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27/08/2025

RUWAIDA AMER
Maryam était mon amie. Israël l’a tuée, ainsi que quatre autres journalistes de Gaza

Après le raid aérien sur l’hôpital Nasser, notre appel est plus urgent que jamais : les reporters palestiniens ont besoin d’une protection internationale immédiate, sinon la voix de Gaza sera réduite au silence.

Ruwaida Amer, +972, 27/8/2025
Traduit par Tlaxcala


Maryam Abu Daqqa, 8 octobre 2020. (Avec l’aimable autorisation de la famille Abu Daqqa)

Maryam Abu Daqqa était mon amie. Elle était photojournaliste et mère. Lundi, elle a été tuée par l’armée israélienne lors d’une « double frappe » sur l’hôpital Nasser, avec quatre autres journalistes. Elle avait 32 ans.

J’ai rencontré Maryam pour la première fois en 2015 lors d’un cours de photographie au centre italien de Gaza, où elle était l’une des stagiaires. J’ai été attirée par son énergie. Je me souviens avoir pensé qu’elle parlait très vite, comme si elle avait plus d’idées qu’elle n’avait de temps pour les exprimer.

Elle venait d’Abasan, à l’est de Khan Younès, une ville agricole célèbre pour ses fruits, ses légumes et sa cuisine délicieuse. Chaque fois que je faisais un reportage sur l’agriculture dans cette région, je savais que je pouvais me tourner vers elle. Elle était toujours prête à aider, et ses photos du village et de ses habitants ne manquaient jamais de m’inspirer.

Au début, je ne savais pas que Maryam était mère. Un jour, avant la guerre, alors que je travaillais à Abasan, j’ai entendu un garçon l’appeler : « Maman ! » J’ai été surprise. Elle a ri et m’a présenté son fils. « Voici Ghaith », m’a-t-elle dit fièrement. « C’est mon homme, et il me protégera quand il sera grand. » Elle m’a dit que tout son travail était pour lui.

Depuis le début de la guerre, j’avais vu Maryam à plusieurs reprises sur le terrain. Nous nous saluions toujours et nous nous assurions que tout allait bien, mais nous ne parlions pas beaucoup. Nous étions toujours fatiguées et stressées. Les seuls moments où nous pouvions vraiment discuter étaient à l’hôpital de Khan Younès, où elle venait souvent faire du reportage.

Je me souviens l’avoir rencontrée lors de l’offensive israélienne sur Rafah en mai 2024. Mon caméraman avait été contraint de fuir vers le nord, à Deir al-Balah, me laissant filmer seule avec mon téléphone. Maryam est apparue dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital européen, où j’interviewais un médecin usaméricain. Voyant que j’avais du mal avec ma caméra, elle m’a immédiatement aidée à régler les paramètres et m’a donné quelques conseils. Elle avait l’air épuisée et pouvait à peine marcher. C’était une facette d’elle que je n’avais pas l’habitude de voir.


Les Palestiniens font leurs adieux aux journalistes tués lors d’une frappe aérienne israélienne devant l’hôpital Nasser à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Avant qu’elle ne parte, je l’ai serrée dans mes bras et lui ai demandé d’être prudente. J’avais peur pour elle ; je savais qu’elle avait travaillé dans les zones dangereuses de l’est de Khan Younès quelques semaines auparavant. La dernière fois que je l’avais vue, c’était en avril, à l’hôpital Nasser, là même où, quelques mois plus tard, elle allait être tuée par l’armée israélienne.

Le jour où Maryam a été tuée avec 19 autres personnes lors de l’attaque contre l’hôpital, j’étais à proximité avec ma famille dans le camp de réfugiés de Khan Younès. Une explosion assourdissante a secoué le sol. Ma mère a suggéré qu’il s’agissait peut-être d’une maison qui avait été touchée, mais lorsque j’ai enfin trouvé un signal Internet et consulté les informations, la vérité m’est apparue clairement. Le chagrin et l’incrédulité étaient accablants.

J’ai pensé à son fils, Ghaith, le garçon qu’elle appelait autrefois son protecteur, dont elle prenait tant soin. J’ai pensé à son père, à qui elle avait donné un rein pour lui sauver la vie. J’ai pensé à mon amie, audacieuse, aventureuse, toujours attentionnée envers les autres.

Aucun mot ne peut décrire ce que nous ressentons

Depuis octobre 2023, Israël a tué au moins 230 journalistes dans la bande de Gaza, soit plus que le nombre total de journalistes tués dans le monde au cours des trois années précédentes, selon le Comité pour la protection des journalistes. Au cours du seul mois dernier, 11 journalistes gazaouis ont été tués lors de frappes israéliennes, dont Maryam.

Le 10 août, cinq journalistes ont été tués lorsque l’armée israélienne a pris pour cible une tente de journalistes juste à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa, dans la ville de Gaza. Ce jour-là, alors que je parcourais mon téléphone à la recherche d’informations sur un éventuel cessez-le-feu, j’ai commencé à recevoir des messages de collègues à l’étranger qui prenaient de mes nouvelles et me demandaient si j’allais bien. Alarmée, je me suis tournée vers les groupes d’information, qui étaient inondés de premiers rapports sur l’attaque.


Un journaliste palestinien pleure Anas Al-Sharif et ses autres collègues après leur mort dans la même frappe israélienne, à Gaza, le 11 août 2025. (Yousef Zaanoun/Activestills)

Parmi les six noms mentionnés, l’un d’eux a retenu mon attention : Anas Al-Sharif. Je n’étais pas une amie proche d’Anas, je ne lui avais parlé que quelques fois au sujet de l’actualité dans le nord de Gaza, mais j’avais l’impression de bien le connaître grâce à ses reportages.

Bien qu’il ait été journaliste à l’antenne depuis moins de deux ans, Anas avait laissé une empreinte indélébile. Âgé de 28 ans, marié et père de deux enfants, Anas parcourait sans relâche le nord de Gaza, recueillant les témoignages des habitants et documentant le génocide en cours avec une honnêteté sans faille. Même après avoir perdu son père lors d’une frappe aérienne israélienne en décembre 2023, il a refusé d’abandonner sa mission de dire la vérité, tout en endurant les mêmes privations que ses voisins.

En effet, tous les journalistes de Gaza ont été confrontés ces deux dernières années à la faim, au déplacement et à la perte de leur maison et de membres de leur famille, tout en essayant de relayer la réalité brute de Gaza au monde entier. Moi aussi, j’ai passé de longues heures dans les rues sans abri. Ma mère malade, qui se remet encore difficilement d’une opération de la colonne vertébrale, marche à mes côtés et à ceux de ma sœur tandis que nous cherchons un endroit, n’importe quel endroit, où nous réfugier.

J’aime mon métier de journaliste, tout comme mon travail d’enseignante, mais je suis dévastée et terrifiée. Cela fait plus de 680 jours que je travaille sans interruption, avec des coupures d’Internet constantes, sans électricité, sans abri sûr et sans moyen de transport. J’ai continué à faire des reportages depuis le début de la guerre parce que je crois en sa mission, mais je le fais en sachant que chaque jour pourrait très bien être le dernier. Aucun mot ne peut décrire ce que nous ressentons en tant que journalistes face à la perte successive de nos collègues.

Pourquoi Israël cible-t-il les journalistes palestiniens à Gaza ? C’est simple. Nous sommes les seuls à pouvoir documenter et transmettre ce qui se passe réellement sur le terrain. Chaque image, chaque témoignage, chaque émission que nous produisons perce le mur du discours officiel d’Israël. Cela nous rend dangereux : en enregistrant les déplacements de population, la famine et les bombardements incessants, nous exposons les actions d’Israël au monde entier.


Le site d’une frappe aérienne israélienne à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

C’est pourquoi nous sommes délibérément attaqué·es. Les caméras sont considérées comme des armes, et ceux·celles qui les tiennent comme des combattant·es. Notre simple présence menace la capacité d’Israël à poursuivre sa politique génocidaire, c’est pourquoi il fait tout ce qu’il peut pour nous éliminer.

Un besoin désespéré de protection

Au début du mois, après deux ans de pression de la part des organismes de presse internationaux, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré qu’Israël autoriserait les journalistes étrangers à entrer à Gaza afin de témoigner des « efforts humanitaires d’Israël » et des « manifestations civiles contre le Hamas ». En l’absence de détails ou de calendrier, il est difficile de ne pas y voir un nouveau mensonge. Mais même si la presse internationale était autorisée à accéder librement et sans entrave à la bande de Gaza, à quoi cela servirait-il si les journalistes palestiniens à Gaza restaient sans protection ?

Nous sommes fatigué·es de travailler sans relâche depuis deux ans, sans repos ni sécurité, dans un état d’anxiété permanent, craignant d’être tué·es à tout moment. Et si nous demandons à nos collègues internationaux d’entrer à Gaza pour faire connaître au monde entier la réalité brutale qui y règne, nous savons que leurs reportages ne différeront pas de ce que nous avons déjà documenté.

Lorsqu’un journaliste de CNN a accompagné un avion jordanien qui larguait de l’aide au-dessus de Gaza ce mois-ci et qu’il a vu l’enclave depuis le hublot de l’avion, il a décrit « une vue panoramique de ce qu’ont causé deux ans de bombardements israéliens... une dévastation totale sur de vastes zones de la bande de Gaza, un désert de ruines choquant ». C’est ce que nous disons depuis près de deux ans sur le terrain : la destruction de Gaza par Israël est massive, et elle ne fera que se poursuivre tant que la guerre ne prendra pas fin.

Quand j'avais 9 ans, ma maison dans le camp de réfugiés de Khan Younès a été détruite par un bulldozer israélien. Cette image ne m'a jamais quitté. Et quand j'ai vu des journalistes s'efforcer de raconter au monde entier ce qui était arrivé à ma maison, j'ai décidé que je voulais devenir journaliste moi aussi.

Je pense que les journalistes ont une immense valeur, mais à Gaza, ils·elles sont tué·es sous les yeux du monde entier et personne n'agit. Nous craignons de perdre d'autres collègues et nous avons désespérément besoin de la protection internationale, avant qu'Israël ne parvienne à faire taire la voix de Gaza.