racistes largement diffusés dans l'espace public. C'est dans ce contexte explosif que survient l'attaque du 7 octobre 2023, secouant profondément la société israélienne.

Dix jours après le massacre du 7-Octobre, en pleine offensive israélienne sur Gaza, le chef de la police Kobi Shabtai publie une vidéo sur le compte Twitter en arabe de la police. Face caméra, il menace clairement les Arabes israéliens :

« Quiconque souhaite être un citoyen israélien, ahlan wa sahlan (bienvenue, en arabe) ; quiconque exprime sa solidarité avec les Gazaouis, je le mettrai dans un bus et l’y [à Gaza] conduirai moi-même. »

Cette menace marque le point de départ d’une importante vague de persécutions, toujours en cours, contre les Palestiniens citoyens d’Israël. En trente jours seulement, la police arrête ou ouvre une enquête contre 251 personnes, dont la moitié pour de simples publications sur les réseaux sociaux. Un like, un partage ou un message de solidarité avec Gaza suffit parfois à éveiller les soupçons.

Et la répression ne vient pas uniquement des autorités : ces Palestiniens sont aussi surveillés et interrogés par leurs employeurs, leurs universités, leurs collègues ou leurs voisins. Des centaines de personnes sont licenciées ou suspendues de leur travail ou de leurs études, pour une publication privée ou un propos tenu en petit comité.

Leur citoyenneté israélienne ne peut plus les protéger. Preuve en est l'usage croissant, à leur encontre, de méthodes d'arrestation et d'enquête jusque-là réservées aux Palestiniens de Cisjordanie, soumis à l'occupation militaire et dépourvus de droits.

À ce propos, la question de la perception des Palestiniens d’Israël par les autres Palestiniens – qu’ils vivent dans les territoires occupés, dans des camps situés depuis des décennies dans des pays voisins, ou ailleurs dans le monde – mériterait un développement en soi, pour lequel nous n’avons pas la place ici.

Malgré la peur et les menaces policières, de nombreux Palestiniens tentent tout de même de manifester leur solidarité avec Gaza. Mais, depuis le 7 octobre 2023, ce droit fondamental, pourtant inhérent à tout régime se revendiquant démocratique, est réservé aux seuls citoyens juifs. Les Palestiniens, eux, se voient interdire leurs manifestations, encore et encore.

La situation critique des Palestiniens citoyens d’Israël est non seulement ignorée mais aussi, parfois, interprétée de façon erronée dans les médias étrangers. En France, certaines personnalités manipulent des sondages, comme celui de l’Université de Tel-Aviv de décembre 2023, selon lequel, depuis le 7 octobre 2023, 33 % des Palestiniens citoyens d’Israël placent leur citoyenneté israélienne au premier rang de leur identité, 32 % leur identité arabe et seulement 8 % considèrent l’identité palestinienne comme la composante principale.

Pourtant, il suffit d’écouter les Palestiniens pour saisir l’ampleur de cette erreur.

En témoigne, le juriste palestinien Mohammed Abed El Qadir, citoyen d’Israël :

« Si je reçois un appel d’un numéro israélien inconnu et qu’on me demande comment je m’identifie, je pourrais répondre que je suis sioniste et prêt à faire le service militaire, tellement j’ai peur ! Notre persécution depuis le 7 octobre nous a prouvé que l’expression “Arabe israélien” n’existe pas et n’existera jamais. Nous sommes des Palestiniens et nous le serons toujours. »The Conversation

Nitzan Perelman Becker, Docteure en sociologie politique, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

22/04/2025

DAHLIA SCHEINDLIN
Coup d’État, crimes et conspiration : les accusations les plus choquantes du chef du Shin Bet à l’encontre de Netanyahou

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 22/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La déclaration sous serment choquante de Ronen Bar à la Haute Cour de justice, qui met en lumière les exigences présumées du Premier ministre Benjamin Netanyahou en matière de loyauté totale à son égard, révèle tout ce qui ne va pas dans la gouvernance israélienne [ou du moins une petite partie, NdT].
Une manifestante brandit une pancarte anti-Netanyahou faisant référence aux otages toujours détenus à Gaza, à Tel Aviv au début du mois. Photo Tomer Appelbaum

La déclaration sous serment que Ronen Bar, chef du service de sécurité du Shin Bet, a soumise lundi à la Haute Cour de justice d’Israël pour éviter son licenciement est une documentation douloureuse sur les désastres passés, présents et futurs d’Israël. Les désastres vont du spécifique et choquant au profondément alarmant, voire à l’image dystopique de l’avenir, en fonction de ce qui se passe ensuite.

Rappelons ce qui s’est passé jusqu’à présent : le mois dernier, Netanyahou a annoncé son intention de démettre Bar de ses fonctions, affirmant qu’il n’avait plus confiance dans le chef du Shin Bet. Le procureur général Gali Baharav-Miara a émis un avis indiquant que la décision du premier ministre était “entachée d’un conflit d’intérêts personnel” en raison de ses liens et de ses intérêts personnels dans l’affaire du Qatargate et des BibiLeaks sur lesquels le Shin Bet enquête. Des citoyens israéliens ont déposé des pétitions auprès de la Haute Cour contre la décision de Netanyahou, l’accusant d’agir pour des raisons politiques personnelles.

À l’issue d’une audience qui s’est tenue il y a deux semaines, la Cour a suspendu le rejet de la requête jusqu’à ce que les deux parties puissent présenter de nouvelles déclarations sous serment, espérant sans doute qu’un compromis pourrait être trouvé.

Mais il n’y a pas de courtoisie en Israël aujourd’hui. La déclaration sous serment de 11 pages de Bar (avec une annexe confidentielle de 31 pages) a développé les arguments qu’il avait écrits dans une lettre soumise à la Haute Cour avant l’audience. Dans ce nouveau document, il a dressé une liste trop familière de ce qu’il prétend être les efforts du premier ministre pour politiser l’agence de sécurité intérieure à ses propres fins. Certains des nouveaux détails sont stupéfiants.


Le chef du Shin Bet, Ronen Bar (à g.), et son homologue du Mossad, David Barnea, lors d’une cérémonie officielle à Jérusalem.

Blessures immédiates

Dans sa lettre précédente,  Bar a accusé Netanyahou d’exiger qu’il fournisse des justifications, fondées sur des considérations de sécurité, qui empêcheraient le premier ministre de témoigner devant le tribunal dans son affaire de corruption (Bar a refusé). Aujourd’hui, Bar écrit que le premier ministre a littéralement essayé de le forcer à signer ce qui ne peut être décrit que comme un faux document dans ce même but – “écrit par le premier ministre ou quelqu’un en son nom” - et à le présenter comme son opinion professionnelle.

La présente déclaration sous serment ajoute des détails significatifs à une ligne énigmatique de la lettre préalable à l’audience concernant la description par Bar des attentes d’un acteur anonyme à l’égard de l’agence en ce qui concerne les citoyens israéliens. Aujourd’hui, Bar affirme que Netanyahou lui a demandé d’espionner les manifestants pro-démocratie au plus fort de leurs manifestations en 2023, même s’il n’y avait aucun soupçon d’actes secrets impliquant de la violence. Cela déclencherait une telle surveillance au-delà de l’activité criminelle ordinaire qui serait traitée par la police.

Néanmoins, Bar affirme que le premier ministre a clairement indiqué qu’il était censé suivre les activités des manifestants et fournir l’identité des activistes, des dirigeants et des “bailleurs de fonds des manifestations”. En d’autres termes, l’agence de sécurité intérieure israélienne serait déployée pour étouffer l’opposition politique en Israël. Bar affirme avoir refusé.

En ce qui concerne l’enquête criminelle en cours du Shin Bet sur le Qatargate, le scandale entourant les associés de Netanyahou qui auraient bénéficié de pots-de-vin de la part de l’État du Golfe, Bar est cinglant. Il répète que cette enquête et l’affaire BibiLeaks - dans laquelle le cercle proche de Netanyahou est accusé d’avoir divulgué des documents classifiés de l’armée israélienne à un journal allemand afin de promouvoir la thèse du gouvernement selon laquelle le Hamas est responsable de l’échec de l’accord sur les otages - ont été les tournants qui ont déclenché son licenciement. Le premier ministre lui-même a décrit le Qatar comme un “État soutenant le terrorisme”, écrit Bar.

Les enquêtes concernant les conseillers de Netanyahou, ajoute Bar en termes très clairs, « soulèvent les soupçons les plus lourds quant à l’atteinte grave à la sécurité de l’État ... à l’atteinte aux négociations pour la libération des otages, au renforcement du Hamas et à l’atteinte aux relations d’Israël avec l’Égypte ».

Des manifestants contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, lundi. La pancarte principale indique en anglo-hébreu « Netanyahou et Levin, ne mettez pas notre patriotisme à l’épreuve » [sic]

Les dégâts démocratiques

Mais le désastre est encore plus profond. D’autres parties de la déclaration sous serment de Bar montrent comment le gouvernement s’attaque non seulement à des institutions essentielles, mais aussi aux valeurs et aux principes directeurs qui définissent une démocratie.

Un exemple concerne l’affirmation précédente selon laquelle le premier ministre attendait de l’agence qu’elle espionne les manifestants politiques - des citoyens israéliens. Bar note que Netanyahou a discuté à plusieurs reprises de ce sujet après des réunions de travail, alors qu’il avait déjà renvoyé le secrétaire militaire et le sténographe - tenant des conversations qui n’ont jamais pu être documentées, un coup porté à la transparence et à la responsabilité.

La partie la plus étonnante de cette section est presque une réflexion après coup : « À propos des conversations sur les manifestations, écrit Bar, il m’a été clairement expliqué qu’en cas de crise constitutionnelle, je devais obéir au premier ministre et non à la Haute Cour ». En d’autres termes, Bar, un professionnel nommé pour des raisons non politiques, devait placer un patron politique au-dessus de la loi. Bar assure au tribunal que les détails sont fournis dans le document classifié, ce qui n’est pas un grand argument. Cependant, si cela est vrai, Netanyahou fait le premier pas pour garantir la loyauté des agences de sécurité envers l’autocrate en cas de coup d’État constitutionnel.

Un autre témoignage de la détérioration du discours démocratique en Israël est fourni par une section entière de la déclaration sous serment de Bar, consacrée à des théories de conspiration selon lesquelles l’agence avait « une connaissance préalable du massacre du 7 octobre » mais n’a pas alerté le premier ministre. Il est pénible de lire la reconstitution post-traumatique des actions du Shin Bet entre 23 heures le 6 octobre et le matin du 7 octobre, alors qu’il tente de démonter ces accusations. Bar lui-même admet que l’agence n’a pas réussi à contrecarrer l’attaque du Hamas, comme il l’a fait 10 jours seulement après les faits, déclarant que « la responsabilité m’en incombe ».

Mais il est encore plus incroyable de lire son démembrement des conspirations : « Ces affirmations sont des mensonges et ne représentent rien de moins qu’une incitation institutionnalisée contre moi et contre l’organisation. ... L’attaque n’ a pas été “coordonnée par nous”, nos équipes n’ont pas été “envoyées [à la frontière] uniquement pour sauver des employés du Shin Bet”, et cette nuit-là, il n’ y a pas eu “d’informations cachées à l’establishment de la sécurité et non au premier ministre” » (c’est lui qui souligne). Si Bar a ressenti le besoin d’aborder ces conspirations dans la procédure judiciaire, il a clairement vu la main cachée du premier ministre derrière elles.

"Bibi, il ment - ils meurent" : un manifestant tient une pancarte anti-Netanyahou lors d’une manifestation dans le centre d’Israël samedi.

Enfin, Bar explique que l’agence de renseignement attache une grande importance à l’équilibre de ses responsabilités entre l’utilisation d’outils puissants et invasifs pour faire progresser la sécurité et son obligation de limiter son propre pouvoir afin d’éviter les abus. Au début du document, il écrit que sous sa direction, le Shin Bet a appliqué des critères soigneusement définis pour l’utilisation de ses pouvoirs et a constamment consulté des conseillers juridiques pour s’assurer que ces pouvoirs ne seraient pas utilisés à mauvais escient.

Ce point touche au cœur de la démocratie constitutionnelle et libérale : les restrictions volontaires et institutionnalisées de l’État sur son propre pouvoir au nom de la liberté de ses citoyens. Israël pourrait être en train d’assister à la chute des derniers principes résiduels de gouvernance démocratique.

Qui sera convaincu ?

L’une des principales faiblesses de la missive de Bar est ce qu’il ne peut pas dire. Le document public est complété par un document classifié de 31 pages, vraisemblablement plus détaillé, avec cinq annexes, a écrit Bar dans ses notes introductives. Il ne fait aucun doute que chaque camp politique en Israël - ceux qui soutiennent le gouvernement et ceux qui soutiennent Bar - évaluera la force des preuves secrètes en fonction de ses loyautés politiques préexistantes.
Zulat, un groupe de réflexion israélien qui défend les valeurs libérales ,  a déjà demandé au procureur général, a Amit Aisman et à la police d’ouvrir une enquête criminelle sur le premier ministre pour obstruction à la justice, abus de pouvoir et abus de confiance.. D’importantes manifestations ont eu lieu lundi contre Netanyahou.

La réponse du cabinet du Premier ministre, comme on pouvait s’y attendre, a été que les accusations de M. Bar étaient un “mensonge complet” ; Pendant ce temps, Channel 14 - la version israélienne de Newsmax - a publié un titre inversé scandaleux selon lequel le chef de l’agence avait “agi contre les instructions du Premier ministre, encore et encore”. Ce flash a également mis l’accent sur l’une des dernières lignes les plus importantes de la lettre : Bar écrit qu’il annoncera bientôt la date de sa démission. Channel 14 y voit certainement un aveu de culpabilité confirmant les accusations du premier ministre sur les échecs, voire les complots, de Bar.


Des manifestants portant des masques du ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer et de Benjamin Netanyahou, devant une banderole indiquant que “le silence encourage le bourreau, jamais le tourmenté”.

Il n’y a pas plus de clarté sur ce que la Haute Cour pourrait faire. Le bureau de Netanyahou devrait publier sa propre déclaration sous serment dans le courant de la semaine, après quoi les juges pourront encore se prononcer sur les pétitions.

Pour la démocratie, il semble cependant qu’il n’y ait pas de bonne issue. L’ironie la plus grande est peut-être que le Shin Bet et Ronen Bar sont maintenant, par la force des choses, la cause célèbre du mouvement pro-démocratique. C’est ce même Shin Bet qui est responsable des violations les plus invasives et antidémocratiques de tous les droits humains et civils en vigueur lorsqu’il s’agit des Palestiniens et qui, parfois, espionne aussi les communautés arabo-palestiniennes en Israël [c’est nouveau : en général les Israéliens les appellent « Arabes israéliens ». Allez Dahlia, encore un effort et bientôt tu écriras : « les Palestiniens de 48», NdT]. Bar dans le rôle du noble défenseur de la bonne gouvernance et de l’État de droit, protecteur des libertés et des droits des citoyens, est déconcertant, voire étrange.
 
Mais sa situation actuelle sert de miroir à ce qui ne va pas en Israël aujourd’hui : les fondations minimales des institutions démocratiques s’effondrent, laissant tous ceux qui s’en soucient se démener pour sauver les bases, au lieu de se battre pour compléter les pièces qui étaient manifestement absentes jusqu’à présent.