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20/08/2023

MANUELA ANDREONI
L’Uruguay sous le choc d’une sécheresse “inattendue”

Manuela Andreoni, The New York Times, 10/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une sécheresse dévastatrice a frappé un pays qui semblait disposer d’eau douce en abondance.

Le réservoir de Paso Severino en Uruguay le mois dernier. Photo : Gaston Britos/EPA, via Shutterstock

Depuis des mois, les Uruguayens boivent, cuisinent et se lavent avec de l’eau salée. La plus longue sécheresse jamais enregistrée dans le pays a laissé sa capitale, Montevideo, presque complètement à sec, ce qui a obligé la ville à ajouter de l’eau saumâtre à ses réserves.

La crise est frappante pour un pays qui semblait bénéficier d’une eau douce abondante et qui semblait être en avance sur le changement climatique, comme l’a rapporté le Times Magazine l’année dernière. Mais la sécheresse qui a sévi pendant trois ans a mis le pays à genoux.

Le stress hydrique est une préoccupation majeure dans le monde entier. Une crise similaire se produit actuellement dans certaines régions de l’Iran, et vous vous souvenez peut-être de la sécheresse de 2018 au Cap, et d’une autre à São Paulo, au Brésil, en 2015.

Le changement climatique n’est pas directement à l’origine de la sécheresse en Uruguay et dans l’Argentine voisine, comme nous l’avions signalé l’année dernière. Mais le réchauffement de la planète a été un facteur de chaleur extrême qui a aggravé la sécheresse, selon les scientifiques, en augmentant la perte d’humidité du sol et des plantes. La déforestation en Amazonie pourrait également avoir joué un rôle.

Quelle que soit l’ampleur du rôle du changement climatique, la sécheresse a mis en évidence le fait que les effets secondaires et les conséquences inattendues d’une planète qui se réchauffe peuvent perturber à peu près n’importe quel endroit sur terre.

Forage de puits dans le jardin

Le réservoir de Paso Severino, en Uruguay, qui alimente en eau plus de la moitié des 3,4 millions d’habitants du pays, n’avait plus que 2,4 % de sa capacité à la fin du mois de juin. Les autorités ont donc commencé à ajouter de l’eau provenant du Río de la Plata, un estuaire où l’eau douce de deux grands fleuves se mélange à l’eau salée de l’océan Atlantique.

L’afflux d’eau salée a fait grimper les niveaux de sodium et de chlorure à plus du double des niveaux considérés comme sûrs selon les directives internationales. Le gouvernement a demandé aux tout-petits, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de maladies rénales et cardiaques chroniques d’éviter l’eau du robinet.

Les habitudes ont été bouleversées pour tout le monde. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de l’eau en bouteille l’utilisent pour tout. « Nous cuisinons les pâtes, lavons la salade et faisons du café avec elle », a écrit le mois dernier le journaliste uruguayen Guillermo Garat dans un article de Times Opinion. Avec l’eau du robinet, « les lave-vaisselle laissent des traces salées sur les verres et les assiettes. Se brosser les dents a le goût d’une gorgée d’eau de piscine ».



Manifestation contre les pénuries d’eau et la salinité à Montevideo en mai. Photo : Eitan Abramovich/Agence France-Presse - Getty Images

De nombreux habitants ont essayé de forer leurs propres puits dans l’espoir de trouver de l’eau potable, mais il n’y a guère de solutions à court terme, si ce n’est d’attendre la pluie. La sécheresse s’est un peu atténuée ces dernières semaines : le réservoir de Paso Severino est actuellement à environ 15 % de sa capacité. Mais si les niveaux de sel ont baissé par rapport à l’apogée de la crise, les recommandations du gouvernement en matière de santé restent valables.

Nous nous sommes tous endormis

Cela n’était pas censé se produire en Uruguay. Le pays a démontré sa capacité à agir de manière décisive et prévoyante pour lutter contre le changement climatique.

Une série de pannes d’électricité au début des années 2000 a incité le pays à révolutionner son infrastructure énergétique. Grâce à un plan gouvernemental et à des milliards de dollars d’investissements privés, 98 % de l’électricité uruguayenne provient de sources renouvelables. (Pour en savoir plus, lire l’article du Times Magazine).

La sécheresse a été un coup particulièrement dur pour le pays, le premier au monde à faire de l’accès à l’eau un droit fondamental.

« Ici, en Uruguay, l’eau propre fait partie de notre identité nationale », a écrit Garat. « Les écoliers apprennent que le pays a la chance de disposer d’une eau abondante et de qualité, grâce à de nombreux grands fleuves et à six grandes nappes aquifères ».

J’ai demandé à Ramón Méndez, ancien directeur national de l’énergie, ce qui n’a pas fonctionné cette fois-ci. Il m’a répondu que l’Uruguay avait été pris par surprise parce que ses habitants pensaient qu’il ne manquerait jamais d’eau douce. Après tout, il en avait tellement.


Le réservoir de Canelón Grande est une source d’eau essentielle pour Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Photo : Matilde Campodonico/Associated Press

 « Nous avons pris du retard pour avoir une vision de la planification stratégique de l’eau », dit-il. Les critiques ont déclaré que la mauvaise gestion d’une série de gouvernements - l’un penchant vers la gauche, l’autre vers la droite - est en grande partie à blâmer. Le mois dernier, l’ancien président José Mujica a présenté ses excuses au peuple uruguayen, partageant la responsabilité avec son successeur.

« Nous aurions dû le faire avant », a déclaré Mujica à propos de la nécessité d’augmenter les réserves d’eau douce du pays. « Les gens vont m’en vouloir, mais nous nous sommes tous endormis ».

« Il n’y a pas de sécheresse, il n’y a que des pillages »

Les Uruguayens en colère ont manifesté dans les rues tout au long de la crise.

Ils sont en colère contre l’énorme secteur bovin du pays, car une vache typique consomme 40 litres d’eau par jour. Ils sont en colère contre Google qui prévoit d’installer dans le pays un centre de données qui nécessitera des millions de litres d’eau par jour pour refroidir les serveurs. Ils sont en colère contre un projet d’hydrogène vert parce qu’il utilisera de grandes quantités d’eau souterraine.

« Les gens en ont retiré un sentiment de rejet à l’égard de tout ce qui utilise de l’eau qui n’est pas destinée à la consommation humaine », m’a dit Méndez.

Selon Reuters, des graffitis ont été peints sur le mur de l’entreprise publique de distribution d’eau : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est jute un pillage ».


“Pour les quartiers : de l’eau salée. Pour ceux d’en haut : des profits et de l’eau en bouteille. Ce n’est pas une sécheresse, mais un pillage”

La crise est survenue au moment où l’Uruguay tentait d’élaborer une stratégie pour l’avenir de son économie, au-delà des exportations de bœuf et de soja.

« Tout est à débattre en ce moment », dit Méndez, « et c’est une bonne chose, car c’est le bon moment pour construire une vision stratégique pour l’avenir, pour mettre sur la table la facture de l’eau, la facture environnementale du pays ».

J’ai demandé à Carmen Sosa [Commission nationale pour la défense de l'eau et de la vie (CNDAV)], une militante qui mène des manifestations sur l’eau depuis des décennies, ce qu’elle pensait des conséquences de ce moment pour l’Uruguay. Bien qu’elle soit préoccupée par des projets comme celui de Google, elle se réjouit que l’eau et le changement climatique soient devenus des sujets de débat importants pour les Uruguayens.

« Je pense que les gens ont commencé à comprendre », dit-elle.

MANUELA ANDREONI/CATRIN EINHORN
L’interdiction des forages pétroliers en Équateur fait l’objet d’un référendum ce 20 août

 Manuela Andreoni et Catrin Einhorn, The New York Times, 17/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les électeurs équatoriens décideront dimanche si le pays interdira les opérations pétrolières dans une partie de l’Amazonie qui est l’un des endroits les plus riches en biodiversité de la planète.

Des membres de la communauté Huaorani ont manifesté cette semaine à Quito, la capitale équatorienne, pour soutenir l’interdiction des forages dans une partie du parc national de Yasuní. Photo : Martin Bernetti/Agence France-Presse - Getty Images

L’Équateur doit-il continuer à forer dans l’un des coins les plus riches en biodiversité de l’Amazonie ou doit-il laisser le pétrole sous terre ? Dimanche, le peuple équatorien se prononcera lors d’un référendum contraignant qui a été inscrit sur les bulletins de vote après une décennie de lutte menée par de jeunes activistes.

Alors que le monde est confronté à la double crise écologique du changement climatique et de l’effondrement des écosystèmes, le vote déterminera ce que les citoyens d’un pays sont prêts à abandonner pour protéger la planète.

La partie de la jungle soumise au vote dimanche, qui fait partie du parc national de Yasuní, est l’un des endroits les plus riches de la planète sur le plan écologique et abrite des populations indigènes qui ne veulent aucun contact avec les étrangers. Ce vote intervient alors que la planète souffre d’une chaleur record et que les scientifiques avertissent que la forêt amazonienne se rapproche dangereusement d’un point de basculement qui pourrait la transformer en herbages.

Mais le pétrole est le principal produit d’exportation de l’Équateur et le gouvernement fait campagne pour que les forages se poursuivent. Selon les estimations officielles, le pays risque de perdre 1,2 milliard de dollars de recettes par an si le pétrole reste sous terre.

“C’est historique”, dit Pedro Bermeo, l’un des membres fondateurs de Yasunidos, le groupe à l’origine du référendum. « Nous sommes en train de démocratiser la politique environnementale ».

L’aggravation de la crise politique et sécuritaire ajoute à la tension en Équateur. L’élection de dimanche a été convoquée en mai après que le président Guillermo Lasso, confronté à une procédure de destitution, a invoqué son droit de dissoudre le Congrès. La semaine dernière, l’un des candidats à la présidence, Fernando Villavicencio, a été assassiné.

On ne sait pas exactement comment les turbulences politiques affecteront le référendum, mais une récente enquête de Comunicaliza, un institut de sondage basé à Quito, la capitale, a suggéré que 35 % des électeurs veulent arrêter le forage, soit 10 points de pourcentage de plus que ceux qui soutiennent l’exploitation du pétrole. Nombreux sont ceux qui se disent encore indécis.

Ce vote est l’aboutissement d’une proposition novatrice suggérée il y a près de vingt ans lorsque Rafael Correa, alors président de l’Équateur, a tenté de persuader les pays riches de payer son pays pour qu’il ne touche pas au même gisement de pétrole à Yasuní. Il avait alors demandé 3,6 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur estimée des réserves de pétrole.


Sites pétroliers près de la rivière Tiputini dans la région de Yasuní en Équateur. Photo : Erin Schaff/The New York Times

Correa a passé six ans à faire campagne pour faire avancer la proposition, mais il n’a jamais réussi à persuader les pays riches de payer. De nombreux jeunes Équatoriens ont cependant été convaincus. Lorsque Correa a annoncé que la proposition avait échoué et que le forage allait commencer, beaucoup ont commencé à protester.

C’est à cette époque qu’Antonella Calle, âgée de 19 ans à l’époque, a décidé, avec d’autres jeunes et écologistes, de continuer à se battre au sein d’une nouvelle organisation appelée Yasunidos.

Correa s’est moqué de l’opposition au forage. « Rassemblez les signatures et organisons un référendum, et nous gagnerons à nouveau », avait-il déclaré.

Les Yasunidos ont recruté environ 1 400 volontaires pour arpenter les rues et frapper aux portes dans tout le pays. En l’espace de six mois, ils ont recueilli plus de 757 000 signatures, soit près de 200 000 de plus que le nombre requis pour déclencher un référendum.

Les sondages réalisés à cette époque indiquaient que plus de 90 % des Équatoriens auraient voté en faveur du maintien du pétrole sous terre. Mais l’administration Correa a créé un groupe de travail pour vérifier les signatures et a annulé plus de la moitié d’entre elles. Même les signatures de Calle et de Bermeo ont été jugées invalides.

« Ce fut un coup très dur », dit Mme Calle. « Ils nous traitaient de menteurs ».

Les Yasunidos ont donc entamé une lutte juridique de dix ans pour que le référendum soit soumis aux électeurs. Finalement, en mai, la Cour suprême a ordonné au gouvernement d’inclure la mesure dans les prochaines élections.

Le référendum s’appuie également sur le travail effectué par des groupes autochtones en Équateur. En 2019, par exemple, après une bataille judiciaire, la communauté indigène Huaorani a réussi à bloquer l’exploitation pétrolière sur ses terres.

« La Terre mère n’attend pas que nous la sauvions », dit Nemonte Nenquimo, l’un des responsables de cette initiative. « La Terre mère attend que nous la respections. Si nous ne la respectons pas, c’est elle qui engloutira l’humanité ».

Si Yasunidos l’emporte, la compagnie pétrolière nationale, Petroecuador, disposera d’environ un an et demi pour mettre fin à ses activités dans la région, connue sous le nom de champ pétrolifère Ishpingo-Tambococha-Tiputini. Selon Andrés Martínez Moscoso, professeur de droit à l’université San Francisco de Quito, ni le président, ni le Congrès, ni un nouveau référendum ne pourraient annuler les résultats de dimanche.

Mais à ce jour, Petroecuador a investi plus de 2 milliards de dollars pour extraire le pétrole de la parcelle. La société a déclaré qu’elle devrait dépenser un demi-milliard supplémentaire si elle était contrainte de démanteler des kilomètres d’oléoducs, de fermer des centaines de puits de pétrole et de démonter une douzaine de plateformes.

Les dirigeants de Petroecuador affirment que l’impact de l’entreprise sur la biodiversité est limité à 80 hectares, une petite fraction de la zone I.T.T., et qu’il est surveillé par des scientifiques.

« En termes de superficie, notre empreinte est très, très faible », dit Armando Ruiz, qui supervise les politiques environnementales de l’entreprise. Pour que le sacrifice de l’Équateur fasse la différence dans la lutte contre le changement climatique, il faudrait que « le monde entier, tous les gouvernements de cette planète, aient le même engagement ».

Petroecuador a enregistré une série de vidéos avec les chefs de certaines communautés indigènes de la zone I.T.T., qui ont déclaré qu’ils souhaitaient que les forages se poursuivent. Mais les principales organisations indigènes d’Équateur demandent aux électeurs de choisir de mettre fin aux forages. Même la nationalité Huaorani de l’Équateur, un groupe reconnu par le gouvernement qui s’est associé à des compagnies pétrolières dans le passé, demande maintenant aux Équatoriens de voter pour l’arrêt des forages dans ce cas.

Cinquante ans de forage pétrolier « ont simplement apporté la pauvreté, les problèmes, les maladies, les conflits et la mort », dit Juan Bay, le président du groupe. « Ce sont des outsiders qui en ont profité ».

“Êtes-vous d'accord pour que  le gouvernement équatorien maintienne le pétrole brut de l'ITT, connu sous le nom de Bloc 43, indéfiniment sous terre ?”