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11/03/2024

ANGELA GIUFFRIDA
“Cette usine tue tout” : la poussière rouge de la mort dans le sud sous-développé de l'Italie

Angela Giuffrida à Tarente, The Observer/The Guardian, 10/3/2024
3 premières photos : Roberto Salomone/The Observer
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Angela Giuffrida est la correspondante du quotidien britannique The Guardian et de l'hebdomadaire The Observer à Rome.

Les habitants de Tarente, séparés d'une gigantesque aciérie par une mince clôture en filet, racontent une histoire qui oppose les moyens de subsistance aux vies perdues à cause du cancer, l'économie à l'environnement.

Chaque jour, Teresa Battista essuie les épaisses couches de poussière qui recouvrent les tombes du cimetière de San Brunone à Tamburi, un quartier de la ville côtière de Tarente, dans le sud de l'Italie.

Malgré tous ses efforts, cette femme de ménage, qui travaille au cimetière depuis 35 ans, n'a pas pu empêcher les tombes en marbre de développer des cicatrices rouges, dues à la poussière toxique de minerai de fer.

Même après la mort, dit-elle, l'usine sidérurgique adjacente, qui, depuis 1965, crache des fumées nocives qui seraient à l'origine de milliers de décès par cancer, est incontournable.

La plupart des personnes enterrées dans le cimetière sont mortes de la maladie. Deux d'entre elles étaient des frères de Battista. « Presque tous ceux qui sont ici étaient des jeunes », dit-elle. « Cette usine tue tout ».

L'usine sidérurgique, l'une des plus grandes d'Europe et l'un des principaux employeurs du sud sous-développé de l'Italie, est de nouveau sous les feux de la rampe alors que le gouvernement de Giorgia Meloni s'efforce de la maintenir à flot.

Teresa Battista nettoie les tombes du cimetière de San Brunone dans le quartier de Tamburi à Tarente

Meloni a récemment nommé un commissaire spécial pour reprendre temporairement l'usine, qui s'appelle maintenant Acciaierie d'Italia (ADI) mais est mieux connue sous son ancien nom, ILVA, après l'échec des négociations avec le sidérurgiste mondial ArcelorMittal, son propriétaire majoritaire depuis 2018.

Alors que le gouvernement cherche de nouveaux investisseurs, les habitants de Tarente, et en particulier ceux de Tamburi, qui sont séparés de l'usine par une simple clôture métallique, racontent une histoire qui oppose les moyens de subsistance aux vies, l'économie à l'environnement, et les riches aux pauvres.

L'usine a été construite à Tarente, une ville ancienne fondée par les Grecs, au début des années 1960, après avoir été rejetée par Bari, la capitale de la région des Pouilles, et par Lecce, la ville voisine. Des hectares de terres agricoles et des milliers d'oliviers ont été détruits pour faire place à ce complexe tentaculaire, qui fait presque trois fois la taille de Tarente elle-même.

Pendant les premières décennies, l'usine a apporté la prospérité à une ville qui vivait auparavant de la pêche et de l'agriculture. Les travailleurs affluaient des régions voisines ou revenaient de l'étranger pour y travailler. À son apogée, l'usine produisait plus de 10 millions de tonnes d'acier par an, avec une main-d'œuvre de plus de 20 000 personnes.

La pollution émanant des cheminées rayées de rouge et de blanc qui surplombent la ville est devenue une partie intégrante de la vie. Certains anciens travailleurs se souviennent d'avoir soufflé du mucus noir de leur nez. Les enfants jouaient avec la poussière, certains la retrouvant sur leur oreiller le matin lorsque les fenêtres restaient ouvertes en été. « C'était comme des paillettes », dit Ignazio D'Andria, propriétaire du Mini Bar à Tamburi. « Nous pensions qu'il s'agissait d'un cadeau des fées, alors qu'en réalité, c'était du poison ».

Les émissions - un mélange de minéraux, de métaux et de dioxines cancérigènes - se sont infiltrées dans la mer, détruisant pratiquement une autre activité économique vitale de la ville : la pêche aux moules.

Le nombre de cas de cancer a augmenté, mais ce n'est qu'en 2012 que les chiffres officiels ont montré que le taux de mortalité dû à la maladie dans la région était supérieur de 15 % à la moyenne nationale. Des études plus récentes ont confirmé l'existence d'un lien entre les émissions et la prévalence du cancer, ainsi que des taux de maladies respiratoires, rénales et cardiovasculaires supérieurs à la moyenne.

Un rapport de Sentieri, un groupe de surveillance épidémiologique, a révélé qu'entre 2005 et 2012, 3 000 décès étaient directement liés à une « exposition environnementale limitée aux polluants ». Les médecins affirment que le taux de cancer fluctue en fonction de la production de l'usine.

Les enfants sont particulièrement touchés : une étude réalisée en 2019 par l'Institut supérieur de la santé italien (ISS) a révélé qu'au cours des sept années précédant 2012, le taux de lymphomes infantiles à Tarente était presque deux fois plus élevé que les moyennes régionales, et une étude plus récente réalisée par Sentieri a révélé un excès de cancers infantiles dans la ville par rapport au reste de la région des Pouilles.

En janvier, les professionnels de la santé locaux ont appelé le gouvernement à donner la priorité à la santé dans ses relations avec les propriétaires de l'usine et à saisir l'occasion de nettoyer enfin le complexe en difficulté.

Anna Maria Moschetti, pédiatre, a présenté aux responsables politiques régionaux, nationaux et européens des études montrant les effets de l'usine sur la santé.

« L'usine, qui émet des substances nocives pour la santé humaine telles que des substances cancérigènes, a été construite à proximité des habitations et sous le vent, ce qui a entraîné l'exposition de la population à des substances toxiques, des décès et des maladies, comme l'atteste un rapport du ministère public », a déclaré Mme Moschetti.


Angelo Di Ponzio devant une peinture murale de son fils Giorgio, décédé d'un cancer à l'âge de 15 ans, réalisée par l'artiste de rue italien Jorit. '

« La population la plus exposée est celle qui vit à proximité des usines et qui n'a pas les moyens financiers de s'en éloigner ».

Depuis le balcon de leur maison de Tamburi, Milena Cinto et Donato Vaccaro, dont le fils Francesco est décédé en 2019 après 14 ans de lutte contre une maladie immunitaire rare, regardent vers deux structures géantes qui contiennent des stocks de minerai de fer et de charbon. Leurs couvertures en forme de dôme étaient une mesure environnementale destinée à empêcher les poussières toxiques de souffler vers les maisons et les écoles.

Mais rien n'a changé. « Chaque jour, je dois nettoyer cette poussière », dit Cinto en passant son doigt le long du cadre d'une fenêtre.

Vaccaro a travaillé à l'usine pendant 30 ans. « On travaillait comme des bêtes », dit-il en montrant une photo d'un collègue couvert de suie noire. Vaccaro se reproche souvent la mort de son fils. Le couple aimerait déménager, mais la valeur de leur maison a chuté à 18 000 euros et il est désormais impossible de la vendre.

Parmi les démêlés judiciaires de l'usine figure une affaire d'homicide involontaire intentée par Mauro Zaratta et sa femme, Roberta, dont le fils, Lorenzo, est décédé d'une tumeur cérébrale à l'âge de cinq ans. L'autopsie a révélé la présence de fer, d'acier, de zinc, de silicium et d'aluminium dans le cerveau de Lorenzo. Les juges doivent déterminer si ces toxines ont généré le cancer. « Bien qu'il soit conscient des risques de l'usine, qui continue de rendre les gens malades, le gouvernement semble penser qu'il est acceptable de la maintenir ouverte », dit Zaratta, dont la famille vit désormais à Florence.

Aujourd'hui, l'usine emploie environ 8 500 personnes, dont la majorité se rend au travail depuis l'extérieur de Tarente. La question a provoqué de profondes divisions entre ceux qui y travaillent et ceux qui en subissent les conséquences.

« Les gens disent qu'ils ont besoin de l'usine pour nourrir leur famille, mais en réalité, c'est nous qui avons nourri l'usine et qui avons payé pour les dommages causés à notre santé et à l'environnement », dit Giuseppe Roberto, qui a travaillé à l'usine pendant 30 ans et qui organise une action collective contre l'usine.


L'usine sidérurgique Acciaierie d'Italia, toujours connue sous son ancien nom d'ILVA, se profile derrière le quartier Tamburi de Tarente.

La décarbonisation de l'usine et l'installation de fours électriques, une idée promue par l'ancien gouvernement de Mario Draghi, coûteraient 3 à 4 milliards d'euros, dit Mimmo Mazza, directeur du journal régional Gazzetta del Mezzogiorno. « Qui paierait pour cela ? Non seulement c'est coûteux, mais cela signifierait qu'il faudrait moins de personnel ».

Des fresques représentant des enfants victimes du cancer ont été peintes sur les murs de Tarente. L'une d'entre elles représente Giorgio Di Ponzio, décédé à l'âge de 15 ans. Son père Angelo dit : « Nous avons tellement de ressources naturelles à Tarente que dire que nous ne pouvons pas vivre sans l'usine est une erreur. Il semble qu'il faille choisir entre la santé et les intérêts de l'État. En réalité, le gouvernement n’a rien à cirer de l'endroit et des personnes qui tombent malades ».

Au premier plan, la clôture censée protéger les riverains de l'usine, installée en 2013


08/02/2024

ANITA GOLDMAN
L’héritage de la guerre de Gaza perdurera pendant des générations

Anita Goldman, Dagens Nyheter, 8/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Anita Goldman (Göteborg, 1953) est une journaliste, écrivaine et animatrice d’ateliers d’écriture suédoise qui a vécu 17 ans en Israël. Livres

La bande de Gaza contient déjà des millions de tonnes de ferraille, de ciment pulvérisé, de tuyaux, de plastiques et de produits chimiques. Pendant des décennies, les humains, le sol et la Méditerranée seront empoisonnés. Mettre fin à la guerre devient de plus en plus impossible, écrit Anita Goldman.

Morad Kotkot, Palestine

Le premier champ de bataille - et de loin le plus grand - de l’ultraviolence moderne se trouve au centre de l’Europe, où plus de trois cent mille hommes sont morts et un demi-million d’autres ont été blessés ou ont subi des attaques au gaz. Avant la fin de la bataille, plus de quarante millions d’obus avaient été tirés. Ces obus, ainsi que des pièces de fusil brisées et des masses de corps humains, ont été laissés dans le sol lorsque la bataille de Verdun entre les Allemands et les Français pendant la Première Guerre mondiale a finalement pris fin.

Des deux côtés de la frontière, dans la Somme et à Ypres, en Belgique, où les destructions ont également pris des proportions apocalyptiques, de bonnes terres agricoles ont été réutilisées avec succès. Mais aujourd’hui encore, les agriculteurs locaux sont confrontés à des « récoltes de fer » - des obus et des métaux qui ont été enterrés pendant plus de cent ans et que l’on retrouve aujourd’hui.

À Verdun, le terrain était plus haché et plus escarpé, les dégâts étaient totaux – « un désert biologique », comme l’appelle l’auteur Cal Flyn. De vastes étendues de terre sont toujours interdites. Au lieu de cela, des forêts ont été plantées et elles sont toujours là, sombres et denses. Mais il y a une ouverture, une clairière, dans la forêt. Flyn la décrit dans son livre « Islands of abandonment. Life in a post-human landscape » [à paraître sous le titre “À l'abandon - comment la nature reprend ses droits” aux éditions Paulsen le 18/4/2024]. Ici, après la fin de la guerre, deux cent mille armes chimiques : gaz moutarde, gaz lacrymogène, phosgène, ont été rassemblées dans une grande fosse commune et incendiées. Le site s’appelle toujours Place à Gaz et la zone Zone Rouge. En 2017, cent ans plus tard, des scientifiques allemands ont testé le sol et ont trouvé des niveaux élevés d’arsenic et de métaux lourds.

Dans la bande de Gaza, l’une des zones les plus densément peuplées au monde, on estime que pas moins de 15 millions de tonnes de matériaux de construction pulvérisés sont aujourd’hui éparpillés. Comparé à l’attaque du World Trade Center, qui a laissé un million de tonnes de décombres à Ground Zero, l’ampleur de cette catastrophe est énorme. Près de trois mille personnes sont mortes ce jour-là, le 11 septembre 2001. Depuis lors, jusqu’à dix mille personnes ont été diagnostiquées avec un cancer et des maladies respiratoires et pulmonaires graves, conséquence directe du cocktail toxique de poussière, d’amiante et de produits chimiques répandus dans Manhattan. Le nombre de personnes décédées à la suite du 11 septembre est plus élevé que lors de l’attaque terroriste elle-même.

Comme toujours, les chiffres des dommages collatéraux sont incertains. Tant et tant de personnes et d’autres êtres vivants meurt à la guerre. Mais combien de personnes meurent de la guerre ? Des toxines résiduelles dans le sol, l’air, les corps, les esprits ? La question est de savoir combien de temps il faut continuer à compter. Quand la guerre se termine-t-elle ? Quand les personnes, le sol et la végétation se rétablissent-ils ? L’après-guerre, c’est pour quand ?

À Gaza, il y a donc quinze millions de tonnes de débris de la civilisation - ciment, amiante, produits d’étanchéité, produits chimiques ménagers et industriels, verre, fils et appareils électroniques brûlés, et produits chimiques PCB (terme générique désignant diverses substances toxiques et persistantes). Lorsque toutes ces substances sont libérées et réduites en poussière et en poudre, elles libèrent des fibres microscopiques qui pénètrent facilement dans les corps humains fragiles. Qui nettoiera les masses inimaginables de poussière de construction ? Disposeront-ils des équipements de protection appropriés ? Et si les gigantesques montagnes de toxines sont effectivement enlevées (on peut supposer qu’une grande partie sera déversée dans la Méditerranée, qui sera à son tour empoisonnée), quelle quantité de toxines a pénétré dans le sol ? Et dans les poumons de la jeune population de Gaza ? Les questions sont nombreuses.

À cela s’ajoutent les émissions de la guerre elle-même. Selon un article paru dans The Guardian, on estime que la guerre menée par Israël au cours des deux derniers mois a eu un « coût climatique » équivalent à l’émission de cent cinquante mille tonnes de carbone. Mais là on parle d’émissions dues aux bombardements aériens, aux chars et autres véhicules de guerre, ainsi qu’à l’explosion des roquettes et des pièces d’artillerie.

Gaza est bien sûr, à juste titre, au centre de l’attention de nombreuses personnes, mais des situations similaires se sont produites à plusieurs reprises ces dernières années en Irak et en Syrie, où un tiers des bâtiments et un quart des forêts du pays ont été détruits. La situation d’après-guerre dans les pays belligérants est souvent si chaotique et les besoins si énormes que la mesure et la collecte de ce type d’informations ne se réalisent jamais. Par exemple, qui comptabilisera la pollution et les émissions dues à la guerre en Ukraine ?

L’Ukraine ne possède pas seulement certaines des meilleures terres agricoles du monde. Elle abrite également pas moins d’un tiers de la biodiversité européenne. Elle est aussi aujourd’hui l’un des pays les plus minés au monde. Un tiers du pays doit être débarrassé des mines, des bombes à fragmentation et des vieilles roquettes. Et la guerre n’est pas terminée, loin s’en faut.

J’ai déjà écrit sur le lien entre la militarisation, le réarmement et la crise climatique, sur l’énorme empreinte carbone de l’armée usaméricaine et sur la transparence minimale des émissions militaires : beaucoup de choses sont sous le sceau du Secret Défense. Les chiffres sont notoirement difficiles à obtenir. Même dans les pays démocratiques, l’armée est soumise à des exigences de déclaration différentes de celles de la société civile. L’Association suédoise pour la paix et l’arbitrage a montré dans le rapport “Frikortet. En granskning av Försvarets klimat¬arbete” [Carte blanche : un examen du travail de la Défense sur le climat] de 2020, comment les forces armées suédoises - la deuxième plus grande autorité de Suède - ne rendent pas compte des émissions et de l’impact sur le climat de la même manière que les autres autorités.

Depuis la publication de mon article il y a un an et demi, le débat sur la sécurité suédoise est devenu de plus en plus fébrile. Mais les effets de l’armement et de la guerre sur l’environnement et le climat sont à peine mentionnés. Malgré l’excitation de l’actualité, la conversation est très démodée, voire obsolète. Mais il est absurde de parler de sécurité aujourd’hui sans tenir compte de la politique écologique et climatique.

Un ami usaméricain m’envoie par courrier électronique un article sur la nouvelle édition de mon roman  Om jag så måste resa till Los Alamos[ Si je dois me rendre à Los Alamos] qui traite de la création de la bombe atomique au Nouveau-Mexique, aux USA. L’article concerne les Tularosa Basin Downwinders, une organisation locale qui lutte pour la reconnaissance et l’indemnisation des personnes ayant souffert de maladies causées par l’essai nucléaire “Trinity” du 16 juillet 1945. Les Downwinders se considèrent comme les victimes parce que les radiations ont été transportées par le vent depuis le site d’essai jusqu’à leurs communautés. Personne n’a été prévenu à l’avance, personne n’a été évacué, même lorsque les retombées ont recouvert de “neige” leurs fermes, leurs maisons et leurs puits.

Les autorités n’ont jamais pris de mesures. Aujourd’hui, quatre générations plus tard, le taux de cancer est très élevé. De nombreux habitants sont d’origine latino-américaine ou autochtone, des groupes socio-économiquement défavorisés qui ne sont pas écoutés. Et les personnes touchées au Nouveau-Mexique ne représentent qu’une fraction des centaines de milliers de personnes touchées directement ou indirectement par l’extraction d’uranium et les essais nucléaires aux USA, dans les îles Marshall et ailleurs.

Quand une guerre se termine-t-elle ?

Selon le professeur Shlomo Mendelovich, directeur du principal hôpital psychiatrique d’Israël, jusqu’à six cent mille nouveaux cas de stress post-traumatique pourraient être apparus en Israël depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Une enquête de la Banque mondiale réalisée en juillet 2023, avant la guerre actuelle, a révélé que 71 % de la population de Gaza était dépressive. Les chiffres doivent être très élevés aujourd’hui. Quand la guerre prendra-t-elle fin pour toutes ces personnes traumatisées ?

La nouvelle épigénétique montre que les traumatismes peuvent être transmis génétiquement. Peut-être l’esprit humain est-il le reflet de la nature dont il fait partie. Si la guerre demeure et continue d’agir sur la terre pendant au moins cent ans, alors elle demeure et agit en nous qui vivons sur et de la terre. Le nombre de personnes qui meurent dans les guerres peut être calculé par la suite. Mais pour les nombreuses personnes qui souffrent et meurent de la guerre, il se peut qu’il n’y ait jamais d’après.

L’héritage de la guerre perdure donc pendant des générations. Fixer un point final, dire que c’est fini et lancer des confettis blancs de joie, deviendra de plus en plus impossible à l’ère de la crise climatique et des guerres hypermodernes.

 Enrico Bertuccioli, Italie

15/11/2021

AMIRA HASS
L'occupation israélienne ne nuit pas seulement aux Palestiniens, mais aussi à la planète

Amira Hass, Haaretz, 7/11/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des constructions inutiles, un double réseau routier, des trajets allongés par les postes de contrôle et l'asphalte au détriment des espaces ouverts : la politique d'Israël en Cisjordanie et à Gaza a un prix écologique.

Des routes en construction relient les résidents de la colonie de Gush Etzion, en Cisjordanie, à Jérusalem, l'année dernière. Photo : Ohad Zwigenberg

Le pollueur n° 1 dans les territoires palestiniens occupés est le contrôle même qu'Israël exerce sur la terre et les colonies. Ce n'est pas une citation textuelle, mais c'est l'esprit de ce que le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a déclaré lors du sommet environnemental COP26 à Glasgow la semaine dernière.

Sa présence a à peine été mentionnée dans les médias mondiaux, et encore moins dans les médias israéliens, ce qui démontre une fois de plus à quel point la question palestinienne est devenue secondaire dans l'agenda mondial. Mais cela n'enlève rien au préjudice causé à l'environnement.

De nombreux articles et études sur les conditions environnementales dans la bande de Gaza et en Cisjordanie établissent un lien avec la politique israélienne. Il s'agit notamment d'un document détaillé de l'ONU datant de 2020, de rapports de l'organisation juridique palestinienne Al-Haq au fil des ans, et d'un article publié par le groupe de réflexion pan-palestinien Al-Shabaka en 2019 ("Climate Change, the Occupation and a Vulnerable Palestine").

Pourtant, il est difficile de quantifier la contribution totale au réchauffement climatique des actions du gouvernement israélien et des civils dans ces territoires conquis en 1967.

 

Un soldat israélien patrouille sur la route 60 de Jérusalem en Cisjordanie. Photo : Ohad Zwigenberg 

Le rapport du contrôleur d'État sur l'incapacité d'Israël à réduire les émissions de gaz à effet de serre ne mentionne même pas les territoires. Il n'aborde pas non plus la projection effrayante faite par l'ONU en 2012, selon laquelle la bande de Gaza deviendrait inhabitable d'ici 2020 si Israël ne change pas fondamentalement sa politique envers cette enclave. Près de deux ans se sont écoulés depuis la "date limite" donnée par l'ONU, et rien de substantiel n'a changé. L'ONU a dû sous-estimer l'énorme capacité de résilience des Gazaouis.

11/11/2021

JOHN FEFFER
Corruption et pollution, les deux mamelles de la vache à lait africaine
La Chine investit dans les combustibles fossiles en Afrique

John Feffer, FPIF, 8/11/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les pays africains ont besoin d'investissements, la Chine a besoin de matières premières et les militant·es africain·es en ont assez de la corruption et des dommages environnementaux qui en résultent.


La relation de la Chine avec l'Afrique présente de multiples facettes. La République populaire de Chine (RPC) partage des liens idéologiques avec de nombreux pays africains en raison de ses liens anciens avec les luttes anticoloniales et par le biais du Mouvement des non-alignés. Tous les pays africains reconnaissent la RPC, à l'exception de l’Eswatini (Swaziland), qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan). De nombreux pays africains ont conservé des relations commerciales avec Pékin après la répression de la place Tiananmen en 1989, et ces liens commerciaux n'ont fait que se renforcer. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique depuis qu'elle a dépassé les USA en 2009.

De nombreux gouvernements africains sollicitent l'aide de la Chine dans le cadre de l'initiative "la Ceinture et la Route" (Belt and Road Initiative, BRI) afin de combler les lacunes du continent en matière d'infrastructures, tandis que la Chine cherche à son tour à accéder à un certain nombre de ressources stratégiques clés, notamment des combustibles fossiles et des minéraux, ainsi qu'à des marchés largement inexploités. En plus d'être riches en ressources naturelles, certains pays africains suscitent l'intérêt des Chinois en raison d'une main-d'œuvre relativement bon marché, d'une mauvaise gouvernance et de normes environnementales laxistes. En 2017, McKinsey a indiqué que plus de 10 000 entreprises chinoises opèrent probablement dans toute l'Afrique. 

Les sommes d'argent en jeu sont stupéfiantes. Selon un rapport publié en 2021 par l'Université de commerce international et d'économie de Shanghai, la Chine a investi depuis 2000 un total de 47 milliards de dollars dans toute l'Afrique (dans 52 des 54 pays), les nouveaux investissements s'élevant à 2,96 milliards de dollars en 2020 (soit une augmentation de plus de 200 millions de dollars par rapport à l'année précédente). La grande majorité des investissements chinois - 87 % - ont été concentrés dans quatre secteurs : l'énergie, les transports, les métaux et l'immobilier.


La Banque africaine de développement, créée en 1964 et comptant 83 pays membres (la Chine y a adhéré en 1985) a tenu sa première réunion annuelle en dehors d’Afrique à Shanghai en mai 2007

L'Export-Import Bank de Chine fournit une grande partie du financement des projets d'infrastructure en Afrique, mais un certain nombre de banques commerciales ont également établi des succursales sur le continent.Pourtant, malgré ces chiffres, l'Afrique n'a attiré que 2 % des investissements étrangers chinois en 2019.