Note: le même jour, l'Union européenne a ajouté Yahya Sinwar (Hamas) à sa liste de terroristes, sur laquelle figuraient déjà, depuis le 8 décembre 2023, Mohammed Deif et Marwan Issa (voir liste complète)
“Au cours des
derniers mois, des militants houthis basés au Yémen se sont livrés à des
attaques sans précédent contre les forces militaires des États-Unis et les
navires maritimes internationaux opérant en mer Rouge et dans le golfe d'Aden.
Ces attaques correspondent à la définition du terrorisme telle qu'elle figure
dans les manuels.Elles ont mis en
danger le personnel américain, les marins civils et nos partenaires, compromis
le commerce mondial et menacé la liberté de navigation. Les États-Unis et la communauté
internationale ont été unis dans leur réponse et ont condamné ces attaques avec
la plus grande fermeté.
Aujourd'hui,
en réponse à ces menaces et attaques permanentes, les États-Unis ont annoncé la
désignation d'Ansarallah, également connu sous le nom de Houthis, en tant que Terroriste
Mondial Spécialement Désigné (Specially Designated Global Terrorist).Cette désignation est un outil important pour
empêcher le financement terroriste des Houthis, restreindre davantage leur
accès aux marchés financiers et les tenir pour responsables de leurs
actes.Si les Houthis cessent leurs
attaques dans la mer Rouge et le golfe d'Aden, les États-Unis réévalueront
immédiatement cette désignation.
La
désignation prendra effet dans 30 jours, afin de nous permettre de nous assurer
que des exclusions humanitaires solides sont en place pour que notre action
cible les Houthis et non le peuple du Yémen. Nous mettons en place des
exclusions et des licences sans précédent afin d'éviter toute répercussion
négative sur le peuple yéménite.Le
peuple du Yémen ne doit pas payer le prix des actions des Houthis.Nous envoyons un message clair : les cargaisons
commerciales vers les ports yéménites, dont le peuple yéménite dépend pour son
approvisionnement en nourriture, en médicaments et en carburant, doivent se
poursuivre et ne sont pas couvertes par nos sanctions.Cela s'ajoute aux exclusions que nous
prévoyons dans tous les programmes de sanctions pour les denrées alimentaires,
les médicaments et l'aide humanitaire.
Comme l'a
dit le président Biden, les États-Unis n'hésiteront pas à prendre d'autres
mesures pour protéger leur peuple et la libre circulation du commerce
international.”
Ci-dessous deux articles sur les
agissements britanniques actuels à Oman dans le cadre de la préparation d’une
guerre contre l’Iran et sur le rôle de la Grande-Bretagne dans la guerre civile
au Yémen de 1962 à 1967. Conservateurs ou travaillistes, les gouvernements qui
se sont succédé à Londres depuis deux siècles ont tous mené la même politique
de mort contre ceux qu’ils considèrent eux aussi comme des « animaux
humains » à éliminer. Comme l’a dit Marianne Faithfull : « J'ai commencé à
comprendre les Anglais le jour où j'ai enfin réalisé qu'ils disent exactement
le contraire de ce qu'ils pensent » [et font le contraire de ce qu’ils disent].-FG
Le
Royaume-Uni agrandit discrètement sa base secrète d’espionnage à Oman, près de
l’Iran
Les installations d’une station de surveillance du GCHQ
[Quartier
Général des communications du gouvernement] au
Moyen-Orient ont été modernisées en prévision d’une nouvelle guerre
potentiellement dévastatrice avec l’Iran en défense d’Israël.
Le câble
de communication posé entre Oman et l’Australie passe par la base
militaire britannique de Diego Garcia.
La
Grande-Bretagne pourrait utiliser Oman comme base de lancement pour des
opérations contre les Houthis au Yémen, avertissent des militants en exil.
La station d’espionnage du GCHQ à Salalah, Oman. Photo
: Google Earth
Une base d’espionnage britannique située près de l’Iran a fait l’objet d’importants
travaux de construction au cours des deux dernières années, selon Declassified.
Des images satellite montrent qu’une multitude de travaux de construction ont
eu lieu sur un site du GCHQ à Oman, une autocratie pro-britannique située entre
l’Iran et le Yémen.
Le site est susceptible de jouer un rôle clé dans une région où la
Grande-Bretagne cherche à contrer le mouvement houthi du Yémen et les autorités
iraniennes. Tous deux s’opposent au soutien occidental au génocide israélien à
Gaza.
Les dirigeants houthis ont promis de bloquer les navires liés à Israël dans
la mer Rouge jusqu’à ce que Benjamin Netanyahou cesse d’attaquer les
Palestiniens. Dans la nuit de mardi 8 à mercredi 9 janvier 2024, la Royal Navy
a abattu des drones houthis en mer Rouge. Le ministre britannique de la Défense,
Grant Shapps, a déclaré hier qu’il fallait “surveiller cet espace” pour d’éventuelles
frappes au Yémen.
Un millier de soldats britanniques sont stationnés à Oman, où le GCHQ
exploite trois sites de surveillance. L’un d’entre eux se trouve sur la côte
sud, près de la ville de Salalah, à 120 km du Yémen. Connu sous le nom de code Clarinet,
son existence a été révélée par les fuites de Snowden en 2014.
Declassified a publié les
premières photos de Clarinet en 2020, montrant son radôme de type balle de
golf, d’une taille similaire à ceux observés sur d’autres sites du GCHQ. Des
images satellite plus récentes montrent d’importants travaux de construction
dans le périmètre de 1,4 km du site.
Deux nouveaux bâtiments ont été construits et les fondations de deux autres
ont été posées. Le plus grand des nouveaux bâtiments a une superficie
équivalente à celle de six courts de tennis et semble comporter plusieurs
étages. Un porte-parole du GCHQ a répondu à nos conclusions : « Nous ne
sommes pas en mesure de faire des commentaires sur des questions
opérationnelles ».
Câbles
sous-marins
Les cartes marines confirment que Clarinet est
situé à l’un des rares endroits d’Oman où des câbles sous-marins viennent s’échouer.
Ceux-ci doivent être indiqués sur les cartes marines afin d’éviter que les
navires ne les déplacent pas avec leurs ancres. Ces câbles transportent des
câbles internet en fibre optique entre les continents, ce qui permet au GCHQ de
pirater le trafic en ligne dans le monde entier.
Un nouveau pipeline de communication de 10 000 km, l’Oman Australia
Cable, est en cours de pose entre Perth et Salalah. Initialement présenté comme
un projet commercial mené par une société australienne, Subco, il est apparu depuis que le câble passe par la base
militaire usaméricano-britannique de l’atoll de Diego Garcia, dans l’océan
Indien.
L’armée usaméricaine a payé 300 millions
de dollars pour que le câble soit détourné via Diego Garcia, dans le cadre d’une
opération dont le nom de code est Big Wave. Diego Garcia fait partie des
îles Chagos, dont la communauté indigène a été expulsée par la Grande-Bretagne
dans les années 1960 pour faire place à la base usaméricaine, en échange d’une
remise sur l’achat de sous-marins nucléaires.
La base a été un point d’appui essentiel pour les forces usaméricaines qui
ont attaqué l’Irak et l’Afghanistan, et le Pentagone devrait l’utiliser en cas
de guerre avec l’Iran. L’installation du câble à fibres optiques signifie que
la base ne dépendra plus des connexions par satellite pour communiquer avec la
terre ferme.
Perth, ville de l’ouest de l’Australie qui accueille l’autre extrémité du
câble, est également devenue de plus en plus géostratégique. L’année dernière,
la Grande-Bretagne a obtenu l’autorisation de baser certains de ses sous-marins
à propulsion nucléaire dans le port, dans le cadre du pacte controversé AUKUS. Cela
permettra à la Royal Navy d’organiser des patrouilles sous-marines plus
fréquentes près de la Chine.
Le GCHQ à Oman
En sortant de la troisième ville d’Oman par l’est, l’autoroute de Salalah
est bordée de palmiers. La circulation tourne à droite au rond-point de
Maamoura, faisant passer les voitures entre un palais royal tentaculaire et la
vaste base militaire de Razat. À un kilomètre de la route goudronnée se trouve
l’entrée d’un chemin de terre, gardé par des blocs de béton et un poste de
contrôle de la police.
La plupart des conducteurs l’ignorent et poursuivent leur route le long de
la chaussée côtière, s’arrêtant peut-être au parc aquatique Hawana ou à la
station balnéaire Rotana. Mais les quelques privilégiés qui bifurqueront ici
arriveront à une installation non signalée, qui se distingue par ses imposants
pylônes radio et sa balle de golf blanche géante.
Récemment étiqueté sur Google Maps sous le nom de 94 Omantel, il ne s’agit
pas seulement d’une partie de l’entreprise publique de téléphonie d’Oman,
connue pour servir de couverture aux espions.
Selon les fichiers des services de renseignement usaméricains divulgués par le
lanceur d’alerte Edward Snowden, Clarinet, où les espions britanniques
recueillent les données de millions d’utilisateurs d’Internet dans le golfe Arabo-Persique,
est une installation correspondant à cette description.
Bien que Snowden ait partagé la fuite avec le Guardian, ce dernier n’a
pas publié les détails des installations du GCHQ à Oman. Le GCHQ s’est rendu
dans les bureaux londoniens du média pour superviser la destruction des
fichiers. Les informations n’ont été révélées que plus tard
par le journaliste d’investigation Duncan Campbell, sur le site d’information
informatique The Register.
Pour les Omanais, cela a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient déjà : les
services de renseignement britanniques sont imbriqués dans l’appareil de
sécurité de leur pays, un outil qui tourne souvent son regard vers eux autant
qu’il surveille ses adversaires.
La répression est la norme à Oman, où tous les partis politiques sont
interdits et les médias indépendants muselés. L’Oman occupe la 155eplace sur 180 pays dans le dernier classement
mondial de la liberté de la presse publié par l’organisation de défense des
droits humains Reporters sans frontières.
Oman est effectivement le meilleur État vassal de la Grande-Bretagne dans
la région. Sa propre agence de renseignement a été créée par des officiers
britanniques, vétérans du GCHQ et dirigés par une personne détachée du MI6
jusqu’en 1993. Appelée à l’origine “Département de recherche d’Oman”, puis
rebaptisée ”Service de sécurité intérieure”, elle est placée sous le
commandement du cabinet royal.
Elle est dirigée par le général Sultan bin Mohammed al-Naamani. Il s’est
bien débrouillé pour un fonctionnaire, achetant un manoir de 16 millions
de livres dans le Surrey à l’ancien capitaine de l’équipe d’Angleterre de
football, John Terry. En 2021, des manifestations contre la
corruption ont envahi le pays, organisées secrètement dans le cadre d’une
marche pour la Palestine sanctionnée par l’État.
Solidarité avec la Palestine
Le soutien à Gaza reste important, ce qui rend l’alliance du sultan avec la
Grande-Bretagne de plus en plus risquée.
Les Omanais ont commencé à affronter les troupes britanniques sur leur base
de porte-avions dans le port de Duqm. Dans une vidéo filmée à la cantine du Village Renaissance, un
Omanais s’adresse à cinq soldats britanniques assis à une table : « Ce
pays [la Grande-Bretagne] est un putain de pro-israélien, vous devriez partir d’ici.
Vous devriez partir d’ici. Il est temps pour vous de partir d’ici ».
Alors qu’un capitaine britannique tentait de s’éloigner, l’Omanais a
critiqué Rishi Sunak pour avoir envoyé deux navires de guerre soutenir Israël
après le 7 octobre. Le ministre de la Défense, James Heappey, a déclaré au Parlement : « Nous
sommes au courant que des militaires ont été approchés à Oman. La sécurité de
nos forces armées est de la plus haute importance et la sécurité de notre
personnel est constamment surveillée ».
Mohammed al-Fazari, journaliste omanais en exil et rédacteur en chef de Muwatin[Citoyens,
bilingue arabe/anglais], a déclaré à Declassified : « Si une déclaration
de guerre contre les rebelles houthis devait avoir lieu, il ne fait aucun doute
que les Britanniques utiliseraient Oman comme rampe de lancement. Oman a
toujours servi de base à partir de laquelle les forces britanniques [...] ont
été déployées dans de nombreux conflits régionaux. »
Al-Fazari estime que les Omanais sont « sans équivoque alignés sur la
cause palestinienne" »et que leur opposition à la présence
britannique dans le pays « s’intensifierait s’il s’avérait que ces bases
militaires soutiennent l’entité d’occupation sioniste ».
Nabhan Alhanshi, un militant en exil qui dirige le Centre omanais pour les
droits humains, a déclaré qu’il était préoccupé par « l’utilisation
potentielle du site [du GCHQ] pour des activités incompatibles avec les
intérêts des Omanais ordinaires, en particulier ceux qui ont une position
pro-palestinienne ».
Il a ajouté : « Il existe une véritable crainte que le Royaume-Uni, en
soutenant les efforts d’Israël contre le Hamas, ne fasse d’Oman un partenaire
et un allié d’Israël, contrairement à ce qu’il a déclaré publiquement. »
Omantel, Subco et la marine usaméricaine n’ont pour le moment pas répondu à
nos demandes de commentaires.
Ce n’est pas la première fois que le Royaume-Uni
contribue à la dévastation du Yémen. Il y a soixante ans, un coup d’État au
Yémen du Nord a incité les autorités britanniques à lancer une guerre secrète
qui a également fait des dizaines de milliers de morts - et, comme aujourd’hui,
aucun ministre britannique n’a jamais eu à rendre de comptes.
Des mercenaires britanniques aident des royalistes
yéménites à installer une mitrailleuse pendant la guerre civile de 1962-1967.
(Photo : HUM Images via Getty)
La guerre brutale au Yémen, qui fait rage depuis 2015, est la pire
catastrophe humanitaire au monde. Depuis avril 2022, une trêve délicate a
permis d’atténuer quelque peu l’horreur, mais cet accord semble en passe de s’effondrer.
Il devrait être temps de réfléchir à qui, de tous les côtés du conflit, y
compris en Grande-Bretagne, pourrait être inculpé de crimes de guerre. Près de
9 000 civils ont été tués dans plus de
25 000 frappes aériennes, principalement saoudiennes, qui ont été facilitées
par la Royal Air Force britannique. Des dizaines de milliers d’autres personnes
ont été tuées dans le conflit.
Les Nations unies ont allégué à plusieurs reprises que des crimes de guerre
avaient été commis, mais aucun Saoudien, Britannique ou Yéménite n’a été amené
à rendre des comptes, et il est peu probable qu’il le soit. Tragiquement, l’histoire
se répète et ce sont les Yéménites ordinaires qui en paient une fois de plus le
prix.
Muhammad al-Badr priant avec ses gardes, 1962
Il y a soixante ans, en septembre 1962, le roi et imam du Yémen du Nord,
Muhammad al-Badr, était renversé par un coup d’État populaire. Al-Badr n’était
au pouvoir que depuis une semaine, ayant succédé au régime de son père, un
royaume féodal où 80 % de la population était paysanne et qui était contrôlé
par la corruption, un système fiscal coercitif et une politique du “diviser
pour régner”.
Le coup d’État a été mené par le colonel Abdullah al-Sallal, un
nationaliste arabe au sein de l’armée yéménite, qui a proclamé la République
arabe du Yémen et qui a établi des liens étroits avec le gouvernement égyptien
de Gamal Abdel Nasser.
Nasser, leader de facto des forces nationalistes de la région, était le
principal ennemi du Royaume-Uni. Il prônait une politique étrangère
indépendante et la Grande-Bretagne n’avait pas réussi à l’anéantir lors de son
invasion infructueuse du canal de Suez en Égypte en 1956.
Les forces royalistes qui soutiennent al-Badr prennent les collines et
entament une insurrection, bientôt soutenue par l’Arabie saoudite, contre le
nouveau régime républicain, tandis que Nasser déploie des troupes égyptiennes
au Yémen du Nord pour soutenir le nouveau gouvernement.
La Grande-Bretagne a choisi, comme dans la guerre actuelle, de s’allier aux
Saoudiens pour renverser le nouveau gouvernement et restaurer un régime
pro-occidental.
Ironiquement, les royalistes yéménites qu’ils soutenaient étaient issus du
groupe religieux chiite zaïdite, dont les adeptes actuels se rassemblent
principalement autour du mouvement rebelle houthi, que la Grande-Bretagne et l’Arabie
saoudite cherchent aujourd’hui à détruire.
“Sournois, peu fiables et perfides”
Les dossiers déclassifiés sont fascinants car ils montrent que les
fonctionnaires britanniques étaient conscients de soutenir le “mauvais” camp.
Christopher Gandy, le plus haut responsable britannique au Yémen du Nord, a
noté peu après le coup d’État que le règne de l’ancien imam était “impopulaire
auprès d’une grande partie de la population” et que son “monopole du pouvoir
était "très mal perçu”.
Cette situation a été exploitée par le nouveau gouvernement républicain qui
a rapidement nommé des personnes issues de “classes, régions et sectes
précédemment négligées dans la distribution du pouvoir”.
Gandy a écrit que, contrairement à l’“autocratie arbitraire” de l’imam, les
républicains étaient “beaucoup plus ouverts au contact et à l’argumentation
raisonnée”.
Il a ainsi recommandé au Royaume-Uni de reconnaître le nouveau gouvernement
yéménite, affirmant que celui-ci était intéressé par des relations amicales
avec la Grande-Bretagne et que c’était “le meilleur moyen d’empêcher une
augmentation” de l’influence égyptienne.
Gandy a cependant été écarté à la fois par ses maîtres politiques à Londres
et par les fonctionnaires de la ville voisine d’Aden. Cette dernière était
alors une colonie britannique entourée d’un “protectorat” britannique connu
sous le nom de Fédération d’Arabie du Sud (qui deviendra plus tard le Yémen du
Sud).
La fédération était un ensemble de fiefs féodaux présidés par des
dirigeants autocratiques semblables à al-Badr qui venait d’être renversé au
Yémen, et entretenus par des pots-de-vin britanniques.
Un fonctionnaire du bureau du Premier ministre Harold Macmillan a noté que
Nasser avait été « capable de capturer la plupart des forces dynamiques et
modernes de la région alors que nous avons dû, par notre propre choix, soutenir
des forces qui ne sont pas simplement réactionnaires (ce qui n’aurait pas tant
d’importance), mais sournoises, peu fiables et traîtresses ».
Macmillan lui-même a admis qu’il était « répugnant pour l’équité
politique et la prudence que nous apparaissions si souvent comme soutenant des
régimes désuets et despotiques et comme nous opposant à la croissance de formes
modernes et plus démocratiques de gouvernement ».
Menace d’un bon exemple
Le grand enjeu pour Whitehall [siège du gouvernement britannique, NdT]
était de conserver la base militaire du Royaume-Uni dans la ville portuaire d’Aden.
Cette base était la pierre angulaire de la politique militaire britannique dans
la région du Golfe, où le Royaume-Uni était alors la principale puissance,
contrôlant directement les cheikhs du Golfe et possédant d’énormes intérêts
pétroliers au Koweït et ailleurs.
On craignait qu’un Yémen du Nord progressiste, républicain et nationaliste
arabe ne serve d’exemple aux cheikhats féodaux du Golfe et du Moyen-Orient
élargi, ainsi qu’à Aden même.
Le ministre des Affaires étrangères, Alec Douglas-Home, a déclaré, peu
après le coup d’État républicain, qu’Aden ne pouvait être protégée contre “un
régime républicain fermement établi au Yémen”.
Une réunion ministérielle a également conclu que si la Grande-Bretagne
était forcée de quitter Aden, cela porterait “un coup dévastateur à notre
prestige et à notre autorité” dans la région.
Le fait même de reconnaître le nouveau gouvernement yéménite pourrait
entraîner “un effondrement du moral des dirigeants pro-britanniques du
protectorat”, mettant “en péril toute la position britannique dans la région”.
Alec Douglas -
Home
Ces préoccupations étaient partagées par le royaume médiéval de la région,
l’Arabie saoudite, qui, à l’époque comme aujourd’hui, craignait le renversement
des monarchies par des forces nationalistes. Les planificateurs britanniques
ont reconnu que les Saoudiens “n’étaient pas très préoccupés par la forme de
gouvernement à établir au Yémen, à condition qu’il ne soit pas sous le contrôle”
de l’Égypte - n’importe quel autre gouvernement ferait l’affaire.
Cette menace s’est accrue lorsque Nasser et al-Sallal ont apporté un
soutien diplomatique et matériel aux forces républicaines anti-britanniques à
Aden et dans la fédération et ont mené une campagne publique exhortant les
Britanniques à se retirer de leurs possessions impériales.
Sir Kennedy Trevaskis, haut-commissaire britannique à Aden, a fait
remarquer que si les Yéménites parvenaient à prendre le contrôle d’Aden, “le
Yémen disposerait pour la première fois d’une grande ville moderne et d’un port
d’importance international”.
Plus important encore, “sur le plan économique, il offrirait les plus
grands avantages à un pays si pauvre et si peu développé” - une considération
qui n’avait cependant aucune importance dans la planification britannique.
Un gouvernement faible au Yémen
Les responsables britanniques ont décidé de s’engager dans une campagne
secrète visant à promouvoir les forces qu’ils considéraient comme “perfides” et
“despotiques” afin de saper celles qui étaient reconnues comme “populaires” et “plus
démocratiques” et de s’assurer que la menace de ces dernières ne s’étende pas.
Surtout, ils l’ont fait en sachant que leurs clients avaient peu de chances
de l’emporter. La campagne a été entreprise simplement pour causer des ennuis
aux républicains et aux Égyptiens, alors qu’ils détenaient la majorité du pays
et les centres de population.
Harold Macmillan note en février 1963 qu’“à long terme, une victoire
républicaine est inévitable”. Il a déclaré au président usaméricain Kennedy : « Je
suis tout à fait conscient que les loyalistes [sic] ne gagneront
probablement pas au Yémen en fin de compte, mais cela ne nous arrangerait pas
trop que le nouveau régime yéménite s’occupe de ses propres affaires internes
au cours des prochaines années ».
Ce que la Grande-Bretagne voulait donc, c’était “un gouvernement faible au
Yémen qui ne soit pas en mesure de créer des problèmes”, écrivait-il.
Une note adressée à Macmillan par l’un de ses fonctionnaires indique de la
même manière : « Tous les départements semblent s’accorder sur le fait que
l’impasse actuelle au Yémen, où les républicains et les royalistes se battent
les uns contre les autres et n’ont donc ni le temps ni l’énergie de nous causer
des ennuis à Aden, convient parfaitement à nos propres intérêts ».
La campagne secrète
Il est difficile de reconstituer la chronologie des actions secrètes
britanniques en raison de la censure des dossiers britanniques. Mais l’analyse
de Stephen Dorril, expert du MI6, dans son ouvrage complet sur le MI6, réalisé
principalement à partir de sources secondaires et d’interviews, facilite la
tâche. Deux autres ouvrages notables ont
été publiés, par Clive Jones et Duff Hart-Davis.
Peu après le coup d’État de septembre 1962, le roi Hussein de Jordanie s’est
rendu à Londres où il a rencontré le ministre de l’Air Julian Amery et a
exhorté le gouvernement Macmillan à ne pas reconnaître le nouveau régime
yéménite. Les deux hommes ont convenu que l’agent du MI6 Neil “Billy” McLean,
un député conservateur en exercice, visiterait la région et ferait un rapport
au Premier ministre.
Dorril note que l’ancien vice-chef du MI6, George Young, alors banquier
chez Kleinwort Benson, a été contacté par le Mossad, les services secrets
israéliens, pour trouver un Britannique acceptable pour les Saoudiens afin de
mener une guérilla contre les républicains. Young a alors présenté McLean à Dan
Hiram, l’attaché de défense israélien, qui a promis de fournir des armes, de l’argent
et de l’entraînement, ce que les Saoudiens ont saisi avec empressement.
En octobre 1962, McLean s’est rendu en Arabie Saoudite en tant qu’invité
personnel du roi Saoud, qui a demandé à la Grande-Bretagne de fournir une aide
aux royalistes, en particulier “un soutien aérien... si possible ouvertement,
mais si ce n’est pas possible, alors clandestinement”.
Début novembre 1962, les royalistes recevaient des armes et de l’argent
saoudiens et, le même mois, le ministère britannique des Affaires étrangères
publiait un document d’orientation décrivant les options qui s’offraient au
gouvernement, y compris l’aide secrète.
Le 7 janvier 1963, la commission du cabinet chargée de l’outre-mer et de la
défense préconise de ne pas reconnaître le nouveau régime au Yémen et, si la
Grande-Bretagne devait apporter une aide aux royalistes, de le faire à distance
plutôt que directement.
Le mois suivant, des positions de la Fédération d’Arabie du Sud sont
attaquées par des tribus yéménites et les troupes égyptiennes lancent une
offensive dans les montagnes du Yémen tenues par les royalistes. Macmillan
nomme Julian Amery ministre pour Aden, avec pour mission d’organiser
secrètement le soutien britannique aux royalistes, depuis son bureau au
ministère de l’Aviation.
Fournitures d’armes
McLean se rend au Yémen pour la troisième fois le 1er mars 1963.
Peu après, une délégation royaliste s’est rendue en Israël, à la suite de quoi
des avions israéliens banalisés ont effectué des vols à partir de Djibouti pour
larguer des armes sur les zones royalistes.
Début mars, les dossiers confirment que la Grande-Bretagne était déjà
impliquée dans la fourniture d’armes aux royalistes, par l’intermédiaire de
Sherif Ben Hussein, le chef tribal de Beihan dans la fédération.
Selon Dorril, des armes légères d’une valeur de plusieurs millions de
livres, dont 50 000 fusils, ont été secrètement transportées par avion depuis
une base de la RAF dans le Wiltshire. Pour masquer leur origine, elles ont été
débarquées en Jordanie pour y être acheminées. À la fin du mois, les royalistes
ont regagné une partie du territoire qu’ils avaient perdu.
Lors d’une réunion qui s’est tenue fin avril 1963 et à laquelle ont
participé Dick White, chef du MI6, McLean, David Stirling, fondateur du SAS, Brian Franks,
ancien officier du SAS, Douglas-Home et Amery, Stirling et Franks ont été
informés qu’il ne pouvait y avoir d’implication officielle du SAS et ont été
invités à recommander quelqu’un qui pourrait organiser une opération de
mercenariat.
Dorril note qu’ils ont approché Jim Johnson, un commandant SAS récemment
retraité, et le lieutenant-colonel John
Woodhouse, commandant du 22eRégiment SAS. McLean, Johnson et Stirling ont
été présentés par Amery au ministre royaliste des Affaires étrangères, Ahmed
al-Shami, qui a signé un chèque de 5 000 £ pour l’opération.
Le plan proposé pour le Yémen a fait l’objet d’un débat houleux à
Whitehall, mais le Premier ministre a finalement été persuadé de le soutenir et
a chargé le MI6 d’aider les royalistes. Une task force [force
opérationnelle] du MI6 a été mise en place pour coordonner la fourniture d’armes
et de personnel. Elle est organisée par John
Burke da Silva, ancien chef de la station du MI6 à Bahreïn.
En octobre 1963, Macmillan démissionne pour être remplacé par Douglas-Home
au poste de premier ministre, ce qui met temporairement en suspens les projets,
car le nouveau ministre des Affaires étrangères, Rab Butler, s’oppose à un
soutien occulte aux royalistes.
Harold Macmillan a été premier ministre de 1957 à 1963
Opération Rancour [Rancœur]
Au début de l’année 1964, Johnny Cooper, officier du SAS, participe à des activités de
renseignement contre les forces égyptiennes, tandis que son équipe entraîne l’armée
royaliste. En février, l’équipe de Cooper gère des zones de largage dans
lesquelles sont parachutées des armes et des munitions, avec le soutien discret
du MI6 et de la CIA.
Le secrétaire US à la Défense, Peter Thorneycroft, demande en privé à la
Grande-Bretagne d’organiser des “révoltes tribales” dans les zones
frontalières. Cela devrait impliquer “une action clandestine... pour saboter
les centres de renseignement et tuer le personnel engagé dans des activités
anti-britanniques”, y compris le QG des services de renseignement égyptiens à
Taiz, et mener “des activités secrètes de propagande anti-égyptienne au
Yémen".
Il plaide également en faveur d’une “aide supplémentaire” aux royalistes,
comprenant “soit de l’argent, soit des armes, soit les deux”.
En avril 1964, les Britanniques avaient déjà autorisé la pose de mines
(appelée Opération Eggshell [Coquille d’œuf]), la distribution d’armes
et de munitions aux membres des tribus dans la zone frontalière Opération
Stirrup [Étrier]) et le sabotage dans la zone frontalière (Opération
Bangle [Bracelet]).
Des actes de “subversion sur le territoire yéménite contre des cibles
individuelles” sont menés “sous le contrôle d’officiers britanniques au sein de
la Fédération”, selon une note du ministère de la Défense. Ces officiers « peuvent
distribuer des armes et de l’argent par tranches en fonction de la situation
locale et proportionnellement aux succès obtenus ».
L’Opération Rancour était le nom de code donné aux « opérations
secrètes actuelles visant à exploiter [sic] les tribus dissidentes jusqu’à
20 miles à l’intérieur du Yémen pour neutraliser l’action subversive égyptienne
contre Aden ».
Un défenseur de la civilisation dans le quartier de Kraytar à Aden, le 4 octobre 1965, pendant l'insurrection contre la domination coloniale britannique. Photo Norman Potter / Express / Getty Images
Assassinat
Un document top secret extraordinaire conservé dans les dossiers du
gouvernement va encore plus loin dans l’examen des options qui s’offrent à la
Grande-Bretagne.
Il s’intitule « Yémen : L’éventail des possibilités d’action qui s’offrent
à nous » et envisageait “l’assassinat ou d’autres actions contre le
personnel clé” impliqué dans la subversion au sein de la Fédération, “en
particulier les officiers des services de renseignement égyptiens”.
Il décrit également “une action visant à stimuler une campagne de guérilla”
dans la zone frontalière par la fourniture d’armes et d’argent et “des actes de
sabotage sans représailles”, y compris à Sanaa, la principale ville du Yémen du
Nord.
Il suggère de “fermer les yeux” sur les livraisons d’armes saoudiennes aux
royalistes et de diffuser des faux tracts dans les zones du Yémen contrôlées
par les républicains, ainsi que des “émissions de radio noires” à partir de la
fédération.
Alors que ces options étaient débattues en privé, le 14 mai 1964, le Premier
ministre Douglas-Home a menti au parlement en déclarant : « Notre
politique à l’égard du Yémen est une politique de non-intervention dans les
affaires de ce pays. Nous n’avons donc pas pour politique de fournir des armes
aux royalistes du Yémen ».
Fin juillet, les ministres ont pris la décision de promouvoir de “nouvelles
mesures” pour soutenir les royalistes, c’est-à-dire de “donner toutes les
facilités nécessaires” aux Saoudiens pour se procurer des armes auprès de la
Grande-Bretagne.
L’ambassadeur britannique en Arabie saoudite, Colin Crowe, a ensuite
rencontré le prince héritier Fayçal et lui a fait part de la volonté du
Royaume-Uni de fournir des armes aux Saoudiens pour qu’ils les utilisent au
Yémen, tout en précisant que Londres ne pouvait pas fournir d’aide directe aux
royalistes.
Hier comme aujourd’hui, Whitehall utilisait les Saoudiens comme factotums
pour mener une guerre régionale.
La prison anglaise de Kraytar [“Crater” en british] en 1960
Soutien complet
Dorril note que Dick
White, le chef du MI6, a convaincu le nouveau Premier ministre Douglas-Home
de soutenir une “opération mercenaire clandestine” et que le feu vert pour un
soutien plus complet aux royalistes a été donné au cours de l’été 1964.
Quelque 48 anciens militaires ont été employés comme mercenaires cette
année-là, dont une douzaine d’anciens membres du SAS. Les officiers du MI6 ont
fourni des renseignements et un soutien logistique, tandis que le GCHQ
[Quartier
Général des communications du gouvernement] a localisé
les unités républicaines.
Les agents du MI6 ont également coordonné le passage des tribus de la Fédération
au Yémen, où ils ont suivi des officiers de l’armée égyptienne.
Dans ce qui s’est avéré être guerre une sale, les officiers du MI6 ont “manipulé”
les membres des tribus et ont aidé à “diriger la pose de bombes” sur les
avant-postes militaires égyptiens le long de la frontière, tandis que les
villes de garnison étaient “mitraillées” et les personnalités politiques “assassinées”,
note Dorril.
Une lettre contenue dans les dossiers du gouvernement a été écrite en août
1964 par un mercenaire, le lieutenant-colonel Michael
Webb, qui dit avoir récemment pris sa retraite de l’armée, à Julian Amery.
Webb dit qu’il se bat avec les forces de l’imam depuis quelques semaines et qu’il
se présente comme journaliste indépendant.
Il a tenu l’ambassade britannique « pleinement informée de mes
mouvements et lui a donné toutes les informations que j’ai obtenues ».
Le mois suivant, une note adressée au Premier ministre recommandait la
fourniture de bazookas et de munitions au chérif de Beihan “à l’usage d’un
groupe dissident à Taiz”, c’est-à-dire au Yémen.
Au même moment, Stirling rencontre le ministre royaliste des Affaires
étrangères, al-Shami, à Aden, où ils sont rejoints par un officier du MI6 et
élaborent des plans pour établir un approvisionnement régulier en armes et en
munitions pour les forces royalistes.
Gouvernement travailliste
En octobre 1964, l’élection du gouvernement travailliste d’Harold Wilson ne
semble pas avoir sensiblement perturbé les opérations secrètes. Dorril note que
la RAF a entrepris des bombardements secrets en représailles aux attaques
égyptiennes contre les convois de chameaux fournissant des armes aux
mercenaires français et britanniques.
La Grande-Bretagne a conclu un contrat d’une valeur de 26 millions de
livres avec une société privée, Airwork, afin de fournir du personnel pour la
formation des pilotes et du personnel au sol saoudiens. Airwork a également
recruté d’anciens pilotes de la RAF en tant que mercenaires pour effectuer des
missions opérationnelles contre des cibles égyptiennes et républicaines le long
de la frontière yéménite.
En 1965, le MI6 affrétait des avions avec des pilotes discrets et avait
obtenu l’accord d’Israël pour utiliser son territoire pour monter des
opérations. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’en 1967, selon les
dossiers.
Une note du Foreign Office de mars 1967 indique que les pilotes
britanniques ont été recrutés par Airwork pour piloter cinq Lightnings et cinq
Hunters déjà fournis par la Grande-Bretagne. Cette note dit ceci : « Nous
n’avons soulevé aucune objection à ce qu’ils soient employés dans des
opérations, bien que nous ayons clairement fait comprendre aux Saoudiens que
nous ne pouvions pas acquiescer publiquement à de tels arrangements ».
Après un cessez-le-feu déclaré en août 1965, les mercenaires soutenus par
les Britanniques se sont contentés de fournir une aide médicale et de maintenir
les communications. À la fin de l’année 1966, la guerre a repris et les combats
ont abouti à une impasse, mais les Britanniques continuent de mener une vaste
opération de mercenariat au Yémen.
“La capture d'Aden”, janvier 1839 : “La redition des défenseurs” yéménites de la forteresse de Sirah. Carte postale du début du XXème siècle d'après une peinture du Capitaine Rundle, membre de l'expédition. Pour l'empire britannique, Aden, à égale distance entre Alexandrie et Bombay, était stratégique pour contrôler la “route des Indes”. Ce rôle sera accru après l'inauguration du Canal de Suez (1869). [NdT]
Fin de la guerre
Après la défaite de l’Égypte face à Israël lors de la guerre de 1967,
Nasser a décidé de retirer ses troupes du Yémen et, en novembre, la
Grande-Bretagne a été contrainte de se retirer d’Aden. Pourtant, des dossiers
datant de mars 1967 font référence à des “opérations secrètes en Arabie du Sud”
et à des “opérations Rancour II”.
Un article de juin 1967 observe que « les opérations Rancour au Yémen
ont été extrêmement fructueuses en repoussant les Égyptiens de certaines
parties de la frontière et en les immobilisant ».
Malgré le retrait égyptien, la guerre civile au Yémen se poursuit. En 1969,
deux mercenaires d’une autre société privée, Watchguard, ont été tués alors qu’ils
dirigeaient une bande de guérilleros royalistes dans le Nord.
En mars 1969, les Saoudiens coupent les vivres aux royalistes et un traité
est signé pour mettre fin aux hostilités avec le pays qui renaît sous le nom de
Yémen du Nord.
Al-Badr s’est alors réfugié en Angleterre où il est resté jusqu’à sa mort
en 1996.
Le nombre de personnes mortes au Yémen au cours des années 1960 n’a jamais
été établi avec précision, mais il pourrait s’être élevé à 200 000.
Le colonel Jim
Johnson, qui a dirigé les mercenaires britanniques au Yémen, a ensuite été nommé
aide de camp de la reine Élisabeth. Il a ensuite créé une autre société de
mercenaires, Keenie Meenie
Services, qui a combattu au Nicaragua et au Sri Lanka. Ses activités au Sri Lanka
font actuellement l’objet d’une enquête menée par l’équipe
de Scotland Yard chargée des crimes de guerre.
En 2015, le
Yémen, pays méconnu de nombreux Occidentaux, a lancé une guerre pour défendre
sa souveraineté, menacée par une alliance interventionniste menée par l’Arabie
saoudite. Le peuple yéménite a dû payer de la vie de près de 400 000 de ses
enfants le maintien de son indépendance. Beaucoup se sont demandé comment un
pays considéré comme le plus pauvre d’Asie occidentale a pu résister et vaincre
une coalition composée de pays parmi les plus riches de la planète.
Mary Zins, 2018
Bien que le
conflit dure depuis près de dix ans, il semble avoir atteint une situation qui
pourrait conduire à une éventuelle cessation du conflit. Bien que la situation
reste tendue et que des actions de guerre de toutes sortes se poursuivent, les
actions militaires ont diminué au cours des derniers mois. Il ne s’agit plus
d’une guerre totale, mais il n’y a pas non plus de paix. Avec la médiation de
la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran se sont réconciliés, ouvrant la voie au
règlement de plusieurs conflits en Asie occidentale et dans le nord de l’Afrique
[Soudan]. Celui du Yémen est apparemment l’un d’entre eux.
Aujourd’hui,
après l’invasion israélienne de Gaza, le Yémen, avec le Hezbollah libanais et
d’autres forces révolutionnaires arabes et musulmanes, a joué un rôle actif
dans la solidarité avec la Palestine. Une fois de plus, le Yémen a surpris tout
le monde en prenant des décisions qui ont un impact non seulement local, mais
aussi régional et mondial. Une fois de plus, le monde s’est demandé comment
cela avait pu se produire. Je fournirai ici quelques éléments qui permettront aux
lecteurs de connaître le Yémen, la lutte historique et l’héroïsme de son
peuple, afin de les aider à comprendre la portée et la dimension de la décision
du Yémen de soutenir la juste lutte du peuple palestinien avec toutes les
ressources à sa disposition.
La République
du Yémen occupe une position stratégique sur la planète, dans une région où se
croisent les routes commerciales reliant l’Asie, l’Afrique de l’Est et la
Méditerranée. Son territoire, situé sur les rives de la mer d’Arabie et aux
portes de la mer Rouge, donne sur le détroit de Bab el Mandeb, ce qui lui
confère une position privilégiée sur le globe, surtout depuis le XXe siècle,
lorsque, d’une part, d’importants gisements d’énergie (pétrole et gaz) ont été
découverts dans la région et, d’autre part, compte tenu de l’énorme croissance
économique et du développement de l’Asie orientale, qui ont transformé le Yémen
en un passage obligé pour la plupart des échanges commerciaux du monde.
Les cités
antiques du territoire ont été unifiées dans l’Antiquité au sein du royaume
biblique de Saba. La lutte pour la libération et l’indépendance des habitants
de l’actuelle région du Yémen a commencé dès le 1er siècle de l’ère
chrétienne, lorsqu’ils ont dû affronter l’Empire romain. La puissante Rome a
été vaincue dans sa tentative de domination.
Contrairement
au reste de la péninsule arabique, le Yémen d’aujourd’hui possédait une
végétation prodigieuse qui procurait à sa population une grande richesse en
raison des vastes possibilités de consommation et de commerce qu’elle offrait.
C’est ainsi que le mathématicien et géographe grec Ptolémée aurait appelé le
Yémen “l’Arabie heureuse”.
Atlas Teatrum Orbis Terarum, Abraham Ortelius, Anvers, 1570
Au cours de
l’histoire, les Yéménites ont dû lutter contre les Himyarites qui, convertis au
judaïsme en 380, ont persécuté la population majoritairement chrétienne
jusqu’à l’intervention des Éthiopiens au VIe siècle. L’islam est
arrivé dans la région au cours du VIIesiècle et a commencé à façonner une culture
basée sur l’entrelacement de diverses formes de connaissances qui ont apporté
de grandes contributions à l’humanité.
Cependant,
pendant de nombreux siècles, le Yémen est resté en marge du développement
culturel et économique instauré par l’Islam. C’est au XVe siècle que
le territoire de l’actuel Yémen a commencé à prendre une valeur stratégique.
Dans leur quête d’expansion commerciale, les Européens ont commencé à dominer
des territoires à travers le monde. Les premiers Européens à arriver dans la
région sont les Portugais, qui dominent le pays afin de contrôler la voie
maritime qui leur permet de faire le commerce des épices entre l’Asie et
l’Europe via la mer Rouge.
Carte du
royaume d’Yémen dans l’Arabie heureuse, Guillaume Delisle, 1715
Le XVIe
siècle a vu le début de la conquête ottomane avec l’occupation d’une partie de
la côte de la mer Rouge, tandis que l’intérieur et la côte sud restaient
indépendants, gouvernés par un imam. Peu après, les Britanniques font leur
apparition dans la région, en établissant un comptoir de la Compagnie des Indes
orientales dans le port de Mokha, sur la mer Rouge [d’où le terme moca, ou
mocca, pour désigner une variété de café, NdT].
Vue de Moka du côté de la mer. Dessin anonyme publié en 1737 après la
première expédition militaire française des
deux navires Le Curieux et Le Diligentcontre ce port
Au XIXe
siècle, les Britanniques ont étendu leur présence en occupant toute la pointe
sud-ouest du pays, s’installant en 1839 à Aden, le meilleur port de la région,
tandis qu’en 1872, les Turcs ont réussi à consolider leur emprise sur
l’intérieur du pays en installant une monarchie héréditaire de facto portant le
nom d’un imam local. Cette division a de fait scindé le Yémen en deux pays.
Dans les
années 1870, avec l’ouverture du canal de Suez et la consolidation de la
domination turque sur le nord du Yémen, Aden revêt une importance nouvelle pour
la stratégie globale de la Grande-Bretagne : c’est la clé de la mer Rouge et
donc du nouveau canal.
Au début du XXe
siècle, la Turquie et le Royaume-Uni ont tracé une frontière entre leurs
territoires, rebaptisés respectivement Yémen du Nord et Yémen du Sud.En 1934, la Grande-Bretagne a pris le
contrôle de toute la partie sud du pays jusqu’à la frontière avec Oman.
Pendant la
Première Guerre mondiale, l’imam s’allie à l’Empire ottoman et lui reste fidèle
jusqu’à la fin de la guerre. La défaite des Turcs permet au Yémen de retrouver
son indépendance en novembre 1918. Cependant, la Grande-Bretagne, après avoir
reconnu l’indépendance du Yémen, fait d’Aden un protectorat en 1928 et, en
1937, une colonie. Une fois de plus, les Yéménites ont dû recourir à la lutte
armée pour obtenir leur indépendance. En 1940, le mouvement nationaliste “Yémen
libre” voit le jour pour lutter contre le contrôle du pays par les imams
qui se sont alliés à la Grande-Bretagne.
La révolution de 1967
La lutte a
pris des voies distinctes au nord et au sud. En 1962, la République arabe du
Yémen est créée au nord, tandis qu’au sud, le Front de libération nationale,
créé en 1963, s’empare d’Aden en 1967 et proclame l’indépendance, initiant une
révolution socialiste.
Soldats britanniques
des Northumberland Fusiliers, fer de lance de la contre-insurrection
britannique, en action à Adenen 1967
Le Yémen du
Sud est rebaptisé République démocratique populaire du Yémen, il ferme toutes
les bases britanniques en 1969, prend le contrôle des banques, du commerce
extérieur et de l’industrie maritime, tout en entreprenant une réforme agraire.
En matière de politique étrangère, il a maintenu une alliance étroite avec
l’Union soviétique. Il a également encouragé une lutte antisioniste ouverte et
un soutien au peuple palestinien.
En octobre
1978, lors d’un congrès bénéficiant d’un soutien populaire considérable, le
Front de libération nationale fonde le Parti socialiste yéménite. En décembre,
les premières élections populaires depuis l’indépendance sont organisées pour
désigner les 111 membres du Conseil révolutionnaire du peuple.
Dès les
premières années de son existence, la République démocratique populaire du
Yémen a été confrontée à l’hostilité constante de l’Arabie saoudite, qui
cherchait à contrôler certaines parties du territoire, en particulier celles où
des gisements de pétrole avaient été découverts. Les tensions ont été
exacerbées par la présence militaire croissante des USA en Arabie saoudite.
Pendant ce
temps, au nord, le Front démocratique national (FDN), qui regroupe toutes les
forces progressistes du pays, mène une lutte armée contre Ali Abdullah Saleh,
arrivé au pouvoir en 1978. Alors que le FDN est sur le point de prendre le
pouvoir, l’Arabie saoudite intrigue pour détourner le conflit en une guerre
contre la République démocratique populaire du Yémen. La médiation des pays
arabes aboutit à un cessez-le-feu et à un accord sur la reprise des négociations
de réunification, suspendues depuis 1972.
Enfin, le 22
mai 1990, les deux républiques se sont unies pour former la République du
Yémen, qui a fait de Sanaa (ancienne capitale de la République arabe du Yémen)
sa capitale politique et d’Aden (ancienne capitale de la République
démocratique populaire du Yémen) sa capitale économique. Lors d’une session
conjointe des assemblées législatives des deux États à Aden, un conseil
présidentiel dirigé par le général Ali Abdullah Saleh a été élu. L’unification
du Yémen n’a pas été bien accueillie par l’Arabie saoudite, qui a entamé une
politique de soutien à la sécession. En mai 1994, des sécessionnistes ont
proclamé une république yéménite dans le sud du pays, mais ont été vaincus par
les forces loyales au gouvernement.
Entre juin et
août 2004, un mouvement exprimant les croyances d’une branche spécifique de
l’islam d’orientation chiite est apparu : les zaïdites, dont le chef était le
religieux Hussein al-Houthi. En son honneur, après sa mort au combat en
septembre de la même année, le mouvement a pris le nom de Houthi, Huthi ou
Ansar Allah (partisans de Dieu). Bien que ce mouvement soit l’expression d’une
minorité au Yémen, son histoire n’est pas récente puisqu’elle remonte au milieu
du VIIIe siècle. Le zaïdisme se caractérise par l’éducation
supérieure de ses membres et est associé à la lutte pour la justice et à la
défense de l’éthique musulmane. Cette idéologie, ainsi que la marginalisation à
laquelle ils ont été soumis après avoir perdu le pouvoir en 1962, constitueront
le substrat sur lequel la pensée houthie se développera à l’avenir.
La lutte des
Houthis contre le gouvernement pro-occidental et pro-saoudien d’Ali Abdullah
Saleh a été longue et sanglante. Ils ont dû prendre les armes à cinq reprises
entre 2006 et 2008 pour défendre leur territoire dans le nord du pays jusqu’à
ce qu’ils commencent à étendre leur base de soutien et l’espace géographique
qu’ils contrôlent. En 2009, Saleh, tentant d’arrêter les Houthis, s’est tourné
vers l’Arabie saoudite pour obtenir son soutien.
Pour les
Houthis, le fait qu’un pays comme l’Arabie saoudite, aux tendances wahhabites
extrêmement conservatrices, soit présent et interfère dans les affaires du pays
était perçu comme une menace pour la souveraineté de la nation en général et
pour la leur en tant que minorité en particulier.À partir de ce moment, leur lutte, qui avait
un caractère strictement interne, s’est transformée en une confrontation contre
l’intervention étrangère.
Bien que les
combattants houthis aient initialement subi de lourdes défaites, y compris
(comme mentionné ci-dessus) la chute de leur principal dirigeant, ils se sont
renforcés au fil du temps et, à partir de 2011, sous la nouvelle direction du
frère cadet d’Al Houthi, Abdul Malik, ils ont commencé à infliger des revers
importants à l’ennemi. La rhétorique anti-impérialiste et antisioniste a été
renforcée en identifiant l’Arabie saoudite comme un partenaire dans la mise en
œuvre des plans usaméricains et israéliens dans la région.
Le mal nommé “printemps
arabe”a été particulièrement influent dans la croissance du soutien
à la pensée houthi dans sa lutte contre le gouvernement répressif de Saleh. Au
Yémen, le tremblement de terre qui a secoué une partie importante du monde
arabe a suscité une réaction beaucoup plus organisée que dans les pays voisins.
Face à la force des protestations, Saleh a fui le pays et s’est réfugié
en Arabie Saoudite, pour être remplacé par son vice-président, Abdo Rabu Mansour
Hadi, qui a tenté de ramener l’ordre dans le pays en concluant un accord
avec les factions opposées à Saleh “pour que tout change sans que rienne change”, en laissant de côté le mouvement houthi.
Fin 2014, les
Houthis ont décidé de lancer une offensive sur la capitale. Dans ce contexte,
Saleh - dans une tentative étonnante de reconquête du pouvoir - a établi une
alliance avec les Houthis pour affronter Hadi. Les Houthis, qui n’avaient pas
soutenu les accords de paix signés par Hadi, se sont alliés à leur plus grand
ennemi pour prendre la capitale. La Garde républicaine, une force loyale à
Saleh, a encouragé les Houthis à entrer dans Sana’a. Hadi s’est réfugié à
Riyad, la capitale saoudienne, d’où il “commande” les territoires non
encore contrôlés par Ansar Allah, agissant de fait comme une marionnette de la
monarchie wahhabite.
Une fois au
pouvoir, les Houthis ont formé un comité révolutionnaire pour diriger le
pays.Ils ont également été contraints
de combattre simultanément les forces terroristes d’Al Qaïda et l’Arabie
saoudite, qui les protège.
Estimant que
les Houthis n’avaient pas respecté les accords qui, selon lui, lui permettaient
de reprendre le pouvoir, Saleh s’est retourné contre eux, avec le soutien de
l’Arabie saoudite. Lorsque la trahison a été consommée, les Houthis ont attaqué
la maison de Saleh, le tuant au passage.
Depuis Riyad,
Hadi a demandé une intervention saoudienne au Yémen. En réponse à cette
demande, la monarchie saoudienne a organisé une coalition
de pays sunnites pour lancer l’opération “Tempête décisive” en
2015, structurée autour de frappes aériennes sur les principales
enclaves contrôlées par les Houthis, qui ont fait des milliers de morts.
Cette action
était envisagée comme une offensive définitive pour prendre le contrôle du pays
afin de lancer une seconde opération appelée “Restaurer l’espor”, qui se
concentrait davantage sur le rapprochement diplomatique. En revanche, les
actions terrestres, aériennes et maritimes de l’alliance ont été renforcées par
un blocus naval qui a empêché l’entrée de l’aide internationale, plongeant le
pays dans la pire crise humanitaire de l’histoire jusqu’au déclenchement des
actions sionistes actuelles à Gaza, toutes deux avec le soutien explicite des USA.
Les Houthis,
utilisant une large marge de manœuvre basée sur une connaissance de plus en
plus grande du terrain et maniant des tactiques de guérilla inspirées - selon
eux - de la lutte de libération au Vietnam et des “mouvements de résistance
en Amérique latine”, ont démontré une grande capacité à frapper une armée
d’invasion manquant de volonté, de moral, de discipline et de motivation pour se
battre. De même, le large éventail de soldats de la coalition, qui a inclus la
participation d’un très grand contingent de mercenaires engagés par des
sociétés privées, a sapé la capacité de combat de l’alliance dont l’Arabie
saoudite est le fer de lance.
Riyad a reçu
des coups durs même sur son territoire, car les opérations de combat d’Ansar
Allah ont pénétré profondément dans la géographie saoudienne grâce à un système
avancé de drones et de missiles à longue portée qui ont frappé des casernes des
forces armées, des raffineries de pétrole et des infrastructures critiques à
des distances éloignées de la frontière commune.
Rahma
Cartoons, Turquie
II
Les médias transnationaux ont fait circuler
l’idée que les Houthis agissent sous l’influence du gouvernement iranien. Si ni
l’Iran ni les Houthis n’ont nié leur appartenance à un axe de résistance à
l’impérialisme, au colonialisme et au sionisme qui intègre également des forces
politiques du Liban, de la Syrie, de Bahreïn et de la Palestine elle-même,
simplifier l’équation à une relation de “subordination” est à la fois
superficiel et banal, compte tenu de l’histoire des luttes du peuple yéménite.
En Asie occidentale, l’agressivité croissante
d’Israël et la présence interventionniste des USA ont polarisé la situation
politique. Le récent accord règlement du différend entre l’Iran et l’Arabie
saoudite, ainsi que d’autres accords qui ont rapproché l’Égypte et la Turquie,
le Qatar et l’Arabie saoudite, entre autres, après des années d’éloignement, et
l’enlisement de la guerre au Yémen, indiquent l’affaiblissement du pôle
impérialiste-sioniste et le renforcement de la résistance.
Dans ce contexte, le Yémen et le mouvement houthi
jouent un rôle décisif, tant sur le plan historique que géographique. Il
convient de noter qu’Ansar Allah n’a jamais caché ses relations avec l’Iran.
Ils sont unis par leur appartenance commune à la branche chiite de l’islam.
Tant le fondateur du mouvement Ansar Allah que son frère, qui le dirige
aujourd’hui, ont passé une partie de leur vie à Qom (Iran), se formant
politiquement et idéologiquement, tout en étudiant la doctrine chiite, basée
sur l’idée que la succession légitime de Mohammed appartient aux descendants de
son gendre Ali, par opposition aux sunnites qui estiment que les successeurs de
Mohammed doivent être les compagnons du prophète. Sunnite vient de “Ahl
al-Sunna”, qui se traduit par “les gens de la tradition” et chiite vient de “Chiat
Ali”, qui signifie “partisans d’Ali”.
Mais cela ne signifie pas que les Yéménites sont
de simples “accessoires” de l’Iran. Au-delà du soutien financier, militaire,
communicationnel et politique qu’il a reçu de Téhéran, le mouvement Ansar Allah
a fait preuve d’autonomie et d’autodétermination dans la conception et
l’exécution de ses actions, que ce soit dans la guerre contre l’Arabie saoudite
et ses alliés depuis 2015 ou aujourd’hui dans le soutien à la cause
palestinienne.
Il faut savoir
qu’en plus de son aide à la Palestine, le Yémen est en conflit direct avec
Israël pour le soutien que l’entité sioniste a apporté aux Émirats arabes unis
(EAU) lors de la guerre lancée en 2015 qui leur a permis d’occuper les îles
stratégiques yéménites de Socotra, situées en mer d’Arabie à quelque 350
kilomètres au sud des côtes du pays, afin d’y établir une série de bases
d’espionnage dans le but de collecter des renseignements dans toute la région,
en particulier dans le détroit de Bab El Mandeb.
Hamzeh Hajjaj
Il est important de noter que la base
israélo-émiratie de Socotra profite également aux USA, car elle leur permet de
contrôler le port de Gwadar au Pakistan, qui fait partie du corridor économique
Chine-Pakistan (CPEC), dans le cadre duquel Pékin a développé un port afin que
les marchandises qui y sont déchargées puissent être expédiées par voie
terrestre vers la Chine, en particulier vers sa région occidentale.
Mais, pour ce qui est des événements actuels, les
actions du Yémen en faveur de la Palestine ont commencé presque immédiatement
après le 7 octobre. Le 19 octobre, un navire de guerre usaméricain a abattu des
missiles et des drones tirés par les Houthis contre Israël, selon des
informations du Pentagone publiées à l’époque.
Quelques jours plus tard, le 27 octobre, six
personnes ont été blessées lorsque deux drones ont atterri au-dessus de Taba,
ville égyptienne frontalière d’Israël, après avoir été interceptés par l’armée
de l’air israélienne. Le 31 octobre, les Houthis ont revendiqué une attaque de
drone contre l’entité sioniste. L’armée houthie a déclaré avoir intercepté un
missile lancé depuis le sud.
Le porte-parole militaire des Houthis, le général
Yahya Sari, a déclaré dans un communiqué télévisé que le groupe avait lancé un “grand
nombre” de missiles balistiques et de drones en direction d’Israël et qu’il y
aurait d’autres attaques à l’avenir “pour aider les Palestiniens à remporter la
victoire”. En réponse, le conseiller en chef à la sécurité nationale d’IsraÊL,
Tzachi Hanegbi, a déclaré que les attaques des Houthis étaient intolérables,
mais il a refusé de donner des détails lorsqu’on lui a demandé comment Israël
réagirait.
À la
mi-novembre, Ansar Allah a annoncé que ses forces armées attaqueraient tous les
navires battant pavillon israélien ou exploités ou détenus par des sociétés
israéliennes. Quelques jours plus tard, le général Sari a déclaré que « les
forces armées yéménites continueront d’empêcher les navires de toutes
nationalités à destination des ports israéliens de naviguer en mer d’Oman et en
mer Rouge jusqu’à ce qu’ils transportent la nourriture et les médicaments
nécessaires aux Palestiniens de la bande de Gaza ».
Ossama
Hajjaj
En réponse à cette décision, et après les
premières attaques contre des navires à destination d’Israël, quatre grandes
compagnies maritimes (la plus grande compagnie de transport de conteneurs au
monde, Mediterranean Shipping Co [MSC], basée en Suisse, la compagnie danoise
Maersk, la compagnie française CMA CGM et la compagnie allemande Hapag-Lloyd)
ont suspendu le passage de leurs navires par la mer Rouge. Ces compagnies
transportent environ 53 % des conteneurs maritimes du monde et environ 12 % du
commerce mondial en termes de volume. Il convient de noter que 30 % du trafic
mondial de conteneurs passe par le Bab El Mandeb.
En réponse, les USA ont décidé, le 19 décembre,
de créer une alliance navale pour lancer une opération baptisée “Guardian of
Prosperity”, censée « assurer la liberté de navigation en mer Rouge ».
En pratique, cela signifie déclarer la guerre au Yémen et militariser la mer
Rouge. Mais le pays arabe n’a pas fléchi dans sa position. Ses forces armées
ont affirmé que « toute attaque contre les biens yéménites ou les bases de
lancement de missiles du Yémen ferait couler du sang sur toute la mer Rouge »,
affirmant qu’elles possédaient « des armes capables de couler vos
porte-avions et vos destroyers ».
Liu Rui, Global Times
L’escalade des actions depuis lors est manifeste.
Dans un discours prononcé le 20 décembre, le chef d’Ansar Allah, Sayyed Abdul
Malik Al Houthi, a déclaré que la responsabilité du monde islamique dans le
conflit en Palestine était grande, en particulier celle de la région arabe, qui
est « le cœur de ce monde" » À cet égard, il a déploré la
position arabo-islamique lors des sommets organisés pour discuter de la
question, en particulier celui qui s’est tenu en Arabie saoudite. Al Houthi a
qualifié cette position de faible. Il a déclaré que les peuples arabes et
musulmans devraient s’engager à soutenir la Palestine, tout en déplorant
l’approche de certains pays à l’égard de ce qu’il a appelé la « conspiration
contre la Palestine ». Le dirigeant yéménite a déclaré que son pays
n’attendait pas des USA et des pays européens une position ou un rôle positif à
l’égard de la Palestine. Pour ces raisons, il a estimé que la perspective de
l’axe de la résistance devrait viser à élever le niveau de soutien militaire à
la Palestine.
Dans ce contexte, Al Houthi a averti qu’Ansar
Allah « attaquerait les navires de guerre usaméricains si ses forces
étaient attaquées par Washington après le lancement de l’opération Prosperity
Guardian ». Selon Al Houthi, les USA n’essaient pas de protéger la
navigation mondiale, mais cherchent à militariser l’espace maritime.
Toutefois, les USA ne sont pas parvenus à un
consensus sur la manière de mener à bien les missions de l’alliance navale
ainsi créée. Les désaccords avec les pays arabes appelés à rejoindre la
coalition ont empêché une réponse cohérente aux attaques des Houthis contre les
navires transitant par la mer Rouge. Deux pays clés de la région impliqués dans
la longue guerre contre le Yémen - les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite
- ont des positions opposées à l’égard des Houthis, ce qui a constitué un
obstacle majeur au plan usaméricain visant à mettre fin aux attaques maritimes.
L’une des possibilités envisagées par Washington est une réponse militaire aux
Houthis, mais certains alliés arabes ont refusé de le faire. Ils préfèrent
insister sur la voie diplomatique et renforcer la protection maritime des
navires.
Les analystes spécialisés consultés sur le sujet
s’accordent à dire que les objectifs de l’opération sont vagues si l’on
considère que les commandants navals n’ont pas reçu de missions précises. De
même, les navires de guerre de la coalition, bien qu’équipés d’un armement de
pointe, ne peuvent que se limiter à repousser les attaques de missiles en
escortant les navires marchands, ce qui est discutable étant donné que
l’arsenal de missiles du Yémen est inépuisable à la lumière des actions
entreprises au cours des huit dernières années, De plus, « ni les
dirigeants des compagnies maritimes mondiales, ni les capitaines des navires
marchands, ni les assureurs ne seront prêts à jouer à la loterie », selon
Ilya Kramnik, expert russe des forces navales.
De même, Michael Horton, cofondateur de Red Sea
Analytics International, une société de conseil indépendante qui se consacre à
l’analyse impartiale de la dynamique de la sécurité en mer Rouge, a noté que
les Houthis « n’ont déployé qu’une fraction de leurs armes, n’utilisant
pas de missiles à plus longue portée, de drones plus avancés et de mines
marines difficiles à détecter ».
Dans cette situation, le vice-amiral usaméricain
Kevin Donegan a noté que « les USA ont également accepté comme normales
les attaques persistantes [...] des Houthis ». Selon le New York Times,
cette situation a contraint le président Biden à faire un choix difficile
concernant les futurs plans de dissuasion à l’égard des Houthis. Pour ce faire,
il doit se demander si l’Arabie saoudite ne cherche pas une escalade du conflit
qui pourrait faire échouer une trêve durement négociée avec les rebelles. Pour
sa part, Tim Lenderking, l’envoyé spécial des USA pour le Yémen, a déclaré à la
mi-décembre : « Tout le monde cherche un moyen de désamorcer les tensions ».
De l’autre côté du conflit, le 24 décembre, le
commandant des Gardiens de la révolution iraniens, le général de division
Hossein Salami, a annoncé que le blocus naval d’Israël pourrait évoluer vers un
blocus naval total si la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar et d’autres
voies d’eau étaient fermés. À ce jour, le Yémen a déjà réussi à bloquer la
quasi-totalité du port israélien d’Eilat, sur la mer Rouge, qui ne fonctionne
qu’à 15 % de sa capacité. Il convient de noter que les milices d’Ansar Allah ont
réussi à frapper un navire israélien en mer d’Oman, près de l’Inde, loin du
territoire yéménite. De son côté, l’Iran dispose de drones et de missiles
hypersoniques à longue portée qui, en cas de guerre totale contre le sionisme,
pourraient facilement viser les navires commerciaux traversant la Méditerranée
en direction des ports israéliens.
De même, en préparation d’une bataille plus large
contre Israël, l’armée yéménite a annoncé qu’elle disposait de 20 000 soldats
réservistes entraînés, prêts à combattre aux côtés des forces armées du pays
contre l’entité sioniste et la coalition dirigée par les USA.
Le 28 décembre, le Yémen a mis en garde les USA
et ses partenaires contre la militarisation de la mer Rouge et a déclaré qu’il
intensifierait ses attaques contre ses ennemis si le blocus de Gaza se
poursuivait. Dans ce contexte, un jour plus tôt, les hauts commandants des
forces armées du Yémen se sont réunis pour discuter des derniers développements
régionaux et examiner l’état de préparation au combat des troupes. À l’issue de
la réunion, ils se sont déclarés prêts à exécuter les ordres du chef d’Ansar Allah.
Le 4 janvier, après qu’un contingent naval
yéménite s’est retrouvé face à face avec des forces militaires usaméricaines en
mer Rouge, perdant trois petits bateaux et dix combattants, le commandant des
forces de défense côtière yéménites, le général de division Mohhamed Al Qadiri,
a averti que le Yémen ne se réservait pas le droit de répondre, mais qu’il
répondrait en déterminant la cible dans chaque cas sur les îles, en mer Rouge
et dans « les bases où sont stationnés les sionistes et les USAméricains ».
Si les USA et leur alliance décident finalement
de défier directement les Houthis en mer Rouge, ils devront faire face à une
vaste guerre navale dans le golfe d’Aden, la mer d’Arabie et l’océan Indien. Si
cela devait se produire, cela déclencherait une spirale de confrontation inarrêtable
aux dimensions incalculables.
En tout état de cause, le Yémen a déjà réussi à
utiliser sa position stratégique en tant que force dans les équilibres mondiaux
et à s’affirmer comme un élément important de l’équation conflictuelle en cours
et à exprimer l’une des formes les plus courageuses de soutien au peuple
palestinien face à la machine de guerre israélienne soutenue par les USA et le
Royaume-Uni, constituant ainsi une monnaie d’échange importante contre le
sionisme et son mentor usaméricain.
Contrôler le canal de Suez, c’est contrôler 90 %
du commerce mondial, ce qui affecte directement Israël en frappant son
économie. En ce sens, les Houthis ont réussi à faire ce qu’Israël et les USA
ont jusqu’à présent essayé d’éviter à tout prix : « transformer le
génocide à Gaza en une crise mondiale ».
Le journaliste libanais Khalil Harb, citant la
Banque mondiale dans un article du magazine en ligne The Cradle, a écrit
qu’Israël importe et exporte « près de 99 % des marchandises par voie
fluviale et maritime » et que « plus d’un tiers de son PIB dépend du
commerce de marchandises ».
Pour sa part, le journaliste brésilien spécialisé
en politique internationale Eduardo Vasco a souligné qu’en plus de l’impact
direct du mouvement Houthi en Asie occidentale, ses actions « paralysent
l’économie mondiale, c’est-à-dire le fonctionnement même du régime capitaliste,
qui est à l’origine du problème de la guerre d’agression au Moyen-Orient ».
Dans ce contexte, Vasco estime que les UA et Israël ne peuvent pas attaquer
directement le Yémen parce qu’il pourrait y avoir des représailles contre les
alliés des USA dans la région 3principalement contre leurs champs pétroliers,
ce qui aggraverait brutalement la crise économique avec une crise pétrolière
(qui a déjà commencé) ». C’est pourquoi, alors que les Émirats arabes unis
souhaitent une action forte contre les Houthis, les Saoudiens se montrent
prudents.
En dernière heure et presque au moment de
conclure cet article, on apprend que le Yémen a attaqué un navire usaméricain
transportant des fournitures pour Israël, en réponse aux récentes attaques usaméricaines
contre les forces navales yéménites.
Répondant également aux déclarations du
secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken, le vice-ministre des affaires
étrangères du Yémen, Hussein Al Ezzi, a réaffirmé « la sécurité de la
navigation vers toutes les destinations, à l’exception des ports de la
Palestine occupée », démentant catégoriquement les fausses informations
diffusées par Washington, Londres et Berlin au sujet de la sécurité de la
navigation.
Les lignes qui
précèdent illustrent la capacité et la détermination du peuple yéménite à jouer
un rôle de premier plan dans la guerre d’Israël contre la Palestine. En fait,
elles montrent que, bien qu’il s’agisse d’un petit pays globalement et
régionalement marginalisé par rapport au développement économique, il conserve
une volonté de se battre qui exprime le sentiment séculaire d’exister en tant
que nation indépendante, défiant les principales puissances mondiales en
entravant et en empêchant l’exécution de leur politique impériale dans la
région par le biais de leur soutien inconditionnel à Israël.