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29/12/2024

La chasse aux millions de dollars : la guerre secrète du Mossad contre les finances de la résistance palestinienne et libanaise

Pendant des années, Udi Levy a dirigé une unité du Mossad chargée de surveiller les flux de fonds destinés aux groupes de la résistance, évidemment toujours qualifiés de « terroristes ». Grâce à des méthodes créatives [sic] et à l’absence quasi totale de restrictions, l’unité est parvenue à contrecarrer les transferts de sommes considérables vers le Hamas et le Hezbollah. Puis elle a été fermée.

Yossi Melman, Haaretz , 4/1/2024


Udi Levy, qui dirigeait l’unité Tziltal (Harpon), aujourd’hui disparue, chargée de traquer les fonds destinés aux groupes “terroristes”. Photo : Tomer Appelbaum

En mai 2010, une jeep transportant deux passagers arrive au terminal frontalier de Rafah. Les hommes, qui avaient quitté le Caire en passant par la péninsule du Sinaï, ont subi un contrôle de sécurité superficiel après leur arrivée du côté égyptien du point de passage, et sont entrés dans la bande de Gaza à bord de leur voiture. Après avoir parcouru une courte distance, un missile a explosé devant eux, à l’improviste. Pris de panique, les deux hommes ont sauté du véhicule et se sont réfugiés sur le bord de la route. Quelques secondes plus tard, un autre missile frappe la jeep. Celle-ci a pris feu et des dizaines de milliers de billets de banque brûlés se sont envolés dans les airs.

« On se serait cru dans un film », se souvient Udi Levy, un ancien haut responsable du Mossad.

Les missiles ont été tirés par un drone de l’armée de l’air israélienne, sur la base de renseignements précis. Le conducteur et le passager n’étaient pas visés, c’est pourquoi le premier missile a été tiré en guise d’avertissement, pour leur permettre de s’échapper. La véritable cible étaient les 20 millions de dollars qui se trouvaient dans le véhicule, transférés d’une banque et de bureaux de change en Égypte, et destinés aux Brigades Ezzeddine AL Qassam, l’aile militaire du Hamas.

De hauts responsables du Hamas se sont précipités sur les lieux et ont rapidement commencé à collecter et à emballer les billets noircis. Quelques jours plus tard, les hommes du Hamas sont retournés au Caire, où ils sont entrés dans une succursale de la Banque Misr, la plus grande banque d’Égypte, dans le but d’échanger les billets endommagés contre de nouveaux. Le personnel, surpris, leur a ordonné de quitter les lieux. À ce moment-là, le personnel des bureaux de l’unité Tziltzal (Harpon), au troisième étage du quartier général du Mossad à Glilot, près de Tel-Aviv, a poussé un soupir de soulagement - parmi eux, Levy, le chef de l’unité aujourd’hui disparue.

La destruction de l’argent du Hamas lors de cet incident était une action conjointe réussie entreprise par la direction des opérations des forces de défense israéliennes, dirigée à l’époque par le général de division Tal Russo, et Harpon, l’unité secrète qui avait été créée une dizaine d’années auparavant afin de surveiller, d’avertir le monde et de déjouer les transferts d’argent vers les groupes “terroristes” et l’Iran. Le « copyright » de l’idée dans sa version israélienne appartient à feu Meir Dagan, chef du Mossad, et au Premier ministre Ariel Sharon. C’est Dagan qui a nommé Levy, alors lieutenant-colonel dans l’armée israélienne, commandant de l’unité.

Au cours de ses 15 années d’activité, Harpon a entrepris un grand nombre d’opérations. Des agents du Mossad ont été envoyés pour observer et pénétrer dans les bureaux des changeurs de monnaie ainsi que dans les banques d’Europe, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient, où les “terroristes” et le régime de Téhéran étaient soupçonnés de détenir des comptes.

« Nous surveillions les changeurs de monnaie dans un certain nombre de pays d’Europe », explique dans une interview à Haaretz un agent de l’unité d’opérations ultra-secrètes du Mossad, connue sous le nom de Kidon (Baïonnette), qui a ensuite été promu à la tête d’une division de l’organisation d’espionnage. « Nous surveillions les banques en Europe qui étaient soupçonnées de fermer les yeux sur les comptes d’éléments terroristes », ajoute un autre agent du Mossad. Selon le New York Times, les changeurs de monnaie en Turquie étaient particulièrement surveillés.

Israël a coopéré avec des organisations d’espionnage locales dans le cadre de ces opérations. Les agents du Mossad et de Harpon ont averti leurs homologues de l’existence de comptes suspects et ont transmis les informations aux banques, aux responsables financiers et à d’autres fonctionnaires de ces pays. Dans un cas, cela a permis de faire échouer un projet iranien de transport d’armes hors d’un pays européen.

Lors d’une autre opération, menée vers la fin de la guerre du Liban en 2006, l’armée de l’air a bombardé deux conteneurs, cachés dans le quartier chiite de Dahiya à Beyrouth, qui contenaient des dizaines de millions de dollars.

« Les dirigeants du Hezbollah, avec à leur tête [Hassan] Nasrallah et [Imad] Mughniyeh, ont été sidérés », déclare aujourd’hui Levy. « Ils étaient stupéfaits par le fait que nous sachions où l’argent était caché et que nous ayons réussi à cibler le site avec autant de précision. Ils étaient furieux que tout cet argent, destiné à financer la guerre de l’organisation, ait été détruit. Comment savons-nous leur réaction ? Nous l’avons apprise grâce aux renseignements qui nous sont parvenus après l’opération ».


Hassan Nasrallah. Photo : Bilal Hussein/AP

Levy a été le commandant du Harpon pendant la majeure partie de son existence ; il a pris sa retraite en 2016 et le Harpon a été démantelé en 2017. Vers la fin de son mandat, il a été témoin d’un changement d’approche dans les hautes sphères du gouvernement israélien vis-à-vis des efforts visant à torpiller les transferts de fonds vers les organisations “terroristes” palestiniennes.

« J’ai commencé à voir que le sujet des fonds terroristes devenait de moins en moins important pour [le Premier ministre Benjamin] Netanyahou », se souvient Levy. « Depuis sa réélection en 2015, il avait refusé d’autoriser des opérations d’importance stratégique que nous avions proposées, et avait exprimé des appréhensions quant à leurs implications. » Les opérations en question, précise-t-il, visaient principalement le Hamas.

La question du financement du “terrorisme” palestinien revêt une importance particulière à l’heure actuelle, dans le sillage de l’attaque vicieuse [sic] du Hamas le 7 octobre. Pendant des années, Netanyahou a ignoré le flux de milliards de dollars du Qatar vers l’organisation islamiste, et a même encouragé ce processus de financement. Cela faisait partie de ses efforts pour mettre au placard la solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien. Mais l’argent, qui était censé acheter la tranquillité, a été utilisé pour renforcer les capacités militaires du Hamas, qui a pris Israël par surprise le 7 octobre.

Netanyahou a commencé à définir sa politique à la fin de l’année 2014. Yossi Cohen, alors directeur du Conseil national de sécurité et plus tard chef du Mossad, l’a soutenue, tout comme Meir Ben Shabbat, qui a succédé à Cohen à la tête du Conseil national de sécurité. Parmi les quelques personnes qui ont remis en question cette politique, on trouve Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense de l’époque, Tamir Pardo, qui a dirigé le Mossad de 2011 à 2016, et Levy lui-même. Mais Netanyahou n’a pas tenu compte de leurs avertissements.

« Le transfert des fonds au Hamas a rendu possible l’attaque surprise du 7 octobre », dit Udi Levy. « Je ne me souviens pas que Netanyahou ait eu une seule discussion sérieuse sur les implications possibles de la puissance économique croissante du Hamas, même si on lui a montré les chiffres ». En effet, selon Levy, pendant des années, le premier ministre a rejeté les recommandations de l’establishment de la sécurité de mener une guerre économique sérieuse contre le Hamas.

Pourquoi ?

Levy : « Netanyahou et Cohen pensaient que l’apaisement du Hamas était une solution qui servait leur vision du monde et leur idéologie. Ils n’ont pas compris, ou n’ont pas voulu comprendre, que c’était en fait le problème. C’était une décision politique ».

Et cette décision, selon M. Levy, était contraire aux intérêts nationaux d’Israël.


Yossi Cohen et Benjamin Netanyahou : « Depuis sa réélection en 2015, Netanyahou avait refusé d’autoriser les opérations d’importance stratégique que nous avions proposées », se souvient Levy. Photo : Kobi Gideon/Bureau de presse du gvt. isr.

* * *

Levy, 61 ans, est né dans le quartier Hatikva de Tel Aviv. Sa mère d’origine égyptienne, Miriam, travaillait comme infirmière dans le quartier, où elle a rencontré son père, Haim, propriétaire d’un magasin de fleurs. La famille de Haim était arrivée de Perse en Palestine ottomane au début du XXe siècle. Lorsque Levy a 8 ans, la famille déménage à Holon, au sud de Tel Aviv.

Levy a été enrôlé comme « auditeur » dans l’unité de renseignement d’élite 8200. « Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi », dit-il. « L’arabe que j’avais appris à la maison était très rudimentaire ». Après un cours de six mois, il est affecté à un poste d’écoute à la frontière libanaise. Lors de la guerre du Liban de 1982, il a été envoyé à un cours de formation des officiers et a ensuite occupé une série de postes clés dans le domaine du renseignement. Il a également obtenu une licence en études du Moyen-Orient à l’université de Tel Aviv. Après avoir été promu au grade de major, il a été nommé commandant d’une base 8200 à Jérusalem. « Je n’aimais pas la division du travail », explique-t-il. « J’étais responsable de la logistique, mais je voulais m’engager dans l’essentiel, avec du matériel de renseignement ».

Par chance, au plus fort de la première Intifada, il rencontre le chef de l’administration civile du gouvernement militaire, le colonel Gadi Zohar. C’est également par Zohar qu’il a entendu parler pour la première fois de la puissance économique croissante du Hamas. « Gadi m’a dit que le Shin Bet [service de sécurité] et les services de renseignements militaires n’avaient pas identifié les principaux problèmes de la population », raconte-t-il. « Ils se concentraient sur les escadrons terroristes, ne voyaient pas le tableau d’ensemble et ne comprenaient pas ce qui se passait sous la surface. L’un des enseignements tirés de cette expérience a été la décision de créer une petite unité de personnel de renseignement, sous les auspices de l’administration civile, afin de surveiller l’humeur de la population. Gadi m’a proposé d’en faire partie, ce que j’ai accepté avec plaisir ».

Quelles impressions avez-vous eues à l’époque ?

« J’ai rencontré des journalistes, des intellectuels et des commerçants [palestiniens] qui m’ont parlé de l’état d’esprit de la société palestinienne. Ils m’ont dit : « Vous [les Israéliens] ne faites pas attention à ce qui se passe à la base. Vous ne voyez pas comment le Hamas, par l’intermédiaire d’organisations à but non lucratif, construit des hôpitaux, des écoles, des jardins d’enfants, des institutions sociales, des mosquées. Vous ne voyez pas combien d’argent est acheminé dans les territoires afin de maintenir le monstre que le Hamas est en train de construire [ce qu’on appelle un État partout ailleurs, est un “monstre” dans le cas de Gaza, NdT] ».

Levy a commencé à recueillir des informations sur les activités financières du Hamas et, dans une moindre mesure, sur celles du Jihad islamique. « Lorsque j’ai écrit à l’époque, au début des années 1990, que les organisations à but non lucratif du Hamas avaient injecté en Cisjordanie et à Gaza environ un demi-milliard de dollars provenant de dons faits à l’étranger, le Shin Bet s’est moqué de moi », se souvient-il. « Ils ont prétendu que les fonds s’élevaient à 10 millions de dollars. Gideon Ezra, qui dirigeait un département du Shin Bet, nous a dit : “Ne dites pas n’importe quoi. Je ne vais pas m’occuper des écoles et des hôpitaux. Ma seule tâche est de contrecarrer le terrorisme” ».

Mais Levy a trouvé des oreilles attentives auprès du général de division Ilan Biran, alors chef du commandement central, et du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Danny Rothschild. « Notre principal outil était les décisions de justice, qui nous permettaient de fermer des institutions et de confisquer de l’argent. Nous avons poursuivi des changeurs de monnaie en Cisjordanie et à Gaza, ainsi que des chefs de conseil [ ?]. Le nom de code de notre activité était biur hametz [un rituel de la Pâque qui se réfère, métaphoriquement, à l’élimination de substances inacceptables ou nocives] ».

En 1994, le général de brigade Meir Dagan, responsable des opérations spéciales à Gaza et en Cisjordanie, a rendu visite au commandement central. « Je lui ai montré le matériel que j’avais rassemblé », raconte Levy, « et à ma grande surprise, il s’est montré très intéressé par ce matériel ». Dagan et Levy ont ensuite rencontré le chef d’état-major adjoint des FDI, Matan Vilnai. « Vilnai m’a dit : “Je connais le Hamas comme ma poche - je ne pense pas que vous puissiez m’apprendre quoi que ce soit de nouveau”. C’est pourtant ce que j’ai fait. À la fin de la réunion, Vilnai était complètement abasourdi ».

En 1996, lorsque Netanyahou a été élu Premier ministre pour la première fois, il a chargé Dagan de mettre en place une unité indépendante de lutte contre le terrorisme. À son tour, Dagan a nommé Levy, alors lieutenant-colonel, pour diriger la recherche de financements terroristes.

« Nous avons commencé à impliquer la communauté internationale, en particulier les USA et l’Europe, dans une guerre économique contre le Hamas, le Jihad islamique et le Hezbollah », raconte Levy. « Nous nous sommes concentrés sur quelques organisations à but non lucratif du Hamas et du Jihad islamique qui opéraient aux USA, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne ».

Le tournant s’est produit en 2001, en partie à la suite de la catastrophe du 11 septembre, lorsque l’administration américaine a pris conscience de l’importance de la lutte contre le financement du terrorisme et des liens entre des organisations caritatives apparemment innocentes et des groupes terroristes. L’élection d’Ariel Sharon au poste de premier ministre la même année a constitué un deuxième tournant. Sur la recommandation de Dagan, Sharon a accepté de créer un organe secret au sein du Conseil national de sécurité, alors dirigé par Uzi Dayan. Dayan nomme l’unité Harpon, en s’inspirant de « Moby Dick » de Melville. Levy est nommé à sa tête.

« Dans mon adolescence, j’ai lu Moby Dick comme un récit d’aventure sur le monde obscur des chasseurs de baleines », se souvient aujourd’hui Uzi Dayan. « Trente-cinq ans plus tard, j’ai relu le livre. J’ai associé le nom de code Harpon au narrateur de l’histoire, Ismaël, qui décrit comment son ami attend le bon moment pour lancer son harpon mortel ».


L’ancien chef du Mossad, Meir Dagan. Photo : Alon Ron

* * *

Le travail de l’unité Harpon était sous-tendu par le slogan bien connu « Suivez l’argent ».

Levy : « De 1993 à 2016, les méthodes utilisées pour déplacer l’argent ont à peine changé. Au cours de la première décennie, de 1993 à 2003, l’argent destiné aux organisations terroristes provenait principalement d’Arabie saoudite - de son gouvernement et des dons de riches Saoudiens, qui soutenaient également Al-Qaida. Ils transféraient l’argent directement des banques saoudiennes aux banques palestiniennes, ou par l’intermédiaire de Western Union. L’Arabie saoudite a cessé de transférer de l’argent au Hamas en 2003, par crainte de la réaction des USA, après qu’il a été révélé que les Saoudiens avaient soutenu les militants d’Oussama ben Laden ».

Au début des années 2000, les Iraniens ont remplacé les Saoudiens en tant qu’élément dominant du financement du terrorisme palestinien, en prenant le contrôle des transferts d’argent vers le Hamas et le Jihad islamique, ainsi que vers l’Autorité palestinienne. La contrebande d’armes entre l’Iran et l’Autorité palestinienne en 2002 sur le cargo Karine A, qui a été saisi par la marine israélienne, en est un bon exemple. La Force Al-Quds de l’Iran a financé l’opération et acheté les armes.

Parallèlement au financement de Téhéran, l’argent a constamment afflué de dizaines d’organisations à but non lucratif - dans les Émirats arabes unis, au Qatar, en Indonésie, en Malaisie et également dans les pays occidentaux : Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark, France, Grande-Bretagne. Ces organismes ont mené toutes sortes d’actions de collecte de fonds : de la collecte de monnaie dans les caisses de charité des mosquées à l’obtention de fonds auprès de grandes organisations caritatives occidentales à vocation sociale. « Il s’agit d’un réseau insensé d’organisations caritatives mondiales qui continue de fonctionner à ce jour », explique Levy.

Pour traquer et contrecarrer le transfert des fonds, Harpon a été investi de pouvoirs et d’une autorité inhabituels dès sa création. « Le ministre de la justice, Yaakov Neeman, nous a soutenus », raconte M. Levy, « et toutes les instances se sont jointes à l’effort : la police israélienne, l’autorité israélienne chargée de l’interdiction du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, la Banque d’Israël, l’autorité fiscale israélienne, les banques et les procureurs de l’État et de l’armée ».

L’adjoint de Levy était P., un agent de terrain qui avait travaillé dans des États ennemis, dont l’Iran. L’avocat Paul Landes, de l’autorité chargée du blanchiment d’argent, a rejoint l’équipe et a ensuite été l’adjoint de Levy.

« Le gouvernement Sharon avait pris une décision secrète de grande portée qui nous autorisait à recevoir des informations de toute source autorisée en Israël et à agir sur la base de ces informations, ainsi qu’à être en contact avec n’importe quel gouvernement dans le monde », note Levy.

Ces pouvoirs sont toutefois à la limite de l’atteinte à la vie privée. L’unité ne pouvait pas accéder aux comptes bancaires israéliens, mais si elle soupçonnait que des organisations arabes à but non lucratif en Israël - notamment la branche nord du Mouvement islamique - servaient d’intermédiaire pour le transfert de fonds vers le Hamas et les territoires, l’information était transmise à la police et une enquête était lancée.


Suha Al Tawil, veuve Arafat, 61 ans, citoyenne française née à Jérusalem, une redoutable business woman, qui trouva même le moyen de voler 1 million de dollars à Leïla Trabelsi, alias Madame "Je prends tout", épouse puis veuve consolable de son cher Zine Abidine Ben Ali, alias ZABA, alors PDG de l'entreprise Tunisia Inc. Après la mort d'Arafat, Suha trouva le moyen de récupérer ses avoirs bancaires (notamment auprès de la Leumi Bak israélienne), au grand dam des responsables de l'(In)Autorité palestinienne, grâce au savoir-faire de son conseiller financier Edouard Rizk, un phalangiste libanais. Entre bons chrétiens, on se serre les coudes. [NdT]

L’une des opérations les plus importantes de Harpon s’est déroulée au plus fort de la deuxième Intifada, au début des années 2000, dans le but de retrouver les actifs du dirigeant palestinien Yasser Arafat, soupçonné de dissimuler des centaines de millions de dollars dans le monde entier.

« Arafat, sa femme Suha et ses assistants étaient totalement corrompus », explique Levy. Le président palestinien possédait de nombreux comptes bancaires - à Malte, en France, en Égypte, en Jordanie, en Tunisie et en Algérie - qui étaient gérés pour lui par son homme d’argent, Mohammed Rashid.

Avec l’aide du Mossad, Harpon a tenté de mettre le grappin sur les comptes bancaires d’Arafat et de son épouse. L’unité avait un double objectif : d’abord, elle espérait dévoiler ces comptes et diffuser largement des informations à leur sujet, dans le cadre d’une guerre psychologique, afin de salir Arafat et de le montrer corrompu. Harpon et le Mossad ont été aidés dans cette entreprise par des journalistes étrangers et israéliens. L’un de ces derniers va même jusqu’à lui proposer de se faire passer pour un correspondant étranger et d’essayer d’entrer en contact avec Suha. L’idée fut rejetée, mais Levy et ses agents réussirent à persuader la Banque Leumi [israélienne] de fermer le compte d’Arafat.

Le deuxième objectif était semblable à celui de Robin des Bois : saisir les comptes bancaires du couple et transférer leur argent vers un pays ami du Moyen-Orient, un allié d’Israël. Mais cette fois, Harpon n’a pas réussi.

L’unité a également utilisé des méthodes similaires contre le Jihad islamique. Son fondateur, le Dr Fathi Shaqaqi, exerçait un contrôle très centralisé sur l’organisation et ses fonds. Dès ses débuts, dans les années 1980, Shaqaqi était un mercenaire au service de l’Iran. Téhéran a financé son groupe, qui a mené certaines des attaques terroristes les plus meurtrières contre Israël, notamment l’attentat au carrefour de Beit Lid en janvier 1995, au cours duquel 22 Israéliens ont été assassinés. Au mois d’octobre suivant, des agents de l’unité Bayonet du Mossad l’ont assassiné en plein jour dans une rue de Malte. Les successeurs de Shaqaqi ont recherché les fonds du Jihad islamique mais n’ont pas pu accéder aux comptes bancaires. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles sa femme se serait emparée de l’argent et l’aurait emporté en Iran ou ailleurs.

De son vivant, Shaqaqi n’a pas hésité à accepter d’autres sources de financement. Son homme de confiance aux USA était Sami al-Arian, professeur d’ingénierie informatique à l’université de Floride du Sud. Al-Arian a été arrêté en 2003 et inculpé de 17 chefs d’accusation pour appartenance à une organisation terroriste, financement d’une organisation terroriste, blanchiment d’argent et autres.

À peu près à la même époque, Levy a été envoyé en Floride au nom de l’État d’Israël, où il a été autorisé pendant trois mois à partager des documents et des informations de renseignement avec le FBI et le département du Trésor. Finalement, Arian a été acquitté de la moitié des chefs d’accusation ; il a signé un accord de plaidoyer et a purgé moins de cinq ans de prison. Après sa libération, en 2014, il a été expulsé des USA et a créé un centre de recherche dans une université d’Istanbul, qui, selon les services de renseignement israéliens, est également impliquée dans le transfert de fonds à des groupes terroristes.

La plus grande réussite de Harpon a été la lutte économique contre l’Iran. Grâce à son travail, Israël a pu, au fil des ans, persuader les USA et les pays d’Europe occidentale d’imposer de lourdes sanctions à l’Iran, dont la plupart sont encore en vigueur aujourd’hui. Plus précisément, Harpon, en collaboration avec les divisions de recherche du Mossad et du renseignement militaire, a fourni des informations sur la base desquelles des recommandations ont été formulées quant aux industries et aux entreprises iraniennes à sanctionner.

« Mon mandat de directeur du Mossad a joué un rôle essentiel dans la guerre économique contre l’Iran », explique Tamir Pardo à Haaretz, « ainsi que contre le Hamas et le Hezbollah ».

Harpon n’a pas mené d’actions sur le terrain contre les banques iraniennes, en raison de problèmes opérationnels et de la crainte de mettre son personnel en danger. Il a toutefois réussi à repérer et à marquer les fonds utilisés par des entreprises et des particuliers iraniens qui tentaient de contourner les sanctions afin d’introduire en contrebande des composants pour des projets de missiles et d’armes nucléaires. Les informations ont été transmises aux gouvernements de l’Occident et de l’Extrême-Orient, ce qui a permis d’empêcher la contrebande des équipements, qui ont souvent été confisqués.

L’un des points de référence des activités de Harpon a été de persuader Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019, de prendre des mesures énergiques contre l’Iran. « Draghi nous a beaucoup aidés », note Levy, ajoutant que le développement le plus important a été la décision d’interdire à l’Iran et à ses citoyens l’accès au système international de compensation monétaire SWIFT. Ces actions ont amené Téhéran à la table des négociations et ont conduit à la signature de l’accord nucléaire de 2015.

Les efforts déployés pour découvrir et saborder les sources de financement des organisations terroristes ont également échoué. Levy et un haut responsable du Shin Bet se sont rendus à Dubaï, par exemple, pour convaincre le dirigeant de cette ville de cesser de financer le Hamas. Celui-ci leur a montré la porte.

« Ce sont les plus grands blanchisseurs d’argent du Moyen-Orient », déclare Levy à propos du gouvernement de Dubaï. « Presque toutes les sociétés affiliées aux Gardiens de la révolution iraniens et à leurs services de renseignement ont des représentations et des bureaux à Dubaï, ce qui les aide à blanchir de l’argent et à contourner les sanctions ».

Vous connaissiez bien les dirigeants du Hamas et du Hezbollah. À quelle profondeur estimez-vous que leur corruption s’étend ?

« Imad Mughniyeh était corrompu - il avait des maisons et des comptes bancaires à Damas et en Iran [selon des sources étrangères, il a été assassiné lors d’une opération conjointe du Mossad et de la CIA en 2008]. Nasrallah aussi ; lui et sa famille sont très riches. Nasrallah préfère ne pas garder son argent dans les banques au Liban, à cause des sanctions contre ce pays et contre lui, mais plutôt en Syrie et en Iran ».

Et le Hamas ?

« Au début, les dirigeants du Hamas se comportaient modestement et étaient certainement beaucoup moins corrompus que les dirigeants de l’OLP. Mais au cours des dernières décennies, Khaled Meshal et Ismail Haniyeh sont devenus milliardaires, avec de nombreux biens au Qatar, et des comptes dans la plus grande et la plus importante banque de ce pays, la Banque nationale. »

Et Yahya Sinwar ?

« Idem. Jusqu’à la guerre actuelle, il possédait de luxueuses villas à Gaza, mais il a aussi des biens au Qatar et des comptes bancaires dans ce pays. Bref, ils sont pris en charge, ainsi que toutes leurs familles et leurs enfants. »

* * *

En effet, un changement radical s’est produit en 2014 : Le Qatar a commencé à envoyer des fonds à la bande de Gaza. Israël l’a autorisé à faire entrer des valises remplies de millions en liquide, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Ramallah. Pour sa part, Levy a pris sa retraite en 2016 et a passé un doctorat à Bar-Ilan, rédigeant une thèse sur l’islam radical, et s’est impliqué dans des entreprises privées. La même année, Yossi Cohen prend la tête du Mossad. Il décide de démanteler Harpon et de répartir ses responsabilités entre deux bureaux. Meir Ben-Shabbat, qui venait de prendre la direction du Conseil national de sécurité, affirme qu’il n’a pas été impliqué dans cette décision, qui a été autorisée par le cabinet de sécurité en mars 2018. À la place de Harpon, le ministère de la Défense a créé le Bureau national de lutte contre le financement du terrorisme, aujourd’hui dirigé par Paul Landes. Les autres rôles de la défunte unité, notamment la collecte et la concentration d’informations de renseignement pertinentes, ont été transférés au département de recherche du renseignement militaire.

Cohen a refusé de répondre à la question de Haaretz sur les raisons qui l’ont poussé à démanteler l’unité. Levy, pour sa part, a du mal à comprendre les raisons de cette décision.

« Peut-être voulait-il laisser une trace en la démantelant et en formant de nouvelles unités », dit-il. « Ce dont je me souviens, c’est que Yossi m’a toujours demandé de dire du bien de lui à Dagan, qui était non seulement mon professeur et mon mentor, mais aussi un ami personnel ».

Le bureau de M. Netanyahou a refusé de commenter cet article. [et on peut toujours rêver à une unité du Mossad chargée de pister son argent, celui de sa femme et de sa bande, NdT]



06/12/2024

YOSSI MELMAN
L’homme qui a interrogé Netanyahou est convaincu de la culpabilité du Premier ministre
Entretien avec Eli Assayag, ancien chef de la police israélienne


Dans sa première interview depuis sa retraite, le général de brigade Eli Assayag parle également à Haaretz de la « catastrophe » qui pourrait découler de la prise de contrôle de la police par  Itamar Ben-Gvir.

Eli Assayag. Il a compris qu’il ne serait pas promu « peut-être parce que je m’occupais de ces affaires sensibles ». Photo Tomer Appelbaum

Yossi Melman, Haaretz, 2/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la mi-2018, le général de brigade Eli Assayag et deux autres enquêteurs ont quitté les bureaux de l’unité anticorruption Lahav 433 de la police pour se rendre au siège du Mossad, près de Tel-Aviv.
Objectif : interroger le chef du Mossad de l’époque, Yossi Cohen - en tant que témoin et non en tant que suspect - dans l’affaire dite des sous-marins [dite "Affaire 3000" : achat par Israël de sous-marins Dolphin et de navires guerre Sa'ar, fabriqués par ThyssenKrupp, pour 2 milliards de dollars, faisant l'objet d'une commission d'enquête de l'État établie par le gouvernement Lapid-Gantz, lire ici NdT], dans laquelle des associés du Premier ministre Benjamin Netanyahou sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin. Les malversations présumées - des pots-de-vin pour qu’Israël achète plus de navires de guerre qu’il n’en avait besoin - ont eu lieu lorsque Cohen dirigeait le Conseil national de sécurité d’Israël.
De retour au siège du Mossad, lorsque la voiture a franchi le portail et ses gardes armés, les enquêteurs ont atteint le bâtiment principal - et ses jardins bien entretenus - où se trouve le bureau du chef du Mossad. Les trois hommes ont été accueillis par l’assistante de Cohen, qui leur a demandé de lui donner leurs téléphones portables.

L’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen. Il ne voulait pas être photographié dans un poste de police. Photo Ohad Zwigenberg

Assayag a refusé. « Pas de problème », lui a-t-il dit. « Nous allons retourner à notre bureau et y convoquer Yossi Cohen ». Cohen a cédé. Il ne voulait pas être photographié dans un commissariat de police.
« Je n’ai jamais fait de concessions au cours de ma carrière », déclare Assayag, ancien chef de l’unité de la police chargée de la lutte contre la criminalité financière. « Toute personne ayant commis une infraction ou ayant été convoquée pour témoigner a été traitée de manière équitable et professionnelle. En même temps, je n’ai jamais été flagorneur ou rampant, même si les personnes impliquées étaient très haut placées ».
Assayag a dirigé les enquêtes sur l’affaire des sous-marins et sur l’affaire dite « Bezeq-Walla », l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou est poursuivi sur le soupçon d’avoir échangé des faveurs réglementaires contre une couverture médiatique positive.
C’est Assayag qui a recommandé l’annulation d’un accord de plaidoyer avec Michael Ganor, un suspect dans l’affaire du sous-marin. Ganor est actuellement jugé pour avoir offert et donné des pots-de-vin, pour blanchiment d’argent, pour évasion fiscale et pour avoir violé les lois sur les partis politiques.
Pourquoi avez-vous recommandé la révocation de l’accord conclu avec Ganor ?
« Je serai prudent car le procès est toujours en cours et je pourrais être appelé à témoigner devant le tribunal. D’une manière générale, je peux dire que j’ai pris ma décision après qu’il a changé sa version des faits et tenté de modifier les conditions de l’accord
».

Eli Assayag a également interrogé Netanyahou dans l’affaire Bezeq-Walla, dans laquelle il est accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Dans cette affaire, Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq, sont jugés pour corruption, obstruction à la justice et subornation de témoins au cours d’une enquête.

Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq. Ils sont également jugés. Photo Moti Milrod

L’enquête la plus rapide
Assayag a pris sa retraite de la police en mars 2021, à la fin du cinquième mandat de Netanyahou en tant que premier ministre. Selon les médias de l’époque, Assayag a pris sa retraite parce qu’il n’a pas été promu, peut-être en raison de son rôle dans les enquêtes.
Assayag présente la chose ainsi : « J’ai pris ma retraite à l’âge de 58 ans, après 36 ans dans la police. On ne m’a pas montré la porte, mais j’ai compris que je ne serais pas promu, peut-être parce que j’ai traité ces affaires sensibles ».
Il s’agit de la première interview accordée par M. Assayag aux médias depuis qu’il a pris sa retraite.


Eli Assayag : « Parfois, il se mettait en colère et perdait son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire : amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit où il dit les choses de manière authentique, où il dit la vérité ». Photo Tomer Appelbaum

Il n’est pas disposé à parler de son interrogatoire de Netanyahou parce qu’il pourrait encore être appelé à témoigner dans le procès du Premier ministre. Il se contente de dire qu’à son grand désarroi, Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises les séances. Une fois la date fixée, Assayag pensait que l’interrogatoire devait avoir lieu dans les bureaux de Lahav 433, mais le procureur général de l’époque, Avichai Mendelblit, a demandé aux enquêteurs de se rendre au bureau du Premier ministre.
« L’interrogatoire a été mené de manière professionnelle, avec rigueur, propreté et brièveté », explique Assayag. « En moins de neuf mois, nous avons terminé l’enquête et transmis le dossier au bureau du procureur de l’État. Il s’agit de l’enquête la plus rapide jamais menée dans une affaire de criminalité en col blanc ».

Les enregistrements filmés donnent l’impression que Netanyahou était arrogant envers les interrogateurs de la police, et que ceux-ci étaient parfois plutôt dociles.

« Je ne pense pas que ça ait été le cas. Parfois, il s’est mis en colère et a perdu son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire - amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit dans lequel il dit les choses de manière authentique ; il dit la vérité. »


Benjamin Netanyahou au tribunal de district de Jérusalem. Photo Ben Hakoon


Êtes-vous convaincu de la culpabilité de Benjamin Netanyahou ?
« Si je n’étais pas convaincu, je n’aurais pas recommandé [une mise en accusation].

Ben-Gvir le « client »
Eli Assayag est né en 1962 à Ashkelon dans une famille qui avait immigré du Maroc. Pendant son service militaire, il a participé à la guerre du Liban qui a éclaté en juin 1982.
En 1986, il est entré dans la police. Il est titulaire d’un diplôme de droit de l’Ono Academic College et d’un diplôme d’études supérieures en sciences politiques de l’université de Haïfa. Il a également étudié au Collège de sécurité nationale.
Après sa phase de formation dans la police, il a été affecté au district de Tel Aviv en tant qu’enquêteur. Trois ans plus tard, il devient coordinateur du renseignement et dirige des agents. En 1991, il a suivi un cours pour officiers et est devenu officier de renseignement dans le district de Tel Aviv.
Il espère toujours que son expérience aidera la police à améliorer ses compétences en matière de renseignement. Au cours de sa carrière, il a été en contact avec des collègues du Mossad et du service de sécurité Shin Bet.

Le travail de renseignement au sein de la police s’apparente-t-il à la gestion d’agents au sein du Shin Bet ou du Mossad ?
« Oui et non. Le Mossad et le Shin Bet dirigent des agents et peuvent utiliser les renseignements qu’ils obtiennent pour déjouer des attentats en [Cisjordanie] ou à l’étranger. Pour nous, à la police, le fait de déjouer un crime ou d’autres succès n’est possible que si nous pouvons fournir au tribunal des preuves qui aboutissent à une condamnation. Sans cela, nous n’avons rien fait ».

Assayag a assumé de nombreuses fonctions au sein de la police, notamment dans le cadre d’affaires de drogue graves telles que celle impliquant le trafiquant de drogue international Zeev Rosenstein. Assayag a également dirigé l’unité d’enquête de la police en Cisjordanie, où il a lutté contre les crimes violents commis par de jeunes colons - les « jeunes du sommet des collines » - à l’encontre de Palestiniens.

En mai 2011, une voiture palestinienne a été incendiée près d’Hébron, en Cisjordanie, dans le cadre d’une opération dite d’étiquetage des prix [« price tag operation » : acte de vandalisme punitif contre des Palestiniens, NdT]. L’incendiaire était Hannah Hananya, considérée comme l’égérie des jeunes des collines. Elle a commis ce crime alors qu’elle était censée être assignée à résidence chez Itamar Ben-Gvir. À l’époque, Ben-Gvir était un militant radical de la colonisation et un terroriste condamné ; aujourd’hui, il est ministre de la sécurité nationale.
Il était censé servir d’agent de probation pour le tribunal. Ben-Gvir a intenté un procès en diffamation - toujours en cours - contre Hananya et l’émission d’information d’investigation « Uvda » de Canal 12 concernant la publication d’informations sur cet incident.
Hananya était la cible de l’unité d’Assayag et de la division juive du Shin Bet en raison d’activités telles que l’entrée illégale dans une ancienne synagogue à Jéricho, l’intrusion dans une base militaire et le saccage d’une voiture, ainsi que la manifestation devant le domicile du chef de la division juive du Shin Bet. Hananya a été arrêtée et a purgé une courte peine de prison.

Itamar Ben-Gvir. La dégradation de l’état de la police sous sa direction retourne les tripes d’Assayag. Photo : Olivier Fitoussi

Elle a déclaré qu’elle avait informé les enquêteurs de la police d’autres projets de violence contre des Palestiniens, mais qu’elle n’avait pas été prise au sérieux.
« Nous avons travaillé avec le Shin Bet, mais c’est lui qui nous donnait des lignes directrices et des directives venant d’en haut », dit Assayag. « Je ne pense pas qu’ils se soient beaucoup investis dans la lutte contre la criminalité ultra-nationaliste juive ».

Est-ce que la police et vous-même étiez désireux de vous attaquer à ce problème ?
« J’ai traité ce dont j’étais témoin. Notre unité était petite. Elle a été élargie par la suite. Le Shin Bet ne nous informait pas toujours de tout. »

Avez-vous rencontré Ben-Gvir lorsque vous étiez dans le district de Judée et Samarie en Cisjordanie ?
« Non, pas en personne. Mais il était l’un des « clients » [suspects potentiels d’incidents violents] sur lesquels on se penchait.
Ben-Gvir n’a pas répondu aux demandes de commentaires pour cet article.

Le renseignement humain est précieux

Assayag estime que les efforts de la police israélienne en matière de renseignement peuvent encore être améliorés. « Le travail d’un officier de renseignement de la police est difficile ; il prend 24 heures par jour, sept jours par semaine », dit-il. « Les officiers traitants étaient autrefois des policiers chevronnés qui persévéraient dans ce travail. La jeune génération n’est pas enthousiaste à l’idée de faire ce genre de travail, et le taux de rotation est élevé.
« Malheureusement, la dépendance à l’égard de la technologie est de plus en plus forte. Mais le SIGINT [renseignement d’origine électromagnétique utilisant des dispositifs d’écoute] n’est pas tout. Voyez l’émoi suscité par l’utilisation du logiciel espion Pegasus [outils développés par l’entreprise israélienne controversée NSO]. La capacité de ces méthodes à produire des renseignements pertinents est très limitée. Elle est surestimée. Le SIGINT ne donne pas vraiment de résultats satisfaisants ; l’enthousiasme pour ce type de surveillance est très exagéré. Il faut investir beaucoup plus dans le HUMINT, le renseignement humain ».
Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant », déclare Assayag à propos du nouveau chef de la police Danny Levy.

Que voulez-vous dire par là ?
« Il faut changer le concept de gestion des opérations. J’estime qu’il y a 500 officiers de renseignement de la police dans tout le pays. Je propose qu’ils soient tous placés dans les commissariats de police. Ils connaissent la zone dans laquelle ils travaillent. Ils savent comment exploiter les sources. Un agent fournira les renseignements qu’il recueille à son commissariat local et aux échelons supérieurs tels que le district et le Lahav 433. »
« Il faut sortir des sentiers battus. L’unité de renseignement et d’enquête doit être responsable de la stratégie. Elle déterminera les cibles, et les agents sur le terrain agiront en conséquence, mais ils conserveront une certaine indépendance et une capacité d’influence.
« De cette manière, nous pouvons limiter les effectifs et augmenter les salaires. Il faut améliorer le processus de sélection et attirer des personnes ayant des compétences académiques et une formation adéquate.
« Il faut mieux former les agents de renseignement pour qu’ils s’adaptent aux défis modernes. Ils doivent comprendre les crypto-monnaies, que de nombreux criminels utilisent pour brouiller les pistes. Il faut connaître le blanchiment d’argent, le fonctionnement de la criminalité financière sophistiquée, et pas seulement la criminalité classique comme les atteintes aux biens, les cambriolages ou les meurtres.
« Il faut prendre des mesures telles que la création de sociétés écrans pour pénétrer les organisations criminelles, qui ont souvent plus de connaissances et de moyens que la police. Mais je doute que ma proposition soit adoptée ».

Détérioration mortelle
La personne qui doit prendre cette décision est le nouveau chef de la police, le général de division Danny Levy, qui vient de terminer ses 100 premiers jours en fonction. Assayag le connaît assez bien ; ils ont travaillé ensemble au district de Tel-Aviv, mais dans des services différents.
« Danny est un bon policier qui s’est développé à partir de la base. Ces dernières années, les commissaires ont été parachutés du Shin Bet [Roni Alsheich] ou de la police des frontières [Kobi Shabtai]. Il est tout à fait capable de faire ce travail », affirme Assayag.


Le chef de la police Danny Levy : « un bon flic qui a grandi à partir de la base » 
 Photo Olivier Fitoussi

« Je suis pour un commissaire qui a grandi dans la police. Mais Danny doit développer son indépendance et se dissocier du ministre ».
La détérioration de l’état de la police sous Ben-Gvir retourne les tripes d’Assayag. « Après la nomination de Ben-Gvir au poste de ministre de la sécurité nationale, la police a changé. Elle utilise une force disproportionnée contre les manifestants [israéliens juifs, NdT] », explique-t-il.
« Cela découle de l’esprit du commandant. Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant. Si aucun adulte responsable n’est trouvé pour arrêter la détérioration, une catastrophe s’ensuivra dans la société israélienne. »



01/08/2024

Révélations du New York Times : Ismail Haniyeh aurait été tué par une bombe télécommandée placée dans la maison d’hôtes de Téhéran il y a deux mois

Un engin explosif caché dans un complexe lourdement gardé où Ismail Haniyeh était réputé séjourner en Iran est à l’origine de sa mort, selon une enquête du NY Times.

 
Une photo circulant sur Telegram et parmi les officiels iraniens mercredi montre un bâtiment endommagé dans le nord de Téhéran.

 Ronen Bergman, Mark Mazzetti et  Farnaz Fassihi, The New York Times, 1/8/2024

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ismail Haniyeh, l’un des principaux dirigeants du Hamas, a été assassiné mercredi par un engin explosif introduit clandestinement dans la maison d’hôtes de Téhéran où il séjournait, selon sept responsables du Moyen-Orient [manière élégante de dire « israéliens », NdT], dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain.

La bombe avait été dissimulée il y a environ deux mois dans la maison d’hôtes, selon cinq des responsables du Moyen-Orient. La maison d’hôtes est gérée et protégée par le Corps des gardiens de la révolution islamique et fait partie d’un grand complexe, connu sous le nom de Neshat, dans un quartier huppé du nord de Téhéran.

M. Haniyeh se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à l’investiture présidentielle. La bombe a été déclenchée à distance, selon les cinq responsables, une fois qu’il a été confirmé que M. Haniyeh se trouvait dans sa chambre à la maison d’hôtes. L’explosion a également tué un garde du corps.

L’explosion a secoué le bâtiment, brisé quelques fenêtres et provoqué l’effondrement partiel d’un mur extérieur, selon les deux responsables iraniens, membres des gardiens de la révolution informés de l’incident. Ces dégâts sont également visibles sur une photographie du bâtiment communiquée au New York Times.

M. Haniyeh, qui a dirigé le bureau politique du Hamas au Qatar, avait séjourné dans la maison d’hôtes à plusieurs reprises lors de ses visites à Téhéran, selon les responsables du Moyen-Orient. Tous ces responsables ont parlé sous le couvert de l’anonymat afin de ne pas divulguer de détails sensibles sur l’assassinat.

Des personnes en deuil se sont rassemblées à Téhéran jeudi pour les funérailles du chef du Hamas, Ismail Haniyeh. L’Iran a déclaré qu’Israël était derrière son assassinat. Photo Arash Khamooshi pour le New York Times

Des responsables iraniens et le Hamas ont déclaré mercredi qu’Israël était responsable de l’assassinat, un avis partagé par plusieurs responsables usaméricains ayant requis l’anonymat. Cet assassinat risque de déclencher une nouvelle vague de violence au Moyen-Orient et de compromettre les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza. M. Haniyeh avait été l’un des principaux négociateurs des pourparlers sur le cessez-le-feu.

Israël n’a pas reconnu publiquement sa responsabilité dans l’assassinat, mais les services de renseignement israéliens ont informé les USA et d’autres gouvernements occidentaux des détails de l’opération dans les jours qui ont suivi, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

Mercredi, le secrétaire d’État Antony J. Blinken a déclaré que les USA n’avaient pas été informés à l’avance du projet d’assassinat.

Dans les heures qui ont suivi l’assassinat, les spéculations se sont immédiatement concentrées sur la possibilité qu’Israël ait tué M. Haniyeh à l’aide d’un missile, peut-être tiré à partir d’un drone ou d’un avion, de la même manière qu’Israël avait lancé un missile sur une base militaire à Ispahan en avril dernier.

Cette théorie du missile a soulevé des questions sur la manière dont Israël aurait pu échapper à nouveau aux systèmes de défense aérienne iraniens pour exécuter une frappe aérienne aussi effrontée dans la capitale.

Il s’avère que les assassins ont pu exploiter un autre type de faille dans les défenses iraniennes : une faille dans la sécurité d’un complexe supposé étroitement gardé, qui a permis de poser une bombe et de la dissimuler pendant de nombreuses semaines avant qu’elle ne soit finalement déclenchée.

Un panneau d’affichage à Téhéran en avril représentant des missiles. Photo Arash Khamooshi pour The New York Times

Trois responsables iraniens ont déclaré qu’une telle violation constituait un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l’Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l’hébergement d’invités de marque tels que M. Haniyeh.

La manière dont la bombe a été dissimulée dans la maison d’hôtes n’a pas été élucidée. Les responsables du Moyen-Orient ont déclaré que la préparation de l’assassinat avait pris des mois et avait nécessité une surveillance approfondie du complexe. Les deux responsables iraniens qui ont décrit la nature de l’assassinat ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment ni quand les explosifs avaient été placés dans la chambre.

Israël a décidé de procéder à l’assassinat en dehors du Qatar, où vivent M. Haniyeh et d’autres hauts responsables politiques du Hamas. Le gouvernement qatari joue le rôle de médiateur dans les négociations entre Israël et le Hamas en vue d’un cessez-le-feu à Gaza.

L’explosion meurtrière survenue tôt mercredi a brisé des fenêtres et fait s’effondrer une partie du mur de l’enceinte, comme l’ont montré des photographies et comme l’ont indiqué les responsables iraniens. Des dégâts minimes au-delà du bâtiment lui-même, comme l’aurait probablement fait un missile, n’ont été que minimes.

Vers 2 heures du matin, heure locale, l’engin a explosé, selon les responsables du Moyen-Orient et les sources iraniennes. Les membres du personnel de l’immeuble, surpris, ont couru à la recherche de la source de l’énorme bruit, ce qui les a conduits à la chambre où M. Haniyeh se trouvait avec un garde du corps.

Une image satellite prise le 25 juillet ne montre pas de dégâts visibles ni de bâche verte sur le bâtiment, ce qui suggère que l’image avec les dégâts visibles a été prise plus récemment. Photo Maxar Technologies

Le complexe dispose d’une équipe médicale qui s’est précipitée dans la pièce immédiatement après l’explosion. L’équipe a déclaré que M. Haniyeh était mort immédiatement. L’équipe a tenté de ranimer le garde du corps, mais il était lui aussi mort.

Le chef du Jihad islamique palestinien, Ziyad al-Nakhalah, se trouvait dans la chambre voisine, ont déclaré deux des responsables iraniens. Sa chambre n’a pas été gravement endommagée, ce qui laisse supposer que M. Haniyeh a fait l’objet d’un ciblage précis.

Khalil al-Hayya, le commandant adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, qui se trouvait également à Téhéran, est arrivé sur les lieux et a vu le corps de son collègue, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

ABDALJAWAD OMAR
La véritable raison pour laquelle Israël assassine des dirigeants du Hamas et du Hezbollah, et pourquoi cela n’arrêtera pas la résistance

 

Emad Hajjaj

L’assassinat par Israël de dirigeants du Hamas et du Hezbollah ne vise pas à affaiblir la résistance. Son véritable objectif est de restaurer l’image de sa supériorité militaire et de ses services de renseignement aux yeux de l’opinion israélienne.

Abdaljawad Omar, Mondoweiss, 31/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

Abdaljawad Omar (Aboud Hamayel) est un auteur palestinien vivant à Ramallah. Docteur en philosophie sur le thème de la Grande Intifada (1987-2006), il est actuellement maître de conférences au département de philosophie et d’études culturelles de l’université de Birzeit. @HHamayel2 Aboud Hamayel

Dans la nuit du 30 juillet, Israël a intensifié ses opérations militaires, ciblant ses adversaires sur plusieurs fronts, dont le Liban, l’Iran et la Palestine. Le gouvernement israélien a revendiqué un succès significatif avec l’assassinat d’un commandant du Hezbollah dans un quartier densément peuplé du sud de Beyrouth. Simultanément, Israël a lancé une frappe audacieuse au cœur de Téhéran, tuant Ismail Haniyeh, le chef en exercice du bureau politique du Hamas.

Après dix mois de perte lente mais constante de la maîtrise de l’escalade qu’il avait maintenue pendant des décennies, Israël tente aujourd’hui de reprendre l’initiative et de rétablir l’avantage en ciblant à la fois Beyrouth et Téhéran en moins de 24 heures.

Les actions d’Israël ne visent pas seulement à projeter sa force ; elles sont également conçues pour accroître la pression sur l’axe de la résistance. L’objectif stratégique est de briser l’unité de cette coalition en tirant parti de ses capacités militaires pour flirter avec la perspective d’une guerre totale - une issue que ni Israël, ni le Hezbollah, ni, par extension, l’Iran, ne souhaitent vraiment. Cette politique de la corde raide vise à déstabiliser les adversaires, à les forcer à reconsidérer leur position unifiée et, éventuellement, à faire des concessions en faveur d’Israël.

Des ouvriers iraniens installent une immense banderole sur un mur montrant un portrait du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, et la mosquée du Dôme du Rocher dans l'enceinte de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, sur la place Felestin (Palestine), à Téhéran, en Iran, le mercredi 31 juillet 2024. Vahid Salemi/AP Photo

Israël mise sur l’idée que la crainte d’une nouvelle escalade poussera le Hezbollah et l’Iran à faire pression sur le Hamas pour qu’il réponde à certaines des exigences d’Israël lors des négociations sur le cessez-le-feu. En outre, Israël prévoit que toute escalade réelle - en particulier celle provoquée par ses actions ciblées - obligerait les USA et leurs alliés à offrir un soutien militaire et diplomatique. Même si Washington ne recherche pas activement un conflit majeur, Israël est convaincu que les USA n’hésiteront pas à lui venir en aide si la situation s’aggrave. En d’autres termes, Israël poursuit une politique d’imbrication et, ce faisant, prend des risques calculés, sachant que si les choses tournent mal, l’armée usaméricaine se précipitera à sa défense dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

Depuis un certain temps, Israël jauge les réactions de ses adversaires, notant en particulier la faible réaction des Palestiniens à ses proclamations selon lesquelles il avait réussi à assassiner le commandant militaire du Hamas à Gaza, Mohammed Al-Deif. Cette observation a conduit les planificateurs stratégiques israéliens à conclure que si un accord diplomatique reste une priorité, il est peu probable que de tels assassinats ciblés fassent dérailler ces efforts.

29/05/2024

THE GUARDIAN
Révélations sur la guerre secrète menée depuis 2015 par Israël contre la Cour Pénale Internationale

Ci-dessous deux articles du Guardian sur les menées israéliennes depuis 2015 pour saboter les enquêtes de la Cour Pénale Internationale, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala, qui a respecté scrupuleusement les guillemets originaux mis aux mots qui choquent nos amis british, comme "guerre" ou "menace"...

Révélation : le chef des espions israéliens a “menacé” la procureure de la CPI au sujet de l’enquête sur les crimes de guerre

Harry Davies à Jérusalem, The Guardian, 28/5/2024

Selon nos sources, le directeur du Mossad, Yossi Cohen, a été personnellement impliqué dans un complot secret visant à faire pression sur Fatou Bensouda pour qu’elle abandonne l’enquête sur la Palestine.

Cohen (à droite) a été décrit comme le “messager officieux” de Netanyahou dans l'opération contre Bensouda (au centre). Montage: Guardian Design

L’ancien chef du Mossad, l’agence israélienne de renseignement extérieur, aurait menacé une procureure en chef de la Cour pénale internationale lors d’une série de réunions secrètes au cours desquelles il aurait tenté de faire pression sur elle pour qu’elle abandonne une enquête sur des crimes de guerre, comme le révèle le Guardian.

Les contacts secrets de Yossi Cohen avec Fatou Bensouda, alors procureure de la CPI, ont eu lieu dans les années qui ont précédé sa décision d’ouvrir une enquête formelle sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés dans les territoires palestiniens occupés.

Cette enquête, lancée en 2021, a atteint son point culminant la semaine dernière lorsque le successeur de Mme Bensouda, Karim Khan, a annoncé qu’il demandait un mandat d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, en raison de la conduite du pays dans sa guerre à Gaza.

La décision du procureur de demander à la chambre préliminaire de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de Netanyahou et de son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que de trois dirigeants du Hamas, est un résultat que le gratin militaire et politique israélien redoute depuis longtemps.

Cohen (à droite) a été nommé directeur du Mossad par Netanyahou en 2016, après avoir travaillé pendant plusieurs années en tant que conseiller à la sécurité nationale. Photo Gali Tibbon/AFP/Getty Images

L’implication personnelle de M. Cohen dans l’opération contre la CPI a eu lieu alors qu’il était directeur du Mossad. Selon un haut fonctionnaire israélien, ses activités ont été autorisées à un haut niveau et justifiées par le fait que la Cour représentait une menace de poursuites à l’encontre du personnel militaire.

Une autre source israélienne informée de l’opération contre Bensouda a déclaré que l’objectif du Mossad était de compromettre la procureure ou de l’amener à coopérer avec les exigences d’Israël.

Une troisième source au fait de l’opération a déclaré que Cohen agissait en tant que “messager officieux” de Netanyahou.

Cohen, qui était à l’époque l’un des plus proches alliés de Netanyahou et qui est en train de devenir une force politique à part entière en Israël, a personnellement dirigé l’implication du Mossad dans une campagne de près de dix ans menée par le pays pour saper le fonctionnement de la Cour.

Quatre sources ont confirmé que Mme Bensouda avait informé un petit groupe de hauts fonctionnaires de la CPI des tentatives d’influence de Cohen, alors qu’elle s’inquiétait de la nature de plus en plus persistante et menaçante de son comportement.

Trois de ces sources connaissaient les déclarations officielles de Mme Bensouda à la CPI à ce sujet. Elles ont indiqué qu’elle avait révélé que Cohen avait fait pression sur elle à plusieurs reprises pour qu’elle n’ouvre pas d’enquête criminelle dans le dossier palestinien de la CPI.

Selon les témoignages recueillis par les fonctionnaires de la CPI, il lui aurait dit : « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous engager dans des choses qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille ».

Une personne informée des activités de Cohen a déclaré qu’il avait utilisé des “tactiques méprisables” à l’encontre de Mme Bensouda dans le cadre d’une tentative, finalement infructueuse, d’intimider et d’influencer cette dernière. Cette personne a comparé son comportement à de la “traque”.

Le Mossad s’est également intéressé de près aux membres de la famille de Mme Bensouda et a obtenu des transcriptions d’enregistrements secrets de son mari, selon deux sources ayant une connaissance directe de la situation. Les responsables israéliens ont ensuite tenté d’utiliser ces documents pour discréditer la procureure.

Les révélations sur l’opération de Cohen s’inscrivent dans le cadre d’une enquête menée par le Guardian, la publication israélo-palestinienne +972 Magazine et le journal en hébreu Local Call, qui révélera comment plusieurs agences de renseignement israéliennes ont mené une “guerre” secrète contre la CPI pendant près d’une décennie.

Contacté par le Guardian, un porte-parole du bureau du premier ministre israélien a déclaré : « Les questions qui nous ont été transmises sont truffées d’allégations fausses et infondées visant à nuire à l’État d’Israël ». M. Cohen n’a pas répondu à une demande de commentaire. Mme Bensouda s’est refusée à tout commentaire.


 L’affaire de la CPI remonte à 2015, lorsque Fatou Bensouda a décidé d’ouvrir un examen préliminaire sur la situation en Palestine. Photo : Pacific Press Media Production Corp/Alamy

Dans les efforts du Mossad pour influencer Bensouda, Israël a reçu le soutien d’un allié improbable : Joseph Kabila, l’ancien président de la République démocratique du Congo, qui a joué un rôle de soutien dans le complot.

Les révélations sur les efforts du Mossad pour influencer Mme Bensouda interviennent alors que l’actuel procureur général, Karim Khan, a averti ces derniers jours qu’il n’hésiterait pas à engager des poursuites en cas de « tentatives d’entrave, d’intimidation ou d’influence indue » sur les fonctionnaires de la CPI.

Selon des experts juridiques et d’anciens fonctionnaires de la CPI, les efforts déployés par le Mossad pour menacer Mme Bensouda ou faire pression sur elle pourraient constituer des atteintes à l’administration de la justice en vertu de l’article 70 du statut de Rome, le traité qui a institué la Cour.

Un porte-parole de la CPI n’a pas voulu dire si M. Khan avait examiné les déclarations de son prédécesseur concernant ses contacts avec M. Cohen, mais il a précisé que M. Khan n’avait jamais rencontré le chef du Mossad ni ne lui avait parlé.

Bien que le porte-parole ait refusé de commenter les allégations spécifiques, il a déclaré que le bureau de M. Khan avait fait l’objet de « plusieurs formes de menaces et de communications qui pourraient être considérées comme des tentatives d’influencer indûment ses activités ».

Bensouda suscite l’ire d’Israël

La décision de M. Khan de demander des mandats d’arrêt contre Netanyahou et. Gallant la semaine dernière marquait la première fois que la Cour prenait des mesures contre les dirigeants d’un pays étroitement allié des USA et de l’UErope. Les crimes qui leur sont reprochés, notamment le fait d’avoir dirigé des attaques contre des civils et d’avoir utilisé la famine comme méthode de guerre, sont liés à la guerre de Gaza, qui a duré huit mois.

L’affaire de la CPI remonte toutefois à 2015, lorsque Mme Bensouda a décidé d‘ouvrir un examen préliminaire de la situation en Palestine. Sans aller jusqu’à une enquête complète, son enquête a été chargée de faire une première évaluation des allégations de crimes commis par des individus à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

La décision de Mme Bensouda a suscité l’ire d’Israël, qui craint que ses citoyens ne soient poursuivis pour leur participation à des opérations dans les territoires palestiniens. Israël a longtemps manifesté ouvertement son opposition à la CPI, refusant de reconnaître son autorité. Les ministres israéliens ont intensifié leurs attaques contre la Cour et ont même juré d’essayer de la démanteler.

Peu après le début de l’examen préliminaire, Mme Bensouda et ses principaux procureurs ont commencé à recevoir des avertissements selon lesquels les services de renseignements israéliens s’intéressaient de près à leur travail.

 

Yossi Cohen lors d’une réception organisée au ministère israélien des Affaires étrangères à Jérusalem, en mai 2018. Photo : Amir Cohen/Reuters

Selon deux sources, de hauts fonctionnaires de la CPI soupçonnaient même Israël d’avoir cultivé des sources au sein de la division des poursuites de la Cour, connue sous le nom de bureau du procureur. Une autre source a rappelé plus tard que bien que le Mossad « n’ait pas laissé sa signature », on pouvait supposer que l’agence était à l’origine de certaines des activités dont les fonctionnaires avaient été informés.

Toutefois, seul un petit groupe de hauts responsables de la CPI a été informé que le directeur du Mossad avait personnellement pris contact avec la procureure générael.

Espion de carrière, Yossi Cohen jouit d’une réputation de recruteur efficace d’agents étrangers au sein de la communauté israélienne du renseignement. Il était à l’époque un allié loyal et puissant du premier ministre, ayant été nommé directeur du Mossad par Netanyahou en 2016 après avoir travaillé plusieurs années à ses côtés en tant que conseiller à la sécurité nationale.

En tant que chef du Conseil national de sécurité entre 2013 et 2016, Cohen a supervisé l’organe qui, selon plusieurs sources, a commencé à coordonner les efforts de plusieurs agences contre la CPI après l’ouverture de l’enquête préliminaire par Mme Bensouda en 2015.

La première interaction de Cohen avec Bensouda semble avoir eu lieu lors de la conférence sur la sécurité de Munich en 2017, lorsque le directeur du Mossad s’est présenté à la procureure lors d’un bref échange. Après cette rencontre, Cohen a ensuite « tendu une embuscade » à Bensouda lors d’un épisode bizarre dans une suite d’hôtel à Manhattan, selon de multiples sources familières de l’incident.

Bensouda avec Joseph Kabila à New York. Des sources affirment que le dirigeant de la RDC de l’époque a joué un rôle important dans le complot du Mossad contre la procureure générale de la CPI. Photo CPI

Mme Bensouda se trouvait à New York en 2018 dans le cadre d’une visite officielle et rencontrait Joseph Kabila, alors président de la RDC, à son hôtel. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés à plusieurs reprises dans le cadre de l’enquête en cours de la CPI sur des crimes présumés commis dans son pays.

La réunion, cependant, semble avoir été un coup monté. À un certain moment, après que le personnel de Mme Bensouda eut été prié de quitter la pièce, Cohen est entré, selon trois sources au fait de la réunion. Cette apparition surprise a inquiété Mme Bensouda et un groupe de fonctionnaires de la CPI qui l’accompagnaient.

La raison pour laquelle Kabila a aidé Cohen n’est pas claire, mais les liens entre les deux hommes ont été révélés en 2022 par la publication israélienne The Marker, qui a fait état d’une série de voyages secrets que le directeur du Mossad a effectués en RDC tout au long de l’année 2019.

Selon certaines sources, Benjamin Netanyahou (à gauche) s'est intéressé de près aux opérations de renseignement menées contre la CPI et son procureur général, Karim Khan. Montage Guardian Design/Getty

Espionnage, piratage et intimidation : La “guerre” menée depuis neuf ans par Israël contre la CPI révélée au grand jour

Harry Davies, Bethan McKernan et Yuval Abraham à Jérusalem et Meron Rapoport à Tel-Aviv, The Guardian, 28/5/2024

Exclusif : Une enquête révèle comment les services de renseignement ont tenté de faire échouer les poursuites pour crimes de guerre, Netanyahou étant “obsédé” par les interceptions.

Lorsque le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu’il demandait des mandats d’arrêt contre des dirigeants d’Israël et du Hamas, il a lancé un avertissement sibyllin : « J’insiste sur le fait que toute tentative d’entrave, d’intimidation ou d’influence indue sur les fonctionnaires de cette Cour doit cesser immédiatement ».

Karim Khan n’a pas donné de détails précis sur les tentatives d’ingérence dans les travaux de la CPI, mais il a fait état d’une clause du traité fondateur de la Cour qui fait de toute ingérence de ce type une infraction pénale. Si ce comportement se poursuit, a-t-il ajouté, « mon bureau n’hésitera pas à agir ».

Le procureur n’a pas précisé qui avait tenté d’intervenir dans l’administration de la justice, ni comment il l’avait fait.

Aujourd’hui, une enquête menée par le Guardian et les magazines +972 et Local Call, basés en Israël, révèle comment Israël a mené une “guerre” secrète de près de dix ans contre la Cour. Le pays a déployé ses agences de renseignement pour surveiller, pirater, faire pression, diffamer et, apparemment, menacer le personnel de la CPI dans le but de faire dérailler les enquêtes de la Cour.

Les services de renseignement israéliens ont intercepté les communications de nombreux fonctionnaires de la CPI, dont M. Khan et sa prédécesseur eau poste de procureur, Fatou Bensouda, en interceptant des appels téléphoniques, des messages, des courriels et des documents.

La surveillance s’est poursuivie au cours des derniers mois, permettant au premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, de connaître à l’avance les intentions du procureur. Une communication interceptée récemment laissait entendre que M. Khan voulait délivrer des mandats d’arrêt contre des Israéliens, mais qu’il subissait « d’énormes pressions de la part des USA », selon une source au fait du contenu de cette communication.

 

Karim Khan. La surveillance s’est poursuivie au cours des derniers mois, permettant à Netanyahou de connaître à l’avance les intentions de M. Khan. Photo  Luis Acosta/AFP/Getty Images

Mme Bensouda, qui, en tant que procureure générale, a lancé l’enquête de la CPI en 2021, ouvrant ainsi la voie à l’annonce de la semaine dernière, a également été espionnée et aurait fait l’objet de menaces.

Netanyahou s’est intéressé de près aux opérations de renseignement menées contre la CPI, et une source de renseignement l’a décrit comme étant “obsédé” par les interceptions relatives à l’affaire. Supervisées par ses conseillers en matière de sécurité nationale, ces opérations ont impliqué l’agence d’espionnage nationale, le Shin Bet, ainsi que la direction du renseignement de l’armée, Aman, et la division du cyber-espionnage, l’unité 8200. Les renseignements glanés grâce aux interceptions ont été diffusés aux ministères de la justice, des affaires étrangères et des affaires stratégiques.

Une opération secrète contre Bensouda, révélée mardi par le Guardian, a été dirigée personnellement par Yossi Cohen, proche allié de Netanyahou, qui était à l’époque directeur de l’agence israélienne de renseignement extérieur, le Mossad. À un moment donné, le chef espion a même sollicité l’aide du président de la République démocratique du Congo de l’époque, Joseph Kabila.

Les détails de la campagne menée depuis neuf ans par Israël pour contrecarrer l’enquête de la CPI ont été révélés par le Guardian, une publication israélo-palestinienne, +972 Magazine et Local Call, un média en hébreu.

L’enquête conjointe s’appuie sur des entretiens avec plus de deux douzaines d’officiers de renseignement et de responsables gouvernementaux israéliens, anciens et actuels, de hauts responsables de la CPI, de diplomates et d’avocats connaissant bien l’affaire de la CPI et les efforts déployés par Israël pour la compromettre.

Contacté par le Guardian, un porte-parole de la CPI a déclaré être au courant des « activités proactives de collecte de renseignements menées par un certain nombre d’agences nationales hostiles à la Cour ». Il a ajouté que la CPI mettait continuellement en œuvre des contre-mesures contre de telles activités et qu’ « aucune des récentes attaques menées contre elle par des agences de renseignement nationales » n’avait pénétré dans les principaux fonds de preuves de la Cour, qui étaient restés sécurisés.

Un porte-parole du bureau du premier ministre israélien a déclaré : « Les questions qui nous ont été transmises sont truffées d’allégations fausses et infondées visant à nuire à l’État d’Israël ». Un porte-parole militaire a ajouté : « Les FDI [Forces de défense israéliennes] n’ont pas mené et ne mènent pas d’opérations de surveillance ou d’autres opérations de renseignement contre la CPI ».

Depuis sa création en 2002, la CPI sert de cour permanente de dernier recours pour la poursuite de personnes accusées de certaines des pires atrocités commises dans le monde. Elle a inculpé l’ancien président soudanais Omar el-Béchir, le défunt président libyen Mouammar Kadhafi et, plus récemment, le président russe Vladimir Poutine.

La décision de M. Khan de demander des mandats d’arrêt contre Netanyahou et son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que contre des dirigeants du Hamas impliqués dans l’attaque du 7 octobre, marque la première fois qu’un procureur de la CPI demande des mandats d’arrêt contre le dirigeant d’un proche allié occidental.

Des Palestiniens déplacés collectent de l’eau dans un quartier de Khan Younès, au sud de Gaza, dévasté par les frappes aériennes israéliennes. Photo : Eyad Baba/AFP/Getty Images

Les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité formulées par M. Khan à l’encontre de Netanyahou et Gallant se rapportent toutes à la guerre de huit mois menée par Israël à Gaza, qui, selon l’autorité sanitaire du territoire, a tué plus de 35 000 personnes.

Mais l’affaire de la CPI dure depuis une dizaine d’années et progresse alors que les responsables israéliens s’inquiètent de plus en plus de l’éventualité de mandats d’arrêt, qui empêcheraient les accusés de se rendre dans l’un des 124 États membres de la Cour par crainte d’être arrêtés.

C’est ce spectre des poursuites à La Haye qui, selon un ancien responsable des services de renseignement israéliens, a conduit « l’ensemble de l’establishment militaire et politique » à considérer la contre-offensive contre la CPI « comme une guerre qu’il fallait mener et contre laquelle il fallait défendre Israël. Elle était décrite en termes militaires ».

Cette “guerre” a commencé en janvier 2015, lorsqu’il a été confirmé que la Palestine rejoindrait la Cour après avoir été reconnue comme un État par l’Assemblée générale des Nations unies. Cette adhésion a été condamnée par les responsables israéliens comme une forme de « terrorisme diplomatique ».

Un ancien fonctionnaire de la défense connaissant bien les efforts déployés par Israël pour contrer la CPI a déclaré que l’adhésion à la Cour avait été « perçue comme le franchissement d’une ligne rouge » et « peut-être la mesure diplomatique la plus agressive" prise par l’Autorité palestinienne, qui gouverne la Cisjordanie. « Le fait d’être reconnu comme un État par les Nations unies est une bonne chose », ont-ils ajouté. « Mais la CPI est un mécanisme qui a du mordant.

Mahmoud Abbas (deuxième à partir de la gauche), le président de l’Autorité palestinienne, après une réunion avec Mme Bensouda à La Haye en octobre 2015. Photo Anadolu/Getty Images

Une menace remise en main propre

Pour Fatou Bensouda, avocate gambienne respectée qui a été élue procureure générale de la CPI en 2012, l’adhésion de la Palestine à la Cour a entraîné une décision capitale. En vertu du statut de Rome, le traité qui a institué la Cour, celle-ci ne peut exercer sa compétence que pour les crimes commis dans les États membres ou par des ressortissants de ces États.

Israël, tout comme les USA, la Russie et la Chine, n’est pas membre. Après l’acceptation de la Palestine comme membre de la CPI, tous les crimes de guerre présumés - commis par des personnes de toute nationalité - dans les territoires palestiniens occupés relèvent désormais de la compétence de Mme Bensouda.

Le 16 janvier 2015, quelques semaines après l’adhésion de la Palestine, Mme Bensouda a ouvert un examen préliminaire sur ce que l’on appelle, dans le jargon juridique de la Cour, « la situation en Palestine ». Le mois suivant, deux hommes qui avaient réussi à obtenir l’adresse privée de la procureure se sont présentés à son domicile à La Haye.

Selon des sources au fait de l’incident, les hommes ont refusé de s’identifier à leur arrivée, mais ont déclaré qu’ils voulaient remettre en main propre une lettre à Mme Bensouda au nom d’une Allemande inconnue qui souhaitait la remercier. L’enveloppe contenait des centaines de dollars en liquide et une note avec un numéro de téléphone israélien.

Fatou Bensouda a également mené neuf enquêtes complètes, notamment sur des événements survenus en République démocratique du Congo. Photo Peter Dejong/AP

Des sources ayant connaissance de l’examen de l’incident par la CPI ont déclaré que, bien qu’il n’ait pas été possible d’identifier les hommes ou d’établir pleinement leurs motivations, il a été conclu qu’Israël était susceptible de signaler au procureur qu’il savait où elle vivait. La CPI a signalé l’incident aux autorités néerlandaises et a mis en place des mesures de sécurité supplémentaires, en installant des caméras de vidéosurveillance à son domicile.

L’enquête préliminaire de la CPI dans les territoires palestiniens était l’un des nombreux exercices d’établissement des faits que la Cour entreprenait à l’époque, en tant que précurseur d’une éventuelle enquête complète. La charge de travail de Mme Bensouda comprenait également neuf enquêtes complètes, notamment sur des événements survenus en RDC, au Kenya et dans la région du Darfour, au Soudan.

Les fonctionnaires du bureau du procureur pensaient que le tribunal était vulnérable aux activités d’espionnage et ont mis en place des mesures de contre-surveillance pour protéger leurs enquêtes confidentielles.

En Israël, le Conseil national de sécurité (CNS) du Premier ministre avait mobilisé une réponse impliquant ses agences de renseignement. Netanyahou et certains des généraux et chefs des services d’espionnage qui ont autorisé l’opération avaient un intérêt personnel à ce qu’elle aboutisse.

Contrairement à la Cour internationale de justice (CIJ), un organe des Nations unies qui traite de la responsabilité juridique des États-nations, la CPI est une cour pénale qui poursuit des individus, en ciblant ceux qui sont considérés comme les principaux responsables des atrocités commises.

La Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. Photo Mike Corder/AP

De multiples sources israéliennes ont indiqué que les dirigeants de Tsahal souhaitaient que les services de renseignement militaire se joignent à l’effort, qui était mené par d’autres agences d’espionnage, afin de s’assurer que les officiers supérieurs puissent être protégés de toute accusation. « On nous a dit que les officiers supérieurs avaient peur d’accepter des postes en Cisjordanie parce qu’ils craignaient d’être poursuivis à La Haye », a rappelé l’une des sources.

Deux fonctionnaires des services de renseignement impliqués dans l’obtention d’interceptions concernant la CPI ont déclaré que le bureau du Premier ministre s’intéressait de près à leur travail. L’un d’eux a déclaré que le bureau de Netanyahou envoyait des « domaines d’intérêt » et des « instructions » concernant la surveillance des fonctionnaires de la Cour. Un autre a décrit le premier ministre comme « obsédé » par les interceptions mettant en lumière les activités de la CPI.

Piratage des courriels et surveillance des appels

Cinq sources familières des activités de renseignement d’Israël ont déclaré que ce pays espionnait régulièrement les appels téléphoniques de Mme Bensouda et de son personnel avec les Palestiniens. Empêchée par Israël d’accéder à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, la CPI a été contrainte de mener une grande partie de ses recherches par téléphone, ce qui l’a rendue plus vulnérable à la surveillance.

Grâce à leur accès complet à l’infrastructure de télécommunications palestinienne, les agents des services de renseignement ont pu capter les appels sans installer de logiciel espion sur les appareils des fonctionnaires de la CPI.

« Si Fatou Bensouda parlait à une personne en Cisjordanie ou à Gaza, cet appel téléphonique entrait dans les systèmes [d’interception] », a déclaré une source. Une autre a déclaré qu’il n’y avait pas d’hésitation en interne quant à l’espionnage de la procureure, ajoutant : « Avec Bensouda, elle est noire et africaine, alors qui s’en soucie ? »

Le système de surveillance n’a pas enregistré les appels entre les fonctionnaires de la CPI et qui que ce soit en dehors de la Palestine. Cependant, de multiples sources ont indiqué que le système nécessitait la sélection active des numéros de téléphone à l’étranger des fonctionnaires de la CPI dont les agences de renseignement israéliennes décidaient d’écouter les appels.

Selon une source israélienne, un grand tableau blanc dans un service de renseignement israélien contenait les noms d’une soixantaine de personnes sous surveillance, dont la moitié étaient des Palestiniens et l’autre moitié des ressortissants d’autres pays, y compris des fonctionnaires de l’ONU et du personnel de la CPI.

À La Haye, Mme Bensouda et ses collaborateurs ont été avertis par des conseillers en sécurité et par voie diplomatique qu’Israël surveillait leur travail. Un ancien haut fonctionnaire de la CPI s’est souvenu : « Nous avons été informés qu’ils essayaient d’obtenir des informations sur l’état d’avancement de l’examen préliminaire ».

Les fonctionnaires ont également eu connaissance de menaces spécifiques à l’encontre d’une ONG palestinienne de premier plan, Al-Haq, qui faisait partie de plusieurs groupes palestiniens de défense des droits humains ayant fréquemment soumis des informations dans le cadre de l’enquête de la CPI, souvent sous la forme de longs documents détaillant les incidents qu’ils souhaitaient voir examiner par le procureur. L’Autorité palestinienne a soumis des dossiers similaires.

Le bureau d’Al-Haq à Ramallah, en Cisjordanie occupée par Israël, en 2021. Photo Mohamad Torokman/Reuters

Ces documents contenaient souvent des informations sensibles telles que des témoignages de témoins potentiels. Les documents présentés par Al-Haq sont également censés établir un lien entre des allégations spécifiques de crimes relevant du Statut de Rome et des hauts fonctionnaires, notamment des chefs de l’armée israélienne, des directeurs du Shin Bet et des ministres de la défense tels que Benny Gantz.

Des années plus tard, après que la CPI a ouvert une enquête complète sur l’affaire palestinienne,  Gantz a désigné Al-Haq et cinq autres groupes de défense des droits des Palestiniens comme "organisations terroristes", une étiquette qui a été rejetée par de nombreux États européens et que la CIA a ensuite jugée non étayée par des preuves. Les organisations ont déclaré que ces désignations constituaient une « attaque ciblée » contre ceux qui s’engagent le plus activement auprès de la CPI.

Selon de nombreux responsables actuels et anciens des services de renseignement, les équipes militaires chargées des cyber-offensives et le Shin Bet ont systématiquement surveillé les employés des ONG palestiniennes et de l’Autorité palestinienne qui étaient en contact avec la CPI. Deux sources de renseignements ont décrit comment des agents israéliens ont piraté les courriels d’Al-Haq et d’autres groupes communiquant avec le bureau de Bensouda.

L’une des sources a déclaré que le Shin Bet avait même installé le logiciel espion Pegasus, développé par le groupe NSO du secteur privé, sur les téléphones de plusieurs employés d’ONG palestiniennes, ainsi que sur ceux de deux hauts fonctionnaires de l’Autorité palestinienne.

Garder un œil sur les documents palestiniens présentés dans le cadre de l’enquête de la CPI était considéré comme faisant partie du mandat du Shin Bet, mais certains responsables de l’armée craignaient que l’espionnage d’une entité civile étrangère ne franchisse une limite, car il n’avait pas grand-chose à voir avec les opérations militaires.

« Cela n’a rien à voir avec le Hamas, cela n’a rien à voir avec la stabilité en Cisjordanie », a déclaré une source militaire à propos de la surveillance de la CPI. Une autre a ajouté : « Nous avons utilisé nos ressources pour espionner Fatou Bensouda - ce n’est pas quelque chose de légitime à faire en tant que service de renseignement militaire ».

Réunions secrètes avec la CPI

Légitime ou non, la surveillance de la CPI et des Palestiniens plaidant en faveur de poursuites contre les Israéliens a donné au gouvernement israélien un avantage dans un canal secret qu’il avait ouvert avec le bureau du procureur.

Les réunions d’Israël avec la CPI étaient très sensibles : si elles étaient rendues publiques, elles auraient pu compromettre la position officielle du gouvernement, qui ne reconnaît pas l’autorité de la Cour.

Selon six sources au fait de ces réunions, il s’agissait d’une délégation de juristes et de diplomates de haut rang du gouvernement israélien qui s’est rendue à La Haye. Deux de ces sources ont déclaré que les réunions avaient été autorisées par Netanyahou.

La délégation israélienne était composée de représentants du ministère de la justice, du ministère des affaires étrangères et du bureau de l’avocat général de l’armée. Les réunions ont eu lieu entre 2017 et 2019 et ont été dirigées par l’éminent avocat et diplomate israélien Tal Becker.

« Au début, la situation était tendue », se souvient un ancien fonctionnaire de la CPI. « Nous entrions dans les détails d’incidents spécifiques. Nous disions : ‘Nous recevons des allégations concernant ces attaques, ces meurtres’, et ils nous fournissaient des informations ».

Tal Becker à la CIJ en janvier. Photo : Hollandse Hoogte/REX/Shutterstock

Une personne ayant une connaissance directe des préparatifs d’Israël en vue des réunions à huis clos a déclaré que les fonctionnaires du ministère de la justice avaient reçu des renseignements provenant d’interceptions de la surveillance israélienne avant l’arrivée des délégations à La Haye. « Les juristes du ministère de la justice qui se sont occupés de la question avaient une grande soif d’informations sur les renseignements », a déclaré cette personne.

Pour les Israéliens, les réunions en coulisse, bien que délicates, ont constitué une occasion unique de présenter directement des arguments juridiques contestant la compétence de la procureure sur les territoires palestiniens.

Ils ont également tenté de convaincre la procureure que, malgré les antécédents très discutables de l’armée israélienne en matière d’enquêtes sur les actes répréhensibles commis dans ses rangs, celle-ci disposait de procédures solides pour demander des comptes à ses forces armées.

Il s’agit là d’une question cruciale pour Israël. Un principe fondamental de la CPI, connu sous le nom de complémentarité, empêche le procureur d’enquêter ou de juger des individus s’ils font l’objet d’enquêtes ou de procédures pénales crédibles au niveau de l’État.

Selon plusieurs sources, il a été demandé aux agents de surveillance israéliens de déterminer quels incidents spécifiques pourraient faire l’objet de poursuites futures devant la CPI, afin de permettre aux organes d’enquête israéliens d’ « ouvrir des enquêtes rétroactives » sur les mêmes cas.

« Si des éléments étaient transmis à la CPI, nous devions comprendre exactement de quoi il s’agissait, afin de nous assurer que les FDI enquêtaient de manière indépendante et suffisante pour pouvoir prétendre à la complémentarité », a expliqué l’une des sources.

Les réunions en coulisse entre Israël et la CPI ont pris fin en décembre 2019, lorsque Mme Bensouda, annonçant la fin de son examen préliminaire, a déclaré qu’elle estimait qu’il existait une « base raisonnable » pour conclure qu’Israël et les groupes armés palestiniens avaient tous deux commis des crimes de guerre dans les territoires occupés.

 Mme Bensouda a fait savoir en décembre 2019 qu’elle était disposée à ouvrir une enquête approfondie. Photo Anadolu Agency/Getty Images

Il s’agit d’un revers important pour les dirigeants israéliens, même si la situation aurait pu être pire. Dans un geste que certains membres du gouvernement ont considéré comme une justification partielle des efforts de lobbying d’Israël, Mme Bensouda s’est abstenue d’ouvrir une enquête formelle.

Au lieu de cela, elle a annoncé qu’elle demanderait à un groupe de juges de la CPI de se prononcer sur la question controversée de la compétence de la Cour à l’égard des territoires palestiniens, en raison de « questions juridiques et factuelles uniques et très contestées ».

Pourtant, Bensouda avait clairement indiqué qu’elle était disposée à ouvrir une enquête approfondie si les juges lui donnaient le feu vert. C’est dans ce contexte qu’Israël a intensifié sa campagne contre la CPI et s’est tourné vers son principal chef espion pour qu’il fasse monter la pression sur Bensouda personnellement.

Menaces personnelles et campagne de diffamation

Entre fin 2019 et début 2021, alors que la chambre préliminaire examinait les questions de compétence, le directeur du Mossad, Yossi Cohen, a intensifié ses efforts pour persuader Bensouda de ne pas poursuivre l’enquête.

Les contacts de M. Cohen avec Mme Bensouda - qui ont été décrits au Guardian par quatre personnes connaissant les comptes rendus contemporains des interactions par le procureur, ainsi que par des sources informées de l’opération du Mossad - avaient commencé plusieurs années auparavant.

Lors de l’une des premières rencontres, M. Cohen a surpris Mme Bensouda en faisant une apparition inattendue lors d’une réunion officielle que le procureur tenait avec le président de la RDC de l’époque, Joseph Kabila, dans une suite d’un hôtel new-yorkais.

 

Joseph Kabila lors d’une conférence de presse à Kinshasa en 2018. Photo  Kenny-Katombe Butunka/Reuters

Des sources au fait de la réunion ont déclaré qu’après avoir demandé au personnel de Mme Bensouda de quitter la pièce, le directeur du Mossad est soudainement apparu derrière une porte dans une “embuscade” soigneusement chorégraphiée.

Après l’incident de New York, M. Cohen a persisté à contacter la procureure, se présentant à l’improviste et lui faisant subir des appels indésirables. Alors qu’il était initialement amical, le comportement de M. Cohen est devenu de plus en plus menaçant et intimidant.

Proche allié de Netanyahou à l’époque, Cohen était un maître espion vétéran du Mossad et avait acquis une réputation au sein du service en tant que recruteur compétent d’agents ayant l’habitude de cultiver des fonctionnaires de haut niveau au sein de gouvernements étrangers.

Les comptes rendus de ses réunions secrètes avec Mme Bensouda dépeignent une situation dans laquelle il a cherché à « établir une relation » avec la procureure tout en essayant de la dissuader de poursuivre une enquête qui, si elle se poursuivait, pourrait impliquer de hauts responsables israéliens.

Trois sources informées des activités de M. Cohen ont déclaré qu’elles comprenaient que le chef des services d’espionnage avait tenté de recruter Mme Bensouda pour qu’elle se conforme aux exigences d’Israël pendant la période où elle attendait une décision de la chambre préliminaire.

Ils ont déclaré qu’il était devenu plus menaçant lorsqu’il a commencé à comprendre que la procureure ne se laisserait pas convaincre d’abandonner l’enquête. À un moment donné, Cohen aurait fait des commentaires sur la sécurité de Bensouda et des menaces à peine voilées sur les conséquences pour sa carrière si elle continuait. Contactés par le Guardian, Cohen et Kabila n’ont pas répondu aux demandes de commentaires. Mme Bensouda s’est refusée à tout commentaire.

Cohen a été perçu comme essayant de "construire une relation" avec la procureure en essayant de la dissuader de poursuivre l’enquête. Photo : Corinna Kern/Reuters

Lorsqu’elle était procureure, Mme Bensouda a officiellement révélé ses rencontres avec M. Cohen à un petit groupe au sein de la CPI, dans l’intention de faire part de sa conviction qu’elle avait été “personnellement menacée”, ont déclaré des sources au fait de ces révélations.

Ce n’est pas la seule façon dont Israël a cherché à faire pression sur le procureur. À peu près au même moment, les fonctionnaires de la CPI ont découvert les détails de ce que les sources ont décrit comme une “campagne de diffamation” diplomatique, concernant en partie un membre de la famille proche.

Selon de multiples sources, le Mossad avait obtenu stock de documents comprenant des transcriptions d’une apparente opération d’infiltration contre le mari de Mme Bensouda. L’origine de ces documents - et leur authenticité - reste incertaine.

Toutefois, des éléments d’information ont été diffusés par Israël parmi les responsables diplomatiques occidentaux, selon des sources, dans une tentative infructueuse de discréditer la procureure générale. Une personne informée de cette campagne a déclaré qu’elle n’avait pas eu beaucoup de succès auprès des diplomates et qu’il s’agissait d’une tentative désespérée de “salir” la réputation de Mme Bensouda.

La campagne de Trump contre la CPI

En mars 2020, trois mois après que Mme Bensouda a renvoyé l’affaire de la Palestine devant la chambre préliminaire, une délégation du gouvernement israélien aurait discuté à Washington avec de hauts fonctionnaires usaméricains d’une « lutte commune israélo-américaine » contre la CPI.

Un responsable du renseignement israélien a déclaré qu’ils considéraient l’administration de Donald Trump comme plus coopérative que celle de son prédécesseur démocrate. Les Israéliens se sont sentis suffisamment à l’aise pour demander aux services de renseignement usaméricains des informations sur Mme Bensouda, une demande qui aurait été “impossible” pendant le mandat de Barack Obama, selon la source.

Trump et Netanyahou avant la signature des accords d’Abraham à la Maison Blanche en 2020. Photo Saul Loeb/AFP/Getty Images

Quelques jours avant les réunions de Washington, Mme Bensouda avait reçu l’autorisation des juges de la CPI de mener une enquête distincte sur les crimes de guerre commis en Afghanistan par les talibans et le personnel militaire afghan et usaméricain.

Craignant que les forces armées usaméricaines ne soient poursuivies, l’administration Trump s’est engagée dans sa propre campagne agressive contre la CPI, qui a culminé à l’été 2020 avec l’imposition de sanctions économiques usaméricaines à l’encontre de Bensouda et de l’un de ses hauts fonctionnaires.

Parmi les fonctionnaires de la CPI, les restrictions financières et de visa imposées par les USA au personnel de la Cour étaient considérées comme liées aussi bien à l’enquête sur la Palestine qu’à l’affaire de l’Afghanistan. Deux anciens fonctionnaires de la CPI ont déclaré que de hauts fonctionnaires israéliens leur avaient expressément indiqué qu’Israël et les USA travaillaient ensemble.

Lors d’une conférence de presse en juin de la même année, de hauts responsables de l’administration Trump ont signalé leur intention d’imposer des sanctions aux fonctionnaires de la CPI, annonçant qu’ils avaient reçu des informations non spécifiées sur « la corruption financière et les malversations aux plus hauts niveaux du bureau du procureur ».

Mike Pompeo, secrétaire d’État de Donald Trump, a fait référence à l’affaire afghane et a établi un lien entre les mesures usaméricaines et l’affaire palestinienne. « Il est clair que la CPI ne met Israël dans son collimateur qu’à des fins purement politiques », a-t-il déclaré. Quelques mois plus tard, Mike Pompeo a accusé Mme Bensouda de s’être « livrée à des actes de corruption pour son bénéfice personnel ».

Les USA n’ont jamais fourni publiquement d’informations permettant d’étayer cette accusation, et Joe Biden a levé les sanctions quelques mois après son entrée à la Maison Blanche.

Mike Pompeo lors d’une conférence de presse conjointe sur les sanctions contre la CPI en juin 2020. Photo Yuri Gripas/AFP/Getty Images

Mais à l’époque, Mme Bensouda a dû faire face à des pressions croissantes résultant d’un effort apparemment concerté en coulisses de la part des deux puissants alliés. En tant que ressortissante gambienne, elle ne bénéficiait pas de la protection politique dont jouissaient d’autres collègues de la CPI originaires de pays occidentaux du fait de leur citoyenneté. Une ancienne source de la CPI a déclaré que cela la rendait “vulnérable et isolée”.

Selon certaines sources, les activités de M. Cohen étaient particulièrement préoccupantes pour la procureure et l’ont amenée à craindre pour sa sécurité personnelle. Lorsque la chambre préliminaire a finalement confirmé la compétence de la CPI en Palestine en février 2021, certains à la CPI ont même estimé que Mme Bensouda devrait laisser à son successeur la décision finale d’ouvrir une enquête approfondie.

Le 3 mars, quelques mois avant la fin de son mandat de neuf ans, Mme Bensouda a toutefois annoncé l’ouverture d’une enquête approfondie sur le dossier palestinien, lançant ainsi un processus qui pourrait déboucher sur des poursuites pénales, même si elle a précisé que la phase suivante pourrait prendre du temps.

« Toute enquête entreprise par le bureau sera menée de manière indépendante, impartiale et objective, sans crainte ni faveur », a-t-elle déclaré. « Aux victimes palestiniennes et israéliennes ainsi qu’aux communautés concernées, nous demandons instamment de faire preuve de patience ».

Khan annonce des mandats d’arrêt

Lorsque M. Khan a pris la direction du bureau du procureur de la CPI en juin 2021, il a hérité d’une enquête dont il a déclaré plus tard qu’elle « se situait sur la faille de San Andreas de la politique internationale et des intérêts stratégiques ».

En mars 2022, quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il a ouvert une enquête très médiatisée sur les crimes de guerre présumés commis par la Russie.

Au départ, l’enquête politiquement sensible sur la Palestine n’a pas été traitée comme une priorité par l’équipe du procureur britannique, selon des sources familières avec le dossier. L’une d’entre elles a déclaré qu’elle était en fait “mise de côté”, ce que conteste le bureau de M. Khan, qui affirme avoir mis en place une équipe d’enquêteurs spécialisés pour faire avancer l’enquête.

En Israël, les principaux avocats du gouvernement considèrent M. Khan - qui a déjà défendu des chefs de guerre tels que l’ancien président libérien Charles Taylor - comme un procureur plus prudent que Mme Bensouda. Un ancien haut fonctionnaire israélien a déclaré qu’il y avait “beaucoup de respect” pour M. Khan, contrairement à sa prédécesseure. Sa nomination à la Cour était considérée comme une “raison d’être optimiste”, mais ils ont ajouté que l’attaque du 7 octobre avait “changé cette réalité”.

L’assaut du Hamas sur le sud d’Israël, au cours duquel les militants palestiniens ont tué près de 1 200 Israéliens et kidnappé environ 250 personnes, a clairement donné lieu à des crimes de guerre éhontés. Il en va de même, de l’avis de nombreux experts juridiques, de l’assaut ultérieur d’Israël sur Gaza, qui aurait tué plus de 35 000 personnes et conduit le territoire au bord de la famine en raison de l’obstruction d’Israël à l’aide humanitaire.

À la fin de la troisième semaine de bombardements israéliens sur Gaza, M. Khan était sur le terrain au poste frontière de Rafah. Il s’est ensuite rendu en Cisjordanie et dans le sud d’Israël, où il a été invité à rencontrer des survivants de l’attaque du 7 octobre et des parents de personnes tuées.

En février 2024, M. Khan a publié une déclaration très ferme que les conseillers juridiques de Netanyahou ont interprétée comme un signe de mauvais augure. Dans ce message publié sur X, il mettait en effet Israël en garde contre un assaut sur Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza, où plus d’un million de personnes déplacées s’étaient réfugiées à l’époque.

« Je suis profondément préoccupé par les informations faisant état de bombardements et d’une éventuelle incursion terrestre des forces israéliennes à Rafah », a-t-il écrit. « Ceux qui ne respectent pas la loi ne doivent pas se plaindre plus tard lorsque mon bureau prend des mesures ».

  

Des enfants au milieu des décombres d’un bâtiment à Rafah, détruit par des frappes aériennes israéliennes en février. Photo Mohammed Abed/AFP/Getty Images

Ces commentaires ont suscité l’inquiétude au sein du gouvernement israélien, car ils semblaient s’écarter de ses précédentes déclarations sur la guerre, que les responsables avaient considérées comme rassurantes et prudentes. « Ce tweet nous a beaucoup surpris », a déclaré un haut fonctionnaire.

Les inquiétudes en Israël concernant les intentions de M. Khan se sont intensifiées le mois dernier lorsque le gouvernement a informé les médias qu’il pensait que le procureur envisageait de délivrer des mandats d’arrêt contre Netanyahou et d’autres hauts fonctionnaires tels que Yoav Gallant.

Les services de renseignement israéliens avaient intercepté des courriels, des pièces jointes et des messages textuels de Khan et d’autres fonctionnaires de son bureau. « L’objet de la CPI a gravi l’échelle des priorités des services de renseignement israéliens », a déclaré une source des services de renseignement.

C’est grâce à des communications interceptées qu’Israël a établi que Khan envisageait à un moment donné d’entrer dans la bande de Gaza par l’Égypte et qu’il demandait une aide urgente pour le faire « sans l’autorisation d’Israël ».

Une autre évaluation des services de renseignement israéliens, largement diffusée au sein de la communauté du renseignement, s’appuie sur la surveillance d’un appel entre deux hommes politiques palestiniens. L’un d’eux a déclaré que Khan avait indiqué qu’une demande de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants israéliens pourrait être imminente, mais a averti qu’il était « soumis à d’énormes pressions de la part des USA ».

C’est dans ce contexte que Netanyahu a fait une série de déclarations publiques avertissant qu’une demande de mandats d’arrêt pourrait être imminente. Il a appelé « les dirigeants du monde libre à s’opposer fermement à la CPI » et à « utiliser tous les moyens à leur disposition pour arrêter cette démarche dangereuse ».

Il a ajouté : « Qualifier les dirigeants et les soldats d’Israël de criminels de guerre jettera de l’huile sur le feu de l’antisémitisme ». À Washington, un groupe de sénateurs républicains de haut rang avait déjà envoyé une lettre de menace à Khan, accompagnée d’un avertissement clair : « Prenez Israël pour cible et nous vous prendrons pour cible".

Netanyahou (à gauche) et Yoav Gallant lors d’une conférence de presse à Tel Aviv en octobre. Photo Reuters

La CPI, quant à elle, a renforcé sa sécurité en procédant à des balayages réguliers des bureaux du procureur, à des contrôles de sécurité sur les appareils, à des zones sans téléphone, à des évaluations hebdomadaires des menaces et à l’introduction d’équipements spécialisés. Un porte-parole de la CPI a déclaré que le bureau de M. Khan avait fait l’objet de »"plusieurs formes de menaces et de communications qui pourraient être considérées comme des tentatives d’influencer indûment ses activités ».

M. Khan a récemment révélé dans une interview accordée à CNN que certains dirigeants élus avaient été “très directs” avec lui alors qu’il s’apprêtait à délivrer des mandats d’arrêt. «“ Ce tribunal est fait pour l’Afrique et pour des voyous comme Poutine”, m’a dit un haut responsable ».

Malgré les pressions, M. Khan, comme sa prédécesseure au bureau du procureur, a choisi d’aller de l’avant. La semaine dernière, il a annoncé qu’il demandait des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant ainsi que contre trois dirigeants du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Il a déclaré que le premier ministre et le ministre de la défense d’Israël étaient accusés d’être responsables de l’extermination, de la famine, du refus de l’acheminement de l’aide humanitaire et du ciblage délibéré des civils.

Debout devant un pupitre, avec à ses côtés deux de ses principaux procureurs - l’un usaméricain, l’autre britannique -, M. Khan a déclaré qu’il avait à plusieurs reprises demandé à Israël de prendre des mesures urgentes pour se conformer au droit humanitaire.

« J’ai spécifiquement souligné que la famine en tant que méthode de guerre et le refus de l’aide humanitaire constituent des infractions au Statut de Rome. Je n’aurais pas pu être plus clair », a-t-il déclaré. « Comme je l’ai également souligné à plusieurs reprises dans mes déclarations publiques, ceux qui ne respectent pas la loi ne doivent pas se plaindre plus tard lorsque mon bureau prend des mesures. Ce jour est arrivé ».

 

 Tjeerd Royaards, Pays-Bas