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27/07/2025

LYNA AL TABAL
C’est donc ça, ta nouveauté, Ziad ?

Lyna Al Tabal, Rai Al Youm, 27/7/2025
Traduit par Tlaxcala

Si c’est ça ta nouveauté, Ziad… Alors nous n’en voulons pas.

Ziad Rahbani sourit encore, d’un silence étrange. Il nous regarde les yeux clos, comme s’il avait tout vu… et que plus rien ne comptait. Il sommeille comme un prince lassé de son royaume. Ziad dort, n’est-ce pas ?

Non. Ziad résiste à sa manière : il se retire. Il refuse simplement de prendre part à tout cela.

Sa décision de garder le silence à partir d’aujourd’hui est sa déclaration la plus forte. Il a choisi de fermer les yeux… et de rêver.

Mais qui rêve encore aujourd’hui ? Qui a encore le courage de rêver ? Ziad, uniquement Ziad.

Ziad dort, oui. Et il rêve de cette nation… Quelle étrange nation que celle dont tu rêves, Ziad…!

Dans son rêve, il voit la Palestine… sans barrières, sans checkpoints, sans soldats qui t’arrachent la fleur parce que sa couleur leur rappelle le sang qu’ils ont versé depuis toujours, puis te crient : “Reste là, sous le soleil… et brûle.”


Calligraffiti d’Ashekman représentant Ziad Rahbani avec la phrase célèbre « Bennesbeh Labokra Chou ? », « Et demain, quoi ? » (titre d’une pièce de théâtre musical de 1978), stratégiquement situé au centre d'une ancienne zone de guerre de Beyrouth, surnommée la ligne de contact, à l'intersection Basta/Bechara el Khoury/Sodeco. Photo Jad Ghorayeb

Ziad rêve que l’occupation a pris fin, et qu’avec elle se sont évaporés les visages lisses du pouvoir — ceux qui signaient les accords de normalisation en souriant, tandis que l’ennemi larguait ses bombes sur nous. Personne ne se demande où est “Abbas”, évidemment. Et nul ne pleure une autorité assoupie depuis Oslo.

Damas, dans le rêve, a réintroduit "Jules Jamal"* dans les manuels, et a levé le signe de la victoire au-dessus du cimetière national où fut enterrée la moitié du peuple, dans toute sa diversité. Et dans le rêve, tout le monde applaudit, même les martyrs. Il y a là une statue d'une combattante belle, appelée Syrie, qui fait le signe de la victoire.

Gaza est devenue, vraiment, la Riviera de la Palestine — qu’ils le veuillent ou non. Des places verdoyantes, du sable doré, une mer d’azur, des barques peintes.
Voilà comment Ziad voit le rêve… en couleurs.
Et toi ? Tu t’es déjà demandé si tes rêves avaient des couleurs ou s’ils n’étaient qu’en noir et blanc ?

Oui, dans le rêve, les rues de Gaza sentent le parfum de Sinwar et Deif — un parfum de résistance, un mélange de poudre… et de nostalgie. Les enfants jouent sur des places portant les noms des martyrs de la Palestine. Autour d’eux, des femmes… les mêmes qui ont donné naissance aux enfants qu’Israël a exterminés.
Les mêmes prénoms.

 Les mêmes visages.
Les mêmes yeux… mais cette fois, sans larmes. Car dans les rêves de Ziad, les larmes sont interdites.
Quelle défaite pour Israël… À chaque maison bombardée, nous en avons reconstruit dix. Et pour chaque enfant tué… nos femmes en ont donné cent.

Beyrouth n’envoie plus ses poètes au Golfe pour servir d’alibi culturel, ni quémander des miettes de subvention à l’Occident repu. Et les caméras au-dessus des ambassades ont été arrachées — comme des dents pourries.

Dans le rêve, le monde arabe est un pays unique, mais qui rassemble tous les peuples, de Tanger à Salalah… Il rêve que les peuples arabes franchissent les frontières vers la Palestine, les forcent, comme le clamait le militant Georges Abdallah, les rasent et récupèrent la terre.

Fatigué au point de claquer ? Ou juste écœuré à crever, Ziad ? Allez, les deux… et puis basta.

Ziad a changé d’accord musical, nous laissant vaciller seuls… Nous, sa génération, celle qu’il a bercée en chantant l’effondrement.

Nous sommes la génération des décombres : nés entre 70 et 90, diagnostiqués instables parce que la guerre, elle, n’a jamais été stable. Et tant mieux : on ne veut pas guérir d’un mal qui nous a rendus lucides.

On survivait à double vitesse : guerre le jour, Ziad la nuit. C’est ainsi qu’on tenait debout. Les morts à l’aube, les mélodies au crépuscule. Et personne pour nous demander comment on faisait.

Courir sous les bombes pour une cassette de Ziad… Faut être cinglé, hein ? Et pourtant, on l’a fait. On préférait sa voix à nos vies. C’était ça, notre manière d’aimer. Idiote. Féroce.

As-tu déjà esquivé un sniper, une cassette dans la poche ? Une cassette de Ziad ? Nous, oui. On rentrait comme ça, entre deux rafales, sans réfléchir. L’instinct, l’amour, la connerie pure.

Chacun croyait que Ziad ne s’adressait qu’à lui. Nous n’étions pas un public. Nous étions sa génération, ses enfants.

Et quand nos maisons furent éventrées par l’ennemi, faisais-tu partie de ceux qui cherchaient d’abord, sous les gravats, la cassette de Ziad ? Et quand l’exil t’a happé, n’as-tu pas glissé, en premier, dans ta valise la cassette de Ziad… et la voix de Fairouz ?

Oui, nous sommes ces malades. Les rescapés d’une époque, d’un régime, de guerres plantées dans nos chairs et nos esprits. Nous sursautons au moindre bruit. Ce ne sont plus les bombes, ce sont les portes qui claquent… et qui réveillent en nous tout ce que nous avons tenté d’oublier.

Nous, les résistants, un claquement de porte suffit à réveiller les ruines de l’enfance, et toute la guerre remonte, sans avertir.
Un regard suffit à vaciller : on y voit trop. Trop de ce qu’on a fui, trop de ce qu’on a tu.

Nous offrons nos sentiments avec une générosité maladive, sans conditions. Nous sommes les enfants des fissures mentales, des traumatismes en spirale, de ce qu’on appelle aujourd’hui un trouble et que nous appelons simplement notre vie.

Nous faisons confiance comme des imbéciles, guérissons à peine, et rechutons au premier souvenir ou à la première chanson.

Ce texte n’est pas sur un artiste. C’est sur un père, un thérapeute sans blouse, qui soignait nos plaies avec des cassettes. Il posait son diagnostic à coups de piano enragé. Nous sommes sa génération. Ceux que le pays, la banque, la religion, les partis et l’exil ont crucifiés… et qui, à la fin, sont allés chez Ziad.

Il riait, giflait les puissants avec ses mots… puis riait encore, et nous rions avec lui. C’était sa manière de résister, et la nôtre aussi.

Tu as raison, Ziad… dans ce Levant, le sommeil est devenu le seul vrai repos.

Tu ridiculisais tout le monde, et pourtant personne ne te haïssait. Tu te riais d’eux tous à la fois, et ils t’écoutaient comme on écoute un prophète désabusé.

Tu étais le seul à ne pas exiger de nous un choix. Tous les camps te semblaient absurdes, creux, interchangeables… sauf un : celui de la résistance.

La résistance n’est pas un choix. C’est un réflexe. Comme respirer sous l’eau. Comme hurler en silence. Comme reconnaître, dans le regard de ton voisin, le soldat qui a pulvérisé ta maison… Alors tu ne penses plus : tu résistes.

Mais Ziad, notre Ziad… ouvre les yeux. Ce n’est plus l’heure des rêves. Le soldat est là, assis sur le canapé, il boit mon café,
et fredonne tes mélodies…

C’est donc ça, ta nouveauté, Ziad ?

Nous n’en voulons pas.

Balance ta phrase Ziad…Nous voulons des mots comme des balles. Que ta voix cogne ce monde qui trouve le sommeil au son des bombes sur Gaza.

Non, ne te méprends pas… Ne crois pas que je te pleure. Au milieu de mes larmes et de mon chagrin, je n’ai pas écrit pour pleurer, mais pour maudire le sort qui nous a brisés.

J’ai simplement adouci mes mots, pour ne pas t’effrayer, notre prince endormi… J’ai adouci mes mots, Ziad, pour ne pas effrayer les lecteurs. Qu’ils ne croient pas que je pleure. Qu’ils ne prennent pas ça pour une lamentation. Tu dors, c’est tout. Trop tôt, peut-être.

On ne pleure pas ceux qui nous ont légué un vocabulaire de lutte. Moi, je ne pleure pas. J’écris.

Ce ne sont pas des adieux. Ce sont les mots d’une génération cabossée. La tienne, Ziad. Celle de la guerre, des rafales, de l’angoisse qu’on boit comme du café noir.

Ta génération, Ziad, celle qui verra la fin de l’occupation israélienne … sans toi.

Nous sommes cette génération.
Et jamais nous ne pardonnerons à ce monde qui t’a conduit jusqu’à l’épuisement… et t’a forcé au sommeil.

NdT

Jules Youssouf Jammal est une figure légendaire du nationalisme arabe : ce militaire syrien chrétien orthodoxe aurait lancé une attaque suicide contre un navire de guerre français durant l’ "opération de Suez" franco-israélo-britannique de 1956.

 

 

 

26/07/2025

NADIA ELIAS
La mort de l’artiste libanais Ziad Rahbani à 69 ans : une perte dévastatrice pour la culture arabe

Nadia Elias, Al-Quds Al-Arabi, 26/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

C’est avec une grande tristesse que le peuple libanais a appris la nouvelle du décès du grand et brillant artiste libanais Ziad Rahbani, à l’âge de 69 ans, après une lutte contre la maladie.
Emad Hajjaj

Nombreux sont ceux qui ont exprimé leur profonde tristesse suite à sa disparition soudaine, partageant ses photos sur les réseaux sociaux et exprimant leur tristesse face à cette immense perte pour l’art et la culture libanaise et arabe. C’était une voix libre qui mettait en lumière l’injustice et l’imposture, brisant le silence par la parole et l’action.

Ziad Rahbani, né le 1er janvier 1956, était le fils de Fairouz et du regretté musicien Assi Rahbani. Il est reconnu comme l’un des musiciens et hommes de théâtre les plus éminents du Liban, ainsi que comme dramaturge, compositeur, critique politique, commentateur radio et journaliste accompli.

Connu pour son appartenance à la gauche et son soutien à l’idée de résistance, il est resté un fervent défenseur de la cause palestinienne et s’est opposé au système politique traditionnel libanais. Ses œuvres, axées sur une critique satirique et directe de la réalité sociale et politique libanaise, lui ont valu une large audience au Liban et dans le monde arabe.

Rahbani est célèbre pour ses pièces révolutionnaires, devenues des classiques du théâtre libanais et transmises de génération en génération avec amour et intérêt. Parmi les plus marquantes, on peut citer : « Sahrieh », « Nazl al-Surur », « Haga Fashal », « Asb’l Bi-Luqra Shou? », « Film Amriki Tall », « Lawla Fashat Al-Amal », « Bi’s-Karama wa al-Sha’b al-’Aneed », etc.

Il a puisé sa matière théâtrale dans le vocabulaire de la vie quotidienne, présentant ses personnages dans la langue du peuple et avec un talent comique rare, ce qui le fait ressortir comme un acteur comique habile qui sait choisir ses rôles en fonction de sa personnalité et de ses capacités.

Ziad a débuté sa carrière artistique très jeune, écrivant et composant pour sa mère, Fairouz. Il est devenu un troisième pilier culturel après ses parents, proposant une nouvelle vision du théâtre arabe contemporain alliant musique, comédie, politique et audace.

Malgré son retrait relatif de la vie artistique ces dernières années, il a conservé une grande considération auprès d’un large public d’intellectuels et d’amateurs d’art authentique.

Les détails des funérailles seront dévoilés dans les prochaines heures, avec la participation de sa mère, Fairouz, de sa sœur, Rima, et de son frère, Hali.

Les communautés officielles, artistiques et populaires du Liban l’ont pleuré, le président Joseph Aoun exprimant sa « douleur suite au décès du grand artiste Ziad Rahbani, décédé après une carrière artistique exceptionnelle qui a profondément marqué notre conscience culturelle ».

Il a déclaré : « Ziad Rahbani n’était pas seulement un artiste, mais une entité intellectuelle et culturelle à part entière. Plus encore, il était une conscience vivante, une voix rebelle contre l’injustice et un miroir honnête pour les personnes souffrantes et marginalisées. Il écrivait sur la douleur des gens et jouait sur les cordes de la vérité sans ambiguïté. Par son théâtre engagé et sa musique, débordante de créativité, oscillant entre le classique, le jazz et la musique orientale, il a présenté une vision artistique unique et a ouvert de nouvelles perspectives sur l’expression culturelle libanaise, lui permettant d’acquérir, par ses innovations, une renommée internationale ».

Le Président de la République a ajouté : « Ziad était un prolongement naturel de la famille Rahbani, qui a donné au Liban tant de beauté et de dignité. Il est le fils du créateur Assi Rahbani et de Fairouz, notre ambassadrice auprès des étoiles, à qui nous présentons aujourd’hui nos sincères condoléances, et nous sommes de tout cœur avec elle dans cette grande perte. Nous partageons avec elle la douleur de perdre quelqu’un qui était pour elle plus qu’un soutien. Nous présentons également nos condoléances à l’honorable famille Rahbani pour cette grande perte. »

Il a conclu en déclarant : « Les nombreuses œuvres remarquables de Ziad resteront vivantes dans la mémoire des Libanais et des Arabes, inspirant les générations futures et leur rappelant que l’art peut être une résistance et que les mots peuvent être une prise de position. Que Ziad Rahbani repose en paix, et que sa musique et ses pièces, vibrantes de mémoire et de vie, demeurent un phare de liberté et un appel à la dignité humaine. »

Le Premier ministre Nawaf Salam a également exprimé son deuil, écrivant : « Avec la disparition de Ziad Rahbani, le Liban perd un artiste créateur exceptionnel et une voix libre, restée fidèle aux valeurs de justice et de dignité. Ziad incarnait un profond engagement envers les causes de l’humanité et de la nation. Sur scène, par la musique et les mots, Ziad a dit ce que beaucoup n’osaient pas dire, et a touché les espoirs et les souffrances des Libanais pendant des décennies. Par sa franchise douloureuse, il a insufflé une nouvelle conscience à la culture nationale. J’offre mes plus sincères condoléances à sa famille et à tous les Libanais qui l’aimaient et le considéraient comme leur voix. »

Le ministre de la Culture, le Dr Ghassan Salameh, a écrit sur son compte X : « Nous redoutions ce jour, car nous savions que son état de santé se détériorait et que son désir de se faire soigner diminuait. Les projets de le soigner au Liban ou à l’étranger étaient devenus des idées dépassées, car Ziad n’avait plus la capacité d’imaginer le traitement et les opérations que cela nécessiterait. Que Dieu ait pitié du créatif Rahbani . Nous le pleurerons en chantant ses chansons éternelles. »

Quant à l’actrice libanaise Carmen Lebbos, qui était en couple avec Ziad Rahbani, elle a couvert sa page de noir, écrivant tristement : « Pourquoi est-ce ainsi ? J’ai l’impression que tout a disparu... J’ai l’impression que le Liban est vide. »



 

 شو هالأيام

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

بيقولولك من عرق جبينه طلع مصاري هالإنسان

طيب كيف هيدا وكيف ملايينه وما مرة شايفينه عرقان

مش صحيح مش صحيح مش صحيح الهوا غلاب

شو هالإيام اللي وصلنالا قال إنه غني عم يعطي فقير

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

الغني من تلقاء نفسه حابب يوزع ورق المال

مانه بخيل أبدا على عكسه ذكركم يا ولاد الحلال

ليل يا لال ليل يا لال ليل

كل واحد منا عنده ستيله ما بيمنع إنو يصير تنسيق

جبلي لمضيلك قلمي ستيله كل الشعوب بكرا هتفيق

يا سلام يا سلام يا سلام سلم

شو هالإيام اللي وصلنالا قال إنه غني عم يعطي فقير

كأنه المصاري قشطت لحالا عهيدا نتفة وهيدا كتير

حلوة دي حلوة دي حلوة دي بتعجن في الفجرية

كل المصاري اللي مضبوبة الما بتنعد وما بتنقاس

أصلا من جياب الناس مسحوبة لازم ترجع ع جياب الناس

هيا دي هيا دي هيا دي هيا الأصلية

هيا دي هيا دي هيا دي هيا الأصلية

C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?


On dirait que l’argent tombe tout seul,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un plein seau d’or.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, sans faire d’effort.

On te raconte : “Il l’a gagnée en peinant”,
À la sueur du front, fier et vaillant.
Mais celui-là, avec ses millions,
Jamais vu transpirer, ni d’près, ni d’loin !

Refrain :
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un riche qui donne à un pauvre, tu crois ?
On dirait qu’les billets pleuvent du ciel,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un arc-en-ciel.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, fine et rebelle.

Le riche soudain veut tout partager ?
C’est pas un radin ? Il faut arrêter !
C’est pas d’la bonté, ni du grand cœur,
C’est un vieux théâtre, peint sans couleur.

Souviens-toi, brave peuple oublié,
C’qu’il t’a pris, faudrait le rendre en entier.
Mais il te sourit, te jette un billet,
Et tout l’monde applaudit sans se poser.

Refrain
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un monde à l’envers où tout va de soi.
On dirait qu’les billets poussent en fleurs,
Un p’tit pour toi, pour lui, tout le bonheur.
Oh qu’elle est belle, oh qu’elle est belle,
Elle pétrit dès l’aube, sous les chandelles.

Layl ya lal, layl ya lal,
Chacun son style, chacun son bal.
Mais unissons nos cris, nos voix,
Demain les peuples se lèveront pour ça !

Tous ces trésors qu’on peut même pas compter,
Sont tirés d’nos poches, volés en beauté.
Il est temps qu’ça change, qu’on dise assez,
Que l’or du monde nous soit rendu en paix.

Refrain
C’est quoi ces jours qu’on vit, dis-moi ?
Un riche qui donne à un pauvre, pour quoi ?
On dirait qu’les billets tombent tout seuls,
Un p’tit pour lui, pour l’autre, un arc-en-ciel.
Mais la vérité, la seule, la vraie,
C’est qu’ça doit revenir chez toi, chez moi.

Oui, c’est celle-là, c’est celle-là,
La seule vraie route, la seule vraie voix.
Oui, c’est celle-là, c’est celle-là —
La vraie justice, et pas d’bla-bla.

 

بلا ولا شي

 ولا فيه بهالحب مصاري ولا ممكن فيه ليرات

ولا ممكن فيه أراضي ولا فيه مجوهرات

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

بلا ولا شي بحبك بلا ولا شي

بلا كل أنواع تيابك بلا كل شي فيه تزييف

بلا كل أصحاب صحابك التقلا والمهضومين

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

بلا ولا شي وحدك بلا ولا شي

بلا جوقة أمّك فيّي ورموش وماسكارا

بلا ما النسوان تحيك بلا كل هالمسخرة

تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

تعي نقعد تعي نقعد بالفي مش لحدا هالفي

حبيني وفكّري شوي

 

Je t’aime sans rien

Je t’aime sans rien, sans rien du tout,
Sans un sou, sans billet, sans bijou.
Y a pas d’argent dans mon amour,
Ni lingots d’or, ni grand détour.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.

[Refrain]
Je t’aime sans rien, sans rien du tout,
Pas d’apparat, pas de décousu.
Sans robe chic, sans défilé,
Sans les faux-amis trop bien habillés.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.


Je t’aime sans rien, rien que toi-même,
Sans ta troupe, ni leurs faux problèmes.
Pas d’mascara ni p’tit brushing,
Ni les commères qui parlent de rien.
Viens t’asseoir loin de leurs regards,
À l’abri du bruit, tout est plus clair.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, loin des envieux.

[Refrain final]
Je t’aime sans rien, sans maquillage,
Pas besoin d’artifice ni de page.
Sans les conseils, sans les discours,
Aime-moi vrai, aime-moi court.
Viens qu’on s’pose sous un coin d’ombre,
Elle est à personne, douce et sans nombre.
Aime-moi… et pense un peu.
Viens qu’on s’pose, rien que tous les deux.

17/07/2025

JOSEPH MASSAD
L’agression israélienne contre la Syrie fait avancer un plan vieux d’un siècle visant à embrigader les Druzes

L’article ci-dessous du chercheur palestino-usaméricain Joseph Massad, datant du mois de mai dernier, met en lumière la logique historique derrière la nouvelle attaque israélienne contre la Syrie

Joseph Massad, Midle East Eye, 6/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

De la Palestine de l’époque du mandat britannique à la Syrie post-Assad d’aujourd’hui, les dirigeants sionistes ont ciblé les communautés druzes pour fragmenter la société arabe et enraciner un ordre colonial de peuplement.


Des soldats israéliens empêchent une famille druze syrienne de s’approcher de la frontière près de Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé par Israël, le 3 mai 2025 (Jalaa Marey/AFP)

La semaine dernière (fin avril 2025), l’ armée israélienne a pris du temps sur son programme chargé d’extermination des Palestiniens de Gaza , de bombardement et de tirs sur les Palestiniens à travers la Cisjordanie, de bombardement du Liban et de lancement d’une série de bombardements sur le territoire syrien - dont la capitale Damas - pour lancer une série de bombardements très spéciaux .

Le dernier raid aérien visait ce qu’Israël a présenté comme « un groupe extrémiste » qui avait attaqué des membres de la communauté druze syrienne, qu’Israël avait « promis » de défendre en Syrie même.

Après la chute du régime de l’ancien président Bachar al-Assad provoquée en décembre dernier par Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), ancienne branche d’Al-Qaïda, des violences sectaires liées à l’État ont éclaté contre  les Alaouites et les Druzes syriens . Les minorités religieuses se sentent assiégées et craignent de plus en plus l’avenir.

Malgré les assurances du président syrien  autoproclamé par intérim  et ancien commandant d’Al-Qaïda , Ahmed al-Charaa, selon lesquelles les minorités religieuses seraient protégées, le régime a déjà commencé à imposer des restrictions « islamistes sunnites » sur de nombreux aspects de la société, y compris  les programmes scolaires  et la ségrégation des sexes dans  les transports publics .

Pendant ce temps, la violence sectaire perpétrée par des groupes liés à l’État et des milices non étatiques persiste . 

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C’est dans le contexte de cette violence sectaire qu’Israël a vu une opportunité de poursuivre un programme que le mouvement sioniste poursuivait depuis les années 1920 : créer de nouveaux schismes, ou exploiter les schismes existants, entre les groupes religieux en Palestine et dans les pays arabes environnants, dans une stratégie classique de diviser pour mieux régner.

Cette politique israélienne continue vise à donner une plus grande légitimité à la prétendue raison d’être d’Israël – non pas en tant que colonie sioniste européenne servant les intérêts impériaux européens et usaméricains, mais en tant qu’État sectaire religieux dont le modèle devrait être reproduit dans tout le Moyen-Orient, en divisant les groupes religieux autochtones en petits États distincts pour « protéger » les minorités.

Plan sectaire

Israël estime que la normalisation des relations dans la région ne peut se faire que si de tels États sectaires sont créés, notamment au Liban et en Syrie.

Dès les années 1930, les dirigeants israéliens s’allièrent aux sectaires maronites libanais et, en 1946, ils signèrent un accord politique avec l’Église maronite sectaire.

Leur soutien ultérieur à des groupes chrétiens fascistes libanais, comme les Phalangistes – qui cherchaient à établir un État maronite au Liban – s’inscrivait dans les plans sionistes pour la communauté druze palestinienne. Cette stratégie a débuté dans les années 1920, lorsque les colons sionistes ont commencé à cibler la population druze palestinienne.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale et suite au soutien britannique au colonialisme de peuplement sioniste en Palestine, les dirigeants sionistes ont lancé des efforts pour créer des divisions sectaires entre chrétiens et musulmans palestiniens.

Les Palestiniens, cependant, étaient unis dans leur opposition au sionisme et à l’occupation britannique à travers les « Associations musulmanes-chrétiennes », établies en 1918 comme instruments institutionnels d’unité nationale et de résistance au régime colonial.

Un projet sioniste connexe visait à isoler la petite communauté religieuse druze palestinienne afin de la cultiver comme un allié potentiel.

Au début du mandat britannique en 1922, les Druzes palestiniens étaient au nombre de 7 000 , vivant dans 18 villages à travers la Palestine et représentant moins d’un pour cent des 750 000 habitants du pays.

Mythologie coloniale

Les puissances coloniales s’appuyaient souvent sur des mythologies raciales pour diviser les populations autochtones. Alors que les Français affirmaient que les Berbères algériens descendaient des Gaulois pour les distinguer de leurs compatriotes arabes, les Britanniques présentaient les Druzes comme des descendants des Croisés, les décrivant comme une « race blanche plus ancienne » non arabe et « une race beaucoup plus propre et plus belle » que les autres Palestiniens, en raison de la prédominance de la peau claire et des yeux bleus parmi eux.

Bien que les Druzes aient été initialement considérés comme trop marginaux pour être embrigadés, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, les dirigeants sionistes ont mené une campagne concertée pour les intégrer.

Tout comme ils avaient exploité les rivalités entre les familles palestiniennes importantes de Jérusalem – les Husayni et les Nashashibi – les sionistes ont cherché à faire de même avec les Druzes, en encourageant le factionnalisme entre les Tarifet les Khayr , et en promouvant une identité sectaire particulariste.

Dans les années 1920, les autorités d’occupation britanniques ont instauré un système sectaire en Palestine pour servir la colonisation juive européenne – un système qui séparait la communauté druze palestinienne du reste du peuple palestinien. 

Aux côtés des sionistes, les Britanniques ont encouragé le factionnalisme et le communautarisme religieux – des efforts qui ont abouti à la fondation de la Druze Union Society sectaire en 1932, aux côtés de nouvelles sociétés musulmanes et chrétiennes orthodoxes formées à la même période dans le sillage de la politique britannique.

La même année, les efforts sionistes pour coopter les dirigeants druzes s’intensifient, se concentrant sur une faction en particulier et encourageant son sectarisme.

Cela provoqua des affrontements entre les différentes factions druzes en 1933, mais la famille nationaliste Tarif conserva son leadership et vainquit la faction collaborant avec les sionistes. Ces derniers espéraient que la cooptation des Druzes palestiniens ouvrirait la voie à des alliances avec les populations druzes plus importantes de Syrie et du Liban.

Tactiques anti-révolte

Dans la seconde moitié des années 1930, pendant la Grande Révolte palestinienne contre l’occupation britannique et la colonisation sioniste européenne (1936-1939), les sionistes et les Britanniques ont intensifié leur campagne sectaire pour empêcher les Palestiniens druzes de rejoindre le soulèvement anticolonial.

À cette fin, ils enrôlèrent Cheikh Hassan Abou Rukun , chef de faction druze du village palestinien d’Isfiya, à une époque où des Druzes de Palestine, de Syrie et du Liban avaient rejoint la révolte . En novembre 1938, Abou Rukun fut tué par les révolutionnaires palestiniens en tant que collaborateur, et son village fut attaqué pour expulser d’autres collaborateurs.

Les sionistes ont exploité son assassinat dans leur campagne sectaire visant à embrigader la communauté druze, affirmant qu’il était ciblé parce qu’il était druze plutôt que parce qu’il était un collaborateur.

En fait, pendant la révolte palestinienne, les révolutionnaires ont tué environ 1 000 collaborateurs palestiniens – la plupart d’entre eux étaient des musulmans sunnites, dont beaucoup étaient issus de familles importantes.

Alors même que les sionistes travaillaient assidûment à répandre le sectarisme parmi les communautés druzes de Palestine, de Syrie et du Liban, à la fin de 1937, ils prévoyaient simultanément d’expulser toute la population druze - alors au nombre de 10 000 personnes - de l’État juif projeté par la Commission Peel britannique , puisque tous les villages druzes se trouvaient à l’intérieur des frontières que celle-ci recommandait.

Pendant ce temps, les autorités d’occupation britanniques ont fait avancer leur projet sectaire en payant certains dirigeants druzes pour qu’ils s’abstiennent de participer à la révolte.

Schémas de transfert

En 1938, les sionistes établirent des relations avec le chef anticolonial druze syrien Sultan al-Attrache , dont la révolte de 1925-1927 contre le régime français avait été réprimée dix ans plus tôt. Ils proposèrent à al-Attrache le « plan de transfert » – l’expulsion de la communauté druze palestinienne, présentée comme un moyen de la protéger des attaques des révolutionnaires palestiniens.

Al-Attrache n’acceptait que la migration volontaire de ceux qui cherchaient refuge, mais refusait tout accord d’amitié avec les sionistes.

Pour atteindre al-Attrache, les sionistes ont fait appel à l’un de leurs contacts, Yusuf al-’Aysami , un ancien assistant druze syrien qui avait été en exil en Transjordanie dans les années 1930. Pendant son exil, il a rendu visite aux Druzes palestiniens et a établi des liens avec les sionistes.

En 1939, Haïm Weizmann, chef de l’Organisation sioniste, était favorable à l’idée d’expulser les Druzes. L’émigration « volontaire » de 10 000 Palestiniens – qui, selon lui, « seraient sans doute suivis dautres » – offrait une précieuse opportunité de faire progresser la colonisation européenne juive en Galilée, région du nord de la Palestine.

Le financement de l’achat de terres druzes ne se matérialisa cependant jamais. En 1940, la réconciliation entre certaines familles druzes et les révolutionnaires palestiniens allégea la pression sur les dirigeants druzes et ébranla le pari initial des sionistes sur la communauté.

En 1944, l’organisation de renseignement sioniste (alors connue sous le nom de « Shai ») et le syrien al-’Aysami ont élaboré un plan visant à transférer les Druzes en Transjordanie et à financer l’établissement de villages là-bas en échange de toutes les terres druzes en Palestine.

Les sionistes envoyèrent même une expédition d’exploration à l’est de Mafraq, en Transjordanie, pour mettre en œuvre le projet. Cependant, face à l’opposition des Druzes et des Britanniques, le projet échoua fin 1945. Néanmoins, en 1946, les sionistes réussirent à acquérir des terres appartenant aux Druzes en Palestine par l’intermédiaire de collaborateurs locaux.

Embrigadement

En décembre 1947, davantage de Druzes palestiniens rejoignirent la résistance, alors même que les sionistes et les collaborateurs druzes s’efforçaient de maintenir la neutralité de la communauté ou de la recruter du côté sioniste.

En fait, les Druzes de Syrie et du Liban ont rejoint la résistance palestinienne à la conquête sioniste en 1948.

En avril 1948, les combattants de la résistance druze palestinienne ont riposté contre la colonie juive de Ramat Yohanan en réponse à l’attaque d’un colon contre une patrouille druze et ont subi de lourdes pertes .

Cependant, malgré les victoires sionistes, la désertion et le désespoir parmi les combattants druzes ont donné aux agents de renseignement sionistes – parmi lesquels le leader sioniste ukrainien Moshe Dayan - et aux collaborateurs druzes l’occasion de recruter des transfuges druzes .

Lorsque la colonie israélienne fut établie en 1948, l’un de ses premiers actes fut d’institutionnaliser les divisions au sein du peuple palestinien en inventant des identités ethniques fictives, dessinées selon des lignes religieuses et sectaires.

À ce stade, l’État israélien a reconnu les Druzes palestiniens – alors au nombre de 15 000 – comme une secte religieuse « distincte » des autres musulmans et a établi des tribunaux religieux distincts pour eux.

Peu après, Israël a commencé à qualifier la population druze de « Druze » plutôt que d’« Arabe », tant sur le plan ethnique que national. Pourtant, à l’époque comme aujourd’hui, celle-ci a continué à subir la même discrimination raciale et l’oppression de type suprémaciste juif que tous les Palestiniens d’Israël, y compris l’ appropriation de leurs terres.

À ce moment-là, avec le soutien de l’État israélien, les collaborateurs druzes avaient pris le dessus au sein de la communauté. Certains de leurs dirigeants ont même appelé le gouvernement à enrôler des Druzes dans l’armée israélienne – une offre qu’Israël a dûment acceptée, même si les soldats druzes restent interdits de rejoindre les unités « sensibles ».

Résistance druze

Malgré la cooptation par l’État israélien de nombreux membres de la communauté druze, la résistance à la colonisation s’est poursuivie à un rythme soutenu.

Le poète druze palestinien Samih al-Qasim (1939-2014) demeure l’une des trois figures les plus célèbres du panthéon palestinien des poètes connus pour leur résistance au sionisme (les deux autres étant Tawfiq Zayyad et Mahmoud Darwish). Son œuvre est non seulement largement récitée dans la société palestinienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Palestine, mais nombre de ses poèmes ont été mis en musique par des chanteuses telles que Kamilya Jubran et Rim al-Banna .

Parmi les autres figures littéraires et universitaires druzes palestiniennes de premier plan à l’avant-garde de la résistance au sionisme et au colonialisme israélien figurent le romancier Salman Natour (1949-2016) ; le poète contemporain Sami Muhanna, qu’Israël a emprisonné à plusieurs reprises pour ses opinions politiques ; le regretté érudit Sulayman Bashir (1947-1991) qui a écrit sur l’histoire des relations de l’URSS avec le nationalisme palestinien et les « communistes » juifs sionistes ; et l’historien Kais Firro (1944-2019), connu pour ses histoires de la communauté druze.

La tentative actuelle d’Israël de coopter les dirigeants druzes syriens vise à reproduire ce qu’il a déjà réussi avec les collaborateurs druzes palestiniens.

Cependant, les dirigeants druzes syriens résistent à cette offensive israélienne en affirmant faire partie intégrante du peuple syrien, tout en condamnant la politique du nouveau régime « islamiste » et sectaire. 

Pourtant, la volonté d’Israël de détruire l’unité arabe reste intacte.

03/04/2025

GIDEON LEVY
Il y a 30 ans, le massacre de Qana a ébranlé Israël ; aujourd’hui, ce ne serait qu’une goutte d’eau de plus dans l’océan

Gideon Levy, Haaretz, 3/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

NdT : la traduction en anglais par Haaretz de l’article original en hébreu confond Qana au Liban et Kfar Kana/Kafr Qana en territoire israélien. Nous avons rectifié cette erreur.

Quelle naïveté et quelle sensibilité ! Le 18 avril 1996 - il y a 29 ans - une batterie d’artillerie israélienne a fourni un tir de couverture pour sortir le commando Maglan, dirigé par le major Naftali Bennett, d’une embuscade dans le village de Qana, au sud du Liban. Quatre obus frappent un camp de réfugiés des Nations unies, tuant 106 civils, dont de nombreux enfants.

Qana, par Moustafa Haidar, 1996

Le porte-parole des Forces de défense israéliennes a tenté de mentir et de brouiller les pistes, comme d’habitude ; le Premier ministre Shimon Peres a déclaré que nous étions “très désolés” mais que nous “ne nous excusons pas”, et le monde s’est déchaîné. Quelques jours plus tard, Israël a été contraint de mettre fin à l’opération “Raisins de la colère”, une autre des opérations militaires insensées entreprises au Liban au cours de ces années-là. Un mois plus tard, Benjamin Netanyahou était élu pour la première fois au poste de premier ministre, en partie grâce à Qana. Comme nous étions naïfs à l’époque, et sensibles.

Chadia Bitar proteste contre la visite de Shimon Peres en 2003 à Dearborn, Michigan, pour recevoir le prix John P. Wallach Peacemaker Award. Les deux jeunes fils de Chadia Bitar (Hadi, 8 ans, et Abdul-Mohsen, 9 ans) faisaient partie des 106 civils tués par les bombes israéliennes à Qana, au Liban, en avril 1996. Photo Rebecca Cook Reuters/Newscom

Qana est devenu le modèle du cauchemar israélien dans chaque guerre : un incident au cours duquel des dizaines de civils sont tués, forçant Israël à mettre fin à la guerre : tout sauf cela. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, Israël peut massacrer à sa guise, sans craindre un nouveau Qana. 

Au cours des deux dernières semaines Israël a commis un “Qana” presque tous les jours dans la bande de Gaza, et personne ne demande que ça  s’arrête. Le cauchemar de Qana s’est évaporé. Il n’est plus nécessaire de veiller à ne pas tuer des dizaines de civils innocents. Tout le monde s’en moque. Le porte-parole de Tsahal n’a plus besoin de mentir, le premier ministre n’a plus besoin de s’excuser. Le monde et la conscience d’Israël ont fondu.

Si l’horrible bain de sang de dimanche, dans la phase actuelle de la guerre de Gaza, n’arrête pas Israël, si le l’assassinat d’une équipe médicale à Rafah ne l’arrête pas, qu’est-ce qui pourrait l’arrêter ? Rien. Israël peut commettre autant de massacres qu’il le souhaite. Et apparemment, il en voudrait beaucoup.

Dans la première frappe de la nouvelle guerre à Gaza, Israël a tué 436 civils, dont 183 enfants et 94 femmes. Qana, quatre fois plus, et encore plus. 

Qana 2, par Moustafa Haidar, 1996

L’article choquant paru dans le Haaretz de vendredi de Nir Hasson et Hanin Majadli, a montré les visages et rapporté les histoires. Elles ont fait froid dans le dos. Cette semaine, les détails d’un autre massacre horrible, peut-être le plus barbare de tous jusqu’à présent, ont été publiés : le massacre d’équipes d’intervention d’urgence dans le quartier Tel al-Sultan de Rafah. Quinze corps, dont un avec les jambes ligotées et un autre transpercé de 20 balles, ont été retrouvés enterrés dans le sable, les uns sur les autres, avec leurs ambulances et leurs camions de pompiers.

Selon des témoins oculaires, au moins quelques-uns d’entre eux ont été exécutés. Tous étaient des secouristes qui tentaient d’atteindre des personnes blessées lors de frappes aériennes israéliennes. En temps normal, le rapport de Hasson, Jack Khoury et Liza Rozovsky(Haaretz, mardi), aurait suffi à faire cesser la guerre. Qana fait pâle figure en comparaison avec ce niveau de barbarie. Dans le premier cas, on pourrait croire qu’Israël a tué par inadvertance des dizaines d’innocents ; à Tel al-Sultan, il était clair qu’il y avait une intention malveillante et criminelle de le faire.

Ce qui s’est passé à Tel al-Sultan est un massacre de My Lai israélien. Mais alors que My Lai a marqué un changement radical dans l’opinion publique usaméricaine contre la guerre du Viêt Nam, Tel al-Sultan n’a pas intéressé la plupart des médias israéliens. L’USAmérique de l’époque, militariste et soumise à un lavage de cerveau, était en émoi ; l’Israël d’aujourd’hui a fermé les yeux sur Tel al-Sultan. 

Non seulement ces massacres n’ont pas provoqué de changement dans l’opinion publique ni entraîné l’arrêt de la guerre, mais ils semblent encourager d’autres massacres. Mardi, l’armée israélienne a bombardé une clinique de l’UNRWA dans le camp de Jabalya, tuant 19 personnes, dont des enfants. C’est le genre de massacre que l’on laisse se reproduire. Qui aurait pu imaginer que nous pourrions un jour nous remémorer avec tendresse l’époque de Qana, de l’opération “Raisins de la colère” ou du gouvernement Peres ? Et pourtant, nous en sommes là.


09/10/2024

DOHA CHAMS
Un monde qui finit et un autre qui ne commence même pas : Beyrouth, octobre 2024

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 4/10/2024

Original : عالم ينتهي وآخر لا يبدأ

Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

 Rouler dans la rue, c’est ce que je ressentais, comme si mes pieds étaient devant moi et que mon corps les rattrapait. Parfois, je restais comme ça un moment, je faisais une pause pour retrouver un équilibre que je me sentais sur le point de perdre, puis je me remettais à marcher de plus en plus lentement, malgré moi, comme une vieille femme seule et désemparée qui porte un poids trop lourd pour elle.


Beyrouth ces derniers jours. Photo Diego Barra Sanchez/The New York Times/Redux/Laif

Il fallait que je sorte. Je suis allée à la banque, j’ai récupéré l’« argent de poche» mensuel de mon dépôt qui avait été bloqué pendant six ans. Puis j’ai marché comme une vagabonde, comme une machine en ruine, comme le van numéro 4 qui, malgré toutes les destructions, circule encore de la banlieue dévastée qui m’a amenée ici, jusqu’à la rue Hamra.

Je marche en me persuadant que je suis en train de visiter l’endroit et non pas d’errer, sans savoir quoi faire. C’est comme si mes intestins flottaient dans mon ventre, aussi erratiquement que le font les astronautes sur la lune à cause de l’apesanteur.

Près du journal As-Safir, qui était à son apogée quand Israël est entré dans Beyrouth en 1982, et dont les employés se tenaient devant sa porte pour empêcher les soldats d’entrer, divers réfugiés de nos patries arabes sinistrées et des déplacés des lieux bombardés, que ce soit les banlieues, le sud, la Bekaa ou même Beyrouth, après qu’Israël a bombardé avant-hier un de ses immeubles résidentiels et assassiné trois dirigeants palestiniens, dont l’un était une de mes connaissances.

Irakiens, Syriens, Soudanais, et Égyptiens, ainsi que les pauvres d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh.

Près d’un rassemblement de personnes déplacées, un petit magasin express s’active pour répondre à leurs besoins, et au coin de la rue, je m’attarde devant une petite librairie qui a ouvert ses portes pour je ne sais quelle raison. Je lis les titres des livres proposés, essayant de trouver quelque chose pour me distraire de la tristesse indescriptible qui m’étreint. Comment échapper à la tristesse qui vous habite ?

Une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue de noir, comme si elle était en deuil, sort de l’intérieur, une cigarette allumée à la main, pour me demander si j’ai besoin d’aide. Son visage est fatigué, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Elle me demande, mais elle me regarde un instant, et puis c’est comme si elle me reconnaissait de quelque part. Elle pose sa cigarette allumée sur le bord du cendrier, puis tend la main avec empressement pour me serrer la main en se présentant par son nom complet, comme si j’étais une vieille amie qu’elle avait enfin rencontrée. Je maudis ma mémoire défaillante tout en essayant de sourire pour camoufler mon ignorance de la personne à qui je parlais. Mais une chaleur émanait de ces yeux, et de ses paumes qui se resserraient autour de ma main.

J’ai regardé ses yeux rougis d’avoir tant pleuré, et elle a regardé à son tour mes yeux gonflés, et nous n’avons pas pu nous empêcher de pleurer ensemble, silencieusement et sans bruit.

Nous étions des étrangères, mais ce que nous pleurions était la même chose. Me voilà enfin en train de pleurer. J’ai laissé mes larmes, retenues par la colère et une douleur unique, couler tranquillement comme si elles avaient enfin trouvé un endroit sûr pour se déverser sans provoquer la jubilation de qui que ce soit.

Elle a pleuré, j’ai pleuré. Sans un mot. Nous nous sommes assises sur un divan coincé entre les nombreux livres poussiéreux de cette librairie étroite, à l’angle de deux rues, rendue encore plus exiguë par le nombre de livres et d’objets qui s’y trouvaient. Une pièce sans lumière, aussi sombre que le ciel à l’extérieur, comme si elle venait d’ouvrir ses portes après une longue période de fermeture. L’odeur était mélangée, entre l’atmosphère d’un pub, remplie d’odeurs de cigarettes éventées, de boissons et de vie nocturne, et l’odeur des livres que personne n’a achetés depuis longtemps. Nous pleurons en silence, puis chacune de notre côté, nous sortons un mouchoir de la boîte, nous essuyons nos larmes et nous ne disons rien. Au bout de quelques minutes, elle soupire et dit avec un sourire triste : « Tu bois du café ? »

J’étais soulagée de pleurer ensemble. Je suis allée jusqu’au quartier Bristol. Devant un petit magasin de téléphonie, deux jeunes hommes étaient assis en train de fumer. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre qu’il n’osait pas aller voir son magasin dans la banlieue, non pas par crainte des bombardements israéliens « auxquels on est habitués », mais par crainte de constater la destruction de son gagne-pain.

Siham dort également dans la zone portuaire où elle travaille comme infirmière bénévole. La nuit de l’assassinat, vers l’aube, ses jambes l’ont trahie lorsqu’elle a constaté que sa maison, située à quelques rues de l’endroit où les Israéliens ont bombardé la zone, semblait s’effondrer dans la lumière des premiers rayons de l’aube. Elle est restée quelques minutes dans la lumière de l’aube naissante, puis a quitté l’endroit dévasté et a repris la route vers son lieu de travail.

Dans l’immeuble Concorde de la rue de Verdun, près de la rue Hamra, je me rends dans un centre de visas pour me renseigner sur certaines conditions en vue d’une invitation professionnelle dans un pays étranger. Le centre se trouve au cinquième étage du bâtiment, et le journal Al-Akhbar pour lequel je travaillais se trouve au sixième étage. D’habitude, je passe saluer mes collègues. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu.

Je pars en me disant que mon passage devant les deux journaux pour lesquels j’ai travaillé pendant vingt et un ans n’était peut-être pas une coïncidence. Peut-être que mon travail de reporter sur le terrain en temps de guerre me manquait. Lorsque je l’ai fait, j’ai eu l’impression de contribuer à la défense de ma patrie. Quelque chose qui donnerait un sens à ma vie dans ce pays qui a été « conçu » par les colonisateurs lorsqu’ils ont « dessiné la carte de l’Orient » pour qu’il soit une arène de conflits et de compromissions pour ceux qui détiennent le pouvoir, et non un pays sûr pour son peuple. Aujourd’hui, ils veulent le redessiner. Dans quel but, n’est-ce pas évident ?

Le surplus de pouvoir dont jouit le brutal Israël et la galaxie de puissants intimidateurs qui le soutiennent les fait jouir. Ce n’est pas grave. Allez, on y va. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Voyons comment ça se termine.

Sur le chemin du retour, au détour d’un virage, je croise un ancien collègue. Nous sommes à deux mètres l’un de l’autre et il sourit de surprise, heureux de me voir, mais les yeux aussi gonflés que les miens. J’ai envie de pleurer encore pour savoir comment il va, mais il ne dit pas un mot, il me serre dans ses bras sans rien dire, et il pleure aussi.