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12/04/2025

OMRI BOEHM
L’ambassade d’Israël a annulé mon discours à Buchenwald. En tant que petit-fils de survivants de l’Holocauste, voici ce que je voulais dire

“Plus jamais ça” peut se décliner de deux manières : « Plus jamais ça » tout court ou « Plus jamais ça pour nous, les Juifs », que ce soit pendant l’Holocauste ou le 7 octobre. Il est temps de laisser tomber cette distinction

Omri Boehm, Haaretz, 10/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Le texte qui suit fait partie d’un discours que le philosophe israélien Omri Boehm était censé prononcer à Weimar, en Allemagne, à l’occasion de la commémoration officielle des 80 ans de la libération de Buchenwald.
Sous pression de l’ambassade d’Israël à Berlin, le Mémorial de Buchenwald a retiré son invitation de Boehm, invoquant la volonté d’éviter que les survivants de l’Holocauste ne soient entraînés par l’ambassade dans un débat politique.
L’intervention de Boehm, lui-même petit-fils de survivants de l’Holocauste, sera « reportée à une date ultérieure »*. Boehm lui-même a déclaré qu’il était important « de laisser la cérémonie se dérouler en accordant l’attention qu’elle mérite aux survivants et à l’importance du lieu ».-Haaretz

*C’est désormais une tradition allemande : les annulations sous pression israélienne sont qualifiées de « reports » (aux calendes grecques), comme ce fut le cas pour l’annulation de la remise du prix de littérature à l’écrivaine Adania Shibli à Francfort le 20 octobre 2023 [NdT]

Yosef Hayim Yerushalmi, le grand historien de la mémoire juive, a terminé son ouvrage, “Zakhor” (Souviens-toi), par une question : « Et si l’antonyme de l’oubli n’était pas le souvenir, mais la justice ? » Yerushalmi lui-même n’a jamais répondu à cette question, mais elle nous incite à réfléchir à l’importance et à l’autorité de la mémoire dans un contexte où il est difficile de la conserver intacte.
Selon Yerushalmi, la tradition juive fait une distinction entre l’histoire et la mémoire. Alors que l’histoire est écrite à la troisième personne et prétend être factuelle, la mémoire ne peut être racontée qu’à la première personne, au singulier ou au pluriel, nous appelant ainsi à l’action.
C’est là que réside la différence la plus profonde entre l’histoire et la mémoire : alors que l’histoire concerne véritablement le passé, la mémoire est axée sur l’avenir. Il est possible de se souvenir tout en oubliant, et le contraire de l’oubli n’est pas de connaître le passé, mais de rester engagé dans le devoir qu’il exige de nous.
Cela permet de résoudre une contradiction apparente au cœur de la vie culturelle juive. D’une part, le judaïsme est occupé par la mémoire. D’autre part, il s’agit d’une tradition prophétique, intéressée par l’avenir, axée sur un idéal utopique. La tension est artificielle : lorsque les prophètes nous enjoignent zakhor !, ils rappellent que rendre justice à l’avenir, c’est en fait rendre justice au passé.
Mais cette position ne peut être qu’un premier pas. Car l’idéal que les prophètes nous ont enseigné n’est pas tout à fait la justice. Hermann Cohen l’a exprimé avec force en expliquant que la paix, et non la justice, est pour les Juifs ce que l’harmonie était pour les Grecs : le parfait, ou l’ensemble. Shalem, le mot hébreu qui signifie entier, est à l’origine de shalom, la paix. Se pourrait-il que le contraire de l’oubli ne soit ni le souvenir ni la justice, mais la paix ? 
Cohen associe les prophètes bibliques à Kant, en particulier à l’idéal des Lumières qu’il a envisagé dans “La paix perpétuelle”. Contre la doctrine “réaliste” d’Héraclite, selon laquelle “Polemos [la guerre] est le père de toutes choses”, Kant et les prophètes bibliques proposent une alternative : non pas la prétendue réalité et nécessité de la guerre, mais l’idéal de la paix en tant qu’origine de la vie et du droit humains. Kant savait bien que notre réalité violente est loin d’être utopique. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit : il observe qu’au milieu de réalités “barbares”, nous devons nous soumettre à des lois qui préservent la possibilité de la paix. Sinon, nous glisserions vers la destruction totale par des “guerres d’extermination”.
Lorsque nous nous souvenons aujourd’hui de l’horrible histoire de Buchenwald, que nous regardons les images insoutenables prises lors de la libération du camp, que nous fixons les yeux des survivants de l’Holocauste qui sont encore parmi nous, je ne peux m’empêcher de penser à cette mise en garde kantienne. Peut-on lutter contre l’oubli tout en restant fidèle à l’idéal de paix ?
Car il est clair qu’il existe d’autres traditions de mémoire ; l’une d’entre elles est devenue trop familière ces derniers temps : « Souvenez-vous [zakhor] de ce qui vous a été fait par Amalek », en référence à l’ennemi biblique des Hébreux, et « éradiquez sa semence ».
Ces deux traditions, celle de la recherche de la paix et celle de l’éradication d’Amalek, nous sont ouvertes. Laquelle choisirons-nous ? Et quelles en seront les conséquences ?
À l’époque de Kant, la “paix perpétuelle” semblait totalement utopique. Pourtant, ses principes sous-jacents ont été intégrés dans le droit international, en grande partie en réponse aux images et aux récits provenant des camps de concentration, comme Buchenwald. En effet, dans les photographies qui provenaient de Buchenwald, mais aussi d'Auschwitz, de Treblinka, de Bergen-Belsen et de tant d'autres lieux, l'humanité se regardait dans le miroir et découvrait qu'elle n'avait pas seulement été impliquée dans une guerre déchaînée et un génocide. L'antisémitisme fanatique qui avait conduit l'Allemagne nazie à tenter d'exterminer systématiquement les Juifs était aussi une attaque contre l'idée même de dignité humaine.
Pour la première fois, le devoir de protéger la dignité humaine a été inscrit dans les constitutions des États et les conventions internationales. À partir des horreurs vécues dans des lieux comme Buchenwald, ce qui avait été considéré comme une utopie s’est transformé en un processus réel : la tentative de protéger tous les êtres humains, non seulement en tant que citoyens, par leurs États, mais aussi contre leurs États, et surtout s’ils ne sont pas citoyens du tout. Par cette transformation, l’humanité a refusé que la guerre reste “le père de toutes choses” et qu’elle ne soit plus jamais inscrite dans l’existence humaine. C’était l’engagement le plus profond pour l’avenir à travers le devoir envers le passé, en dérivant les lois des idéaux de dignité et de paix.
On dit que le " plus jamais ça" a deux formulations : la première est “plus jamais ça” et la seconde, compte tenu de l’antisémitisme génocidaire qui a culminé dans la Solution finale, “plus jamais ça pour nous”. Le moment est venu de mettre de côté cette distinction. 
“Plus jamais ça” n’est valable que dans sa formulation universelle, entre autres parce que ce n’est que sous cette forme qu’il peut rendre justice à sa formulation particulière. Un monde dans lequel une répétition de Buchenwald est possible n’importe où est un monde dans lequel elle est possible partout, y compris contre les Juifs. Seule une communauté internationale qui s’engage à éradiquer la possibilité d’une violence illimitée par le biais de la loi est une communauté qui lutte pour garantir que les mêmes crimes ne se reproduiront pas.
Ces jours-ci, certains évoquent le massacre brutal du 7 octobre et disent : “Plus jamais ça !”, tandis que d’autres regardent la destruction systématique de Gaza, la famine, en disant la même chose. Si l’une ou l’autre de ces affirmations se veut une comparaison avec l’Holocauste, elles sont toutes deux trompeuses. Pourtant, les deux déclarations contiennent un noyau de vérité, exposant l’incapacité à empêcher la déshumanisation complète des sociétés. Pire : toutes deux révèlent une communauté internationale divisée par ses alliances, mais unie dans sa volonté de tolérer, et souvent de justifier, des crimes déshumanisants et de compromettre la possibilité de la paix.
Alors que nous célébrons la libération de Buchenwald, le monde entre dans une nouvelle ère. Les USA tournent le dos à leurs alliés libéraux européens, à l’État de droit et aux institutions internationales démocratiques.. Poutine mène une guerre d’agression contre l’Ukraine, et l’Union européenne devra apprendre à se protéger de manière indépendante. Pendant ce temps, les nationalpopulistes ethniques se développent, bénéficiant d’un réseau d’alliances aux USA et ailleurs.
Ces nationalistes ne sont pas les plus dangereux lorsqu’ils prétendent renier leurs origines fascistes et antisémites, mais lorsqu’ils prétendent être ceux qui combattent l’antisémitisme et rendent justice au passé.
Mettons en garde contre eux avec force, mais entretemps n’oublions pas de nous remettre en question nous-mêmes, de nous assurer que nous restons une véritable alternative. Une alternative qui s’appuie sur l’engagement en faveur de l’État de droit et du droit international. Celle qui comprend encore que, si nous ne restions pas fidèles à un idéal de dignité et de paix, leur remplacement par la doctrine de la guerre comme “père” de tout nous ferait rapidement passer du “plus jamais ça” au “ à nouveau ça”. Pour s’opposer à ce glissement, il faut connaître l’histoire de Buchenwald et s’en souvenir. Mais cela ne suffit pas. Nous devons également veiller à ne jamais oublier.

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04/08/2024

JEFFREY SACHS
Dix principes pour une paix perpétuelle au XXIe siècle

Les structures fondées sur les Nations Unies sont fragiles et ont besoin d’une mise à niveau urgente ; nous devrions prendre cela en considération lors du Sommet de l’avenir de l’ONU les 22 et 23 septembre prochains.

Jeffrey D. Sachs, Common Dreams, 24/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala  

L’année prochaine marquera le 230e anniversaire de l’essai célèbre d’Immanuel Kant, « Projet de paix perpétuelle » (1795). Le grand philosophe allemand a proposé un ensemble de principes directeurs pour parvenir à une paix perpétuelle entre les nations de son époque. Alors que nous nous démenons dans un monde en guerre, et de fait en grave danger d’Armageddon nucléaire, nous devrions nous appuyer sur l’approche de Kant pour notre temps. Un ensemble mis à jour de principes devrait être soumis au Sommet de l’avenir de l’ONU en septembre.

 

Kant était pleinement conscient que ses propositions se heurteraient au scepticisme des politiciens « pratiques » :

Le Politique pratique a coutume de témoigner au faiseur de théories autant de dédain qu’il a de complaisance pour lui-même. À ses yeux, ce dernier n’est qu’un pédant d’école, dont les idées creuses ne portent jamais préjudice à l’État, auquel il faut des principes déduits de l’expérience, qu’un joueur insignifiant, à qui il permet de faire, de suite tous ses coups, sans avoir besoin de prendre, dans sa sagesse, des mesures contre lui.

Néanmoins, comme l’a noté l’historien Mark Mazower dans son étude magistrale sur la gouvernance mondiale [Governing the World: The History of an Idea, 1815 to the Present, 2013], l’œuvre de Kant était un « texte qui allait ifluencer par intermittence des générations de penseurs sur le gouvernement mondial jusqu’à notre époque », aidant à jeter les bases des Nations Unies et du droit international sur les droits humains , la conduite de la guerre et le contrôle des armements.

Les propositions centrales de Kant tournaient autour de trois idées. Premièrement, il rejetait les armées permanentes. Celles-ci « menacent incessamment d’autres États par leur disponibilité à se montrer à tout moment prêtes pour la guerre. » En cela, Kant anticipait d’un siècle et demi l’avertissement célèbre du président américain Dwight D. Eisenhower sur les dangers du complexe militaro-industriel. Deuxièmement, Kant appelait à la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. En cela, Kant s’insurgeait contre le genre d’opérations secrètes auxquelles les USA ont recouru sans relâche pour renverser des gouvernements étrangers. Troisièmement, Kant appelait à une « fédération d’États libres », qui dans notre époque est devenue les Nations Unies, une « fédération » de 193 États engagés à opérer sous la Charte de l’ONU.

Kant plaçait de grands espoirs dans la forme républicaine, opposée au règne d’un seul, comme frein à la guerre. Kant estimait qu’un dirigeant unique céderait facilement à la tentation de la guerre :

(…) dans une constitution, où les sujets ne sont pas citoyens de l’État, c’est-à-dire qui n’est pas républicaine, une déclaration de guerre est la chose du monde la plus aisée à décider ; puisqu’elle ne coûte pas au chef, propriétaire t non pas membre de l’État, le moindre sacrifice de ses plaisirs de la table, de la chasse, de la campagne, de la cour etc. ; Il peut donc résoudre une guerre, comme une partie de plaisir, par les raisons les plus frivoles, et en abandonner avec indifférence la justification, qu’exige la bienséance, au corps diplomatique, qui sera toujours prêt à la faire.

En revanche, selon Kant :

... si le consentement de chaque citoyen est requis pour décider que la guerre doit être déclarée (et dans cette [constitution républicaine] il ne peut en être autrement), ils seraient naturellement très prudents pour décréter contre eux-mêmes toutes les calamités de la guerre.

Kant était beaucoup trop optimiste quant à la capacité de l’opinion publique à restreindre les actes de guerre. Les républiques athénienne et romaine étaient notoirement belliqueuses. La Grande-Bretagne était la démocratie de pointe du XIXe siècle, mais peut-être aussi sa puissance la plus belliqueuse. Depuis des décennies, les USA se sont engagés sans relâche dans des guerres choisies et des renversements violents de gouvernements étrangers.

Il y a au moins trois raisons pour lesquelles Kant s’est trompé à ce sujet. Premièrement, même dans les démocraties, le choix de lancer des guerres repose presque toujours sur un petit groupe d’élites qui sont en fait largement isolées de l’opinion publique. Deuxièmement, et tout aussi important, l’opinion publique est relativement facile à manipuler par la propagande pour susciter le soutien public à la guerre. Troisièmement, le public peut être tenu à l’écart à court terme des coûts élevés de la guerre en finançant la guerre par la dette plutôt que par l’impôt, et en s’appuyant sur des sous-traitants, des recrues payées et des combattants étrangers plutôt que sur la conscription.

Les idées centrales de Kant sur la paix perpétuelle ont contribué à faire évoluer le monde vers le droit international, les droits humains et la conduite décente en temps de guerre (comme les Conventions de Genève) au XXe Siècle. Pourtant, malgré les innovations dans les institutions mondiales, le monde reste terriblement éloigné de la paix. Selon l’Horloge de l’Apocalypse du Bulletin des scientifiques atomiques, nous sommes à 90 secondes de minuit, plus proches de la guerre nucléaire que jamais depuis l’introduction de l’horloge en 1947.

L’appareil mondial des Nations Unies et du droit international a sans doute empêché une troisième guerre mondiale à ce jour. Le Secrétaire général de l’ONU, U Thant, par exemple, a joué un rôle vital dans la résolution pacifique de la crise des missiles cubains de 1962. Pourtant, les structures fondées sur l’ONU sont fragiles et ont besoin d’une mise à niveau urgente.


Non-violence, de Carl Fredrik Reuterswärd, devant le siège de l’ONU à New-York

Pour cette raison, j’exhorte à formuler et adopter un nouvel ensemble de principes basés sur quatre réalités géopolitiques clés de notre époque.