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13/08/2024

RICARDO ROMERO ROMERO
Guerre cognitive au Venezuela : paroles d’experts*

Ricardo Romero Romero, teleSur, 11/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ricardo Romero Romero (Venezuela, 1968) s’assume comme lecteur, avec la présomption d’être poète. Éditeur, promoteur de la lecture et journaliste de fait, il a publié plusieurs livres et écrit des scénarios pour l’audiovisuel. Cinéphile et passionné de théâtre, il se promène les jours de congé dans le parc national Waraira Repano. Il est actuellement directeur de rédaction à teleSUR.

 

« Je rêve de donner naissance
à un enfant qui demandera :
“Maman, c’était quoi la guerre ?” »
Eve Merriam

 

Les réseaux sociaux et les médias à but lucratif ont tenté de faire croire qu’il existe une dictature au Venezuela et que l’élection présidentielle du 28 juillet a été entachée de fraude. Washington désavoue le président réélu Nicolás Maduro et plusieurs pays alliés aux intérêts usaméricains ont suivi le scénario, qui se répète, mais cette fois-ci renforcé dans le domaine virtuel (internet).


En ce sens, les spécialistes et les universitaires du domaine de la communication ont qualifié ce phénomène de guerre cognitive+. L’Université internationale des communications (Lauicom) définit le concept comme suit : « Il s’agit d’un processus complexe et progressif de démolition programmée et systématique des capacités cérébrales normales, individuelles et collectives ».

À cet égard, des universitaires et des chercheurs qui suivent ce qui se passe dans la patrie bolivarienne ont fait part de leurs impressions et de leur analyse de la situation. L’écrivain et documentariste Eduardo Viloria Daboín, lauréat du prix Casa de las Américas 2023 pour son livre de non-fiction Después del Incendio (Papeles de Guerra : Venezuela 2017-2021), qui traite d’une partie de ce problème, a expliqué que cette confrontation dure depuis un certain temps :

« Depuis plus de 20 ans, le Venezuela a été transformé en un gigantesque laboratoire où les techniques et les méthodes les plus novatrices, agressives et violentes de manipulation psychologique et de travail contre l’esprit humain ont été testées, expérimentées et pratiquées de manière incessante, soutenue, continue, profonde, voire cruelle. Pourquoi ? Pour façonner, réinitialiser et redessiner toute la subjectivité d’un peuple entier. Il est difficile d’imaginer une forme de violence plus agressive que celle-là, car les dommages et les conséquences, qui sont certainement d’une profondeur énorme, sont extrêmement difficiles à estimer, à retracer, voire à vérifier ».


@vzlaenlamira

Todos en oracion con nuestra lider Maria Corina Machado por la libertad de Venezuela 🙏🏻🇻🇪

♬ Vamos hasta el final - campaña María Corina - La música de María Corina
Prions tous avec notre lideure Maria Corina Machado pour la liberté du Venezuela.

Une bataille historique qui se répète

De même, le mathématicien, historien et écrivain José Sant Roz soutient qu’il y a des éléments de spiritualité présents dans cette réalité désormais quotidienne pour les citoyens vénézuéliens, quelque chose qui traîne depuis l’époque coloniale et dans la lutte pour l’indépendance, quelque chose pour lequel le libérateur Simón Bolívar a dû se battre à l’époque, et qui se répète aujourd’hui :

« Il s’agit en quelque sorte de construire un fantasme, un sentiment. Aujourd’hui, avec María Corina Machado, il s’agit de fonder quelque chose plutôt sur des éléments religieux. La plupart des gens qui la soutiennent sont, par essence, des catholiques qui recherchent l’idée d’une sainte, d’une héroïne, mais d’une héroïne divine, sacrée, et ils la construisent par leurs propres moyens …

Cette folie est très profonde, elle dure depuis de très nombreuses années, elle est inoculée aux personnes âgées, aux personnes pieuses et impies, mais elle est transmise par les valeurs catholiques, et c’est là qu’elle trouve son soutien le plus important. C’est quelque chose qui a été prouvé... partout où elle est allée, là où elle est allée en premier, c’étaient des temples, les prêtres la bénissaient, lui donnaient des rosaire et appelaient les gens à se rassembler autour d’elle et à l’élever au ciel comme une véritable sainte. Je l’ai vue dans des images, dans de très nombreuses images qui me sont parvenues, au-dessus de la Vierge Marie ».

Sant Roz ajoute que les représentations symboliques qui relient la religiosité à la figure de María Corina Machado, font partie de l’héritage mantuano++ auquel elle appartient et qu’elle a assumé comme un mandat divin, puisqu’elle est convaincue qu’il s’agit de sa sainte croisade.


Anonymous et Elon Musk, instigateurs du crime
D’autre part, le sociologue et podcasteur Robert Galbán met en garde contre le fait que l’ultra-droite du pays profite d’intérêts transnationaux (dont elle fait partie) et s’allie au terrorisme informatique. Galbán mentionne précisément ceux qui jouent un rôle de premier plan dans les coulisses de ce scénario non conventionnel et d’influence sociale :

« María Corina continue de jouer avec les fake news et la presse internationale continue d’être la grande chambre d’écho de ces mensonges... Donc, quand nous disons qu’Elon Musk et les hackers d’Anonymous - certaines cellules d’Anonymous, plutôt, parce que nous savons qu’Anonymous n’est pas une structure -, opèrent contre le Venezuela, c’est parce qu’ils cherchent, entre autres... des stratégies pour imposer ce récit, l’isolement de leur peuple, c’est-à-dire qu’ils leur ont fait bloquer tous les médias et tous les chavistes qui sont sur leurs réseaux sociaux.

Ce n’est pas seulement pour les garder sous contrôle, au niveau discursif, mais aussi pour éviter que dans ce mur d’“infophrénie” dans lequel ils vivent, des discours autres que ceux qu’ils imposent puissent filtrer. En d’autres termes, vous ne verrez pas l’opinion d’un chaviste, vous l’enfermerez, vous le réduirez au silence, et c’est important parce qu’il s’agit d’une sorte de thérapie de choc. Selon la sociologue Susan Sontag, dans une thérapie de choc, le sujet doit être isolé sensoriellement, c’est-à-dire qu’il ne doit pas percevoir la lumière ou le son, de sorte que votre discours entre directement et inconsciemment, et c’est ce qui se passe ici ».

Sur cette analyse, Galbán complète sa réflexion sur la sensation artificielle qui se reflète dans les médias hégémoniques et les opérateurs locaux qui ont participé avec des discours de haine sur les réseaux électroniques, ainsi que dans les actes de vandalisme et les attaques contre les personnes qui soutiennent le gouvernement de Nicolás Maduro :

« Il y a beaucoup de gens qui croient qu’en ce moment, dans les rues de Caracas, il y a des guarimbas, il y a des meurtres, il y a des persécutions, bref, alors que les rues sont plus calmes que la pluie. L’autre sujet qu’il est important de garder à l’esprit dans cette guerre gnoséologique est le rôle de la pègre dans tout cela. En effet, il y a environ deux ans, ils ont positionné le Tren de Aragua, une organisation qui n’existe pas en dehors des médias.

Ils l’ont présenté comme une force criminelle qui contrôle la pègre sur tout le continent et jusqu’en Espagne. Aujourd’hui, ils sont les alliés fondamentaux et les libérateurs qui sont mis en avant dans les réseaux sociaux pour libérer le Venezuela. Il y a là une inversion de sens. Ainsi, ce qu’ils appelaient la pègre et qu’il fallait répudier parce qu’ils étaient des délinquants et qu’ils venaient de Petare+++, Petare est un quartier qu’ils ont tous voulu bombarder toute leur vie ».

08/05/2024

JOSE LUIS CARRETERO MIRAMAR
Neuf hypothèses sur Gaza, vue d’Occident

José Luis Carretero Miramar, Kaosenlared, 7/5/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le génocide en cours dans la bande de Gaza est le premier grand anéantissement d’un peuple à être entièrement télévisé. Depuis la rive opposée de la Méditerranée, nous pouvons voir les panaches de fumée qui s’élèvent des bombardements et nos smartphones sont remplis d’images atroces du massacre et de la mutilation des enfants de Gaza.

Si les philosophes de l’après-guerre, dans les années heureuses du modèle social européen, se demandaient ce qui poussait les citoyens allemands à assister passivement à l’émergence des stalags et des camps de concentration hitlériens, l’intelligentsia occidentale devrait aujourd’hui se demander pourquoi personne ne fait rien contre ce qui se passe à Gaza. Et nous disons bien agir, et non pas faire des déclarations ou promettre des mesures futures qui ne seront jamais mises en œuvre.

Je propose neuf hypothèses sur la manière dont l’Occident (et l’Espagne) considère Gaza et la Palestine. Sur l’aveuglement radical et l’immoralité génocidaire de notre génération et de notre époque.

Première hypothèse : Gaza est notre miroir

Gaza est l’image de l’Occident que l’Occident refuse de regarder. L’image la plus vraie de notre civilisation usée et orgueilleuse. Gaza est l’Occident, comme l’est la traite des esclaves africains qui a inondé l’Atlantique pendant les siècles de l’émergence des empires européens. Gaza, c’est l’Occident parce que c’est l’image la plus claire de ce qu’a été la relation de l’Occident avec le reste des peuples du monde depuis la conquête des Amériques et l’extension du colonialisme et de l’impérialisme. Gaza, c’est le massacre, le racisme, la dévastation sociale et culturelle. Le cadeau de l’Occident au monde. Mais mieux vaut ne pas le dire. Continuons à faire la fête.

Deuxième hypothèse : La solution n’est pas d’exiger le respect du droit international

Le droit international est un exemple paradigmatique de l’universalisme et du contenu prétendument humanitaire de la culture occidentale. Raison, droit, démocratie. Mais sans armes. La déesse Raison est le fondement du Droit, en tant qu’œuvre du pouvoir démocratique des peuples. Une belle légende.

Le droit international ne tend à être respecté que s’il confirme les intérêts pécuniaires et financiers des colonialistes et impérialistes occidentaux. Sinon, c’est de la poésie et rien d’autre. Le respect du droit suppose une force coercitive ayant le pouvoir de contraindre celui qui le viole. Et les organismes internationaux qui parrainent le droit international ont été intentionnellement conçus pour empêcher l’existence d’une telle force, si l’on veut contraindre l’Occident ou ses proches alliés à se conformer au droit. Arrêtons les mélodies abrutissantes et les légendes pastorales : il n’y a pas de droit international opérationnel pour défendre les faibles et les opprimés par l’Occident.

Troisième hypothèse : Delenda est democratia

La démocratie est morte. Dans certains pays européens, il est interdit de déployer un drapeau palestinien en public. Des militants pro-palestiniens ont été arrêtés et criminalisés dans la plupart des pays d’Europe et aux USA. Les juifs qui montrent leur horreur face au génocide de Gaza sont accusés d’antisémitisme. Les écrivaines palestiniennes sont exclues des manifestations culturelles et les congrès de solidarité avec le peuple gazaoui sont interdits. Dans les médias, tout représentant israélien est autorisé à s’exprimer, même s’il appartient à l’aile d’ultra-droite qui soutient Netanyahou, mais jamais quiconque a quelque chose à voir avec l’une ou l’autre des factions de la résistance palestinienne.

Parler des colonies a toujours été gênant en Occident. La plèbe occidentale, celle qui lutte pour joindre les deux bouts, a une tendance naturelle à se sentir proche des peuples non civilisés que nous avons dévastés et anéantis. Le peuple palestinien continuera d’attendre son père Las Casas. Personne ne se présentera devant les tribunaux pour défendre ces indigènes de la Méditerranée orientale. Et si quelqu’un le fait dans la rue, il risque d’être traité en ennemi de notre droit pénal et taxé d’antisémitisme par ceux qui identifient le judaïsme et le gouvernement de l’ultra-droite la plus radicale.

Quatrième hypothèse : Le racisme est consubstantiel à la domination occidentale

Le racisme est un produit de l’expansion mondiale de l’Occident, fondée sur la traite transatlantique des esclaves pendant des siècles. Dans les textes romains ou grecs classiques, la couleur de la peau n’est pas mentionnée comme marqueur du statut social. On ne parlait pas de “races”. La race est née avec l’esclavage et les colonies. Il fallait identifier les esclaves comme des sous-hommes, comme une “race” différente, pour pouvoir les soumettre sans complexe en parlant de christianisme, d’humanisme ou de libéralisme.

C’est le racisme qui explique que les Ukrainiens sont nos frères, pour lesquels nous serions prêts à succomber dans une guerre nucléaire, et que les Palestiniens sont des basanés qui suscitent chez nous la méfiance et une certaine peur. Le peuple palestinien est un peuple sémite (c’est drôle, non ?), plus foncé, musulman. L’Occident frémit devant les cris sur Youtube d’une jeune fille anglo-saxonne qui a perdu son chien dans un accident, mais ne bronche pas devant le massacre d’enfants à Gaza. Il y a une raison à cela. Et elle s’appelle le racisme.

Cinquième hypothèse : Le génocide est consubstantiel à la domination occidentale

Les Amérindiens, les habitants du Congo belge, les descendants de ceux qui vivaient à Tenochtitlán ou dans les Caraïbes à l’arrivée des Européens le savent. Le génocide est le grand cadeau de l’Occident au monde. Il est pratiqué avec passion et un dévouement inébranlable depuis plus de cinq cents ans.

La domination occidentale a été maintenue depuis lors par une somme variable de meurtres de masse, d’acculturation et de spoliation des survivants. Si le droit international avait un tant soit peu de réalité, sa première tâche serait de calculer les réparations dues pour l’esclavage et le génocide qui ont construit l’Amérique d’aujourd’hui et l’Afrique que nous connaissons. Nous pensions que cela appartenait au passé, jusqu’à ce que nous voyions les bombes à fragmentation commencer à tomber sur la population civile de Gaza.

Sixième hypothèse : Les Palestiniens sont les Juifs de notre génération

Nous, Occidentaux, aimons nous voir avec indulgence, comme des êtres éclairés et démocratiques, animés par l’humanisme de nos philosophes et de nos prêtres. Si vous nous posez la question, nous dirons que nous aurions défendu les Juifs, si nous avions vécu dans l’Allemagne nazie, que nous nous serions engagés contre l’esclavage et que nous aurions dénoncé, même au péril de notre vie, les fours crématoires d’Hitler.

Et pourtant, nous y sommes. Nous regardons l’extrême droite israélienne commettre un génocide sous notre nez éclairé et sophistiqué. Et nous permettons à ceux qui, même en tant que Juifs, s’opposent à l’horreur de ce grand camp de concentration appelé Gaza, d’être accusés d’antisémitisme. Le peuple palestinien a été abandonné par nos politiciens, nos diplomates, nos intellectuels, nos artistes. Seule une partie indispensable de la classe ouvrière et de la jeunesse s’obstine à descendre dans la rue, au risque d’être arrêtée, expulsée de l’université, taxée d’“antisémitisme”. Les nazis n’appelaient pas les juifs et les opposants des “dissidents”, ils les appelaient des “terroristes”, comme l’Occident appelle les Palestiniens qui ne se laissent pas tuer avec résignation.

Septième hypothèse : Ceux qui dirigent le monde sont les nazis de notre époque

La moitié des dirigeants occidentaux applaudissent le meurtre de masse de Netanyahou. L’autre moitié pleure de fausses larmes tout en continuant à faire des affaires avec les génocidaires. Les bébés de Gaza sont les dommages collatéraux de l’impérialisme. Pour ceux qui rédigent les communications publiques des dirigeants éclairés de nos gouvernements, le peuple palestinien est sacrifiable, une “race inférieure” inutile au processus d’accumulation du capital. Certains dirigeants nationaux-socialistes aimaient la musique classique. Il y a des politiciens, des journalistes et des hommes d’affaires européens et usaméricains qui lisent Kant et Zygmund Bauman avant de rencontrer les délégués de Netanyahou.

Huitième hypothèse : Nous devons faire quelque chose

Exiger le respect du droit international de ceux qui l’incarnent aujourd’hui n’est pas une proposition sérieuse. Faire appel à la bonne conscience de l’Occident et à la stature éthique de nos gouvernants n’est pas une proposition sérieuse. La seule proposition sérieuse est de faire quelque chose, comme ceux qui manifestent dans les rues, ceux qui occupent les universités ou ceux qui refusent d’acheminer dans les ports le matériel de guerre destiné à Gaza. Faire quelque chose, comme les Palestiniens qui résistent du mieux qu’ils peuvent, avec dignité et courage. Écrivez, criez, faites la grève. Et comme me l’a dit un militant palestinien il y a quelque temps, la meilleure chose que nous puissions faire pour eux est de pousser au changement ici, en Occident, dans nos pays, afin que le boucher Netanyahou ne trouve plus d’accolades solidaires lorsqu’il se rend en Europe ou aux USA.

Neuvième hypothèse : Cest le moment

Le moment de s’opposer à l’holocauste hitlérien était en 1940. Et de nombreux Espagnols l’ont fait, même les armes à la main, bien que nos gouvernements aient voulu nous le cacher pendant près d’un siècle. De nombreux Espagnols ont combattu dans la Résistance française, sont morts à Mauthausen, ont combattu en Afrique contre l’armée nazie. C’est maintenant qu’il faut s’opposer au génocide de Gaza. Par exemple, le samedi 11 mai. Ce jour-là, une manifestation de solidarité avec la lutte du peuple palestinien aura lieu à Madrid. Elle débutera à 11h30 sur la Plaza de Legazpi. Vous trouverez certainement de nombreuses autres manifestations et activités là où vous vivez ou travaillez.

Rencontrons-nous là-bas.

05/05/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
70 ans après la bataille de Dien Bien Phu : la contribution du Vietnam à la lutte anticoloniale

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 4/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 7 mai, on commémorera le 70e anniversaire de la victoire du peuple vietnamien dans la bataille de Dien Bien Phu, qui a mis fin au pouvoir colonial français dans toute la péninsule indochinoise. Cette bataille, ainsi que la guerre d'indépendance algérienne qui s'est achevée en 1962* et la bataille de Cuito Cuanavale qui s'est achevée en novembre 1988 par l'action conjointe des forces cubaines et angolaises dans le sud de l’Angola, ont été les défaites les plus retentissantes infligées à la puissance coloniale européenne dans la seconde moitié du 20e siècle.



« Tout le peuple va à la guerre », premier volet de la peinture panoramique Bataille de Dien Bien Phu, de 132 mètres de long, peinte en 9 ans par 100 artistes pour le Musée historique de la Victoire de Dien Bien Phu

En décembre 1953, le président Ho Chi Minh envoie un message aux cadres et aux combattants du Front de Dien Bien Phu. Il leur indique que leur mission est de marcher jusqu'à l'endroit où se trouve un fort contingent français qu'ils doivent anéantir afin d'étendre la résistance et de libérer les compatriotes qui sont encore sous le joug de l'ennemi.

Dans sa lettre, le Président Ho rappelle les grands succès et les brillantes victoires de ce front. Aujourd'hui, après les campagnes d'éducation politique et d'entraînement militaire, ils ont fait de nouveaux progrès. Dans cette situation, ils doivent lutter avec plus de courage et, malgré les difficultés, ils doivent imposer leur conviction inébranlable dans la victoire.

 

Le drapeau « Déterminé à combattre, déterminé à vaincre » de l'Armée populaire vietnamienne flotte sur le toit du bunker de commandement du général français De Castries dans l'après-midi du 7 mai 1954, marquant la victoire complète de la campagne de Diên Biên Phu.

 

Dien Bien Phu est une ville située dans la vallée de Muong Thanh, au milieu d'une région montagneuse du nord-ouest du Viêt Nam, à environ 320 km de Hanoi. C'est la capitale de la province de Dien Bien et elle se trouve à environ 35 km de la frontière avec le Laos. La vallée de Muong Thanh est entourée d'une région de jungles, de rizières et de lacs.

Deux mois avant la lettre du président Ho aux combattants, en octobre, le général Vo Nguyen Giap a été convoqué au quartier général du haut commandement, où résidait le président Ho, pour discuter du plan militaire pour la campagne d'hiver-printemps 1953-1954. Le QG était situé dans le village de Khuoi Tat, dans la province de Thai Nguyen, au nord-est du pays. Outre le président Ho, Truong Chinh et Pham Van Dong, tous deux membres du Bureau politique du Parti communiste vietnamien (PCV), et le général Hoang Van Thai assistent à la réunion. En janvier, le général Giap est nommé commandant en chef du front de Dien Bien Phu, tandis que le général Hoang Van Thai est nommé chef d'état-major du front de Dien Bien Phu. 

Les images de l'oncle Ho et du général Vo Nguyen Giap apparaissent dans de nombreuses œuvres promotionnelles sur Dien Bien Phu.
Giap et l'Oncle Ho

 

À partir du mois de mai, l'armée française d'occupation a un nouveau commandant, le général Henri Navarre, qui se caractérise par une activité intense et une brutalité sans retenue à l'égard de la population civile. Son plan consiste à concentrer au Viêt Nam une force mobile d'une ampleur sans précédent, en plus de sa proposition de pacifier le sud du pays, en évitant une confrontation dans la région septentrionale, à la frontière de la Chine. Les Français prévoient de rester à l'offensive, en frappant à l'arrière afin d'immobiliser et d'épuiser l'armée populaire vietnamienne. Le plan Navarre, élaboré et financé en collaboration avec le Pentagone usaméricain, vise à anéantir le principal contingent militaire vietnamien en 18 mois et à transformer le pays en colonie et en base militaire pour la France et les USA.

Lors de la réunion d'octobre, le président Ho a calmement déclaré que l'ennemi s'était concentré pour se renforcer et qu'il fallait donc le forcer à se disperser et à réduire ses forces. À cette fin, le Comité central du Parti communiste vietnamien a émis une directive. Afin de maintenir et de développer l'initiative, une partie des forces régulières serait utilisée, en coordination avec les troupes régionales, pour attaquer les points stratégiques considérés comme les points faibles de l'ennemi, l'obligeant à se disperser pour se défendre. Il s'agit ainsi de créer une situation nouvelle, dans laquelle la dislocation de l'armée française doit être observée en permanence afin de pouvoir, le moment venu, concentrer les troupes, éliminer les forces les plus importantes de l'ennemi et changer le cours de la guerre.

Des dispositions ont également été prises pour intensifier la guérilla, défendre les zones libérées avec des troupes locales et coordonner étroitement les forces révolutionnaires au Laos et au Cambodge.

En application de cette résolution, en décembre 1953, l'armée vietnamienne a pris l'initiative de libérer d'importantes zones dans le nord-ouest du pays, en même temps que d'autres zones dans le sud et le centre du Laos et dans le nord-ouest du Cambodge, atteignant ainsi l'objectif de disperser les forces de l'ennemi et de le forcer à recomposer son plan en l'empêchant de mener des opérations dans certains territoires où il les avait préparées, en étant contraint de retirer des troupes du sud pour renforcer le nord, ce qui a entravé son plan de concentration de ses forces. Tout cela a préparé le terrain à son anéantissement, car il a été contraint d'abandonner des positions, des avant-postes et des bases aériennes, ce qui a entraîné de lourdes pertes pour la puissance coloniale.

Comme le dit le général Giap dans ses mémoires : « ...les Français n'ont jamais pu résoudre la contradiction concentration-dispersion de leurs forces ». L'offensive vietnamienne visait à approfondir cette contradiction. Elle se manifeste par le fait que l'armée française a besoin de se disperser pour occuper l'ensemble du territoire contesté, mais, « en se dispersant, elle se trouve en difficulté. Ses unités dispersées devenaient des proies faciles pour nos troupes, ses forces mobiles se réduisaient sans cesse et le manque de troupes s'accentuait... ».

Dans cette situation et dans le but de maintenir une bonne position au nord-ouest, les Français, avec l'appui des USA, s'emploient à construire et à renforcer avec une extrême rapidité une gigantesque base militaire à Dien Bien Phu,  située dans une zone stratégique où ils concentrent une bonne partie des forces et des moyens pour en faire la zone fortifiée qui deviendra un rempart pour la mise en œuvre du plan Navarre, l'extension et la prolongation de la guerre.

Dans ce contexte, le bureau politique du PCV a décidé de vaincre et d'anéantir l'ennemi à Diên Biên Phu, en mettant en place une série de mesures visant à la victoire. Des milliers de volontaires, de troupes locales et régionales et de forces régulières ont uni leurs forces pour vaincre la suprématie de l'armée coloniale en matière de technique et d'armement. Des centaines de kilomètres de routes rurales ont été ouvertes au milieu de la jungle et des montagnes, transportant les armes, les munitions et les fournitures logistiques nécessaires à la bataille finale sur des itinéraires presque inaccessibles.



L'arme de la victoire vietnamienne furent les "chevaux de fer", les vélos utilisés pour le transport des armes, des équipements, de la nourriture, des blessés. 20 000 vélos furent utilisés par les dizaines de milliers de paysans, de minorités ethniques et de porteurs assurant le soutien logistique aux 60 000 combattants . De marque française Peugeot ou tchécoslovaque Favorit, ces vélos renforcés pouvaient transporter jusqu'à 300 kgs de marchandises. Le “record” du transport à vélo appartient au porteur Ma Van Thang, qui a transporté au total 3 700 kg de marchandises sur  2100 km de routes montagneuses. Ce vélo est exposé au musée de la Victoire de Dien Bien Phu 5PHOTO 1°. Le 2è “record”, 345kg, appartient à Trinh Ngoc. Son vélo est exposé au musée de la province de Thanh Hóa (photo 2)


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 Le 7 mai, après 55 jours de combats acharnés, l'armée vietnamienne est parvenue à détruire l'ensemble du système de fortification de Dien Bien Phu, anéantissant ou capturant jusqu'à 16 000 soldats ennemis, y compris tous leurs officiers. Au total, sur l'ensemble de la campagne, 112 000 soldats ennemis ont été liquidés, libérant des zones stratégiquement importantes et reprenant les trois quarts du pays, tandis que des succès similaires ont été obtenus au Laos et au Cambodge.

Face à la défaite et à la possibilité d'une disparition totale, les Français se retirent au sud du 18e  parallèle. La victoire de Dien Bien Phu signifie la libération de tout le nord du pays, créant les conditions de sa réunification ultérieure, qui devra attendre 19 ans de combats, cette fois contre les USA, qui créent un gouvernement fantoche au sud.

En juillet 1954, les accords de Genève sont signés : la France officialise le retrait de ses troupes, reconnaît l'indépendance du Viêt Nam, du Laos et du Cambodge et établit une ligne de démarcation au niveau du 17e parallèle.

La victoire de Dien Bien Phu et les accords de Genève qui en ont découlé ont mis en évidence la défaite totale de la France et ont constitué un stimulant pour tous les peuples en lutte contre le colonialisme et le néocolonialisme. Ils ont également forcé l'ajournement des plans impérialistes élaborés à Washington pour l'Asie du Sud-Est.

Les USA n'ont pas respecté les accords, ce qui a créé une nouvelle situation qui, comme nous l'avons mentionné plus haut, a exigé 19 années supplémentaires de lutte jusqu'à la défaite totale de l'empire USaméricain, la réalisation de la réunification nationale tant attendue, la paix et le début progressif de la marche du pays vers le socialisme sous la direction du parti communiste du Viêt Nam, fondé par Ho Chi Minh.

NdT

*Ce fut la nouvelle de la victoire de Dien Bien Phu qui décida un groupe de militants indépendantistes algériens, pour la plupart anciens combattants de l'armée française pendant la deuxième guerre mondiale, à préparer l'insurrection qui éclata le 1er novembre 1954, entrant dans l'histoire sous le nom de “Toussaint rouge”.

 Works All pour la campagne Dien Bien Phu

21/12/2023

JORGE MAJFUD
Mais tout ça, c’est la faute de ces emmerdeurs de gauchards
L’araignée et les mouches

Jorge Majfud, 20/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En raison de la guerre de l'OTAN en Ukraine et du blocus de la Russie qui en découle, les sanctions contre le Venezuela se sont un peu relâchées au cours de l'année 2023. Les sanctions, les blocus et le harcèlement des USA et de l'Union européenne se sont radicalisés il y a dix ans et ont mis fin à une longue période de croissance économique et de réduction de la pauvreté dans ce pays, ce que la propagande a réussi à vendre comme un échec historique. Ce n'est pas une coïncidence si l'hyperinflation historique du Venezuela est tombée à 185 % par an, ce qui est inférieur au taux atteint par l'Argentine cette année.


Comme nous le répétons depuis des années, les dettes (inflationnistes) des néo-colonies sont nécessaires pour les maintenir dans un état de nécessité productive, ce qui est très similaire à la logique qui se reproduit dans ces mêmes sociétés entre les travailleurs qui arrivent à peine à joindre les deux bouts et une oligarchie qui les diabolise comme “parasites de l'État” lorsqu'ils reçoivent un quelconque subside ou lorsqu'ils sont déjà foutus et qu'ils ne peuvent plus porter de sacs de ciment.

À cause de ces dettes éternelles, les néo-colonies sont obligées de produire, d'exporter et d'acheter des dollars pour “honorer leurs engagements”. En même temps qu’on exige de ces colonies la “responsabilité fiscale”, on oublie aux USA que nous sommes les champions de l'irresponsabilité fiscale, avec des déficits et des dettes pharaoniques qui ne cessent de croître, mine de rien. Qui peut nous malmener et nous bloquer, alors que nous avons l'armée la plus puissante du monde ? Historiquement inefficace pour toute guerre, mais toujours puissante pour harceler les autres et, plus encore, pour forcer notre population à se saigner davantage au nom d'une terreur inoculée par les médias - des réactions à nos propres interventions qui, lorsqu'elles ne suffisent pas, sont inventées avec davantage de provocations ou d'attaques sous faux drapeau.

Alors qu'une économie impériale est inévitablement très productive, la nôtre est basée sur la consommation (70 %) et non sur la production. En fait, nous n'avons pas besoin de produire beaucoup ; nous n'avons même pas besoin de payer des impôts pour rembourser les dettes du gouvernement, un instrument des entreprises qui attisent les guerres partout où cela est nécessaire pour maintenir le déficit croissant de l'État et les transferts massifs de capitaux de la classe ouvrière vers leurs coffres insatiables à Londres et à Wall Street.

Les dollars ont été inventés de toutes pièces, même plus sous forme de papier. Bien sûr, on peut imprimer des dollars, mais on ne peut pas imprimer de la richesse. L'impression massive d'une monnaie mondiale est un moyen d'extraire la valeur d'autres régions qui la détiennent comme réserve ou comme épargne personnelle. Si l'inflation n'explose pas dans le pays qui l'imprime, c'est parce qu'une grande partie de cette inflation est exportée.

Il s'agit également d'un instrument d'extorsion. Si un pays n'est pas endetté, il doit l'être. C'est ce qu'avait reconnu le tout nouveau ministre argentin, Luis Caputo, lorsqu'en 2017 il a assuré que le retour au FMI et le prêt massif reçu « nous permet de laisser plus de place au secteur privé ; il n'y a pas de signe de crise ; c'est préventif ; c'est la première fois qu'un gouvernement [celui de Mauricio Macri] fait des choses comme ça, préventives... »

L'endettement massif, comme celui de l'Argentine, est inflationniste, presque autant que le blocage du crédit et des marchés au Venezuela (par les champions du marché libre), parce qu'ils obligent ces pays à imprimer de la monnaie ou à s'abstenir d'investir dans leur propre société. Aujourd'hui, le fait qu'en Argentine, les néolibéraux aient à nouveau nationalisé (étatisé) les dettes privées est une nouvelle insulte à l'intelligence du peuple - bien sûr, il n'était pas nécessaire d'avoir une grande intelligence non plus ; un peu de mémoire suffisait.

Désigner l'impérialisme mondial comme la cause première des grandes crises économiques et sociales ne signifie pas déresponsabiliser ses administrateurs nationaux. Et surtout, les bradeurs bien de chez nous. Cela ne signifie pas non plus qu'il faille ériger un pays en modèle pour les autres. Bien sûr, il est inutile de clarifier ce point. La pensée cavernicole ne mourra jamais, car elle est efficace comme peu d'autres : « Cuba oui ou Cuba non », « Salvador oui ou Salvador non » ; « Vous vivez aux USAA et vous critiquez son gouvernement, pourquoi n'allez-vous pas vivre au Venezuela ? » ; « Si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran ? » ; "si vous critiquez le massacre de Gaza, pourquoi n'allez-vous pas vivre en Iran" ; « Si vous défendez tant les immigrés, pourquoi ne les emmenez-vous pas dormir dans la chambre de votre fils ? » ; « Si vous défendez tant les homosexuels, pourquoi ne couchez-vous pas avec l'un d'entre eux ? » Bref, la dialectique classique de l'ivrogne qui commence à perdre l'euphorie du dernier verre.


 Autre erreur classique : la décontextualisation historique et géopolitique de toute réalité. Pour les libertariens affranchis (néolibéraux), le monde est aussi plat qu'une pizza. Il n'y a pas de classes sociales, pas de nations hégémoniques. Il n'y a pas d'empires ni de parasites oppresseurs. Tout ce qui se passe dans un pays, en particulier dans un pays périphérique, est purement et simplement la faute de de ces emmerdeurs de gauchards. Les gouvernements font la différence, pour le meilleur ou pour le pire, mais ils ne sont pas les seuls à décider de leur propre contexte, comme peut le faire celui d’un pays capitaliste situé au centre. C'est-à-dire un pays impérial - hégémonique, si le mot empire heurte les sensibilités.

À une époque, le capitalisme a fonctionné pour une grande partie des Européens et des USAméricains, mais le même capitalisme (plus radical, plus libéré) n'a jamais fonctionné pour le Honduras, le Guatemala, l'Inde ou le Congo. Au contraire, parce qu'être une puissance impériale et extractive, l'araignée qui tisse sa toile et domine depuis le centre, ce n'est pas la même chose que d'être l'une des mouches dans la toile. Historiquement, les pays non alignés ont subi des sanctions économiques et financières, voire militaires (invasions, coups d'État, assassinats de leurs dangereux dirigeants, attentats sous fausse bannière, tous bien documentés), qui ont ensuite été traduits en “échecs” que la propagande impériale a vendus et vend comme des démonstrations que les idéologies alternatives “ne fonctionnent jamais” et autres clichés similaires propagés par les médias mondiaux, par les agences secrètes et, surtout, par les majordomes créoles, qui se sont toujours chargés de reproduire à l'infini les idéologies parasitaires des esclavagistes et des oligarchies coloniales.

C'est tout. Nous insistons sur ces points depuis des décennies. Dans certains livres, comme Moscas en la telaraña, nous avons exposé ces mêmes idées de manière plus complète et, à mon avis, plus claire, et je n'insisterai donc pas davantage ici. Mais il est nécessaire de rappeler (et de répéter ad nauseam) les aspects les plus simples qui sont stratégiquement oubliés. Toujours. Comme, par exemple, qu'il n'y a pas de développement sans indépendance économique ; qu'il n'y a pas d'indépendance sans union des non-alignés ; qu'il n'y a pas de voies propres sans indépendance culturelle ; que la périphérie n'est qu'une réalité géopolitique, pas nécessairement philosophique et culturelle...

Des choses simples que les empires du Nord se sont chargés, au cours des derniers siècles, de détruire à tout prix. Tout cela au nom de la liberté et de la prospérité - tout ce que les mouches répètent lorsqu'elles sont disséquées par l'araignée salvatrice.