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06/12/2025

La course aux minéraux critiques met la planète en danger

Johanna Sydow  et Nsama Chikwanka, Project Syndicate, 5/12/2025

Traduit par Tlaxcala

Johanna Sydow dirige la Division de politique environnementale internationale à la Fondation Heinrich Böll (Allemage).
Nsama Chikwanka est directeur national de Publish What You Pay Zambia.

Alors que les gouvernements affaiblissent les protections environnementales afin de promouvoir de nouveaux projets miniers, la ruée mondiale vers les minéraux critiques accentue les divisions sociales et endommage des écosystèmes vitaux. Seule une réduction de la consommation et la mise en place de règles robustes et contraignantes peuvent prévenir des dommages durables et protéger les droits humains fondamentaux.

Une vue des vestiges démantelés d’un camp de prospection aurifère illégal, « Mega 12 », lors d’une opération policière visant à détruire des machines et équipements illégaux dans la jungle amazonienne, dans la région de Madre de Dios, au sud-est du Pérou, le 5 mars 2019. – L’extraction illégale d’or en Amazonie a atteint des proportions « épidémiques » ces dernières années, causant des dommages aux forêts intactes et aux voies d’eau, et menaçant les communautés autochtones. Photo GUADALUPE PARDO / POOL / AFP via Getty Images

BERLIN – Le coût environnemental et humain de l’extraction minière apparaît chaque jour plus clairement – et de façon plus alarmante. Environ 60 % des cours d’eau du Ghana sont aujourd’hui fortement pollués en raison de l’exploitation aurifère le long des rivières. Au Pérou, de nombreuses communautés ont perdu l’accès à l’eau potable après l’assouplissement des protections environnementales et la suspension des contrôles réglementaires visant à faciliter de nouveaux projets miniers, contaminant même le fleuve Rímac, qui approvisionne la capitale, Lima.

Ces crises environnementales sont aggravées par l’approfondissement des inégalités et des divisions sociales dans de nombreux pays dépendant de l’industrie minière. L’Atlas mondial de la justice environnementale a recensé plus de 900 conflits liés à l’extraction minière dans le monde, dont environ 85 % impliquent l’usage ou la pollution des rivières, lacs et nappes phréatiques. Dans ce contexte, les grandes économies redéfinissent rapidement la géopolitique des ressources. Les USA, tout en tentant de stabiliser l’économie mondiale fondée sur les combustibles fossiles, s’efforcent également d’assurer l’approvisionnement en minéraux nécessaires aux véhicules électriques, aux énergies renouvelables, aux systèmes d’armement, aux infrastructures numériques et au secteur de la construction, souvent par le biais de pressions ou de tactiques de négociation agressives. Dans leur quête visant à réduire la dépendance à l’égard de la Chine, qui domine le traitement des terres rares, les considérations environnementales et humanitaires sont de plus en plus reléguées au second plan. 

L’Arabie saoudite cherche également à se positionner comme une puissance montante du secteur minier dans le cadre de ses efforts de diversification économique, nouant de nouveaux partenariats – y compris avec les USA – et accueillant une conférence minière très médiatisée. Parallèlement, le Royaume sape activement les progrès réalisés dans d’autres enceintes multilatérales, notamment lors de la Conférence des Nations unies sur le climat au Brésil (COP30) et dans les négociations préliminaires de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA7).

En Europe, des groupes industriels font pression pour une déréglementation accrue, tandis que des compagnies pétrolières comme ExxonMobil, TotalEnergies et Siemens recourent à des stratégies trompeuses pour affaiblir les nouveaux mécanismes destinés à protéger les droits des communautés vivant dans les régions productrices de ressources. Nous devrions nous inquiéter du fait que les entreprises et pays qui ont contribué au réchauffement climatique, à la dégradation de l’environnement et aux violations des droits humains cherchent désormais à dominer le secteur minier. Leur en donner l’occasion mettrait en danger l’ensemble de l’humanité, et pas seulement les populations vulnérables.

Les gouvernements ne doivent pas rester passifs. Ils doivent reprendre la main sur le principal moteur de l’expansion minière : la demande. Réduire la consommation de matériaux, en particulier dans les pays développés, reste le moyen le plus efficace de protéger les écosystèmes vitaux et de prévenir les dommages à long terme qu’entraîne inévitablement l’extraction.

Pourtant, malgré les preuves accablantes montrant que l’augmentation de l’extraction menace les ressources en eau et la sécurité publique, les gouvernements du monde entier affaiblissent les protections environnementales dans le but d’attirer les investissements étrangers, mettant ainsi en péril les écosystèmes qui soutiennent toute vie sur Terre. D’un point de vue économique, cette stratégie est profondément myope.

En réalité, des recherches récentes montrent que les pratiques responsables ne sont pas seulement moralement justifiées mais aussi économiquement judicieuses. Un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour le développement, fondé sur cinq années de données provenant de 235 multinationales, révèle que les entreprises qui améliorent leur respect des droits humains tendent à mieux performer sur le long terme. Les gouvernements devraient donc se méfier des affirmations selon lesquelles la rentabilité exige la réduction des réglementations environnementales ou l’ignorance des droits humains. Lorsque les populations ne peuvent plus faire confiance aux responsables politiques pour protéger leurs droits, elles sont très susceptibles de résister – un conflit social qui finit par freiner les investissements. Le rejet du projet de mine de lithium Jadar de Rio Tinto en Serbie en est un exemple frappant. Beaucoup de Serbes estimaient que leur gouvernement privilégiait les intérêts des entreprises en faisant avancer un projet qui ne respectait même pas des normes minimales de durabilité. L’indignation publique a interrompu son développement et entraîné des pertes importantes pour l’entreprise.

Seuls des cadres juridiques robustes, assortis d’une application efficace, peuvent créer les conditions d’un développement stable et respectueux des droits. Cela implique de protéger les droits des peuples autochtones ; de garantir le consentement libre, préalable et éclairé de toutes les communautés concernées ; de préserver les ressources en eau ; de mener une planification territoriale incluant des zones interdites à l’exploitation ; et de réaliser des évaluations sociales et environnementales indépendantes, participatives et transparentes.

Compte tenu des tensions géopolitiques croissantes, les forums multilatéraux comme la COP et l’UNEA restent essentiels pour contrer la fragmentation mondiale et promouvoir des solutions communes. Les pays riches en minéraux devraient collaborer pour renforcer leurs normes environnementales, à l’image des pays producteurs de pétrole qui influencent conjointement les prix mondiaux. Par une action collective, ils peuvent empêcher une course destructrice au moins-disant et garantir que les communautés locales – en particulier les peuples autochtones et autres détenteurs de droits – puissent faire entendre leur voix.

À une époque où l’accès à l’eau potable se raréfie, où les glaciers fondent et où l’agriculture est de plus en plus menacée, une action internationale coordonnée n’est plus facultative. La résolution que la Colombie et Oman ont présentée pour l’UNEA de décembre, appelant à un traité contraignant sur les minéraux, représente une étape importante vers des normes mondiales plus équitables. Lancée par la Colombie et co-parrainée par des pays comme la Zambie, qui connaissent trop bien les coûts des industries extractives, la proposition appelle à une coopération sur l’ensemble de la chaîne de production minérale afin de réduire les dommages environnementaux et de protéger les droits des peuples autochtones et des autres communautés concernées. En plaçant la responsabilité sur les pays consommateurs de ressources, elle vise à garantir que le fardeau de la réforme ne repose pas uniquement sur les économies productrices de minéraux. Elle aborde également les dangers liés aux résidus miniers et aux barrages de retenue, qui ont provoqué des effondrements dévastateurs et fait des centaines de morts.

Ensemble, ces mesures offrent une rare opportunité de commencer à corriger les inégalités qui ont longtemps caractérisé l’extraction minière. Tous les pays – en particulier les producteurs de minéraux historiquement exclus des négociations – devraient saisir cette occasion. L’UNEA7 ouvre une fenêtre pour instaurer une justice dans le domaine des ressources.

The Critical-Minerals Race Is Putting the Planet at Risk

Johanna Sydow  and Nsama Chikwanka, Project Syndicate, 5/12/2025

Johanna Sydow  is Head of the International Environmental Policy Division at the Heinrich Böll Foundation.

Nsama Chikwanka is National Director of Publish What You Pay Zambia.

As governments weaken environmental protections to promote new mining projects, the global scramble for critical minerals is deepening social divides and harming vital ecosystems. Only reduced consumption and robust, enforceable rules can prevent long-term harm and protect basic human rights.

 



A view of the dismantled remains of an illegal gold mining camp "Mega 12", during a police operation to destroy illegal machinery and equipment in the Amazon jungle in the Madre de Dios region, in south-eastern Peru, on March 5, 2019. - Illegal gold mining in the Amazon has reached "epidemic" proportions in recent years, causing damage to pristine forest and waterways and threatening indigenous communities. Photo by GUADALUPE PARDO / POOL / AFP via Getty Images

BERLIN – The environmental and human toll of mineral extraction is becoming clearer – and more alarming – by the day. Roughly 60% of Ghana’s waterways are now heavily polluted due to gold mining along riverbanks. In Peru, many communities have lost access to safe drinking water after environmental protections were weakened and regulatory controls were suspended to facilitate new mining projects, contaminating even the Rímac River, which supplies water to the capital, Lima.

These environmental crises are exacerbated by deepening inequality and social divides in many mining-dependent countries. The Global Atlas of Environmental Justice has documented more than 900 mining-related conflicts around the world, about 85% of which involve the use or pollution of rivers, lakes, and groundwater. Against this backdrop, major economies are rapidly reshaping resource geopolitics. 

The United States, while attempting to stabilize the fossil-fuel-based global economy, is also scrambling to secure the minerals it needs for electric vehicles, renewable energy, weapons systems, digital infrastructure, and construction, often through coercion and aggressive negotiating tactics. In its quest to reduce dependence on China, which dominates the processing of rare-earth elements, environmental and humanitarian considerations are increasingly brushed aside. 

Saudi Arabia is likewise positioning itself as a rising power in the minerals sector as part of its efforts to diversify away from oil, forging new partnerships – including with the US – and hosting a high-profile mining conference. At the same time, the Kingdom is actively undermining progress in other multilateral fora, including this year’s United Nations Climate Change Conference in Brazil (COP30) and the ongoing pre-negotiations of the UN Environment Assembly (UNEA7).

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In Europe, industry groups are lobbying for further deregulation, with fossil-fuel companies like ExxonMobil, TotalEnergies, and Siemens using misleading tactics to undermine newly established mechanisms designed to protect the rights of communities in resource-producing regions. We should be worried that the companies and countries which helped drive global warming, environmental degradation, and human-rights abuses now seek to dominate the mineral sector. Allowing them to do so will put all of humanity, not just vulnerable populations, at risk.

Governments must not remain passive. They must reclaim responsibility for steering the primary driver of mining expansion: demand. Reducing material consumption, especially in developed countries, remains the most effective way to protect vital ecosystems and prevent the long-term harms that extraction inevitably causes.

Yet despite overwhelming evidence that ramping up resource extraction threatens water supplies and public safety, governments around the world are weakening environmental protections in a bid to lure foreign investment, thereby endangering the very ecosystems that sustain all life on Earth. From an economic perspective, this approach is profoundly short-sighted.

In fact, recent research shows that responsible practices are not just morally right but economically sound. A new report by the UN Development Programme, based on five years of data from 235 multinationals, shows that companies that strengthen their human-rights record tend to perform better over the long run. Governments should therefore be wary of industry claims that profitability requires rolling back environmental regulations or ignoring human rights. When people cannot trust political leaders to protect their rights, they are highly likely to resist, with the resulting social conflict causing investment to falter. 

The backlash against Rio Tinto’s Jadar lithium-mining project in Serbia is a prime example. Many Serbians believed their government was putting corporate interests first by pushing ahead with the project despite its failure to meet even basic sustainability standards. The public outcry halted development and left the company facing steep losses. 

Only robust legal frameworks, backed by effective enforcement, can create the conditions for stable and rights-respecting development. That means safeguarding Indigenous rights; ensuring the free, prior, and informed consent of all affected communities; protecting water resources; undertaking spatial planning, establishing no-go zones; and conducting independent, participatory, and transparent social and environmental impact assessments. Given today’s heightened geopolitical tensions, multilateral forums such as COP and the UNEA remain essential for countering global fragmentation and advancing shared solutions. Mineral-rich countries should work together to raise their environmental standards, just as oil-producing countries jointly influence global prices. Through collective action, they can prevent a destructive race to the bottom and ensure that local communities, particularly Indigenous peoples and other rights holders, are heard. 

At a time when clean drinking water is growing scarcer, glaciers are melting, and agriculture is increasingly under threat, coordinated international action is no longer optional. A resolution that Colombia and Oman introduced for December’s UNEA, calling for a binding minerals treaty, represents an important step toward fairer global standards. Initiated by Colombia and co-sponsored by countries like Zambia, which understand all too well the costs of extractive industries, the proposal calls for cooperation across the entire mineral production chain to reduce environmental harm and protect the rights of Indigenous peoples and other affected communities. 

By placing responsibility on resource-consuming countries, it aims to ensure that the burden of reform does not fall solely on mineral-producing economies. Importantly, it also addresses the dangers posed by tailings dams and other mining waste, which have led to devastating failures and hundreds of deaths. Taken together, these measures offer a rare opportunity to begin correcting the inequalities that have long defined mineral extraction. All countries, especially mineral producers that have historically been excluded from the negotiating table, should seize this moment. UNEA7 provides a window for achieving resource justice. 

11/03/2024

ANGELA GIUFFRIDA
“Cette usine tue tout” : la poussière rouge de la mort dans le sud sous-développé de l'Italie

Angela Giuffrida à Tarente, The Observer/The Guardian, 10/3/2024
3 premières photos : Roberto Salomone/The Observer
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Angela Giuffrida est la correspondante du quotidien britannique The Guardian et de l'hebdomadaire The Observer à Rome.

Les habitants de Tarente, séparés d'une gigantesque aciérie par une mince clôture en filet, racontent une histoire qui oppose les moyens de subsistance aux vies perdues à cause du cancer, l'économie à l'environnement.

Chaque jour, Teresa Battista essuie les épaisses couches de poussière qui recouvrent les tombes du cimetière de San Brunone à Tamburi, un quartier de la ville côtière de Tarente, dans le sud de l'Italie.

Malgré tous ses efforts, cette femme de ménage, qui travaille au cimetière depuis 35 ans, n'a pas pu empêcher les tombes en marbre de développer des cicatrices rouges, dues à la poussière toxique de minerai de fer.

Même après la mort, dit-elle, l'usine sidérurgique adjacente, qui, depuis 1965, crache des fumées nocives qui seraient à l'origine de milliers de décès par cancer, est incontournable.

La plupart des personnes enterrées dans le cimetière sont mortes de la maladie. Deux d'entre elles étaient des frères de Battista. « Presque tous ceux qui sont ici étaient des jeunes », dit-elle. « Cette usine tue tout ».

L'usine sidérurgique, l'une des plus grandes d'Europe et l'un des principaux employeurs du sud sous-développé de l'Italie, est de nouveau sous les feux de la rampe alors que le gouvernement de Giorgia Meloni s'efforce de la maintenir à flot.

Teresa Battista nettoie les tombes du cimetière de San Brunone dans le quartier de Tamburi à Tarente

Meloni a récemment nommé un commissaire spécial pour reprendre temporairement l'usine, qui s'appelle maintenant Acciaierie d'Italia (ADI) mais est mieux connue sous son ancien nom, ILVA, après l'échec des négociations avec le sidérurgiste mondial ArcelorMittal, son propriétaire majoritaire depuis 2018.

Alors que le gouvernement cherche de nouveaux investisseurs, les habitants de Tarente, et en particulier ceux de Tamburi, qui sont séparés de l'usine par une simple clôture métallique, racontent une histoire qui oppose les moyens de subsistance aux vies, l'économie à l'environnement, et les riches aux pauvres.

L'usine a été construite à Tarente, une ville ancienne fondée par les Grecs, au début des années 1960, après avoir été rejetée par Bari, la capitale de la région des Pouilles, et par Lecce, la ville voisine. Des hectares de terres agricoles et des milliers d'oliviers ont été détruits pour faire place à ce complexe tentaculaire, qui fait presque trois fois la taille de Tarente elle-même.

Pendant les premières décennies, l'usine a apporté la prospérité à une ville qui vivait auparavant de la pêche et de l'agriculture. Les travailleurs affluaient des régions voisines ou revenaient de l'étranger pour y travailler. À son apogée, l'usine produisait plus de 10 millions de tonnes d'acier par an, avec une main-d'œuvre de plus de 20 000 personnes.

La pollution émanant des cheminées rayées de rouge et de blanc qui surplombent la ville est devenue une partie intégrante de la vie. Certains anciens travailleurs se souviennent d'avoir soufflé du mucus noir de leur nez. Les enfants jouaient avec la poussière, certains la retrouvant sur leur oreiller le matin lorsque les fenêtres restaient ouvertes en été. « C'était comme des paillettes », dit Ignazio D'Andria, propriétaire du Mini Bar à Tamburi. « Nous pensions qu'il s'agissait d'un cadeau des fées, alors qu'en réalité, c'était du poison ».

Les émissions - un mélange de minéraux, de métaux et de dioxines cancérigènes - se sont infiltrées dans la mer, détruisant pratiquement une autre activité économique vitale de la ville : la pêche aux moules.

Le nombre de cas de cancer a augmenté, mais ce n'est qu'en 2012 que les chiffres officiels ont montré que le taux de mortalité dû à la maladie dans la région était supérieur de 15 % à la moyenne nationale. Des études plus récentes ont confirmé l'existence d'un lien entre les émissions et la prévalence du cancer, ainsi que des taux de maladies respiratoires, rénales et cardiovasculaires supérieurs à la moyenne.

Un rapport de Sentieri, un groupe de surveillance épidémiologique, a révélé qu'entre 2005 et 2012, 3 000 décès étaient directement liés à une « exposition environnementale limitée aux polluants ». Les médecins affirment que le taux de cancer fluctue en fonction de la production de l'usine.

Les enfants sont particulièrement touchés : une étude réalisée en 2019 par l'Institut supérieur de la santé italien (ISS) a révélé qu'au cours des sept années précédant 2012, le taux de lymphomes infantiles à Tarente était presque deux fois plus élevé que les moyennes régionales, et une étude plus récente réalisée par Sentieri a révélé un excès de cancers infantiles dans la ville par rapport au reste de la région des Pouilles.

En janvier, les professionnels de la santé locaux ont appelé le gouvernement à donner la priorité à la santé dans ses relations avec les propriétaires de l'usine et à saisir l'occasion de nettoyer enfin le complexe en difficulté.

Anna Maria Moschetti, pédiatre, a présenté aux responsables politiques régionaux, nationaux et européens des études montrant les effets de l'usine sur la santé.

« L'usine, qui émet des substances nocives pour la santé humaine telles que des substances cancérigènes, a été construite à proximité des habitations et sous le vent, ce qui a entraîné l'exposition de la population à des substances toxiques, des décès et des maladies, comme l'atteste un rapport du ministère public », a déclaré Mme Moschetti.


Angelo Di Ponzio devant une peinture murale de son fils Giorgio, décédé d'un cancer à l'âge de 15 ans, réalisée par l'artiste de rue italien Jorit. '

« La population la plus exposée est celle qui vit à proximité des usines et qui n'a pas les moyens financiers de s'en éloigner ».

Depuis le balcon de leur maison de Tamburi, Milena Cinto et Donato Vaccaro, dont le fils Francesco est décédé en 2019 après 14 ans de lutte contre une maladie immunitaire rare, regardent vers deux structures géantes qui contiennent des stocks de minerai de fer et de charbon. Leurs couvertures en forme de dôme étaient une mesure environnementale destinée à empêcher les poussières toxiques de souffler vers les maisons et les écoles.

Mais rien n'a changé. « Chaque jour, je dois nettoyer cette poussière », dit Cinto en passant son doigt le long du cadre d'une fenêtre.

Vaccaro a travaillé à l'usine pendant 30 ans. « On travaillait comme des bêtes », dit-il en montrant une photo d'un collègue couvert de suie noire. Vaccaro se reproche souvent la mort de son fils. Le couple aimerait déménager, mais la valeur de leur maison a chuté à 18 000 euros et il est désormais impossible de la vendre.

Parmi les démêlés judiciaires de l'usine figure une affaire d'homicide involontaire intentée par Mauro Zaratta et sa femme, Roberta, dont le fils, Lorenzo, est décédé d'une tumeur cérébrale à l'âge de cinq ans. L'autopsie a révélé la présence de fer, d'acier, de zinc, de silicium et d'aluminium dans le cerveau de Lorenzo. Les juges doivent déterminer si ces toxines ont généré le cancer. « Bien qu'il soit conscient des risques de l'usine, qui continue de rendre les gens malades, le gouvernement semble penser qu'il est acceptable de la maintenir ouverte », dit Zaratta, dont la famille vit désormais à Florence.

Aujourd'hui, l'usine emploie environ 8 500 personnes, dont la majorité se rend au travail depuis l'extérieur de Tarente. La question a provoqué de profondes divisions entre ceux qui y travaillent et ceux qui en subissent les conséquences.

« Les gens disent qu'ils ont besoin de l'usine pour nourrir leur famille, mais en réalité, c'est nous qui avons nourri l'usine et qui avons payé pour les dommages causés à notre santé et à l'environnement », dit Giuseppe Roberto, qui a travaillé à l'usine pendant 30 ans et qui organise une action collective contre l'usine.


L'usine sidérurgique Acciaierie d'Italia, toujours connue sous son ancien nom d'ILVA, se profile derrière le quartier Tamburi de Tarente.

La décarbonisation de l'usine et l'installation de fours électriques, une idée promue par l'ancien gouvernement de Mario Draghi, coûteraient 3 à 4 milliards d'euros, dit Mimmo Mazza, directeur du journal régional Gazzetta del Mezzogiorno. « Qui paierait pour cela ? Non seulement c'est coûteux, mais cela signifierait qu'il faudrait moins de personnel ».

Des fresques représentant des enfants victimes du cancer ont été peintes sur les murs de Tarente. L'une d'entre elles représente Giorgio Di Ponzio, décédé à l'âge de 15 ans. Son père Angelo dit : « Nous avons tellement de ressources naturelles à Tarente que dire que nous ne pouvons pas vivre sans l'usine est une erreur. Il semble qu'il faille choisir entre la santé et les intérêts de l'État. En réalité, le gouvernement n’a rien à cirer de l'endroit et des personnes qui tombent malades ».

Au premier plan, la clôture censée protéger les riverains de l'usine, installée en 2013


08/02/2024

ANITA GOLDMAN
L’héritage de la guerre de Gaza perdurera pendant des générations

Anita Goldman, Dagens Nyheter, 7/2/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 
Anita Goldman (Göteborg, 1953) est une journaliste, écrivaine et animatrice d’ateliers d’écriture suédoise qui a vécu 17 ans en Israël. Livres

La bande de Gaza contient déjà des millions de tonnes de ferraille, de ciment pulvérisé, de tuyaux, de plastiques et de produits chimiques. Pendant des décennies, les humains, le sol et la Méditerranée seront empoisonnés. Mettre fin à la guerre devient de plus en plus impossible, écrit Anita Goldman.

Morad Kotkot, Palestine

Le premier champ de bataille - et de loin le plus grand - de l’ultraviolence moderne se trouve au centre de l’Europe, où plus de trois cent mille hommes sont morts et un demi-million d’autres ont été blessés ou ont subi des attaques au gaz. Avant la fin de la bataille, plus de quarante millions d’obus avaient été tirés. Ces obus, ainsi que des pièces de fusil brisées et des masses de corps humains, ont été laissés dans le sol lorsque la bataille de Verdun entre les Allemands et les Français pendant la Première Guerre mondiale a finalement pris fin.

Des deux côtés de la frontière, dans la Somme et à Ypres, en Belgique, où les destructions ont également pris des proportions apocalyptiques, de bonnes terres agricoles ont été réutilisées avec succès. Mais aujourd’hui encore, les agriculteurs locaux sont confrontés à des « récoltes de fer » - des obus et des métaux qui ont été enterrés pendant plus de cent ans et que l’on retrouve aujourd’hui.

À Verdun, le terrain était plus haché et plus escarpé, les dégâts étaient totaux – « un désert biologique », comme l’appelle l’auteur Cal Flyn. De vastes étendues de terre sont toujours interdites. Au lieu de cela, des forêts ont été plantées et elles sont toujours là, sombres et denses. Mais il y a une ouverture, une clairière, dans la forêt. Flyn la décrit dans son livre « Islands of abandonment. Life in a post-human landscape » [à paraître sous le titre “À l'abandon - comment la nature reprend ses droits” aux éditions Paulsen le 18/4/2024]. Ici, après la fin de la guerre, deux cent mille armes chimiques : gaz moutarde, gaz lacrymogène, phosgène, ont été rassemblées dans une grande fosse commune et incendiées. Le site s’appelle toujours Place à Gaz et la zone Zone Rouge. En 2017, cent ans plus tard, des scientifiques allemands ont testé le sol et ont trouvé des niveaux élevés d’arsenic et de métaux lourds.

Dans la bande de Gaza, l’une des zones les plus densément peuplées au monde, on estime que pas moins de 15 millions de tonnes de matériaux de construction pulvérisés sont aujourd’hui éparpillés. Comparé à l’attaque du World Trade Center, qui a laissé un million de tonnes de décombres à Ground Zero, l’ampleur de cette catastrophe est énorme. Près de trois mille personnes sont mortes ce jour-là, le 11 septembre 2001. Depuis lors, jusqu’à dix mille personnes ont été diagnostiquées avec un cancer et des maladies respiratoires et pulmonaires graves, conséquence directe du cocktail toxique de poussière, d’amiante et de produits chimiques répandus dans Manhattan. Le nombre de personnes décédées à la suite du 11 septembre est plus élevé que lors de l’attaque terroriste elle-même.

Comme toujours, les chiffres des dommages collatéraux sont incertains. Tant et tant de personnes et d’autres êtres vivants meurent à la guerre. Mais combien de personnes meurent de la guerre ? Des toxines résiduelles dans le sol, l’air, les corps, les esprits ? La question est de savoir combien de temps il faut continuer à compter. Quand la guerre se termine-t-elle ? Quand les personnes, le sol et la végétation se rétablissent-ils ? L’après-guerre, c’est pour quand ?

15/11/2021

AMIRA HASS
L'occupation israélienne ne nuit pas seulement aux Palestiniens, mais aussi à la planète

Amira Hass, Haaretz, 7/11/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des constructions inutiles, un double réseau routier, des trajets allongés par les postes de contrôle et l'asphalte au détriment des espaces ouverts : la politique d'Israël en Cisjordanie et à Gaza a un prix écologique.

Des routes en construction relient les résidents de la colonie de Gush Etzion, en Cisjordanie, à Jérusalem, l'année dernière. Photo : Ohad Zwigenberg

Le pollueur n° 1 dans les territoires palestiniens occupés est le contrôle même qu'Israël exerce sur la terre et les colonies. Ce n'est pas une citation textuelle, mais c'est l'esprit de ce que le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a déclaré lors du sommet environnemental COP26 à Glasgow la semaine dernière.

Sa présence a à peine été mentionnée dans les médias mondiaux, et encore moins dans les médias israéliens, ce qui démontre une fois de plus à quel point la question palestinienne est devenue secondaire dans l'agenda mondial. Mais cela n'enlève rien au préjudice causé à l'environnement.

De nombreux articles et études sur les conditions environnementales dans la bande de Gaza et en Cisjordanie établissent un lien avec la politique israélienne. Il s'agit notamment d'un document détaillé de l'ONU datant de 2020, de rapports de l'organisation juridique palestinienne Al-Haq au fil des ans, et d'un article publié par le groupe de réflexion pan-palestinien Al-Shabaka en 2019 ("Climate Change, the Occupation and a Vulnerable Palestine").

Pourtant, il est difficile de quantifier la contribution totale au réchauffement climatique des actions du gouvernement israélien et des civils dans ces territoires conquis en 1967.

 

Un soldat israélien patrouille sur la route 60 de Jérusalem en Cisjordanie. Photo : Ohad Zwigenberg 

Le rapport du contrôleur d'État sur l'incapacité d'Israël à réduire les émissions de gaz à effet de serre ne mentionne même pas les territoires. Il n'aborde pas non plus la projection effrayante faite par l'ONU en 2012, selon laquelle la bande de Gaza deviendrait inhabitable d'ici 2020 si Israël ne change pas fondamentalement sa politique envers cette enclave. Près de deux ans se sont écoulés depuis la "date limite" donnée par l'ONU, et rien de substantiel n'a changé. L'ONU a dû sous-estimer l'énorme capacité de résilience des Gazaouis.

11/11/2021

JOHN FEFFER
Corruption et pollution, les deux mamelles de la vache à lait africaine
La Chine investit dans les combustibles fossiles en Afrique

John Feffer, FPIF, 8/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les pays africains ont besoin d'investissements, la Chine a besoin de matières premières et les militant·es africain·es en ont assez de la corruption et des dommages environnementaux qui en résultent.


La relation de la Chine avec l'Afrique présente de multiples facettes. La République populaire de Chine (RPC) partage des liens idéologiques avec de nombreux pays africains en raison de ses liens anciens avec les luttes anticoloniales et par le biais du Mouvement des non-alignés. Tous les pays africains reconnaissent la RPC, à l'exception de l’Eswatini (Swaziland), qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan). De nombreux pays africains ont conservé des relations commerciales avec Pékin après la répression de la place Tiananmen en 1989, et ces liens commerciaux n'ont fait que se renforcer. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique depuis qu'elle a dépassé les USA en 2009.

De nombreux gouvernements africains sollicitent l'aide de la Chine dans le cadre de l'initiative "la Ceinture et la Route" (Belt and Road Initiative, BRI) afin de combler les lacunes du continent en matière d'infrastructures, tandis que la Chine cherche à son tour à accéder à un certain nombre de ressources stratégiques clés, notamment des combustibles fossiles et des minéraux, ainsi qu'à des marchés largement inexploités. En plus d'être riches en ressources naturelles, certains pays africains suscitent l'intérêt des Chinois en raison d'une main-d'œuvre relativement bon marché, d'une mauvaise gouvernance et de normes environnementales laxistes. En 2017, McKinsey a indiqué que plus de 10 000 entreprises chinoises opèrent probablement dans toute l'Afrique. 

Les sommes d'argent en jeu sont stupéfiantes. Selon un rapport publié en 2021 par l'Université de commerce international et d'économie de Shanghai, la Chine a investi depuis 2000 un total de 47 milliards de dollars dans toute l'Afrique (dans 52 des 54 pays), les nouveaux investissements s'élevant à 2,96 milliards de dollars en 2020 (soit une augmentation de plus de 200 millions de dollars par rapport à l'année précédente). La grande majorité des investissements chinois - 87 % - ont été concentrés dans quatre secteurs : l'énergie, les transports, les métaux et l'immobilier.


La Banque africaine de développement, créée en 1964 et comptant 83 pays membres (la Chine y a adhéré en 1985) a tenu sa première réunion annuelle en dehors d’Afrique à Shanghai en mai 2007

L'Export-Import Bank de Chine fournit une grande partie du financement des projets d'infrastructure en Afrique, mais un certain nombre de banques commerciales ont également établi des succursales sur le continent.Pourtant, malgré ces chiffres, l'Afrique n'a attiré que 2 % des investissements étrangers chinois en 2019.