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13/08/2022

MARCO MAURIZI
Travail enseignant et émancipation sociale : ce n’est pas une “mission”
L'école de la crise

 Marco Maurizi, KulturJam, 17/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La crise scolaire ne fait qu'un avec la crise générale dans laquelle nous avons sombré. Mais les écoles doivent recommencer à penser la crise comme un moment constitutif de la société dans son ensemble.

Reconnaissance, par Mauro Biani

L'école de la crise

Tout enseignant reconnaît tôt ou tard le danger de comprendre son travail comme une “mission”, c'est-à-dire l'idée que tout sacrifice personnel peut être justifié par un objectif plus élevé et plus noble.

Face à cela, l'idée que le travail enseignant est avant tout un "travail" est un point qui doit être rappelé avec force. Et pourtant, de quel genre de travail s'agit-il ? Quelle est sa forme, son but, son essence ?

Ce sont des questions auxquelles il n'est pas facile de répondre mais qui ne peuvent manquer d'être posées. Curieusement, ce sont aussi celles qui sont régulièrement éludées par la réflexion sur l'école, en premier lieu par la réflexion psychopédagogique qui s'est toujours efforcée de trouver des “solutions”, régulièrement infructueuses, aux problèmes posés par la crise permanente de l'institution scolaire.

Bien sûr, l'enseignant, en tant que travailleur, sait qu'il y a des aspects de son travail qui ne diffèrent pas essentiellement de ceux des autres travailleurs et qui sont régulièrement abordés par les syndicats : ils concernent le pouvoir d'achat des salaires, les conditions de sécurité, les horaires de travail, etc.

Cependant, face à cette “protection” qui, malgré tous les revers évidents dus à l'évolution des rapports de force de ces dernières décennies, parvient encore à endiguer des changements substantiels et aggravants dans le travail enseignant au niveau juridique, il est impossible d'échapper au sentiment que ces changements ont néanmoins eu lieu et sont venus d'une autre direction.

Si, par exemple, les enseignants peuvent dire que le temps qui correspond au salaire versé n'a pas substantiellement changé, l'aggravation décisive qu'ils ressentent à fleur de peau tient avant tout à la qualité de ce temps. Les enseignants ont le sentiment de travailler plus et moins bien alors que leur contrat ne s'est pas détérioré juridiquement. Pourquoi ? Et comment cela a-t-il été possible ?

-L'école doit développer l'esprit critique
-Pourquoi ? L'esprit critique, ça ne se mange pas
Mauro Biani

 

Travail improductif-critique

Tout d'abord, il est nécessaire de réfléchir au fait que le métier d'enseignant n'est certes pas une “mission” mais ce n'est pas non plus un métier comme les autres. Il a une spécificité propre qui tient à sa nature d'emploi essentiellement intellectuel, ainsi qu'au fait qu'il constitue une part importante en termes quantitatifs et qualitatifs de la fonction publique.

L'enseignant n'est pas un travailleur subordonné quelconque, il n'est pas un indépendant, mais il n'est pas non plus un simple fonctionnaire exécutant des tâches fixées d'en haut : dans une ligne idéale qui le relie à la figure du chercheur universitaire et de l'intellectuel, l'enseignant représente une figure insaisissable dans laquelle convergent des tendances contradictoires de la société contemporaine. Elle représente, précisément pour cette raison, le site exemplaire d'un affrontement politique persistant.

La réponse à la question “Qu'est-ce que le travail enseignant ?” est donc avant tout d'une réponse politique puisqu'elle met inévitablement en jeu non seulement le sens et la fonction de l'école dans la société mais l'idée même de société dans laquelle l'école doit fonctionner. C'est précisément sur cette nature très particulière du travail enseignant que se greffent à la fois son potentiel critique et la nécessité d'une attaque, poursuivie depuis des décennies, contre son autonomie.

D'une part, il convient en effet de rappeler de manière marxienne que le travail enseignant est une des formes de travail improductif puisqu'il ne produit ni valeur ni profit ; au contraire, il est une des manières dont la valeur produite dans la sphère matérielle est réinvestie au niveau social global. Les formes et les retombées de cet investissement de la richesse dépendent précisément des relations de pouvoir politique dans la société.

Dans les années 60 et 70, dans une période de conflit et de promotion sociale des classes subalternes, il a été possible de stimuler, à travers l'expansion de l'éducation publique et un rôle fort de l'école et du corps enseignant en général, le protagonisme de ces classes : l'école de masse “démocratique” signifiait en même temps la diffusion de la connaissance et de la culture, l'augmentation de la mobilité sociale et le potentiel critico-conflictuel de ces mêmes masses.

D'autre part, et par voie de conséquence, le caractère improductif du travail intellectuel en général signifie non seulement qu'il n'est pas chargé de tâches pratiques immédiates relevant de la sphère de la production matérielle, mais qu'il a aussi inévitablement pour objet la réflexion critique sur son propre rôle et ses relations avec cette même sphère de production.

En d'autres termes, l'enseignant, tout comme le chercheur universitaire et l'intellectuel, non seulement ne peut pas être invité à “faire” - la genèse et la transmission de la connaissance ne peuvent jamais s'inscrire dans un simple schéma productif, mais nécessitent quelque chose qui se situe dans l'ordre de la liberté et de la créativité - mais il doit surtout être conscient du sens et de la finalité du “faire” en général.