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18/01/2024

Déclaration du Conseiller à la Sécurité Nationale Jake Sullivan sur la désignation des Houthis comme terroristes

Maison Blanche, 17/1/2024
Traduction Tlaxcala

Note: le même jour, l'Union européenne a ajouté Yahya Sinwar (Hamas) à sa liste de terroristes, sur laquelle figuraient déjà, depuis le 8 décembre 2023, Mohammed Deif et Marwan Issa (voir liste complète)

 “Au cours des derniers mois, des militants houthis basés au Yémen se sont livrés à des attaques sans précédent contre les forces militaires des États-Unis et les navires maritimes internationaux opérant en mer Rouge et dans le golfe d'Aden. Ces attaques correspondent à la définition du terrorisme telle qu'elle figure dans les manuels.  Elles ont mis en danger le personnel américain, les marins civils et nos partenaires, compromis le commerce mondial et menacé la liberté de navigation. Les États-Unis et la communauté internationale ont été unis dans leur réponse et ont condamné ces attaques avec la plus grande fermeté.

Aujourd'hui, en réponse à ces menaces et attaques permanentes, les États-Unis ont annoncé la désignation d'Ansarallah, également connu sous le nom de Houthis, en tant que Terroriste Mondial Spécialement Désigné (Specially Designated Global Terrorist).  Cette désignation est un outil important pour empêcher le financement terroriste des Houthis, restreindre davantage leur accès aux marchés financiers et les tenir pour responsables de leurs actes.  Si les Houthis cessent leurs attaques dans la mer Rouge et le golfe d'Aden, les États-Unis réévalueront immédiatement cette désignation.

La désignation prendra effet dans 30 jours, afin de nous permettre de nous assurer que des exclusions humanitaires solides sont en place pour que notre action cible les Houthis et non le peuple du Yémen. Nous mettons en place des exclusions et des licences sans précédent afin d'éviter toute répercussion négative sur le peuple yéménite.  Le peuple du Yémen ne doit pas payer le prix des actions des Houthis.   Nous envoyons un message clair : les cargaisons commerciales vers les ports yéménites, dont le peuple yéménite dépend pour son approvisionnement en nourriture, en médicaments et en carburant, doivent se poursuivre et ne sont pas couvertes par nos sanctions.  Cela s'ajoute aux exclusions que nous prévoyons dans tous les programmes de sanctions pour les denrées alimentaires, les médicaments et l'aide humanitaire.

Comme l'a dit le président Biden, les États-Unis n'hésiteront pas à prendre d'autres mesures pour protéger leur peuple et la libre circulation du commerce international.”


Jake Sullivan à Davos

15/01/2024

Yémen et alentours : aujourd’hui comme hier et avant-hier, la Perfide Albion continue à faire la guerre aux peuples de la région

Ci-dessous deux articles sur les agissements britanniques actuels à Oman dans le cadre de la préparation d’une guerre contre l’Iran et sur le rôle de la Grande-Bretagne dans la guerre civile au Yémen de 1962 à 1967. Conservateurs ou travaillistes, les gouvernements qui se sont succédé à Londres depuis deux siècles ont tous mené la même politique de mort contre ceux qu’ils considèrent eux aussi comme des « animaux humains » à éliminer. Comme l’a dit Marianne Faithfull : « J'ai commencé à comprendre les Anglais le jour où j'ai enfin réalisé qu'ils disent exactement le contraire de ce qu'ils pensent » [et font le contraire de ce qu’ils disent].-FG

Le Royaume-Uni agrandit discrètement sa base secrète d’espionnage à Oman, près de l’Iran

Phil Miller, Declassified UK, 11/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Les installations d’une station de surveillance du GCHQ [Quartier Général des communications du gouvernementau Moyen-Orient ont été modernisées en prévision d’une nouvelle guerre potentiellement dévastatrice avec l’Iran en défense d’Israël.

  • Le câble de communication posé entre Oman et l’Australie passe par la base militaire britannique de Diego Garcia.
  • La Grande-Bretagne pourrait utiliser Oman comme base de lancement pour des opérations contre les Houthis au Yémen, avertissent des militants en exil.

La station d’espionnage du GCHQ à Salalah, Oman. Photo : Google Earth


Une base d’espionnage britannique située près de l’Iran a fait l’objet d’importants travaux de construction au cours des deux dernières années, selon Declassified. Des images satellite montrent qu’une multitude de travaux de construction ont eu lieu sur un site du GCHQ à Oman, une autocratie pro-britannique située entre l’Iran et le Yémen.

Le site est susceptible de jouer un rôle clé dans une région où la Grande-Bretagne cherche à contrer le mouvement houthi du Yémen et les autorités iraniennes. Tous deux s’opposent au soutien occidental au génocide israélien à Gaza.

Les dirigeants houthis ont promis de bloquer les navires liés à Israël dans la mer Rouge jusqu’à ce que Benjamin Netanyahou cesse d’attaquer les Palestiniens. Dans la nuit de mardi 8 à mercredi 9 janvier 2024, la Royal Navy a abattu des drones houthis en mer Rouge. Le ministre britannique de la Défense, Grant Shapps, a déclaré hier qu’il fallait “surveiller cet espace” pour d’éventuelles frappes au Yémen.

Un millier de soldats britanniques sont stationnés à Oman, où le GCHQ exploite trois sites de surveillance. L’un d’entre eux se trouve sur la côte sud, près de la ville de Salalah, à 120 km du Yémen. Connu sous le nom de code Clarinet, son existence a été révélée par les fuites de Snowden en 2014.

Declassified a publié les premières photos de Clarinet en 2020, montrant son radôme de type balle de golf, d’une taille similaire à ceux observés sur d’autres sites du GCHQ. Des images satellite plus récentes montrent d’importants travaux de construction dans le périmètre de 1,4 km du site.

Deux nouveaux bâtiments ont été construits et les fondations de deux autres ont été posées. Le plus grand des nouveaux bâtiments a une superficie équivalente à celle de six courts de tennis et semble comporter plusieurs étages. Un porte-parole du GCHQ a répondu à nos conclusions : « Nous ne sommes pas en mesure de faire des commentaires sur des questions opérationnelles ».

 Câbles sous-marins

Les cartes marines confirment que Clarinet est situé à l’un des rares endroits d’Oman où des câbles sous-marins viennent s’échouer. Ceux-ci doivent être indiqués sur les cartes marines afin d’éviter que les navires ne les déplacent pas avec leurs ancres. Ces câbles transportent des câbles internet en fibre optique entre les continents, ce qui permet au GCHQ de pirater le trafic en ligne dans le monde entier.

Un nouveau pipeline de communication de 10 000 km, l’Oman Australia Cable, est en cours de pose entre Perth et Salalah. Initialement présenté comme un projet commercial mené par une société australienne, Subco, il est apparu depuis que le câble passe par la base militaire usaméricano-britannique de l’atoll de Diego Garcia, dans l’océan Indien.

L’armée usaméricaine a payé 300 millions de dollars pour que le câble soit détourné via Diego Garcia, dans le cadre d’une opération dont le nom de code est Big Wave. Diego Garcia fait partie des îles Chagos, dont la communauté indigène a été expulsée par la Grande-Bretagne dans les années 1960 pour faire place à la base usaméricaine, en échange d’une remise sur l’achat de sous-marins nucléaires.

La base a été un point d’appui essentiel pour les forces usaméricaines qui ont attaqué l’Irak et l’Afghanistan, et le Pentagone devrait l’utiliser en cas de guerre avec l’Iran. L’installation du câble à fibres optiques signifie que la base ne dépendra plus des connexions par satellite pour communiquer avec la terre ferme.

Perth, ville de l’ouest de l’Australie qui accueille l’autre extrémité du câble, est également devenue de plus en plus géostratégique. L’année dernière, la Grande-Bretagne a obtenu l’autorisation de baser certains de ses sous-marins à propulsion nucléaire dans le port, dans le cadre du pacte controversé AUKUS. Cela permettra à la Royal Navy d’organiser des patrouilles sous-marines plus fréquentes près de la Chine.

Le GCHQ à Oman

En sortant de la troisième ville d’Oman par l’est, l’autoroute de Salalah est bordée de palmiers. La circulation tourne à droite au rond-point de Maamoura, faisant passer les voitures entre un palais royal tentaculaire et la vaste base militaire de Razat. À un kilomètre de la route goudronnée se trouve l’entrée d’un chemin de terre, gardé par des blocs de béton et un poste de contrôle de la police.

La plupart des conducteurs l’ignorent et poursuivent leur route le long de la chaussée côtière, s’arrêtant peut-être au parc aquatique Hawana ou à la station balnéaire Rotana. Mais les quelques privilégiés qui bifurqueront ici arriveront à une installation non signalée, qui se distingue par ses imposants pylônes radio et sa balle de golf blanche géante.

Récemment étiqueté sur Google Maps sous le nom de 94 Omantel, il ne s’agit pas seulement d’une partie de l’entreprise publique de téléphonie d’Oman, connue pour servir de couverture aux espions. Selon les fichiers des services de renseignement usaméricains divulgués par le lanceur d’alerte Edward Snowden, Clarinet, où les espions britanniques recueillent les données de millions d’utilisateurs d’Internet dans le golfe Arabo-Persique, est une installation correspondant à cette description.

Bien que Snowden ait partagé la fuite avec le Guardian, ce dernier n’a pas publié les détails des installations du GCHQ à Oman. Le GCHQ s’est rendu dans les bureaux londoniens du média pour superviser la destruction des fichiers. Les informations n’ont été révélées que plus tard par le journaliste d’investigation Duncan Campbell, sur le site d’information informatique The Register.

Pour les Omanais, cela a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient déjà : les services de renseignement britanniques sont imbriqués dans l’appareil de sécurité de leur pays, un outil qui tourne souvent son regard vers eux autant qu’il surveille ses adversaires.

La répression est la norme à Oman, où tous les partis politiques sont interdits et les médias indépendants muselés. L’Oman occupe la 155e  place sur 180 pays dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse publié par l’organisation de défense des droits humains Reporters sans frontières.

Oman est effectivement le meilleur État vassal de la Grande-Bretagne dans la région. Sa propre agence de renseignement a été créée par des officiers britanniques, vétérans du GCHQ et dirigés par une personne détachée du MI6 jusqu’en 1993. Appelée à l’origine “Département de recherche d’Oman”, puis rebaptisée ”Service de sécurité intérieure”, elle est placée sous le commandement du cabinet royal.

Elle est dirigée par le général Sultan bin Mohammed al-Naamani. Il s’est bien débrouillé pour un fonctionnaire, achetant un manoir de 16 millions de livres dans le Surrey à l’ancien capitaine de l’équipe d’Angleterre de football, John Terry. En 2021, des manifestations contre la corruption ont envahi le pays, organisées secrètement dans le cadre d’une marche pour la Palestine sanctionnée par l’État.

Solidarité avec la Palestine

Le soutien à Gaza reste important, ce qui rend l’alliance du sultan avec la Grande-Bretagne de plus en plus risquée.

Les Omanais ont commencé à affronter les troupes britanniques sur leur base de porte-avions dans le port de Duqm. Dans une vidéo filmée à la cantine du Village Renaissance, un Omanais s’adresse à cinq soldats britanniques assis à une table : « Ce pays [la Grande-Bretagne] est un putain de pro-israélien, vous devriez partir d’ici. Vous devriez partir d’ici. Il est temps pour vous de partir d’ici ».

Alors qu’un capitaine britannique tentait de s’éloigner, l’Omanais a critiqué Rishi Sunak pour avoir envoyé deux navires de guerre soutenir Israël après le 7 octobre. Le ministre de la Défense, James Heappey, a déclaré au Parlement : « Nous sommes au courant que des militaires ont été approchés à Oman. La sécurité de nos forces armées est de la plus haute importance et la sécurité de notre personnel est constamment surveillée ».

Mohammed al-Fazari, journaliste omanais en exil et rédacteur en chef de Muwatin [Citoyens, bilingue arabe/anglais], a déclaré à Declassified : « Si une déclaration de guerre contre les rebelles houthis devait avoir lieu, il ne fait aucun doute que les Britanniques utiliseraient Oman comme rampe de lancement. Oman a toujours servi de base à partir de laquelle les forces britanniques [...] ont été déployées dans de nombreux conflits régionaux. »

Al-Fazari estime que les Omanais sont « sans équivoque alignés sur la cause palestinienne" »et que leur opposition à la présence britannique dans le pays « s’intensifierait s’il s’avérait que ces bases militaires soutiennent l’entité d’occupation sioniste ».

Nabhan Alhanshi, un militant en exil qui dirige le Centre omanais pour les droits humains, a déclaré qu’il était préoccupé par « l’utilisation potentielle du site [du GCHQ] pour des activités incompatibles avec les intérêts des Omanais ordinaires, en particulier ceux qui ont une position pro-palestinienne ».

Il a ajouté : « Il existe une véritable crainte que le Royaume-Uni, en soutenant les efforts d’Israël contre le Hamas, ne fasse d’Oman un partenaire et un allié d’Israël, contrairement à ce qu’il a déclaré publiquement. »

Omantel, Subco et la marine usaméricaine n’ont pour le moment pas répondu à nos demandes de commentaires.

La guerre secrète de la Grande-Bretagne au Yémen

Mark Curtis, Declassified UK, 5/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ce n’est pas la première fois que le Royaume-Uni contribue à la dévastation du Yémen. Il y a soixante ans, un coup d’État au Yémen du Nord a incité les autorités britanniques à lancer une guerre secrète qui a également fait des dizaines de milliers de morts - et, comme aujourd’hui, aucun ministre britannique n’a jamais eu à rendre de comptes.

Des mercenaires britanniques aident des royalistes yéménites à installer une mitrailleuse pendant la guerre civile de 1962-1967. (Photo : HUM Images via Getty)

La guerre brutale au Yémen, qui fait rage depuis 2015, est la pire catastrophe humanitaire au monde. Depuis avril 2022, une trêve délicate a permis d’atténuer quelque peu l’horreur, mais cet accord semble en passe de s’effondrer.

Il devrait être temps de réfléchir à qui, de tous les côtés du conflit, y compris en Grande-Bretagne, pourrait être inculpé de crimes de guerre. Près de 9 000 civils ont été tués dans plus de 25 000 frappes aériennes, principalement saoudiennes, qui ont été facilitées par la Royal Air Force britannique. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont été tuées dans le conflit.

Les Nations unies ont allégué à plusieurs reprises que des crimes de guerre avaient été commis, mais aucun Saoudien, Britannique ou Yéménite n’a été amené à rendre des comptes, et il est peu probable qu’il le soit. Tragiquement, l’histoire se répète et ce sont les Yéménites ordinaires qui en paient une fois de plus le prix.

Muhammad al-Badr priant avec ses gardes, 1962

Il y a soixante ans, en septembre 1962, le roi et imam du Yémen du Nord, Muhammad al-Badr, était renversé par un coup d’État populaire. Al-Badr n’était au pouvoir que depuis une semaine, ayant succédé au régime de son père, un royaume féodal où 80 % de la population était paysanne et qui était contrôlé par la corruption, un système fiscal coercitif et une politique du “diviser pour régner”.

Le coup d’État a été mené par le colonel Abdullah al-Sallal, un nationaliste arabe au sein de l’armée yéménite, qui a proclamé la République arabe du Yémen et qui a établi des liens étroits avec le gouvernement égyptien de Gamal Abdel Nasser.

Nasser, leader de facto des forces nationalistes de la région, était le principal ennemi du Royaume-Uni. Il prônait une politique étrangère indépendante et la Grande-Bretagne n’avait pas réussi à l’anéantir lors de son invasion infructueuse du canal de Suez en Égypte en 1956.

Les forces royalistes qui soutiennent al-Badr prennent les collines et entament une insurrection, bientôt soutenue par l’Arabie saoudite, contre le nouveau régime républicain, tandis que Nasser déploie des troupes égyptiennes au Yémen du Nord pour soutenir le nouveau gouvernement.

La Grande-Bretagne a choisi, comme dans la guerre actuelle, de s’allier aux Saoudiens pour renverser le nouveau gouvernement et restaurer un régime pro-occidental.

Ironiquement, les royalistes yéménites qu’ils soutenaient étaient issus du groupe religieux chiite zaïdite, dont les adeptes actuels se rassemblent principalement autour du mouvement rebelle houthi, que la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite cherchent aujourd’hui à détruire.

“Sournois, peu fiables et perfides”

Les dossiers déclassifiés sont fascinants car ils montrent que les fonctionnaires britanniques étaient conscients de soutenir le “mauvais” camp.

Christopher Gandy, le plus haut responsable britannique au Yémen du Nord, a noté peu après le coup d’État que le règne de l’ancien imam était “impopulaire auprès d’une grande partie de la population” et que son “monopole du pouvoir était "très mal perçu”.

Cette situation a été exploitée par le nouveau gouvernement républicain qui a rapidement nommé des personnes issues de “classes, régions et sectes précédemment négligées dans la distribution du pouvoir”.

Gandy a écrit que, contrairement à l’“autocratie arbitraire” de l’imam, les républicains étaient “beaucoup plus ouverts au contact et à l’argumentation raisonnée”.

Il a ainsi recommandé au Royaume-Uni de reconnaître le nouveau gouvernement yéménite, affirmant que celui-ci était intéressé par des relations amicales avec la Grande-Bretagne et que c’était “le meilleur moyen d’empêcher une augmentation” de l’influence égyptienne.

Gandy a cependant été écarté à la fois par ses maîtres politiques à Londres et par les fonctionnaires de la ville voisine d’Aden. Cette dernière était alors une colonie britannique entourée d’un “protectorat” britannique connu sous le nom de Fédération d’Arabie du Sud (qui deviendra plus tard le Yémen du Sud).

La fédération était un ensemble de fiefs féodaux présidés par des dirigeants autocratiques semblables à al-Badr qui venait d’être renversé au Yémen, et entretenus par des pots-de-vin britanniques.

Un fonctionnaire du bureau du Premier ministre Harold Macmillan a noté que Nasser avait été « capable de capturer la plupart des forces dynamiques et modernes de la région alors que nous avons dû, par notre propre choix, soutenir des forces qui ne sont pas simplement réactionnaires (ce qui n’aurait pas tant d’importance), mais sournoises, peu fiables et traîtresses ».

Macmillan lui-même a admis qu’il était « répugnant pour l’équité politique et la prudence que nous apparaissions si souvent comme soutenant des régimes désuets et despotiques et comme nous opposant à la croissance de formes modernes et plus démocratiques de gouvernement ».

Menace d’un bon exemple

Le grand enjeu pour Whitehall [siège du gouvernement britannique, NdT] était de conserver la base militaire du Royaume-Uni dans la ville portuaire d’Aden. Cette base était la pierre angulaire de la politique militaire britannique dans la région du Golfe, où le Royaume-Uni était alors la principale puissance, contrôlant directement les cheikhs du Golfe et possédant d’énormes intérêts pétroliers au Koweït et ailleurs.

On craignait qu’un Yémen du Nord progressiste, républicain et nationaliste arabe ne serve d’exemple aux cheikhats féodaux du Golfe et du Moyen-Orient élargi, ainsi qu’à Aden même.

Le ministre des Affaires étrangères, Alec Douglas-Home, a déclaré, peu après le coup d’État républicain, qu’Aden ne pouvait être protégée contre “un régime républicain fermement établi au Yémen”.

Une réunion ministérielle a également conclu que si la Grande-Bretagne était forcée de quitter Aden, cela porterait “un coup dévastateur à notre prestige et à notre autorité” dans la région.

Le fait même de reconnaître le nouveau gouvernement yéménite pourrait entraîner “un effondrement du moral des dirigeants pro-britanniques du protectorat”, mettant “en péril toute la position britannique dans la région”.


Alec Douglas - Home

Ces préoccupations étaient partagées par le royaume médiéval de la région, l’Arabie saoudite, qui, à l’époque comme aujourd’hui, craignait le renversement des monarchies par des forces nationalistes. Les planificateurs britanniques ont reconnu que les Saoudiens “n’étaient pas très préoccupés par la forme de gouvernement à établir au Yémen, à condition qu’il ne soit pas sous le contrôle” de l’Égypte - n’importe quel autre gouvernement ferait l’affaire.

Cette menace s’est accrue lorsque Nasser et al-Sallal ont apporté un soutien diplomatique et matériel aux forces républicaines anti-britanniques à Aden et dans la fédération et ont mené une campagne publique exhortant les Britanniques à se retirer de leurs possessions impériales.

Sir Kennedy Trevaskis, haut-commissaire britannique à Aden, a fait remarquer que si les Yéménites parvenaient à prendre le contrôle d’Aden, “le Yémen disposerait pour la première fois d’une grande ville moderne et d’un port d’importance international”.

Plus important encore, “sur le plan économique, il offrirait les plus grands avantages à un pays si pauvre et si peu développé” - une considération qui n’avait cependant aucune importance dans la planification britannique.

Un gouvernement faible au Yémen

Les responsables britanniques ont décidé de s’engager dans une campagne secrète visant à promouvoir les forces qu’ils considéraient comme “perfides” et “despotiques” afin de saper celles qui étaient reconnues comme “populaires” et “plus démocratiques” et de s’assurer que la menace de ces dernières ne s’étende pas.

Surtout, ils l’ont fait en sachant que leurs clients avaient peu de chances de l’emporter. La campagne a été entreprise simplement pour causer des ennuis aux républicains et aux Égyptiens, alors qu’ils détenaient la majorité du pays et les centres de population.

Harold Macmillan note en février 1963 qu’“à long terme, une victoire républicaine est inévitable”. Il a déclaré au président usaméricain Kennedy : « Je suis tout à fait conscient que les loyalistes [sic] ne gagneront probablement pas au Yémen en fin de compte, mais cela ne nous arrangerait pas trop que le nouveau régime yéménite s’occupe de ses propres affaires internes au cours des prochaines années ».

Ce que la Grande-Bretagne voulait donc, c’était “un gouvernement faible au Yémen qui ne soit pas en mesure de créer des problèmes”, écrivait-il.

Une note adressée à Macmillan par l’un de ses fonctionnaires indique de la même manière : « Tous les départements semblent s’accorder sur le fait que l’impasse actuelle au Yémen, où les républicains et les royalistes se battent les uns contre les autres et n’ont donc ni le temps ni l’énergie de nous causer des ennuis à Aden, convient parfaitement à nos propres intérêts ».

La campagne secrète

Il est difficile de reconstituer la chronologie des actions secrètes britanniques en raison de la censure des dossiers britanniques. Mais l’analyse de Stephen Dorril, expert du MI6, dans son ouvrage complet sur le MI6, réalisé principalement à partir de sources secondaires et d’interviews, facilite la tâche. Deux autres ouvrages notables ont été publiés, par Clive Jones et Duff Hart-Davis.

Peu après le coup d’État de septembre 1962, le roi Hussein de Jordanie s’est rendu à Londres où il a rencontré le ministre de l’Air Julian Amery et a exhorté le gouvernement Macmillan à ne pas reconnaître le nouveau régime yéménite. Les deux hommes ont convenu que l’agent du MI6 Neil “Billy” McLean, un député conservateur en exercice, visiterait la région et ferait un rapport au Premier ministre.

Dorril note que l’ancien vice-chef du MI6, George Young, alors banquier chez Kleinwort Benson, a été contacté par le Mossad, les services secrets israéliens, pour trouver un Britannique acceptable pour les Saoudiens afin de mener une guérilla contre les républicains. Young a alors présenté McLean à Dan Hiram, l’attaché de défense israélien, qui a promis de fournir des armes, de l’argent et de l’entraînement, ce que les Saoudiens ont saisi avec empressement.

En octobre 1962, McLean s’est rendu en Arabie Saoudite en tant qu’invité personnel du roi Saoud, qui a demandé à la Grande-Bretagne de fournir une aide aux royalistes, en particulier “un soutien aérien... si possible ouvertement, mais si ce n’est pas possible, alors clandestinement”.

Début novembre 1962, les royalistes recevaient des armes et de l’argent saoudiens et, le même mois, le ministère britannique des Affaires étrangères publiait un document d’orientation décrivant les options qui s’offraient au gouvernement, y compris l’aide secrète.

Le 7 janvier 1963, la commission du cabinet chargée de l’outre-mer et de la défense préconise de ne pas reconnaître le nouveau régime au Yémen et, si la Grande-Bretagne devait apporter une aide aux royalistes, de le faire à distance plutôt que directement.

Le mois suivant, des positions de la Fédération d’Arabie du Sud sont attaquées par des tribus yéménites et les troupes égyptiennes lancent une offensive dans les montagnes du Yémen tenues par les royalistes. Macmillan nomme Julian Amery ministre pour Aden, avec pour mission d’organiser secrètement le soutien britannique aux royalistes, depuis son bureau au ministère de l’Aviation.

Fournitures d’armes

McLean se rend au Yémen pour la troisième fois le 1er mars 1963. Peu après, une délégation royaliste s’est rendue en Israël, à la suite de quoi des avions israéliens banalisés ont effectué des vols à partir de Djibouti pour larguer des armes sur les zones royalistes.

Début mars, les dossiers confirment que la Grande-Bretagne était déjà impliquée dans la fourniture d’armes aux royalistes, par l’intermédiaire de Sherif Ben Hussein, le chef tribal de Beihan dans la fédération.

Selon Dorril, des armes légères d’une valeur de plusieurs millions de livres, dont 50 000 fusils, ont été secrètement transportées par avion depuis une base de la RAF dans le Wiltshire. Pour masquer leur origine, elles ont été débarquées en Jordanie pour y être acheminées. À la fin du mois, les royalistes ont regagné une partie du territoire qu’ils avaient perdu.

Lors d’une réunion qui s’est tenue fin avril 1963 et à laquelle ont participé Dick White, chef du MI6, McLean, David Stirling, fondateur du SAS, Brian Franks, ancien officier du SAS, Douglas-Home et Amery, Stirling et Franks ont été informés qu’il ne pouvait y avoir d’implication officielle du SAS et ont été invités à recommander quelqu’un qui pourrait organiser une opération de mercenariat.

Dorril note qu’ils ont approché Jim Johnson, un commandant SAS récemment retraité, et le lieutenant-colonel John Woodhouse, commandant du 22e  Régiment SAS. McLean, Johnson et Stirling ont été présentés par Amery au ministre royaliste des Affaires étrangères, Ahmed al-Shami, qui a signé un chèque de 5 000 £ pour l’opération.

Le plan proposé pour le Yémen a fait l’objet d’un débat houleux à Whitehall, mais le Premier ministre a finalement été persuadé de le soutenir et a chargé le MI6 d’aider les royalistes. Une task force [force opérationnelle] du MI6 a été mise en place pour coordonner la fourniture d’armes et de personnel. Elle est organisée par John Burke da Silva, ancien chef de la station du MI6 à Bahreïn.

En octobre 1963, Macmillan démissionne pour être remplacé par Douglas-Home au poste de premier ministre, ce qui met temporairement en suspens les projets, car le nouveau ministre des Affaires étrangères, Rab Butler, s’oppose à un soutien occulte aux royalistes.

Harold Macmillan a été premier ministre de 1957 à 1963

Opération Rancour [Rancœur]

Au début de l’année 1964, Johnny Cooper, officier du SAS, participe à des activités de renseignement contre les forces égyptiennes, tandis que son équipe entraîne l’armée royaliste. En février, l’équipe de Cooper gère des zones de largage dans lesquelles sont parachutées des armes et des munitions, avec le soutien discret du MI6 et de la CIA.

Le secrétaire US à la Défense, Peter Thorneycroft, demande en privé à la Grande-Bretagne d’organiser des “révoltes tribales” dans les zones frontalières. Cela devrait impliquer “une action clandestine... pour saboter les centres de renseignement et tuer le personnel engagé dans des activités anti-britanniques”, y compris le QG des services de renseignement égyptiens à Taiz, et mener “des activités secrètes de propagande anti-égyptienne au Yémen".

Il plaide également en faveur d’une “aide supplémentaire” aux royalistes, comprenant “soit de l’argent, soit des armes, soit les deux”.

En avril 1964, les Britanniques avaient déjà autorisé la pose de mines (appelée Opération Eggshell [Coquille d’œuf]), la distribution d’armes et de munitions aux membres des tribus dans la zone frontalière Opération Stirrup [Étrier]) et le sabotage dans la zone frontalière (Opération Bangle [Bracelet]).

Des actes de “subversion sur le territoire yéménite contre des cibles individuelles” sont menés “sous le contrôle d’officiers britanniques au sein de la Fédération”, selon une note du ministère de la Défense. Ces officiers « peuvent distribuer des armes et de l’argent par tranches en fonction de la situation locale et proportionnellement aux succès obtenus ».

L’Opération Rancour était le nom de code donné aux « opérations secrètes actuelles visant à exploiter [sic] les tribus dissidentes jusqu’à 20 miles à l’intérieur du Yémen pour neutraliser l’action subversive égyptienne contre Aden ».

Un défenseur de la civilisation dans le quartier de Kraytar à Aden, le 4 octobre 1965, pendant l'insurrection contre la domination coloniale britannique. Photo Norman Potter / Express / Getty Images

 Assassinat

Un document top secret extraordinaire conservé dans les dossiers du gouvernement va encore plus loin dans l’examen des options qui s’offrent à la Grande-Bretagne.

Il s’intitule « Yémen : L’éventail des possibilités d’action qui s’offrent à nous » et envisageait “l’assassinat ou d’autres actions contre le personnel clé” impliqué dans la subversion au sein de la Fédération, “en particulier les officiers des services de renseignement égyptiens”.

Il décrit également “une action visant à stimuler une campagne de guérilla” dans la zone frontalière par la fourniture d’armes et d’argent et “des actes de sabotage sans représailles”, y compris à Sanaa, la principale ville du Yémen du Nord.

Il suggère de “fermer les yeux” sur les livraisons d’armes saoudiennes aux royalistes et de diffuser des faux tracts dans les zones du Yémen contrôlées par les républicains, ainsi que des “émissions de radio noires” à partir de la fédération.

Alors que ces options étaient débattues en privé, le 14 mai 1964, le Premier ministre Douglas-Home a menti au parlement en déclarant : « Notre politique à l’égard du Yémen est une politique de non-intervention dans les affaires de ce pays. Nous n’avons donc pas pour politique de fournir des armes aux royalistes du Yémen ».

Fin juillet, les ministres ont pris la décision de promouvoir de “nouvelles mesures” pour soutenir les royalistes, c’est-à-dire de “donner toutes les facilités nécessaires” aux Saoudiens pour se procurer des armes auprès de la Grande-Bretagne.

L’ambassadeur britannique en Arabie saoudite, Colin Crowe, a ensuite rencontré le prince héritier Fayçal et lui a fait part de la volonté du Royaume-Uni de fournir des armes aux Saoudiens pour qu’ils les utilisent au Yémen, tout en précisant que Londres ne pouvait pas fournir d’aide directe aux royalistes.

Hier comme aujourd’hui, Whitehall utilisait les Saoudiens comme factotums pour mener une guerre régionale.

 

La prison anglaise de Kraytar [“Crater” en british]  en 1960

Soutien complet

Dorril note que Dick White, le chef du MI6, a convaincu le nouveau Premier ministre Douglas-Home de soutenir une “opération mercenaire clandestine” et que le feu vert pour un soutien plus complet aux royalistes a été donné au cours de l’été 1964.

Quelque 48 anciens militaires ont été employés comme mercenaires cette année-là, dont une douzaine d’anciens membres du SAS. Les officiers du MI6 ont fourni des renseignements et un soutien logistique, tandis que le GCHQ [Quartier Général des communications du gouvernement a localisé les unités républicaines.

Les agents du MI6 ont également coordonné le passage des tribus de la Fédération au Yémen, où ils ont suivi des officiers de l’armée égyptienne.

Dans ce qui s’est avéré être guerre une sale, les officiers du MI6 ont “manipulé” les membres des tribus et ont aidé à “diriger la pose de bombes” sur les avant-postes militaires égyptiens le long de la frontière, tandis que les villes de garnison étaient “mitraillées” et les personnalités politiques “assassinées”, note Dorril.

Une lettre contenue dans les dossiers du gouvernement a été écrite en août 1964 par un mercenaire, le lieutenant-colonel Michael Webb, qui dit avoir récemment pris sa retraite de l’armée, à Julian Amery. Webb dit qu’il se bat avec les forces de l’imam depuis quelques semaines et qu’il se présente comme journaliste indépendant.

Il a tenu l’ambassade britannique « pleinement informée de mes mouvements et lui a donné toutes les informations que j’ai obtenues ».

Le mois suivant, une note adressée au Premier ministre recommandait la fourniture de bazookas et de munitions au chérif de Beihan “à l’usage d’un groupe dissident à Taiz”, c’est-à-dire au Yémen.

Au même moment, Stirling rencontre le ministre royaliste des Affaires étrangères, al-Shami, à Aden, où ils sont rejoints par un officier du MI6 et élaborent des plans pour établir un approvisionnement régulier en armes et en munitions pour les forces royalistes.

Gouvernement travailliste

En octobre 1964, l’élection du gouvernement travailliste d’Harold Wilson ne semble pas avoir sensiblement perturbé les opérations secrètes. Dorril note que la RAF a entrepris des bombardements secrets en représailles aux attaques égyptiennes contre les convois de chameaux fournissant des armes aux mercenaires français et britanniques.

La Grande-Bretagne a conclu un contrat d’une valeur de 26 millions de livres avec une société privée, Airwork, afin de fournir du personnel pour la formation des pilotes et du personnel au sol saoudiens. Airwork a également recruté d’anciens pilotes de la RAF en tant que mercenaires pour effectuer des missions opérationnelles contre des cibles égyptiennes et républicaines le long de la frontière yéménite.

En 1965, le MI6 affrétait des avions avec des pilotes discrets et avait obtenu l’accord d’Israël pour utiliser son territoire pour monter des opérations. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’en 1967, selon les dossiers.

Une note du Foreign Office de mars 1967 indique que les pilotes britanniques ont été recrutés par Airwork pour piloter cinq Lightnings et cinq Hunters déjà fournis par la Grande-Bretagne. Cette note dit ceci : « Nous n’avons soulevé aucune objection à ce qu’ils soient employés dans des opérations, bien que nous ayons clairement fait comprendre aux Saoudiens que nous ne pouvions pas acquiescer publiquement à de tels arrangements ».

Après un cessez-le-feu déclaré en août 1965, les mercenaires soutenus par les Britanniques se sont contentés de fournir une aide médicale et de maintenir les communications. À la fin de l’année 1966, la guerre a repris et les combats ont abouti à une impasse, mais les Britanniques continuent de mener une vaste opération de mercenariat au Yémen.

“La capture d'Aden”, janvier 1839 : “La redition des défenseurs” yéménites de la forteresse de Sirah. Carte postale du début du XXème siècle d'après une peinture du Capitaine Rundle, membre de l'expédition. Pour l'empire britannique, Aden, à égale distance entre Alexandrie et Bombay, était stratégique pour contrôler la “route des Indes”. Ce rôle sera accru après l'inauguration du Canal de Suez (1869). [NdT]

Fin de la guerre

Après la défaite de l’Égypte face à Israël lors de la guerre de 1967, Nasser a décidé de retirer ses troupes du Yémen et, en novembre, la Grande-Bretagne a été contrainte de se retirer d’Aden. Pourtant, des dossiers datant de mars 1967 font référence à des “opérations secrètes en Arabie du Sud” et à des “opérations Rancour II”.

Un article de juin 1967 observe que « les opérations Rancour au Yémen ont été extrêmement fructueuses en repoussant les Égyptiens de certaines parties de la frontière et en les immobilisant ».

Malgré le retrait égyptien, la guerre civile au Yémen se poursuit. En 1969, deux mercenaires d’une autre société privée, Watchguard, ont été tués alors qu’ils dirigeaient une bande de guérilleros royalistes dans le Nord.

En mars 1969, les Saoudiens coupent les vivres aux royalistes et un traité est signé pour mettre fin aux hostilités avec le pays qui renaît sous le nom de Yémen du Nord.

Al-Badr s’est alors réfugié en Angleterre où il est resté jusqu’à sa mort en 1996.

Le nombre de personnes mortes au Yémen au cours des années 1960 n’a jamais été établi avec précision, mais il pourrait s’être élevé à 200 000.

Le colonel Jim Johnson, qui a dirigé les mercenaires britanniques au Yémen, a ensuite été nommé aide de camp de la reine Élisabeth. Il a ensuite créé une autre société de mercenaires, Keenie Meenie Services, qui a combattu au Nicaragua et au Sri Lanka. Ses activités au Sri Lanka font actuellement l’objet d’une enquête menée par l’équipe de Scotland Yard chargée des crimes de guerre.

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12/01/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Yémen : un peuple indomptable

Sergio Rodríguez Gelfenstein, Blog, 4 et 11/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

I

En 2015, le Yémen, pays méconnu de nombreux Occidentaux, a lancé une guerre pour défendre sa souveraineté, menacée par une alliance interventionniste menée par l’Arabie saoudite. Le peuple yéménite a dû payer de la vie de près de 400 000 de ses enfants le maintien de son indépendance. Beaucoup se sont demandé comment un pays considéré comme le plus pauvre d’Asie occidentale a pu résister et vaincre une coalition composée de pays parmi les plus riches de la planète.


Mary Zins, 2018

Bien que le conflit dure depuis près de dix ans, il semble avoir atteint une situation qui pourrait conduire à une éventuelle cessation du conflit. Bien que la situation reste tendue et que des actions de guerre de toutes sortes se poursuivent, les actions militaires ont diminué au cours des derniers mois. Il ne s’agit plus d’une guerre totale, mais il n’y a pas non plus de paix. Avec la médiation de la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran se sont réconciliés, ouvrant la voie au règlement de plusieurs conflits en Asie occidentale et dans le nord de l’Afrique [Soudan]. Celui du Yémen est apparemment l’un d’entre eux.

Aujourd’hui, après l’invasion israélienne de Gaza, le Yémen, avec le Hezbollah libanais et d’autres forces révolutionnaires arabes et musulmanes, a joué un rôle actif dans la solidarité avec la Palestine. Une fois de plus, le Yémen a surpris tout le monde en prenant des décisions qui ont un impact non seulement local, mais aussi régional et mondial. Une fois de plus, le monde s’est demandé comment cela avait pu se produire. Je fournirai  ici quelques éléments qui permettront aux lecteurs de connaître le Yémen, la lutte historique et l’héroïsme de son peuple, afin de les aider à comprendre la portée et la dimension de la décision du Yémen de soutenir la juste lutte du peuple palestinien avec toutes les ressources à sa disposition.

La République du Yémen occupe une position stratégique sur la planète, dans une région où se croisent les routes commerciales reliant l’Asie, l’Afrique de l’Est et la Méditerranée. Son territoire, situé sur les rives de la mer d’Arabie et aux portes de la mer Rouge, donne sur le détroit de Bab el Mandeb, ce qui lui confère une position privilégiée sur le globe, surtout depuis le XXe siècle, lorsque, d’une part, d’importants gisements d’énergie (pétrole et gaz) ont été découverts dans la région et, d’autre part, compte tenu de l’énorme croissance économique et du développement de l’Asie orientale, qui ont transformé le Yémen en un passage obligé pour la plupart des échanges commerciaux du monde.

Les cités antiques du territoire ont été unifiées dans l’Antiquité au sein du royaume biblique de Saba. La lutte pour la libération et l’indépendance des habitants de l’actuelle région du Yémen a commencé dès le 1er siècle de l’ère chrétienne, lorsqu’ils ont dû affronter l’Empire romain. La puissante Rome a été vaincue dans sa tentative de domination.

Contrairement au reste de la péninsule arabique, le Yémen d’aujourd’hui possédait une végétation prodigieuse qui procurait à sa population une grande richesse en raison des vastes possibilités de consommation et de commerce qu’elle offrait. C’est ainsi que le mathématicien et géographe grec Ptolémée aurait appelé le Yémen “l’Arabie heureuse”.

Atlas Teatrum Orbis Terarum, Abraham Ortelius, Anvers, 1570

Au cours de l’histoire, les Yéménites ont dû lutter contre les Himyarites qui, convertis au judaïsme en 380, ont persécuté la population majoritairement chrétienne jusqu’à l’intervention des Éthiopiens au VIe siècle. L’islam est arrivé dans la région au cours du VIIe  siècle et a commencé à façonner une culture basée sur l’entrelacement de diverses formes de connaissances qui ont apporté de grandes contributions à l’humanité.

Cependant, pendant de nombreux siècles, le Yémen est resté en marge du développement culturel et économique instauré par l’Islam. C’est au XVe siècle que le territoire de l’actuel Yémen a commencé à prendre une valeur stratégique. Dans leur quête d’expansion commerciale, les Européens ont commencé à dominer des territoires à travers le monde. Les premiers Européens à arriver dans la région sont les Portugais, qui dominent le pays afin de contrôler la voie maritime qui leur permet de faire le commerce des épices entre l’Asie et l’Europe via la mer Rouge.

Carte du royaume d’Yémen dans l’Arabie heureuse, Guillaume Delisle, 1715

Le XVIe siècle a vu le début de la conquête ottomane avec l’occupation d’une partie de la côte de la mer Rouge, tandis que l’intérieur et la côte sud restaient indépendants, gouvernés par un imam. Peu après, les Britanniques font leur apparition dans la région, en établissant un comptoir de la Compagnie des Indes orientales dans le port de Mokha, sur la mer Rouge [d’où le terme moca, ou mocca, pour désigner une variété de café, NdT].  

Vue de Moka du côté de la mer. Dessin anonyme publié en 1737 après la première expédition militaire française des deux navires Le Curieux et Le Diligent contre ce port

Au XIXe siècle, les Britanniques ont étendu leur présence en occupant toute la pointe sud-ouest du pays, s’installant en 1839 à Aden, le meilleur port de la région, tandis qu’en 1872, les Turcs ont réussi à consolider leur emprise sur l’intérieur du pays en installant une monarchie héréditaire de facto portant le nom d’un imam local. Cette division a de fait scindé le Yémen en deux pays.

Dans les années 1870, avec l’ouverture du canal de Suez et la consolidation de la domination turque sur le nord du Yémen, Aden revêt une importance nouvelle pour la stratégie globale de la Grande-Bretagne : c’est la clé de la mer Rouge et donc du nouveau canal.


Au début du XXe siècle, la Turquie et le Royaume-Uni ont tracé une frontière entre leurs territoires, rebaptisés respectivement Yémen du Nord et Yémen du Sud.  En 1934, la Grande-Bretagne a pris le contrôle de toute la partie sud du pays jusqu’à la frontière avec Oman.


 Pendant la Première Guerre mondiale, l’imam s’allie à l’Empire ottoman et lui reste fidèle jusqu’à la fin de la guerre. La défaite des Turcs permet au Yémen de retrouver son indépendance en novembre 1918. Cependant, la Grande-Bretagne, après avoir reconnu l’indépendance du Yémen, fait d’Aden un protectorat en 1928 et, en 1937, une colonie. Une fois de plus, les Yéménites ont dû recourir à la lutte armée pour obtenir leur indépendance. En 1940, le mouvement nationaliste “Yémen libre” voit le jour pour lutter contre le contrôle du pays par les imams qui se sont alliés à la Grande-Bretagne.



La révolution de 1967

 La lutte a pris des voies distinctes au nord et au sud. En 1962, la République arabe du Yémen est créée au nord, tandis qu’au sud, le Front de libération nationale, créé en 1963, s’empare d’Aden en 1967 et proclame l’indépendance, initiant une révolution socialiste.

Soldats britanniques des Northumberland Fusiliers, fer de lance de la contre-insurrection britannique, en action à Aden  en 1967

Le Yémen du Sud est rebaptisé République démocratique populaire du Yémen, il ferme toutes les bases britanniques en 1969, prend le contrôle des banques, du commerce extérieur et de l’industrie maritime, tout en entreprenant une réforme agraire. En matière de politique étrangère, il a maintenu une alliance étroite avec l’Union soviétique. Il a également encouragé une lutte antisioniste ouverte et un soutien au peuple palestinien.

En octobre 1978, lors d’un congrès bénéficiant d’un soutien populaire considérable, le Front de libération nationale fonde le Parti socialiste yéménite. En décembre, les premières élections populaires depuis l’indépendance sont organisées pour désigner les 111 membres du Conseil révolutionnaire du peuple.

Dès les premières années de son existence, la République démocratique populaire du Yémen a été confrontée à l’hostilité constante de l’Arabie saoudite, qui cherchait à contrôler certaines parties du territoire, en particulier celles où des gisements de pétrole avaient été découverts. Les tensions ont été exacerbées par la présence militaire croissante des USA en Arabie saoudite.

Pendant ce temps, au nord, le Front démocratique national (FDN), qui regroupe toutes les forces progressistes du pays, mène une lutte armée contre Ali Abdullah Saleh, arrivé au pouvoir en 1978. Alors que le FDN est sur le point de prendre le pouvoir, l’Arabie saoudite intrigue pour détourner le conflit en une guerre contre la République démocratique populaire du Yémen. La médiation des pays arabes aboutit à un cessez-le-feu et à un accord sur la reprise des négociations de réunification, suspendues depuis 1972.

        

Enfin, le 22 mai 1990, les deux républiques se sont unies pour former la République du Yémen, qui a fait de Sanaa (ancienne capitale de la République arabe du Yémen) sa capitale politique et d’Aden (ancienne capitale de la République démocratique populaire du Yémen) sa capitale économique. Lors d’une session conjointe des assemblées législatives des deux États à Aden, un conseil présidentiel dirigé par le général Ali Abdullah Saleh a été élu. L’unification du Yémen n’a pas été bien accueillie par l’Arabie saoudite, qui a entamé une politique de soutien à la sécession. En mai 1994, des sécessionnistes ont proclamé une république yéménite dans le sud du pays, mais ont été vaincus par les forces loyales au gouvernement.

Entre juin et août 2004, un mouvement exprimant les croyances d’une branche spécifique de l’islam d’orientation chiite est apparu : les zaïdites, dont le chef était le religieux Hussein al-Houthi. En son honneur, après sa mort au combat en septembre de la même année, le mouvement a pris le nom de Houthi, Huthi ou Ansar Allah (partisans de Dieu). Bien que ce mouvement soit l’expression d’une minorité au Yémen, son histoire n’est pas récente puisqu’elle remonte au milieu du VIIIe siècle. Le zaïdisme se caractérise par l’éducation supérieure de ses membres et est associé à la lutte pour la justice et à la défense de l’éthique musulmane. Cette idéologie, ainsi que la marginalisation à laquelle ils ont été soumis après avoir perdu le pouvoir en 1962, constitueront le substrat sur lequel la pensée houthie se développera à l’avenir.

La lutte des Houthis contre le gouvernement pro-occidental et pro-saoudien d’Ali Abdullah Saleh a été longue et sanglante. Ils ont dû prendre les armes à cinq reprises entre 2006 et 2008 pour défendre leur territoire dans le nord du pays jusqu’à ce qu’ils commencent à étendre leur base de soutien et l’espace géographique qu’ils contrôlent. En 2009, Saleh, tentant d’arrêter les Houthis, s’est tourné vers l’Arabie saoudite pour obtenir son soutien.

Pour les Houthis, le fait qu’un pays comme l’Arabie saoudite, aux tendances wahhabites extrêmement conservatrices, soit présent et interfère dans les affaires du pays était perçu comme une menace pour la souveraineté de la nation en général et pour la leur en tant que minorité en particulier.  À partir de ce moment, leur lutte, qui avait un caractère strictement interne, s’est transformée en une confrontation contre l’intervention étrangère.

Bien que les combattants houthis aient initialement subi de lourdes défaites, y compris (comme mentionné ci-dessus) la chute de leur principal dirigeant, ils se sont renforcés au fil du temps et, à partir de 2011, sous la nouvelle direction du frère cadet d’Al Houthi, Abdul Malik, ils ont commencé à infliger des revers importants à l’ennemi. La rhétorique anti-impérialiste et antisioniste a été renforcée en identifiant l’Arabie saoudite comme un partenaire dans la mise en œuvre des plans usaméricains et israéliens dans la région.

Le mal nommé “printemps arabe” a été particulièrement influent dans la croissance du soutien à la pensée houthi dans sa lutte contre le gouvernement répressif de Saleh. Au Yémen, le tremblement de terre qui a secoué une partie importante du monde arabe a suscité une réaction beaucoup plus organisée que dans les pays voisins. Face à la force des protestations, Saleh a fui le pays et s’est réfugié en Arabie Saoudite, pour être remplacé par son vice-président, Abdo Rabu Mansour Hadi, qui a tenté de ramener l’ordre dans le pays en concluant un accord avec les factions opposées à Saleh “pour que tout change sans que rienne  change”, en laissant de côté le mouvement houthi.

Fin 2014, les Houthis ont décidé de lancer une offensive sur la capitale. Dans ce contexte, Saleh - dans une tentative étonnante de reconquête du pouvoir - a établi une alliance avec les Houthis pour affronter Hadi. Les Houthis, qui n’avaient pas soutenu les accords de paix signés par Hadi, se sont alliés à leur plus grand ennemi pour prendre la capitale. La Garde républicaine, une force loyale à Saleh, a encouragé les Houthis à entrer dans Sana’a. Hadi s’est réfugié à Riyad, la capitale saoudienne, d’où il “commande” les territoires non encore contrôlés par Ansar Allah, agissant de fait comme une marionnette de la monarchie wahhabite.

Une fois au pouvoir, les Houthis ont formé un comité révolutionnaire pour diriger le pays.  Ils ont également été contraints de combattre simultanément les forces terroristes d’Al Qaïda et l’Arabie saoudite, qui les protège.

Estimant que les Houthis n’avaient pas respecté les accords qui, selon lui, lui permettaient de reprendre le pouvoir, Saleh s’est retourné contre eux, avec le soutien de l’Arabie saoudite. Lorsque la trahison a été consommée, les Houthis ont attaqué la maison de Saleh, le tuant au passage.

Depuis Riyad, Hadi a demandé une intervention saoudienne au Yémen. En réponse à cette demande, la monarchie saoudienne a organisé une coalition de pays sunnites pour lancer l’opération “Tempête décisive” en 2015, structurée autour de frappes aériennes sur les principales enclaves contrôlées par les Houthis, qui ont fait des milliers de morts.

Cette action était envisagée comme une offensive définitive pour prendre le contrôle du pays afin de lancer une seconde opération appelée “Restaurer l’espor”, qui se concentrait davantage sur le rapprochement diplomatique. En revanche, les actions terrestres, aériennes et maritimes de l’alliance ont été renforcées par un blocus naval qui a empêché l’entrée de l’aide internationale, plongeant le pays dans la pire crise humanitaire de l’histoire jusqu’au déclenchement des actions sionistes actuelles à Gaza, toutes deux avec le soutien explicite des USA.

Les Houthis, utilisant une large marge de manœuvre basée sur une connaissance de plus en plus grande du terrain et maniant des tactiques de guérilla inspirées - selon eux - de la lutte de libération au Vietnam et des “mouvements de résistance en Amérique latine”, ont démontré une grande capacité à frapper une armée d’invasion manquant de volonté, de moral, de discipline et de motivation pour se battre. De même, le large éventail de soldats de la coalition, qui a inclus la participation d’un très grand contingent de mercenaires engagés par des sociétés privées, a sapé la capacité de combat de l’alliance dont l’Arabie saoudite est le fer de lance.

Riyad a reçu des coups durs même sur son territoire, car les opérations de combat d’Ansar Allah ont pénétré profondément dans la géographie saoudienne grâce à un système avancé de drones et de missiles à longue portée qui ont frappé des casernes des forces armées, des raffineries de pétrole et des infrastructures critiques à des distances éloignées de la frontière commune.

Rahma Cartoons, Turquie

 II

Les médias transnationaux ont fait circuler l’idée que les Houthis agissent sous l’influence du gouvernement iranien. Si ni l’Iran ni les Houthis n’ont nié leur appartenance à un axe de résistance à l’impérialisme, au colonialisme et au sionisme qui intègre également des forces politiques du Liban, de la Syrie, de Bahreïn et de la Palestine elle-même, simplifier l’équation à une relation de “subordination” est à la fois superficiel et banal, compte tenu de l’histoire des luttes du peuple yéménite.

En Asie occidentale, l’agressivité croissante d’Israël et la présence interventionniste des USA ont polarisé la situation politique. Le récent accord règlement du différend entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ainsi que d’autres accords qui ont rapproché l’Égypte et la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, entre autres, après des années d’éloignement, et l’enlisement de la guerre au Yémen, indiquent l’affaiblissement du pôle impérialiste-sioniste et le renforcement de la résistance.

Dans ce contexte, le Yémen et le mouvement houthi jouent un rôle décisif, tant sur le plan historique que géographique. Il convient de noter qu’Ansar Allah n’a jamais caché ses relations avec l’Iran. Ils sont unis par leur appartenance commune à la branche chiite de l’islam. Tant le fondateur du mouvement Ansar Allah que son frère, qui le dirige aujourd’hui, ont passé une partie de leur vie à Qom (Iran), se formant politiquement et idéologiquement, tout en étudiant la doctrine chiite, basée sur l’idée que la succession légitime de Mohammed appartient aux descendants de son gendre Ali, par opposition aux sunnites qui estiment que les successeurs de Mohammed doivent être les compagnons du prophète. Sunnite vient de “Ahl al-Sunna”, qui se traduit par “les gens de la tradition” et chiite vient de “Chiat Ali”, qui signifie “partisans d’Ali”.

Mais cela ne signifie pas que les Yéménites sont de simples “accessoires” de l’Iran. Au-delà du soutien financier, militaire, communicationnel et politique qu’il a reçu de Téhéran, le mouvement Ansar Allah a fait preuve d’autonomie et d’autodétermination dans la conception et l’exécution de ses actions, que ce soit dans la guerre contre l’Arabie saoudite et ses alliés depuis 2015 ou aujourd’hui dans le soutien à la cause palestinienne.

Il faut savoir qu’en plus de son aide à la Palestine, le Yémen est en conflit direct avec Israël pour le soutien que l’entité sioniste a apporté aux Émirats arabes unis (EAU) lors de la guerre lancée en 2015 qui leur a permis d’occuper les îles stratégiques yéménites de Socotra, situées en mer d’Arabie à quelque 350 kilomètres au sud des côtes du pays, afin d’y établir une série de bases d’espionnage dans le but de collecter des renseignements dans toute la région, en particulier dans le détroit de Bab El Mandeb.

Hamzeh Hajjaj

Il est important de noter que la base israélo-émiratie de Socotra profite également aux USA, car elle leur permet de contrôler le port de Gwadar au Pakistan, qui fait partie du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), dans le cadre duquel Pékin a développé un port afin que les marchandises qui y sont déchargées puissent être expédiées par voie terrestre vers la Chine, en particulier vers sa région occidentale.

Mais, pour ce qui est des événements actuels, les actions du Yémen en faveur de la Palestine ont commencé presque immédiatement après le 7 octobre. Le 19 octobre, un navire de guerre usaméricain a abattu des missiles et des drones tirés par les Houthis contre Israël, selon des informations du Pentagone publiées à l’époque.

Quelques jours plus tard, le 27 octobre, six personnes ont été blessées lorsque deux drones ont atterri au-dessus de Taba, ville égyptienne frontalière d’Israël, après avoir été interceptés par l’armée de l’air israélienne. Le 31 octobre, les Houthis ont revendiqué une attaque de drone contre l’entité sioniste. L’armée houthie a déclaré avoir intercepté un missile lancé depuis le sud.

Le porte-parole militaire des Houthis, le général Yahya Sari, a déclaré dans un communiqué télévisé que le groupe avait lancé un “grand nombre” de missiles balistiques et de drones en direction d’Israël et qu’il y aurait d’autres attaques à l’avenir “pour aider les Palestiniens à remporter la victoire”. En réponse, le conseiller en chef à la sécurité nationale d’IsraÊL, Tzachi Hanegbi, a déclaré que les attaques des Houthis étaient intolérables, mais il a refusé de donner des détails lorsqu’on lui a demandé comment Israël réagirait.

À la mi-novembre, Ansar Allah a annoncé que ses forces armées attaqueraient tous les navires battant pavillon israélien ou exploités ou détenus par des sociétés israéliennes. Quelques jours plus tard, le général Sari a déclaré que « les forces armées yéménites continueront d’empêcher les navires de toutes nationalités à destination des ports israéliens de naviguer en mer d’Oman et en mer Rouge jusqu’à ce qu’ils transportent la nourriture et les médicaments nécessaires aux Palestiniens de la bande de Gaza ».

Ossama Hajjaj

En réponse à cette décision, et après les premières attaques contre des navires à destination d’Israël, quatre grandes compagnies maritimes (la plus grande compagnie de transport de conteneurs au monde, Mediterranean Shipping Co [MSC], basée en Suisse, la compagnie danoise Maersk, la compagnie française CMA CGM et la compagnie allemande Hapag-Lloyd) ont suspendu le passage de leurs navires par la mer Rouge. Ces compagnies transportent environ 53 % des conteneurs maritimes du monde et environ 12 % du commerce mondial en termes de volume. Il convient de noter que 30 % du trafic mondial de conteneurs passe par le Bab El Mandeb.

En réponse, les USA ont décidé, le 19 décembre, de créer une alliance navale pour lancer une opération baptisée “Guardian of Prosperity”, censée « assurer la liberté de navigation en mer Rouge ». En pratique, cela signifie déclarer la guerre au Yémen et militariser la mer Rouge. Mais le pays arabe n’a pas fléchi dans sa position. Ses forces armées ont affirmé que « toute attaque contre les biens yéménites ou les bases de lancement de missiles du Yémen ferait couler du sang sur toute la mer Rouge », affirmant qu’elles possédaient « des armes capables de couler vos porte-avions et vos destroyers ».

Liu Rui, Global Times

L’escalade des actions depuis lors est manifeste. Dans un discours prononcé le 20 décembre, le chef d’Ansar Allah, Sayyed Abdul Malik Al Houthi, a déclaré que la responsabilité du monde islamique dans le conflit en Palestine était grande, en particulier celle de la région arabe, qui est « le cœur de ce monde" » À cet égard, il a déploré la position arabo-islamique lors des sommets organisés pour discuter de la question, en particulier celui qui s’est tenu en Arabie saoudite. Al Houthi a qualifié cette position de faible. Il a déclaré que les peuples arabes et musulmans devraient s’engager à soutenir la Palestine, tout en déplorant l’approche de certains pays à l’égard de ce qu’il a appelé la « conspiration contre la Palestine ». Le dirigeant yéménite a déclaré que son pays n’attendait pas des USA et des pays européens une position ou un rôle positif à l’égard de la Palestine. Pour ces raisons, il a estimé que la perspective de l’axe de la résistance devrait viser à élever le niveau de soutien militaire à la Palestine.

Dans ce contexte, Al Houthi a averti qu’Ansar Allah « attaquerait les navires de guerre usaméricains si ses forces étaient attaquées par Washington après le lancement de l’opération Prosperity Guardian ». Selon Al Houthi, les USA n’essaient pas de protéger la navigation mondiale, mais cherchent à militariser l’espace maritime.

Toutefois, les USA ne sont pas parvenus à un consensus sur la manière de mener à bien les missions de l’alliance navale ainsi créée. Les désaccords avec les pays arabes appelés à rejoindre la coalition ont empêché une réponse cohérente aux attaques des Houthis contre les navires transitant par la mer Rouge. Deux pays clés de la région impliqués dans la longue guerre contre le Yémen - les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite - ont des positions opposées à l’égard des Houthis, ce qui a constitué un obstacle majeur au plan usaméricain visant à mettre fin aux attaques maritimes. L’une des possibilités envisagées par Washington est une réponse militaire aux Houthis, mais certains alliés arabes ont refusé de le faire. Ils préfèrent insister sur la voie diplomatique et renforcer la protection maritime des navires.

Les analystes spécialisés consultés sur le sujet s’accordent à dire que les objectifs de l’opération sont vagues si l’on considère que les commandants navals n’ont pas reçu de missions précises. De même, les navires de guerre de la coalition, bien qu’équipés d’un armement de pointe, ne peuvent que se limiter à repousser les attaques de missiles en escortant les navires marchands, ce qui est discutable étant donné que l’arsenal de missiles du Yémen est inépuisable à la lumière des actions entreprises au cours des huit dernières années, De plus, « ni les dirigeants des compagnies maritimes mondiales, ni les capitaines des navires marchands, ni les assureurs ne seront prêts à jouer à la loterie », selon Ilya Kramnik, expert russe des forces navales.

De même, Michael Horton, cofondateur de Red Sea Analytics International, une société de conseil indépendante qui se consacre à l’analyse impartiale de la dynamique de la sécurité en mer Rouge, a noté que les Houthis « n’ont déployé qu’une fraction de leurs armes, n’utilisant pas de missiles à plus longue portée, de drones plus avancés et de mines marines difficiles à détecter ».

Dans cette situation, le vice-amiral usaméricain Kevin Donegan a noté que « les USA ont également accepté comme normales les attaques persistantes [...] des Houthis ». Selon le New York Times, cette situation a contraint le président Biden à faire un choix difficile concernant les futurs plans de dissuasion à l’égard des Houthis. Pour ce faire, il doit se demander si l’Arabie saoudite ne cherche pas une escalade du conflit qui pourrait faire échouer une trêve durement négociée avec les rebelles. Pour sa part, Tim Lenderking, l’envoyé spécial des USA pour le Yémen, a déclaré à la mi-décembre : « Tout le monde cherche un moyen de désamorcer les tensions ».

De l’autre côté du conflit, le 24 décembre, le commandant des Gardiens de la révolution iraniens, le général de division Hossein Salami, a annoncé que le blocus naval d’Israël pourrait évoluer vers un blocus naval total si la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar et d’autres voies d’eau étaient fermés. À ce jour, le Yémen a déjà réussi à bloquer la quasi-totalité du port israélien d’Eilat, sur la mer Rouge, qui ne fonctionne qu’à 15 % de sa capacité. Il convient de noter que les milices d’Ansar Allah ont réussi à frapper un navire israélien en mer d’Oman, près de l’Inde, loin du territoire yéménite. De son côté, l’Iran dispose de drones et de missiles hypersoniques à longue portée qui, en cas de guerre totale contre le sionisme, pourraient facilement viser les navires commerciaux traversant la Méditerranée en direction des ports israéliens.

De même, en préparation d’une bataille plus large contre Israël, l’armée yéménite a annoncé qu’elle disposait de 20 000 soldats réservistes entraînés, prêts à combattre aux côtés des forces armées du pays contre l’entité sioniste et la coalition dirigée par les USA.

Le 28 décembre, le Yémen a mis en garde les USA et ses partenaires contre la militarisation de la mer Rouge et a déclaré qu’il intensifierait ses attaques contre ses ennemis si le blocus de Gaza se poursuivait. Dans ce contexte, un jour plus tôt, les hauts commandants des forces armées du Yémen se sont réunis pour discuter des derniers développements régionaux et examiner l’état de préparation au combat des troupes. À l’issue de la réunion, ils se sont déclarés prêts à exécuter les ordres du chef d’Ansar Allah.

Le 4 janvier, après qu’un contingent naval yéménite s’est retrouvé face à face avec des forces militaires usaméricaines en mer Rouge, perdant trois petits bateaux et dix combattants, le commandant des forces de défense côtière yéménites, le général de division Mohhamed Al Qadiri, a averti que le Yémen ne se réservait pas le droit de répondre, mais qu’il répondrait en déterminant la cible dans chaque cas sur les îles, en mer Rouge et dans « les bases où sont stationnés les sionistes et les USAméricains ».

Si les USA et leur alliance décident finalement de défier directement les Houthis en mer Rouge, ils devront faire face à une vaste guerre navale dans le golfe d’Aden, la mer d’Arabie et l’océan Indien. Si cela devait se produire, cela déclencherait une spirale de confrontation inarrêtable aux dimensions incalculables.

En tout état de cause, le Yémen a déjà réussi à utiliser sa position stratégique en tant que force dans les équilibres mondiaux et à s’affirmer comme un élément important de l’équation conflictuelle en cours et à exprimer l’une des formes les plus courageuses de soutien au peuple palestinien face à la machine de guerre israélienne soutenue par les USA et le Royaume-Uni, constituant ainsi une monnaie d’échange importante contre le sionisme et son mentor usaméricain.

Contrôler le canal de Suez, c’est contrôler 90 % du commerce mondial, ce qui affecte directement Israël en frappant son économie. En ce sens, les Houthis ont réussi à faire ce qu’Israël et les USA ont jusqu’à présent essayé d’éviter à tout prix : « transformer le génocide à Gaza en une crise mondiale ».

Le journaliste libanais Khalil Harb, citant la Banque mondiale dans un article du magazine en ligne The Cradle, a écrit qu’Israël importe et exporte « près de 99 % des marchandises par voie fluviale et maritime » et que « plus d’un tiers de son PIB dépend du commerce de marchandises ».

Pour sa part, le journaliste brésilien spécialisé en politique internationale Eduardo Vasco a souligné qu’en plus de l’impact direct du mouvement Houthi en Asie occidentale, ses actions « paralysent l’économie mondiale, c’est-à-dire le fonctionnement même du régime capitaliste, qui est à l’origine du problème de la guerre d’agression au Moyen-Orient ». Dans ce contexte, Vasco estime que les UA et Israël ne peuvent pas attaquer directement le Yémen parce qu’il pourrait y avoir des représailles contre les alliés des USA dans la région 3principalement contre leurs champs pétroliers, ce qui aggraverait brutalement la crise économique avec une crise pétrolière (qui a déjà commencé) ». C’est pourquoi, alors que les Émirats arabes unis souhaitent une action forte contre les Houthis, les Saoudiens se montrent prudents.

En dernière heure et presque au moment de conclure cet article, on apprend que le Yémen a attaqué un navire usaméricain transportant des fournitures pour Israël, en réponse aux récentes attaques usaméricaines contre les forces navales yéménites.

Répondant également aux déclarations du secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken, le vice-ministre des affaires étrangères du Yémen, Hussein Al Ezzi, a réaffirmé « la sécurité de la navigation vers toutes les destinations, à l’exception des ports de la Palestine occupée », démentant catégoriquement les fausses informations diffusées par Washington, Londres et Berlin au sujet de la sécurité de la navigation.

Les lignes qui précèdent illustrent la capacité et la détermination du peuple yéménite à jouer un rôle de premier plan dans la guerre d’Israël contre la Palestine. En fait, elles montrent que, bien qu’il s’agisse d’un petit pays globalement et régionalement marginalisé par rapport au développement économique, il conserve une volonté de se battre qui exprime le sentiment séculaire d’exister en tant que nation indépendante, défiant les principales puissances mondiales en entravant et en empêchant l’exécution de leur politique impériale dans la région par le biais de leur soutien inconditionnel à Israël.

Mahmoud Rifai