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22/01/2025

GIORGIO GRIZIOTTI
Guerres et machines Capital-État
Note de lecture de “Guerre ou révolution” de Maurizio Lazzarato

Giorgio Griziotti, Effimera, 25/10/2022
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les deux ouvrages précédents de Maurizio Lazzarato, Le capital déteste tout le monde et L’intolérable du présent, l’urgence de la révolution, constituaient un diptyque d’une grande profondeur : dans le cadre d’une vaste analyse, il parvenait à tracer un tableau cohérent de la contre-révolution néolibérale et des impasses de la pensée post-soixante-huitarde, une époque qui s’étend de la fin des années 1970 à nos jours.

Guerre ou révolution, qui paraît quelques mois après L’intolérable du présent, se situe dans une relation plus directe avec un « présent » qui semble valider pleinement les hypothèses théoriques de l’auteur et n’est plus seulement ou simplement « intolérable ». La concaténation et l’interpénétration de la pandémie, de la catastrophe climatique et de la guerre semblent soudain accélérer la séquence de transformation de la réalité en une science-fiction dystopique angoissante.

La guerre actuelle, qui est déjà mondiale par l’intermédiaire d’un pays martyr, est presque une démonstration de ce que l’auteur avait précédemment théorisé avec une grande clarté : « le capitalisme n’élimine pas la guerre mais l’intensifie comme aucun autre système économique et politique ne l’a jamais fait, et la répand sur toute la société ».

Lazzarato affirme que certaines erreurs d’analyse ont partiellement validé, comme cela s’est produit selon lui avec le célèbre livre Empire de Hardt et Negri, l’hypothèse américaine naïve selon laquelle « une fois l’URSS disparue, il n’y aurait plus qu’une seule puissance ».

Et en effet, plus tard, « se réveillant de leur sommeil rêveur qui avait duré des années, les USA ont déclaré la Chine comme l’ennemi principal avec tous les États (Russie, Iran, etc.) qui ne se soumettaient pas à cet empire en faillite ». Et c’est en ce sens qu’il faut lire la guerre actuelle « en déplaçant le discours obsessionnellement répété de l’agresseur et de l’agressé » tandis que « croire que la Russie est la cause d’une troisième guerre mondiale possible est comme croire que l’attentat de Sarajevo l’a été de la première » .

Cette vision d’un capitalisme qui ne peut se passer de la guerre est corroborée par des réflexions, parfois déjà présentes dans ses écrits précédents et ici approfondies : la Première Guerre mondiale opère un tournant fondamental où « s’amorce le rapport d’identité et de réversibilité entre production et destruction [...] qui se poursuit encore aujourd’hui », de même qu’il est de plus en plus certain que « l’industrie de la guerre constitue un investissement indispensable à l’accumulation », indispensable à la survie du capitalisme.

Et c’est aussi à partir de la Première Guerre mondiale que l’intégration de l’Etat et du capital s’accélère. En effet, une thèse centrale du discours de Lazzarato est que l’État et le capital ne sont pas des entités séparées mais qu’« ensemble, ils constituent un seul dispositif bicéphale qui produit, gouverne, fait la guerre, bien qu’avec des tensions internes, puisque le pouvoir souverain et le profit ne coïncident pas ». L’État et le capital s’intègrent progressivement, mais ne s’identifient jamais.

Une belle époque éphémère

Lazzarato reprend également ici sa critique de Foucault et de la pensée post-soixante-huitarde qui, selon lui, a remplacé la lutte des classes et la révolution par les concepts de biopolitique et de gouvernementalité, laissant la voie libre à la contre-révolution néolibérale.

Sa thèse semble en effet corroborée par le cours de l’histoire récente. La seule observation qui pourrait peut-être atténuer ce jugement quelque peu tranchant est que la pensée post-68 a pris des positions moins radicales parce que, ayant subi la défaite historique des mouvements mondiaux des années 1960-70, elle voyait s’éloigner les perspectives d’une révolution sur le modèle de celles du XXe siècle.

Selon l’auteur, lorsque la contre-révolution a triomphé à partir de Reagan et Thatcher, « le pouvoir des vainqueurs s’est stabilisé sous la forme de l’État administratif, de la gouvernementalité, du travail et de la consommation. On pourrait appeler cette phase ... la belle époque, dans laquelle, comme dans la précédente qui a conduit à la Grande Guerre, l’expansion de la production ... semble se dérouler « paisiblement », comme si toutes les contradictions de l’accumulation capitaliste avaient été surmontées et résolues ». 

Un capitalisme « pacifié » dans lequel l’incitation pressante à la consommation sans limite renverse les sentiments de culpabilité de la « morale » protestante wébérienne et donne naissance à La fabrique de l’homme endetté ... Ici aussi, selon Lazzarato, la pensée post-soixante-huitarde semble tomber dans le piège.

« Un « pouvoir tolérant » (le néolibéralisme version Pasolini, mais aussi Foucault qui le définit littéralement de cette façon) qui « incite, induit et sollicite » au lieu de simplement « surveiller et punir », est une illusion typique de la belle époque parce qu’il est temporaire et sélectif (au Nord plutôt que dans le Sud, avec les blancs plutôt qu’avec les non-blancs, avec les riches plutôt qu’avec les pauvres, avec les hommes plutôt qu’avec les femmes), parce qu’il est rapidement destiné à se renverser en son contraire. Mais après ces courtes périodes d’euphorie « pendant lesquelles le capitalisme semble triompher de ses contradictions, il ne lui reste plus que la guerre et le fascisme pour sortir de l’impasse ».

Dimorphos, un astéroïde aux dimensions du Colisée

Critique de la philosophie écologiste

Un autre passage important est la critique adressée à la philosophie écologiste, et en particulier à l’un de ses représentants les plus connus, le philosophe français Bruno Latour, récemment décédé.

A un « Latour perdu, dépassé par les événements [qui se plaint en disant] : “Je ne sais pas comment tenir ensemble les deux tragédies”, l’Ukraine et la tragédie du réchauffement climatique », Lazzarato répond par les mots de Keynes : la violence que les capitalistes et l’Etat peuvent déchaîner contient déjà la catastrophe écologique parce que pour ne pas perdre les profits, la propriété, le pouvoir, ils sont « capables d’éteindre le soleil et les étoiles ».

Lazzarato affirme que le regretté Latour, pour comprendre quelque chose à la guerre, aurait d’abord dû admettre l’existence du capitalisme - ce qui est indéniable - mais dans son livre, la catastrophe écologique n’occupe peut-être pas la place qu’elle devrait occuper.

Il faut, à tout le moins, reconnaître l’intuition de Latour selon laquelle nous sommes tous désorientés « parce que le changement est trop grand... ce qui est largement dû au fait que nous continuons à être dans le monde d’avant »[1].

En effet, il me semble problématique de continuer à placer la dégradation de l’état de santé de Gaïa, à laquelle nous appartenons comme toutes les autres espèces, sur le même plan que d’autres catastrophes, qu’elles soient guerrières, économiques, sociales, etc.

S’il est clair que le rôle du capitalisme a été décisif pour arriver à cette situation extrême, il me semble tout aussi clair qu’il n’a pas été le seul facteur. L’implication, présente ici comme dans tant d’écrits sur le Capitalocène, qu’une défaite globale souhaitable et théorique du capitalisme serait la condition indispensable pour relever le défi de la survie écologique ne nous aide peut-être pas à comprendre de quelle révolution nous avons besoin. Même si Lénine, souvent cité par l’auteur, avait magistralement réussi à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire », ce n’est pas sa révolution qui nous sauvera. Ainsi, si la guerre est déjà là, la révolution espérée reste une mystérieuse inconnue.

Malgré cette inconnue non résolue, le livre de Lazzarato a le mérite de nous amener à réfléchir et, nous l’espérons, à aller au-delà du passage aujourd’hui significatif et global de la « grande résignation », qui est une forme de rejet à la fois de l’exploitation et de la guerre. Son principal mérite est de contenir l’une des analyses géopolitiques les plus complètes, les plus cohérentes et les plus plausibles du chaos vers lequel nous nous dirigeons à grande vitesse. À moins qu’une forte poussée de la base ne vienne dévier sa trajectoire. Mais, pour rester dans la métaphore aérospatiale, il s’agit malheureusement de quelque chose de bien plus complexe que l’astéroïde Dimorphos [2], qui comme son nom l’indique n’avait que deux formes, et le dispositif pour l’impacter n’est pas sur la rampe de lancement.

Notes

[1] Extrait d’une série d’entretiens télévisés de B. Latour disponibles sur Arte TV. 2022 ; https://www.arte.tv/fr/videos/RC-022018/entretien-avec-bruno-latour  

[2] Astéroïde détourné de sa trajectoire par la sonde Dart de la NASA qui s’est écrasée dessus le 27/9/2022.