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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

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17/11/2024

GIORGIO GRIZIOTTI
Equalize the world (Égaliser le monde)


Giorgio Griziotti, Effimera, 16/11/2024
Traduit par Fausto Giudice,
Tlaxcala

L’autre jour, débarqué à l’aéroport d’Orly en provenance d’Italie, je marchais avec les autres passagers vers la sortie quand, à un certain moment, une file d’attente s’est formée devant un tunnel lumineux dont les portes ne laissent passer qu’une seule personne à la fois. Un système supplémentaire de contrôle et de détection automatique, comme si, au cours du voyage aérien, le passager, déjà contrôlé à l’embarquement, pouvait se procurer des armes, des drogues ou d’autres produits illicites. Cette énième nouveauté aéroportuaire anxiogène est l’une des nombreuses manifestations de l’obsession sécuritaire omniprésente dans le réel comme dans le virtuel, accompagnée d’une rhétorique qui alimente la perception d’un danger permanent comme la promotion d’une culture de la peur.

En réalité, le danger existe souvent parce que les partisans du discours sécuritaire et les agents du cyberespionnage sont dans le même camp et se nourrissent les uns des autres.

Equalize, la société italienne d’analyse de risques - lisez espionnage industriel et pas seulement, puisqu’elle compte parmi ses clients le Mossad et le Vatican - pour les entreprises, qui fait actuellement l’objet d’une enquête, est exemplaire en ce sens : son propriétaire, en plus d’être président de la Fondation de la Foire de Milan, nommé en 2022 par le leader de la Lega et président de la Chambre des députés Lorenzo Fontana, et conseiller de l’Université Bocconi, entretenait des liens étroits avec de hauts fonctionnaires, dont le président du Sénat et la ministre du Tourisme Daniela Santanchè, qui a fait l’objet de plus d’une enquête.

Equalize est donc une illustration contemporaine de la nouvelle dynamique de pouvoir entre contrôleurs et contrôlés à l’ère du « capitalisme de surveillance »[1]. Lorsque Zuboff a écrit ce livre il y a quelques années, elle espérait que le capitalisme pourrait être réformé. Aujourd’hui, un fait marquant semble définitivement démentir cette hypothèse : la montée en puissance d’Elon Musk.

Comme le racontent ceux qui ont pu faire des incursions dans le futur [2], l’arrivée fracassante de Musk dans les sphères de la gouvernance scelle lentanglement (intrication) entre l’État et les techno-tycoons ou techno-oligarques, comme on voudra les appeler. Depuis l’ère industrielle, le grand capital avait l’habitude d’acquérir et de contrôler les médias grand public de l’époque, mais nous assistons aujourd’hui à un saut quantique sans précédent. Les dix-sept milliards d’impressions générées par Musk avec ses seuls gazouillis pendant la campagne électorale exercent une influence biopolitique incomparable même à celle du précurseur Berlusconi avec ses médias électriques à la Mc Luhan. C’est précisément la possession d’énormes quantités de données qui permet aux plateformes du neurocapitalisme, largement autonomes dans la définition de leurs propres règles de fonctionnement, d’exercer une influence significative sur les récits, les perceptions, les émotions et les décisions. Ce pouvoir façonne activement les élections, les marchés et même les relations personnelles, redéfinissant leur dynamique et orientant leur développement de manière profonde et omniprésente.

Pour en revenir à Equalize, il n’est pas surprenant que, dans ce contexte mondial, les acteurs intermédiaires émergent également comme de nouveaux centres de pouvoir privé. Grâce à l’intelligence artificielle, à l’exploration de données et au piratage, ils parviennent à transformer l’information en un instrument de coercition et de contrôle.
Dans ce cas précis, l’ambition d’Equalize était de devenir une sorte de « Google du renseignement ». Pour ce faire, elle avait développé une plateforme appelée Beyond, qui permettait d’obtenir des rapports sophistiqués simplement en introduisant une requête sur une personne ou une entreprise. Ces rapports proposent des analyses détaillées et suggèrent, le cas échéant, des réflexions ou des enquêtes plus approfondies.

Jusqu’à présent, Beyond pouvait sembler similaire à d’autres plateformes légales. Cependant, sa nature profondément illicite, telle qu’elle a été découverte par les enquêteurs, réside dans l’obtention illégale d’informations à partir de bases de données protégées et confidentielles grâce à l’utilisation d’un logiciel malveillant de type RAT (Remote Access Trojan), qui permet d’obtenir un contrôle à distance complet du système cible.
Parmi les bases de données attaquées figurent celles de l’Agence des impôts [système Serpico qui mesure l’adéquation entre le niveau de vie des contribuables et leur déclaration, NdT] , de l’Istat (Institut national de statistiques), de l’INPS (Institut national de sécurité sociale), du Registre national d’état-civil (ANPR), du Système d’information monétaire (Siva) de l’Automobile Club d’Italie (ACI), mais surtout le SDI, le système d’investigation du ministère de l’Intérieur[3].
La relative facilité avec laquelle Equalize/Beyond a réussi à télécharger des données directement à partir des serveurs du ministère de l’Intérieur, grâce aussi à des complicités et à des infiltrations, montre que même les bases de données les plus sensibles gérées par les organes centraux de l’État, qui devraient être hyperprotégées, sont désormais vulnérables et se retrouvent sur le marché noir des données volées. C’est probablement aussi le résultat de la sous-traitance croissante de certains des nœuds les plus critiques du fonctionnement de l’État au secteur privé. Il s’agit d’une érosion non seulement des frontières entre le public et le privé, mais aussi de celles entre ceux qui contrôlent et ceux qui sont contrôlés.
Les utilisateurs, souvent sans en être conscients, contribuent volontairement à leur propre surveillance en utilisant des appareils connectés et des plateformes numériques. Cette « surveillance participative » génère une boucle de rétroaction continue, dans laquelle les données produites sont retraitées pour influencer les individus mêmes qui les ont générées. Un exemple de ce mécanisme peut également être trouvé dans le cas d’Equalize, où, comme l’a expliqué un responsable, des rapports détaillés sur les visites du site étaient collectés chaque jour, y compris des informations sur qui s’était connecté, d’où, avec quel appareil et quel navigateur. Ce processus a permis d’établir un profil approfondi des utilisateurs, en contrôlant non seulement qui accède à la plateforme, mais aussi ce qu’ils recherchent.
Equalize n’est probablement que le premier grand cas à émerger, tandis que d’autres en Italie, en Europe et ailleurs continuent d’opérer dans l’ombre. Ils sont les symptômes collatéraux et locaux de la vague de techno-solutionnisme fasciste qui porte le coup de grâce aux démocraties occidentales désormais irréformables, comme l’affirme Emanuele Braga dans un récent article d’Effimera où il dénonce la mauvaise foi (stupide) des politiciens et des intellectuels de la défunte gauche. Pour conclure, j’ai été frappé par la récente interview de David Colon dans le Manifesto sous le titre significatif « La nouvelle frontière des techno-oligarques ». Du haut de sa chaire de Science Po à Paris, Colon affirme que « les milliardaires de la technologie entendent détrôner la politique au profit de la technologie, de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire des outils qui ont fait leur fortune ». Déblatérant, le jour même de l’élection de Trump, sur les « bonnes » démocraties occidentales à sauver parce qu’elles sont gravement menacées par les « mauvaises » autocraties du reste du monde, notre bon prof de « gauche » ne se rend même pas compte de l’ineptie de ses affirmations. Aucune technologie n’a pris ou ne prendra la place de la politique : Elon Musk & Co. sont déjà les nouveaux leaders politiques du capitalisme du XXIe siècle...

Post-scriptum
Comme nous le savons, le capitalisme de plateforme fonde sa rentabilité sur la transformation des données de la valeur d’usage en valeur d’échange (la soi-disant valeur de réseau). Le cas d’Equalize ne fait pas exception. La question démocratique n’a pas grand-chose à voir là-dedans. C’est du capitalisme, chéri·e ! La vente de données manipulées, gérées, sélectionnées et profilées par la plateforme Beyond est en fait l’activité principale de l’opération. D’après ce que nous avons pu lire des interceptions téléphoniques publiées dans certains journaux, une simple et unique demande d’information (qui ne nécessitait pas d’enquête spéciale ad hoc) avait un coût moyen d’environ 200 euros. Le coût d’obtention de ces informations était plus ou moins de 60 euros, avec une marge bénéficiaire certainement importante. Ce qu’il faut retenir, c’est que ces informations sont collectées en profilant les actes de la vie quotidienne de chacun d’entre nous, sans exception. En effet, les récentes technologies algorithmiques et de cloud computing permettent de cataloguer, sélectionner, manipuler et classer les données brutes résultant de l’utilisation d’apps sur les téléphones mobiles, les tablettes et les ordinateurs en données lisibles et vendables, en fonction des besoins du client et de l’entreprise. Ce n’est pas un hasard si l’on parle d’intelligence économique. Ce qui est relativement nouveau (du moins pour l’Italie), c’est la particularité des données traitées par la plateforme Equalize/Beyond : il s’agit en effet de données extrêmement sensibles, liées à la vie privée et à la sécurité, donc de données à très haute valeur ajoutée. Nous ne sommes plus seulement confrontés à la vie directement valorisée et au devenir du profit, mais au devenir « politique » du profit, avec toutes les implications que cela comporte (
Andrea Fumagalli).

NOTES

[1] Zuboff, Shoshana. L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma 2022
[2] Griziotti, Giorgio. Cronache del Boomernauta (Chroniques du Boomernaute) Éditions Mimesis, 2023 (à paraître en français en 2025)

[3] Le système d’information interforces, complexe et étendu, est divisé en 13 domaines d’application principaux dans lesquels circulent toutes sortes d’informations, des plaintes aux enquêtes, de la gestion des armes au contrôle des étrangers, du renseignement policier au suivi des appels d’offres pour les marchés publics.


08/10/2024

GIANFRANCO LACCONE
Au milieu de guerres et de crise climatique, le G7 de l’Agriculture sous présidence italienne s’est payé de mots

Gianfranco Laccone, climateaid.it, 3/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Je crois que lorsqu’on parlera un jour de cette période de l’histoire de l’humanité, on parlera d’une époque où les images éphémères régnaient et les « apparences » primaient sur la réalité des faits. Lorsque la réalité reprendra le dessus sur l’apparence, on parlera d’une période où l’hypocrisie prévalait dans les relations internationales, à tel point que les causes et les effets des actions des gouvernements de l’époque étaient dissimulés dans les documents signés.


Parallèlement au G7, se tenait sur l'île d'Ortigia une expo de promotion du Made in Italy baptisée "DiviNation" où Giorgina et son ministre Lollobrigida ont fait leur show

Cette prémisse était nécessaire pour recadrer les résultats de la réunion du G7 de l’agriculture, l’une des nombreuses qui marquent chaque année les relations entre les États les plus puissants de la planète. Elle s’est déroulée dans un climat d’incertitude, tant en ce qui concerne la situation géopolitique que la situation spécifique de l’agriculture. Pour tout dire, les participants à la réunion étaient l’expression de gouvernements démissionnaires, démis ou nouvellement formés pour la plupart des États (pensons aux récentes élections en France ou à celles à venir aux USA) et n’étaient pas en état de prendre des engagements concrets. Comme ces réunions ont lieu tous les ans, la réunion italienne aurait été l’occasion de faire un travail de couloir, de développer les connaissances des nouveaux participants et de conclure par d’éventuels engagements concrets avec les autres.

Au lieu de cela, on a préféré en faire un cirque Barnum, en l’associant à une autre foire commerciale, comme l’ont souligné de nombreux organes de presse, avec un effet promotionnel qui, dans les intentions des organisateurs, aurait renforcé l’image du Made in Italy.

Personnellement, j’ai de sérieux doutes quant aux résultats futurs, en particulier parce que les conditions climatiques et de marché dans le secteur agricole ne sont pas parmi les plus favorables et sont combinées à des conditions géopolitiques qui ont conduit à certaines crises de marché et à la détérioration des conditions alimentaires dans certaines régions de la planète.

Tout cela parce que le monde poursuit la guerre globale « en morceaux », renforçant la pratique actuelle qui consiste à déclencher des attaques non pas contre les armées adverses, mais contre la population du camp opposé, en semant la terreur. Dans ces camps, les malheureux habitants sont coupables de vivre là et sont souvent tués sous prétexte que « l’ennemi les utilise comme boucliers humains ». Dans cette lente mais inexorable escalade, d’autres pratiques guerrières détestables, utilisées dans le passé, telles que le siège et l’affamement de l’ennemi - aujourd’hui appelées par euphémisme « crises humanitaires » - sont mises en œuvre.

Pendant ce temps, les pays du G7, tout en discutant de l’agriculture, se déchargent de toute responsabilité directe et tentent de trouver la « quadrature du cercle » entre l’augmentation de la productivité (et donc de la consommation d’énergie) d’une part, et la réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique d’autre part.

Le communiqué publié à l’issue des travaux ne dit rien de nouveau sur ce que toutes les grandes institutions internationales (ONU, FAO, OCDE) disent depuis des années sur la relation entre faim / protection de l’environnement / développement socio-économique. Le G7 arrive bon dernier en admettant cette relation, selon laquelle il semble évident qu’il ne sera pas possible d’éliminer la faim dans le monde si cela ne se fait pas en parallèle de la protection de l’environnement et du développement socio-économique.

Mais depuis une décennie, l’Agenda 2030 a été mis en place, qui a placé cette relation à la base de ses objectifs, signé par tous les pays de l’ONU, mais tous les États sont à la traîne dans leur réalisation et les résultats que l’on pensait possibles en 2030 sont toujours repoussés.

Le communiqué de clôture du G7 ne laisse rien transparaître de cet échec global. Le ton déclamatoire du communiqué cache en réalité un manque d’action et dans les commentaires de la plupart des médias italiens, on vante la nature même du document, véritable manifeste de l’agriculture que nous voulons : rentable, résiliente, équitable et durable. Mais ils omettent de noter ce que la rigueur des données montre : depuis 1970, si une partie du monde a été libérée de la faim, ce n’est pas grâce à l’intervention des grandes puissances et des institutions économiques qu’elles dirigent, mais grâce à l’effort que la Chine a fait en interne pour amener le pays à ce qu’il est aujourd’hui. Pour le reste, l’aide apportée aux pays dans le besoin a été anéantie par le changement climatique et les guerres.

On ne sait pas dans quelle mesure la transformation industrielle de l’agriculture dans les pays dits « pauvres » a été un vecteur d’amélioration ou, peut-être, d’affaiblissement structurel supplémentaire face aux changements géopolitiques. Mais un minimum d’autocritique, sous la forme d’un changement des méthodes et de la voie adoptée jusqu’à présent dans les relations avec les autres pays (notamment en Afrique), aurait été nécessaire, ne serait-ce que pour réduire la distance politique qui existe aujourd’hui entre les sept puissances et le reste du monde.

Par exemple, toutes les motions déposées à l’ONU sur les conflits impliquant la Russie et Israël, votées par les sept grands et visant à condamner l’agression et le terrorisme, ont vu 35 États africains voter systématiquement contre ; un signe de dissidence à l’égard des politiques développées par les « grands » pays qui, malheureusement, tend à augmenter.

Comment pensez-vous impliquer tous les pays africains dans des relations économiques stables s’ils ont vu précisément dans les deux conflits - en Russie et au Moyen-Orient - la cause principale de la hausse des prix du pétrole, qui est à son tour la cause principale de la hausse des prix des denrées alimentaires ? Et comment veut-on augmenter la capacité d’autosuffisance alimentaire si le changement climatique oblige à abandonner de nombreux territoires sur les différents continents et que le développement économique dépend du mécanisme d’exportation ?

Dans de nombreux pays dits pauvres, les produits agricoles et la main-d’œuvre sont les seuls produits commercialisés. Mais lorsque les sécheresses réduisent la production agricole et que les politiques des pays riches empêchent l’entrée légale sur le marché du travail, comment sommes-nous censés améliorer les relations entre les nations et les conditions économiques générales ? Trop d’inconnues se cachent derrière le mécanisme d’aide au développement mentionné dans le document. Un petit exemple est la contradiction entre la protection des produits italiens et la nécessité d’ouvrir le marché et la production agroalimentaire aux produits des pays tiers, en premier lieu africains et ukrainiens, qui suscite la révolte de nos agriculteurs.

Les pays touchés par la crise climatique sont souvent les plus pauvres et, si l’on regarde les autres, ce sont les régions les moins riches des pays industrialisés qui sont les plus touchées par la crise. La crise climatique dans les régions riches est facilement déguisée en faible croissance du PIB : si le monde dans son ensemble n’est plus en mesure de « croître », c’est parce que l’exploitation des ressources et des terres a atteint ses limites, mais vous ne trouverez pas cela dans le communiqué. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions...

07/09/2024

GIANFRANCO LACCONE
L’agriculture biologique, un indicateur de l’avenir

Gianfranco Laccone, Climateaid, 5/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Les aliments biologiques n’utilisent pas d’intrants chimiques, préservent la fertilité des sols et sont plus respectueux du bien-être des animaux. La méthode de l’agriculture biologique protège l’environnement, les écosystèmes et la biodiversité, en favorisant un modèle culturel et de développement qui valorise les ressources naturelles en évitant la surexploitation des sols, de l’eau et de l’air. La production alimentaire durable et la sécurité alimentaire sont garanties par la stratégie « de la ferme à la fourchette » de l’UE.
Cependant, il existe certaines contradictions dans la production d’aliments biologiques : par exemple, certains additifs alimentaires sont permis et autorisés alors qu’on ne peut ignorer que plusieurs d’entre eux provoquent une hypersensibilité chez les jeunes consommateurs - même si les données sur les causes spécifiques et multiples des allergies ne sont pas certaines - et masquent les caractéristiques intrinsèques du produit alimentaire liées aux qualités organoleptiques (texture, couleur, arôme, palatabilité [appétibilité], etc.). Et ce, dans un contexte où les conditions de santé de la population ne cessent de se dégrader (surpoids, obésité, hypertension et maladies cardiovasculaires, diabète et cancer). C’est pourquoi l’évolution des produits biologiques doit s’orienter, sinon par la loi, du moins sur une base volontaire, vers une production excluant la présence d’additifs, comme le recommande la pratique de référence Uni/Acu 57:2019.

Les nouveautés et les changements surviennent souvent à l’occasion d’événements considérés comme mineurs et de faits qui ont une apparence de routine administrative. À mon avis, ce qui s’est passé dans le secteur biologique au début du mois d’août, avec la création de ConfagriBio, l’association de Confagricoltura [Confédération générale de l’agriculture italienne] dédiée à l’agriculture biologique, est l’un de ces événements qui signalent un changement en cours. Je le dis en connaissance de cause, car je suis le secteur biologique depuis les années 1970 et je suis membre d’une association (ACU) qui est depuis sa création, lorsqu’elle s’appelait Agrisalus, membre de l’IFOAM, la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, Je crois que l’agriculture et le secteur biologique en particulier ont besoin de signaux novateurs ; le fait qu’ils soient donnés par des entreprises qui ont joué un rôle, pour le meilleur ou pour le pire, dans l’introduction d’innovations dans l’agriculture, confirme le poids de la décision. En effet, Confagricoltura, une association qui a fait de la « culture d’entreprise » l’outil directeur de ses activités de production, a décidé en premier lieu de créer une section dédiée à l’agriculture biologique, et Paolo Parisini, un entrepreneur agricole dont le CV comprend la présidence de la Federazione Nazionale Prodotto Bio (Fédération nationale des produits biologiques), a été nommé président de l’association nouvellement créée.

Pour comprendre le sens que revêt dans le panorama agricole et dans l’histoire du secteur une nouvelle association regroupant des entreprises qui ont grandi dans la logique du marché, il faut se souvenir du passé, lorsque l’écologisme et ses domaines voisins (dont l’agriculture biologique) semblaient n’être qu’une entrave à l’avancée du progrès industriel. Je viens d’une région du sud de l’Italie - les Pouilles - qui a vécu tout cela de près, lorsque le plus grand centre sidérurgique d’Europe a été construit à Tarente, inauguré en novembre 1964, après que la réforme agraire et le plan vert du gouvernement italien eurent mis en production une grande partie des terres asséchées de la même zone (l’arc ionien-Tarente), qui avaient perdu leur disponibilité en eau et leur importance économique potentielle au profit de l’industrie sidérurgique. Aujourd’hui, à la tête d’un secteur d’entreprises biologiques, se trouve un ressortissant de la première région de production agroalimentaire qui a connu, avec l’inondation de la Romagne, un désastre écologique et productif de même ampleur, conséquence du manque d’intérêt de la plupart des institutions pour la région, suivi d’un désastre économique dû aux politiques économiques gouvernementales « inadéquates » pour le rétablissement des activités dans les zones touchées. L’association peut représenter, comme l’indique le communiqué de presse, « la valorisation et la diffusion de l’agriculture, de la zootechnie et de l’aquaculture biologiques et des pratiques agricoles connexes, ainsi que la promotion de la recherche, de l’expérimentation et du transfert de technologie. L’accent est mis en particulier sur l’extension de la production biologique dans les zones intérieures et les zones protégées, afin de soutenir le développement économique, social et environnemental de ces zones ». 

Ce sont des mots qui pourraient sembler rhétoriques s’ils n’étaient pas reflétés de manière adéquate dans l’activité pratique. C’est à cela que l’on mesurera la valeur de cette association et que l’on verra si elle réussit à donner, comme je l’espère, un coup de fouet au secteur biologique. Reposant sur une position d’image, le secteur biologique l’a vu s’effriter au fil du temps sous les coups de boutoir de l’inflation et des règles administratives (italiennes notamment) qui semblent faites pour empêcher le secteur de décoller. Car l’agriculture biologique a des potentialités dans tous les secteurs productifs : de l’alimentation à la santé, à l’équilibre écologique, à la restauration de l’environnement, mais elle semble enfermée dans une cage dont on l’empêche de sortir. Cette cage s’identifie à des aspects économiques (l’avantage des aides étant substantiel pour permettre à la production conventionnelle de résister à la concurrence), à des aspects administratifs qui pénalisent surtout la diffusion d’une certification transparente et lisible pour le consommateur, et au changement climatique.

 Phil Umbdenstock

Nous n’irons pas loin si la nouvelle association se contente de répéter les plaintes que d’autres associations ont formulées depuis des années et qui ont amené les consommateurs à les considérer comme injustifiées, face à une situation générale de souffrance de la population et de baisse des revenus. En revanche, si l’on s’attaque aux aspects structurels qui ont empêché l’agriculture biologique d’être le moteur du renouvellement du système de production, une voie différente s’ouvrira. Il me semble paradoxal qu’un type d’agriculture comme l’agriculture biologique, qui utilise moins d’intrants énergétiques, obtient de meilleurs prix et présente une meilleure qualité intrinsèque des produits, ne trouve pas le soutien des administrateurs et des entreprises et ne puisse pas devenir un banc d’essai pour la création d’un système d’entreprise différent dans la région. Car donner moins d’engrais chimiques et moins de pesticides est bon pour le palais comme pour l’environnement et prolonge la conservation d’une grande partie des produits, surtout si l’on greffe sur ces productions des économies circulaires qui ne sont encore aujourd’hui que des slogans. 

Si nous analysons la base des investissements, des orientations et de la diversification nécessaires au changement climatique, nous constatons que dans les entreprises biologiques, il y a une meilleure prédisposition au changement et une plus grande résilience. Je ne vois pas pourquoi le PNRR [Plan national de relance et de résilience] n’en a pas tenu compte et pourquoi les plans de cohésion ne trouvent pas des moyens opérationnels d’utiliser ces aides que le bio offre. Je pense qu’une nouvelle association, au cœur du système commercial, peut être en mesure d’utiliser ces possibilités.

Dans chaque secteur économique, il y a toujours une partie qui anticipe la nouveauté et c’est différent selon les périodes. Par exemple, dans les années 1990, lorsque la concurrence et le marché ont semblé s’imposer, le système des marques locales (codifié dans l’UE par le règlement CEE 2081/92 pour les AOP et IGP - à l’exclusion des vins et spiritueux) est devenu un système de plus en plus important, capable de garantir l’image du produit et son uniformité au consommateur et de permettre aux producteurs locaux d’affronter les marchés de l’UE et mondiaux. La dynamique d’évolution de ce secteur s’est ralentie avec la transformation des marchés mondiaux. La vente de produits locaux est de plus en plus liée à des systèmes de marketing et d’image et de moins en moins à la qualité réelle des produits eux-mêmes, qui, à son tour, devient de plus en plus chère à obtenir. On pourrait dire que le marché se détruit avec le temps si la logique reste uniquement celle du profit, et c’est l’une des contradictions que la société industrielle a produites lorsqu’elle a remplacé la société médiévale. 


Ce n’est pas pour rien que je parle de ce type d’aliments et de deux époques différentes, car les périodes de transition se déroulent selon certaines caractéristiques qui se répètent généralement après des siècles et qu’il faut savoir saisir. Aujourd’hui, l’agriculture conventionnelle est au point mort, à la fois en raison de la réduction de la production due à l’intensification des intrants qui ne s’accompagne plus d’une augmentation de la production, et en raison de l’incapacité à répondre de manière flexible au changement climatique. Le système des AOP/IGP était interne à ce type d’agriculture et ce n’est pas un hasard si la production biologique, réglementée encore plus tôt - règlement (CEE) n° 2092/91 - n’a bénéficié que d’un soutien partiel et a été considérée comme présentant un intérêt moindre sur le plan de la production. L’agriculture biologique peut manifester son potentiel dans un système d’entreprise qui s’oriente vers des économies circulaires, qui donne la priorité à la qualité sur la quantité, qui prévoit la reconstruction des connaissances en agriculture avec l’utilisation de l’agroécologie. Nous attendons de voir comment cette nouvelle association agira. Comme el dit le proverbe, « si ce sont des roses, elles fleuriront ; si ce sont des épines, elles piqueront ».

NdT

Environ 10% des terres agricoles dans l’UE, soit 16 millions d’hectares, sont cultivées biologiquement. Les trois pays de tête sont la France, l’Espagne et l’Italie, avec respectivement 17,4%, 16,6% et 13,7%. 5 des 75 millions de bovins (6,6%) sont élevés biologiquement, la Grèce, l’Autriche et la Suède venant en tête. En France, l'équivalent de Confagricultura, la FNSEA, dispose de sections bio et édite un "bulletin bio". Mais elle a émis un communiqué de prison de position face au Programme ambition bio 2027 du Ministère de l'Agriculture qui semble signifier un "bioexit" [lire ici]

 https://mrmondialisation.org/wp-content/uploads/2014/01/1234298_715305031819239_474812562_n.jpg

14/07/2024

FADWA ISLAH
Après l’Algérie, le Maroc : nouvelles révélations sur les liens de Jordan Bardella avec le Maghreb


Fadwa Islah, Jeune Afrique, 28/6/2024

Après avoir enquêté sur les origines algériennes du président du Rassemblement national, Jeune Afrique est parti sur les traces de son grand-père paternel, à Casablanca. Révélations exclusives à la clé.
Si le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, ne s’est jamais privé de mettre en avant ses origines italiennes, notamment pour illustrer le modèle d’assimilation qu’il défend politiquement, il a toujours fait l’impasse sur les liens de sa famille avec le Maghreb.

     
    Titre de séjour
D’abord, ceux de son arrière-grand-père Mohand Séghir Mada, travailleur immigré algérien arrivé de Kabylie en France dans les années 1930 [lire ici]. Mais aussi ceux de son grand-père paternel, Guerrino Bardella. Celui-ci a d’abord été marié à Réjane Mada, issue de la branche algérienne de la famille, et le couple a donné naissance, en 1968, à Olivier Bardella, le père du potentiel futur Premier ministre français [cet article a été publié avant le premier tour des élections, NdE]. Par la suite, le couple a divorcé et Guerrino s’est installé au Maroc, où il a épousé en secondes noces une Marocaine, prénommée Hakima.
Si la date exacte du mariage n’est pas connue, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il remonte à plusieurs années – le dernier titre de séjour au Maroc de Guerrino Italo Bardella obtenu au motif du « regroupement familial », selon les informations auxquelles Jeune Afrique a eu accès, ayant été délivré en 2016 pour une durée de dix ans. Ce qui signifie qu’il ne s’agissait pas de son premier titre de séjour au Maroc, mais d’un renouvellement.

Conversion à l’islam

Avec sa nouvelle femme, ce retraité, âgé de 80 ans depuis le 1er avril 2024, coule des jours heureux à Casablanca, dans le quartier Bourgogne. Son mariage avec Hakima implique qu’il s’est converti à l’islam, conformément à la loi en vigueur au Maroc qui stipule qu’une citoyenne ne peut pas épouser un étranger de confession non musulmane si celui-ci ne s’est pas converti au préalable officiellement devant un adoul (autorité juridique religieuse) et plusieurs témoins.
Connu comme menuisier-ébéniste, exerçant notamment dans les milieux d’expatriés et dans la bourgeoisie marocaine, Guerrino Bardella est enregistré au royaume en tant que ressortissant italien. Il a longtemps eu ses habitudes au restaurant du Cercle italien « Chez Massimo », boulevard Bir Anzarane, au Maarif, comme nombre de ses compatriotes vivant dans la capitale économique du Maroc.

Avenir meilleur

Né en 1944 à Alvito, en province de Frosinone dans le Latium italien, issu d’une famille de quatre enfants – il a une sœur, Giovanna, et deux frères : Honoré Roger et Silvio Ascenzo, tous trois décédés –, ce fils de maçon est arrivé en France, à Montreuil, en 1960, en quête d’un avenir meilleur. En 1963, il épouse Réjane Mada, fille de Mohand Séghir Mada.
On ne sait pas grand-chose des relations de Jordan Bardella avec ce grand-père converti à l’islam et installé au Maroc. Encore moins de son rapport à ses origines algériennes, le président du RN ne les ayant jamais évoquées publiquement.

28/06/2024

GIANFRANCO LACCONE
Satnam Singh, martyr de l’agrobusiness

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 27/6/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Le 19 juin 2024, à l’hôpital San Camillo de Rome, Satnam Singh, un jeune homme de 31 ans d’origine indienne, est décédé des suites de très graves blessures subies sur son lieu de travail, une ferme de Borgo Santa Maria, dans la province de Latina. Quelques jours seulement avant sa mort, à la suite d’un accident dans le champ où il travaillait, Satnam a perdu un bras, sectionné par une machine à ensacher les récoltes. Selon les résultats de l’autopsie, publiés le 24 juin, Singh est mort d’une hémorragie et aurait probablement pu être sauvé si son employeur avait appelé les secours plus tôt. En effet, au moins une heure et demie se serait écoulée entre le moment de l’accident et l’appel au 112. Satnam Singh n’avait pas de permis de séjour et était exploité à la ferme, avec sa femme, au moins douze heures par jour, sans contrat régulier.

Je pense que tout le monde a entendu parler, au moins en termes généraux, de l’histoire tragique de Satnam Singh, un ouvrier indien décédé dans la campagne de Latina à la suite d’un accident de travail et du chemin de croix qui a suivi avec l’abandon de son corps “en morceaux” devant sa maison.

 

Cette tragédie, qui horrifie tout le monde et jette le discrédit sur le système agricole italien, est emblématique de tout ce contre quoi nous luttons en exigeant la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de l’ONU. Elle est emblématique de toutes les revendications et de toutes les batailles que nous avons menées pour construire les objectifs de l’Agenda et ensuite les vérifier à travers des indicateurs qui évaluent leur progression au fil des années ; elle est emblématique de la nécessité de lier les droits, les secteurs productifs et l’environnement à la société qui y travaille, pour limiter le changement climatique et ses effets ; elle est emblématique du fait qu’il n’y a pas de tragédies qui ne soient pas liées de manière souvent dramatique à l’évolution de la planète.

 

Bras volés par l'agriculture, par Manuel De Rossi

 

Commençons par un élément qui est une métaphore du côté négatif du développement industriel, relatif à la sécurité au travail. Enfants, nous avons ri en regardant le film de Charlie Chaplin Les temps modernes, lorsque l’ouvrier est avalé par la machine et commence son voyage à l’intérieur de celle-ci.  C’est ce qui est arrivé à Luana D’Orazio à Prato, avalée par l’ourdisseur, la machine qui démêle les fils du tissu et aspire la personne qui y travaille si sa main se trouve sur les fils ; c’est ce qui est arrivé à la campagne à Satnam Singh parce que, si la machine qui débarrasse le sol des couvertures qui permettent de protéger les cultures ne ramasse pas le plastique qui s’est enfoncé dans le sol, il faut s’en éloigner pour éviter qu’elle ne vous attrape le bras.   Mais ce qui rend encore plus odieux les décès liés au travail survenus dans les campagnes, c’est le contexte et, avec lui, la trame des réactions qui ont conduit inexorablement à l’issue tragique. Les conditions de travail dans les campagnes sont indignes, mais elles sont acceptées, et l’invisibilité des personnes qui vivent de ce travail, de leurs familles, de leurs conditions de vie, est encore plus grande que l’invisibilité des crimes qui se cachent dans la boîte de tomates pelées ou de légumes que nous achetons.