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16/04/2023

NICOLAS PELHAM
On le savait dissolu, le voilà dissous : le mystère de la déliquescence du roi du Maroc

Nicolas Pelham, 1843Magazine/The Economist
Illustrations Michelle Thompson. Images : Getty
Traduit par  Tafsut Aït Baamrane


Nicolas (“Nick”) Pelham écrit sur le monde arabe pour The Economist et la New York Review of Books. Depuis son premier poste de rédacteur en chef du Middle East Times, basé au Caire, il a passé 20 ans à étudier et à travailler dans la région. Il a été correspondant pour la BBC, le Financial Times et The Economist à Rabat, Amman, Jérusalem et en Irak, emmenant souvent avec lui son infatigable famille. Il est l’auteur de A New Muslim Order : The Shia and the Middle East Sectarian Crisis (2008), co-auteur de A History of the Middle East (2010) et auteur de Holy Lands : Reviving Pluralism in the Middle East (2016). S’éloignant parfois du journalisme, il a été analyste principal pour l’International Crisis Group et a travaillé pour les Nations unies et le Royal Institute of International Affairs, réalisant des reportages sur l’économie des tunnels de Gaza et la montée des Bédouins dans la péninsule du Sinaï.

En 2018, un kick-boxeur allemand s’est lié d’amitié avec Mohammed VI. Le monarque a rarement été vu depuis


Il y a cinq ans, une image inhabituelle est apparue sur Instagram. On y voyait Mohammed VI, le roi du Maroc âgé de 54 ans, assis sur un canapé à côté d’un homme musclé en tenue de sport. Les deux hommes étaient serrés l’un contre l’autre avec des sourires assortis, comme deux enfants en colonie de vacances. Les Marocains étaient plus habitués à voir leur roi seul sur un trône doré.

L’histoire qui se cache derrière la photo est encore plus étrange. Abou Azaitar, l’homme de 32 ans assis à côté du roi, est un vétéran du système pénitentiaire allemand ainsi qu’un champion d’arts martiaux mixtes (MMA). Depuis qu’il s’est installé au Maroc en 2018, son fil Instagram rempli de blingbling a fait frémir l’élite conservatrice du pays. Il ne s’agit pas seulement des voitures clinquantes, mais aussi du ton étonnamment informel avec lequel il s’adresse au monarque : « Notre cher roi », écrit-il à côté d’une photo d’eux deux. « Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour nous ».

Une crise se prépare au Maroc, et le kick-boxeur rayonnant en est le cœur. Le pays est considéré comme l’une des réussites du monde arabe. Son industrie automobile est florissante, ses souks médiévaux et ses riads tranquilles séduisent les touristes occidentaux. Le Maroc semble avoir tout le charme du Moyen-Orient [sic], sans son agitation.

Un ancien fonctionnaire estime que le roi a été absent du pays pendant 200 jours l’année dernière

Mais les 37 millions d’habitants du Maroc sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui ont secoué une grande partie du monde arabe au cours de la dernière décennie : manque d’emplois, inflation galopante et services de sécurité oppressifs. Jusqu’à présent, ces problèmes n’ont pas entraîné de graves bouleversements, en partie grâce à l’introduction rapide de réformes constitutionnelles par le roi au plus fort du printemps arabe en 2011. Mais aujourd’hui, l’agitation se profile à l’horizon et le roi, selon les initiés, ne se montre guère.

Depuis quatre ans, Azaitar et ses deux frères monopolisent l’attention du monarque. Selon un initié de la Cour, les conseillers ont tenté de réduire l’influence des Azaitar, mais en vain. Certains fonctionnaires semblent même s’être entendus pour publier des articles exposant le passé criminel et les extravagances présumées d’Azaitar. Le roi semble imperméable.

Mohammed n’est pas seulement distrait, il est souvent totalement absent. Il aimait voyager et prendre des vacances avant de rencontrer les Azaitar, mais cette tendance semble s’être nettement accentuée. Parfois, il se cloître avec les frères dans un ranch privé de la campagne marocaine. Parfois, le groupe s’échappe dans un refuge en Afrique de l’Ouest. Lorsque le Gabon s’étiole –“"tellement ennuyeux, il y a une plage mais rien d’autre à faire”, se lamente un membre de l’entourage - ils descendent à Paris. Un ancien fonctionnaire estime que le roi a passé 200 jours hors du pays l’année dernière.

“Nous sommes un avion sans pilote”, s’inquiète un fonctionnaire

M6 est apparu pour la première fois en public avec les Azaitar le 20 avril 2018, lors d’un événement célébrant leurs prouesses en MMA. Sur les photos communiquées à la presse, le roi et les trois frères se pressent ensemble en tenant une ceinture de championnat de MMA.

Au fur et à mesure que leur amitié se renforçait, Azaitar a commencé à poster des photos de lui avec le roi. Lui et ses frères ont rejoint la maison itinérante du roi - en tant qu’“entraîneurs personnels”, aurait-on dit aux fonctionnaires - et ont amené leur famille et leurs amis avec eux. À certains égards, cette amitié a été salutaire. Le roi, qui avait un peu d’embonpoint lorsqu’il a rencontré les frères, a souffert d’asthme et de problèmes pulmonaires. Les combattants en cage ont installé une salle de sport dans le palais et il a commencé à s’entraîner. Son visage a commencé à perdre ses bouffissures et il est apparu de plus en plus détendu, presque en forme.

Le roi, quant à lui, a comblé les frères de largesses. À la mort de leur mère, il leur a permis de l’enterrer dans l’enceinte de son palais à Tanger. Les frères ont acquis de précieux biens immobiliers en bord de mer et ont fait étalage de leur mode de vie sur les réseaux sociaux. « Ils utilisent des jets militaires, ils ont carte blanche pour fonctionner dans le palais comme ils l’entendent, ils peuvent aller au garage et prendre les voitures qu’ils veulent », explique un initié de la famille royale. « C’est vraiment bizarre ». (Le magazine 1843 a transmis les allégations de cet article aux Azaitar et au gouvernement marocain, mais n’a reçu aucune réponse).

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