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29/04/2024

FRANCESCO MARIA PEZZULLI
Occuper l'imaginaire avec le Boomernaute
Entretien avec Giorgio Griziotti

Francesco Maria Pezzulli, Machina, 26/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le plus récent grand et beau livre de Giorgio Griziotti (Cronache del Boomernauta. Gaia e le metatecniche selvagge) est un voyage dans le temps, aux origines de la septicémie de Gaïa, la planète Terre, une maladie dont l'effet destructeur sur l'environnement et ses habitants est intimement lié à l'utilisation abusive de la méta-technologie par l'homme. Un virus qui a toujours été présent, que le système capitaliste a incroyablement accéléré au point de générer une situation jugée irréversible. Dans cette optique, explique l'auteur, les activistes de la Sphère Autonome vont tenter de former un bloc révolutionnaire multi-espèces pour tenter, tous ensemble, d'inverser la maladie. Y parviendront-ils ? Au lecteur d'en juger.

Dans cette interview, cependant, tout en suivant les Chroniques du Boomernaute, nous prendrons le chemin inverse, en partant de la fabula pour revenir à la réalité, parce que les questions « fantastiques » du livre de Griziotti font, je crois, incroyablement partie de notre réalité de tous les jours. D'ailleurs, dans un chapitre central du livre, il écrit : « Dans de telles conditions, il était désormais impossible de s'accrocher à une nouvelle utopie. Les signes prémonitoires étaient arrivés lorsque la science-fiction et la fiction en général étaient devenues incapables d'échapper à la réalité comme par le passé : l'imagination des écrivains et des scénaristes ne pouvait plus les produire, mais seulement copier la réalité ». Nous pouvons donc commencer.

Bert Theis, From Fight Specific Isola to Isola Utopia, 2015. Collection Bert Theis Archive, Luxembourg, Milan

FMP : Dès que j'ai commencé à lire Le Cronache del Boomernauta, deux choses me sont venues à l'esprit. La première concerne le grand philosophe et résistant français Georges Canguilhem, qui expliquait que dans les périodes prérévolutionnaires, les théories scientifiques étaient obligées de se déguiser en « religions » pour être véhiculées et diffusées. La deuxième chose, assez proche de la première, se rapporte au 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, lorsqu'il dit que les hommes font leur histoire dans les circonstances déterminées par les faits et la tradition et « c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté ». Bref, même tes Chroniques me semblent être une sorte de « déguisement », d'où la question initiale : pourquoi as-tu choisi de parler de tes thèmes favoris, en général du développement capitaliste, en adoptant le stratagème de la fabula ? Et aussi, à ton avis, sommes-nous aujourd'hui dans une période « prérévolutionnaire » ?

 GG : Ce qui est exprimé dans l'histoire peut presque être considéré comme un renversement du concept de « résurrection des morts » décrit par Marx dans Le 18 Brumaire. Le Boomernaute est déjà un personnage du passé, mais l'opération est différente de celle décrite par notre vénéré (tris)aïeul Karl.  Il s'agit d'un vieil acteur qui, contraint de voyager dans d'autres dimensions de l'espace-temps, emprunte « les noms, les mots d’ordre, les costumes » et les machines de ce qu'il croit avoir vu au cours de ses pérégrinations pour raconter l'un des scénarios possibles de l'avenir.

Pour répondre plus précisément à ta question, je dirai que je me suis retrouvé dans ce processus créatif au cours de la période un peu particulière de la première phase de Covid 19 où, dans une sorte de limbe de la suspension du temps et dans le surréel des villes désertes, il y a eu un tournant pour moi.

Nous savons maintenant que le Covid n'était que le début à partir duquel la séquence de transformation de la réalité s'accélère brusquement en une science-fiction dystopique angoissante : la crise due à la détérioration foudroyante de l'état de la biosphère, la concrétisation de la menace d'une ère de guerres entre impérialismes et de guerres néocoloniales génocidaires, la dégradation de la qualité de vie de la grande majorité, en sont quelques-unes des manifestations tangibles.

Je l'ai perçu comme le début d'une nouvelle phase, peut-être d'une nouvelle ère, et les hypothèses sur lesquelles j'avais travaillé jusqu'alors m'ont soudain semblé inadaptées à la nouvelle réalité dans laquelle nous vivions.

Ma fabula speculativa, comme l'écrit Giuliano Spagnul dans la préface, est une tentative d'entrer dans un nouveau champ de l'imaginaire. Une façon d'entrer dans le monde de la SF, un acronyme qui, selon Donna Haraway, signifie Science Fiction, Speculative Feminism, Speculative Fabula, Scientific Fact.

Le Boomernaute est avant tout un personnage politique, puisqu'il a participé en tant que militant aux mouvements des années 1960 et 1970.  Sa façon d'exposer les événements du futur est politiquement orientée et il ne le cache pas. Mais il est aussi un « personnage conceptuel », à la Deleuze et Guattari, qui pose des diagnostics, des perspectives et des analyses qui décrivent un plan d'immanence et qui intervient dans la création même des concepts qui le peuplent. Tout cela se produit à travers les diffractions de l’espacetempsmatérialisation (spacetimemattering) [1] - un terme cardinal de la philosophie de Karen Barad qui indique comment ces trois entités émergent à travers des intra-actions - qui sont produites dans la rencontre entre le regard du vingtième siècle du Boomernaute et les événements des futurs proches et cachés.

Le mode FS offre une marge de liberté par rapport à une certaine « rigidité » de la non-fiction. Mon approche techno-sociopolitique de la non-fiction avait peut-être trouvé sa limite avec Neurocapitalisme, qui était basé sur ma propre expérience.

Je ne peux pas dire si nous sommes dans une période pré-révolutionnaire. Cependant, toutes les difficultés rencontrées pour faire face à un environnement qui nécessiterait de toute urgence une révolution capable d'arrêter la propagation apparemment impossible à arrêter de la septicémie de Gaïa, avant qu'il ne soit trop tard, apparaissent clairement dans l'histoire. Il est clair que cette situation met en danger non seulement les êtres humains, mais aussi de nombreuses formes de vie sur Terre, bien que la survie de Gaïa elle-même ne le soit pas. Il y a immédiatement le grand défi, par exemple, de dépasser le dogme newtonien, si cher au capital, d'une réalité basée sur la matière inerte et mesurable, dans laquelle seuls les humains (nous dirions plutôt : les classes dirigeantes) ont le pouvoir d'agir. Il n'est pas possible, à mon avis, d'imaginer une révolution qui agisse encore dans le cadre conceptuel des révolutions du XXème  siècle.

Il faut l'émergence d'une théorie fondée sur une onto-épistémologie qui corresponde à une réalité radicalement et dramatiquement différente de celle de l'époque précédente. Ce n'est pas facile, car un siècle s'est déjà écoulé depuis que les premières révélations de la physique quantique ont rendu la physique newtonienne obsolète. Peut-être que même les tentatives d'occupation de l'imaginaire peuvent nous aider. Et puis cette théorie n'existera que si elle a en elle la force de se traduire par une pratique qui ne peut être que révolutionnaire, compte tenu de la gravité de la situation.

FMP: Une curiosité : dans le court chapitre qui clôt la première partie du livre, intitulé « Seuls nos ennemis nous comprennent », tu écris à propos de "cette partie de la classe politique, judiciaire et médiatique qui avait fait fortune et prospéré sur la défaite lointaine de ses pairs »  que « maintenant, dans leur vieillesse, ils étaient ravis d'avoir cette occasion de rétablir les relations (de pouvoir) dans les camps opposés. Et ce n'était pas si différent de retrouver de vieux amis, qui étaient partis loin et ont été forcés de revenir, et de se remémorer les bons moments dans les médias grand public. Bref, entre contemporains impliqués dans les mêmes événements lointains, il n'y avait pas tant de difficultés à communiquer, nous pouvions certainement nous comprendre et c'était agréable et gratifiant pour certains, un peu moins pour d'autres ». J'imagine que ce que tu dis t’est arrivé dans ta propre expérience de vie, ou du moins que tu as remarqué ce phénomène. Est-ce que tu veux m'en parler ? Veux-tu donner des exemples (indépendamment des noms et prénoms) ?

GG : Dans le récit, il y a une référence aux vicissitudes des certain·es révolutionnaires qui ont vécu l'épopée du long 68 italien et en particulier à la tragédie d'une défaite générationnelle dans un pays où la perversité généralisée se concentre, comme la radioactivité dans les champignons, dans les classes dirigeantes politiques, médiatiques et économico-financières. Dans la phrase que tu cites, le Boomernaute utilise une ironie lourde pour dénoncer l'instrumentalisation avec laquelle cette classe dirigeante, même après un demi-siècle, continue de s'acharner sur les vaincus à des fins carriéristes et électoralistes. Un épisode assez récent semble bien correspondre à cette histoire. Il s'agit de l'affaire des Italien·nes, âgé·es en moyenne de plus de soixante-dix ans, réfugié·es en France depuis 40 ans ou plus, dont le gouvernement italien, avec une persévérance digne de la meilleure cause, a réclamé l'extradition pendant des décennies jusqu'à la sentence définitive de refus prononcée par la justice française en 2023. Une sentence fondée sur le principe du droit européen selon lequel les dommages causés à ces personnes auraient été bien plus graves que le bénéfice des soi-disant « parents des victimes », véhicule utilisé par une caste dirigeante en déroute d'un pays perdu dans son déclin. Au moment où j'écris ces lignes, une nouvelle petite confirmation de ce comportement immuable vient d'être apportée.  À l'occasion de la mort de Barbara Balzerani, ancienne membre des Brigades Rouges (27 ans de prison) et écrivaine de grand talent et de grande sensibilité, la professeure de philosophie de renommée internationale Donatella di Cesare a exprimé son émotion sur les médias sociaux avec une phrase de solidarité générique destinée à la cause révolutionnaire. La caste perverse, unie dans le front uni habituel, allant des fascistes au PD [ex-PDS ex-PCI], laissée sans arguments sur l'affaire française, a saisi avec empressement cette opportunité en répétant l'habituelle litanie d'insultes et de menaces concrètes contre toute sympathie supposée pour la génération révolutionnaire des Boomernautes, tout en soutenant et en aidant le génocide des Palestiniens.

FMP : Un chapitre du livre est consacré aux technologies des affects multi-espèces (TAM), définies comme un système technologique d'interactions et de connexions émotionnelles entre humains et non-humains. Peux-tu nous dire comment t’est venue l'idée des TAM ? Je dois ajouter qu'à la fin du chapitre, tu écris : « la même approche a été adoptée pour les TAM que pour les logiciels libres : sucer le miel produit par l'intellect général, qui était d'ailleurs en grand déclin par rapport à l'époque où le (tris)aïeul Karl en avait détecté l'existence ».

Que voulais-tu dire en parlant du grand déclin de l'Intellect général ? S'agit-il d'un simple artifice littéraire ou penses-tu que ce déclin est présent ?

GG : Les technologies des affects multi-espèces sont l'un des moyens adoptés par la sphère autonome pour tenter de faire face à la gravité de la septicémie de Gaïa. Cette grave infection est causée par la maladie nekomémétique, un virus immatériel qui affecte les humains et se manifeste par un comportement pathologique particulier, destructeur de l'environnement. En d'autres termes, il s'agit d'une quête humaine spasmodique pour rejoindre Gaïa, dans le but de renverser l'orientation actuelle de la technoscience, conduite par le couple État-capital et de plus en plus caractérisée par la guerre, la destruction et l'accumulation.

Pour l'intellect général, le Boomernaute se réfère à une période postérieure à celle que nous vivons actuellement. À cet égard, on se demande aujourd'hui comment expliquer qu'au XXème  siècle des mouvements massifs composés de tant de personnes peu éduquées sinon analphabètes aient réussi à provoquer de grandes révolutions alors qu'au XXIème , malgré des exploits technologiques continus et une augmentation spectaculaire de l'éducation moyenne mondiale, nous retombons dans l'abîme du populisme fasciste ; de plus, le phénomène semble encore plus centralisé dans les pays les plus riches.  Je ne sais pas si ce fait justifie l'argument du « grand déclin de l'intellect général » ; cependant, la situation contemporaine confirme que les développements techno-scientifiques tant vantés non seulement n'apportent aucun progrès social en soi, mais au contraire peuvent être utilisés pour approfondir la régression individualiste/égoïste dans laquelle nous sommes immergés.

L'objectif du Boomernaute fait également référence à la grande déception du logiciel libre, comme l'a dit Morozov. Manifestement, lui aussi, comme beaucoup d'entre nous, avait espéré que la grande épopée du logiciel libre ne serait pas, comme tant d'autres pratiques alternatives, complètement récupérée et intégrée dans la production capitaliste.

Dans la suite de l'histoire, le Boomernaute adoucit légèrement sa déclaration précédente, expliquant que les activistes de la Sphère Autonome parviennent, au moins pour un temps, à reprendre le contrôle de technologies stratégiques.  L'objectif est de les utiliser comme plateforme technologique pour entrer dans une phase de co-création qui provoquera une récession de la septicémie de Gaïa. Une co-création constituée des intra-actions des humains, des non-humains, de la matière et des technologies (machines) qui entreprend une tentative de révolution multi-espèces.

FMP : Vers la fin du livre, il y a un court chapitre très évocateur intitulé « Wormhole »  (un trou de ver reliant deux régions différentes de l'espace-temps), dans lequel on raconte au Boomernaute qu'il se trouve dans un futur indéterminé où il rencontre des clans qui lui racontent des histoires qui lui sont particulièrement précieuses. Parmi elles, « la peur de tomber dans des zones pièges où chaque individu perd son identité et son essence. Ces zones se caractérisent par une hyper-stimulation de l'attention, avec des visions tourbillonnantes de détails insignifiants qui empêchent de se concentrer. Les personnes étaient submergées par des émotions inconnues, d'origine indéterminée, qui les troublaient et les déstabilisaient, et finalement leur volonté s'affaiblissait d'abord, puis s'estompait jusqu'à presque disparaître ». Ce passage me rappelle votre concept de biohypermédia (dans Neurocapitalisme) ainsi que de nombreuses autres études et recherches sur l'attention que l'on pourrait qualifier de « troublantes ». J'aimerais maintenant te poser la question suivante : à quel point ce passage te semble-t-il éloigné de la réalité et fait-il partie de notre vie de tous les jours ?

GG : Le Wormhole transporte le Boomernaute dans un futur indéfini, très éloigné des événements des XXI ème  et XXIIème  siècles, qui constituent les parties centrales du livre. C'est l'occasion pour lui de lever certaines incertitudes sur l'avenir de l'humanité et de Gaïa, et de découvrir les conditions de vie néo-primitives des quelques survivants « libres » restants.  Ta citation fait référence à leur peur de tomber dans des zones-pièges mystérieuses qui les priveraient de cette liberté.  En transcrivant l'histoire, je n'ai pas réalisé que cette condition pouvait faire allusion, comme tu le fais remarquer à juste titre, à l'hégémonie que les plates-formes du capitalisme exercent depuis longtemps dans les biohypermédias[2]. Cependant, il s'agit d'une situation inversée par rapport à notre quotidien contemporain puisque ce sont d'autres composantes de Gaïa qui exercent cette hégémonie pour éviter que les humains ne provoquent de nouveaux effondrements.

D'autre part, je crois aussi que dans d'autres passages de l'histoire, il y a des considérations, des allusions, des indications conceptuelles cachées entre les lignes qui n'apparaissent pas à la première lecture. Et cela s'applique également à moi. Par exemple, ce n'est que maintenant que je réalise vraiment que les TAM et autres technologies, décrites par le Boomernaute et utilisées par la Sphère Autonome, sont des machines affectives-discursives-matérielles qui, agissant dans un entrelacement inséparable (entanglement) avec toutes les composantes de Gaia, tentent de subvertir un présent calamiteux. Le récit semble donc s'inscrire dans le courant de pensée d'un nouveau matérialisme, d'un post-humanisme féministe critique, auquel appartiennent Donna Haraway et Karen Barad*. Mais c'est une vérification que je fais rétrospectivement, et dont le Boomernaute était plus conscient que moi.

FMP : Nous arrivons à la fin du livre en essayant de ne pas la spoiler. À cette fin, je simplifierai beaucoup : un rôle décisif est joué par les « non-humains » (les non-humains qui font partie de Gaia, y compris les formes évoluées d'intelligence artificielle) qui permettent aux humains de continuer à vivre, mais en tant que « néo-primitifs », parce que leur utilisation de la méta-technologie a été désastreuse. Avec une lecture rapide et superficielle, on pourrait croire que tu penses que les possibilités de civilisation ont pris fin aujourd'hui. Mais je ne pense pas, et je me trompe peut-être, que c'est ce que tu veux dire. Tu veux argumenter ?

GG : Dans la réponse précédente, j'ai partiellement anticipé la condition des néo-primitifs à laquelle tu fais référence. Il n'y a pas d'affirmations définitives sur la civilisation dans l'histoire. Comme l'affirme Giuliano Spagnul dans la préface, dans le voyage du Boomernaute « qui dénoue l'un des nombreux fils imaginables d'un passé lointain à un avenir incertain au-delà de l'humanité, s'exerce cette “pratique de mise en forme” de la co-création risquée dont parlait Haraway et qui nous oblige, au lieu de répondre à des questions, à interroger les questions elles-mêmes. Non pas comment nous survivons, mais pourquoi nous devrions survivre ».

Que cela puisse prêter à un nihilisme qui est aujourd'hui plus qu'évident est aussi inévitable que de supposer aujourd'hui que les pratiques risquées de la narration sont une étape nécessaire « pour trouver de nouvelles valeurs, non plus absolues, mais qui, dans leur partialité, peuvent être dites situées dans la vie, dans l'environnement, dans les relations avec d'autres êtres humains et non-humains. Des valeurs capables de créer un monde qui, en se recréant continuellement, permet à la réalité de perdurer ». Telle est la conclusion de Spagnul et je crois qu'il a mis le doigt sur l'essentiel.

En bon ingénieur, j'essaierais de compléter la réponse à ta question sur les possibilités de civilisation par une approche plus matérialiste mais tout aussi dynamique, considérant que la matière n'est pas inerte mais qu'elle a sa propre agentivité. La question, à mon avis, porte avant tout sur le signifiant civilisation. Si ce terme se limitait à l'ensemble des pratiques discursives et matérielles qui ont caractérisé l'évolution de l'humanité jusqu'au point catastrophique actuel, alors je crois sincèrement qu'il n'y a pas d'issue. Le Boomernaute s'en est rendu compte précisément dans l'épisode de la rencontre avec les néo-primitifs dans un futur lointain. Après avoir critiqué le concept de civilisation, il en évoque un autre, celui de « biocénisation » : « La biocénisation semblait être le résultat d'une lutte réussie contre la septicémie de Gaïa, même si, au cours de la longue période de son émergence dans les réseaux de la vie, de nombreuses espèces, genres et familles s'étaient éteints ou avaient été fortement affaiblis, comme cela avait été le cas pour l'espèce humaine ».

FMP : Le Boomernaute voyage dans le temps, rencontre des sujets, humains et non-humains, des mondes nouveaux et des technologies spéciales. Il observe aussi une lutte décisive, entre le Gov néolib (qui deviendra Gov Q) et la Sphère Autonome, la galaxie des mouvements d'en bas.

Revenons un instant à l'histoire réelle. A une époque, comme tu  le sais, la sphère autonome, malgré les différents groupes qui la composaient, avait néanmoins quelque chose d'unificateur, ne serait-ce que parce qu'elle évoluait dans le cadre de la lutte des classes, d'où l'identification d'un ennemi commun. Aujourd'hui, au contraire, cette dimension est plus floue, car on se bat souvent pour des objectifs particuliers qui ne touchent pas toujours au « mode de production capitaliste ». Quelles sont tes réflexions à ce sujet ? Qu'est-ce qui, selon toi, peut rendre les nombreuses luttes de la sphère autonome plus efficaces aujourd'hui ?

GG : Ma première observation est que l'objectif n'est peut-être pas seulement d'avoir un impact sur le « mode de production capitaliste ». À cet égard, l'histoire tente de faire comprendre qu'il n'y a pas d'issue, révolutionnaire ou autre, à l'impasse de la septicémie de Gaïa qui ne puisse être mise en œuvre que par les humains. L'entreprise restera une utopie tant que nous ne serons pas capables d'effondrer le scénario anthropocentrique et théologique qui est enraciné dans la philosophie occidentale depuis l'époque d'Aristote. Dans cette vision libérale-newtonienne, l'homme est l'agent dominant d'une réalité faite de « nature » à son service et de matière inerte. Ce dernier postulat sur la non-agence de la matière a été scientifiquement réfuté par la physique quantique, et malheureusement aussi lorsque, à partir d'Alamogordo puis d'Hiroshima, le plus petit des fragments, le cœur de l'atome a été brisé avec une telle violence qu'il a fait trembler la terre et le ciel. Cependant, les grandes forces du système Gov Néolib (celui qui gouverne le système mondial) sont prêtes à toutes les destructions, y compris celle de l'atome, pour empêcher l'effondrement du scénario mortifère dans lequel nous vivons.

À cet égard, je voudrais citer la proclamation de la sphère autonome dans l'histoire du Boomernaute : « Nous n'avons pas réalisé que la maladie nekomémétique existait depuis l'Antiquité, tandis que le capitalisme, dans l'histoire de l'humanité et plus encore dans l'histoire de Gaïa, n'est qu'une brève et féroce parenthèse qui a aggravé la situation au point de la rendre critique. Ce n'est que lorsque nous avons réalisé notre erreur d'inverser les causes et les effets que nous avons compris que notre stratégie ne fonctionnerait jamais.  Plutôt que d'essayer de mettre fin au capitalisme dans une collision frontale à l'issue douteuse pour arrêter complètement la pandémie - en supposant qu'il soit désormais possible d'arrêter la totalité d'un appareil aussi vaste, articulé, mortel et complexe - nous devons essayer de surmonter la pandémie non seulement pour mettre fin au capitalisme mais aussi pour éviter des issues chaotiques, autodestructrices et, en fin de compte, suicidaires. Il reste une dernière chance qu'il faut absolument saisir pour démentir la fausse prophétie anthropocentrique selon laquelle il serait plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme, et cela ne peut se faire que par l'alliance des classes humaines dominées avec les autres composantes de Gaïa ».

Pour en revenir à l'actualité, il est important de souligner que la prise de conscience de cette situation concerne principalement la sphère autonome et les mouvements d'en bas. Comme tu l’as souligné à juste titre, les gens se battent souvent pour des objectifs spécifiques qui n'influencent pas toujours directement le « mode de production capitaliste ».  Et il est tout aussi vrai que, comme le dit Maurizio Lazzarato, auteur d'une des analyses géopolitiques contemporaines les plus cohérentes, les luttes et pratiques alternatives et antagonistes se heurtent partout à la poigne de fer du commandement de l'État-capital, qui réprime ces mouvements dès qu'il perçoit le moindre signe de danger, qu'il soit réel ou imaginé. Malheureusement, le rappel des luttes de classe du XXe siècle et de l'extraordinaire habileté politique du camarade Lénine ne suffit plus comme seul antidote. Beaucoup ont essayé cette voie, mais elle ne fonctionne plus comme avant. Les raisons en sont multiples, liées au bouleversement de Gaïa évoqué plus haut, mais aussi historiques : la victoire stratégique du capitalisme sur les mouvements révolutionnaires mondiaux en 68, consolidée par l'effondrement du bloc soviétique en 1989, le conditionnement des subjectivités de plusieurs générations à un individualisme égoïste pendant un demi-siècle de néolibéralisme quotidien, et enfin la grande trahison d'une ancienne gauche alliée au capital. Ces facteurs, ainsi que d'autres qu'il est impossible de traiter exhaustivement ici, ont conduit à une hégémonisation progressive des formes de révolte des classes subalternes par les forces populo-fascistes alliées au capitalisme. En l'absence d'une perspective révolutionnaire pour renverser le scénario libéral-newtonien, les forces réactionnaires ont les coudées franches pour inciter les masses à protéger égoïstement leur misère relative face à l'avancée du chaos climatique et social mondial. À l'exception de Nanni Moretti, il est difficile de croire au «  soleil du futur »[3] d'une très hypothétique victoire (finale ? définitive ? globale ?) sur le Gov Neolib, qui pourrait d'ailleurs miraculeusement guérir Gaïa d'un coup de baguette magique. Face à une situation aussi compromise, beaucoup d'entre nous baissent les bras et certains proclament même que tout combat sera vain. Peut-être, mais ne pas lâcher prise est une question ontologique.  Au contraire, c'est peut-être le moment de tenter de libérer l'imaginaire de la terrible tenaille individualiste dans laquelle il a été solidement emprisonné. Tel est le message du Boomernaute.

  Notes

[1] Le terme « spacetimemattering » de Karen Barad a été créé pour décrire la façon dont la matière et l'espace-temps émergent par des actions internes et sont intrinsèquement liés. Ce concept fait partie de la théorie philosophique du réalisme agentiel. Lire Karen Barad, Frankenstein, la grenouille et l’électron. Les sciences et la performativité queer de la nature, éditions Asinamali, 2023

[2] Le Boomernaute connaissait le concept, cf. note 6 p. 25 : « À ma grande joie, je me suis rendu compte que le Boomernaute, malgré ses errances, avait lu Neurocapitalisme, et j'ai même eu un instant l'illusion que c'était pour cela qu'il m'avait rendu visite. Quoi qu'il en soit, je cite ici le passage du livre concernant le « concept de biohypermédia, qui est né pour définir l'ensemble des interconnexions et des interactions continues des systèmes nerveux et des corps avec le monde à travers le complexe de dispositifs, d'applications et d'infrastructures réticulaires. Par extension, la sphère biohypermédia devient la sphère dans laquelle l'interpénétration des consciences humaines avec ces technologies devient si intime qu'elle génère une symbiose dans laquelle s'opèrent des modifications et des simulations réciproques ».

[3] Titre du film de Nanni Moretti de 2023

Patrizia Piccinini, The Long Awaited, 2008. Silicone, fibre de verre, cheveux humains, contreplaqué, cuir, vêtements. 152 x 80 x 92 cm

Francesco Maria Pezzulli est sociologue et chercheur indépendant. Il a enseigné à l'université La Sapienza de Rome et mène des recherches et des enquêtes au sein du laboratoire sur les transitions, le changement social et les nouvelles subjectivités de l'université Roma Tre. Il s'intéresse aux questions relatives au développement capitaliste et au Mezzogiorno italien.

 

Passionné de technologie et féru de philosophie politique, Giorgio Griziotti est l'un des premiers ingénieurs en informatique sortis du Politecnico de Milan. Ceci lui confère une longue expérience dans les technologies informatiques, entre les applications industrielles et les usages sociaux. Sa participation au mouvement autonome lors du long 1968 italien l'a conduit à réaliser une grande partie de son activité professionnelle à l'étranger et notamment en France, où il vit encore aujourd'hui. Il est l'un des animateurs du collectif international Effimera. Il est l’auteur de Neurocapitalisme Pouvoirs numériques et multitudes (C&F éditions, 2018) et de Cronache del Boomernauta. Gaia e le metatecniche selvagge (Mimesis, 2023), à paraître en français chez C&F courant 2024.

15/04/2024

DANIELE GAMBETTA
Les langues systémiques dans la crise de Gaïa
Note de lecture sur Moleculocracy et Chroniques du Boomernaute

Daniele Gambetta, EuroNomade, 1/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Daniele Gambetta est chercheur en science des données (Université de Pise, Italie), journaliste indépendant et collaborateur éditorial. Éditeur de l’ouvrage collectif Datacrazia. Politica, cultura algoritmica e conflitti al tempo dei big data (D. éditeur, 2018). FB

L’accélération du capitalisme numérique et la prolifération de ses langages dans la sphère sociale nous conduisent de plus en plus à considérer l’imaginaire cybernétique comme confiné à la logique du contrôle et de la domination anthropocentrique, donc comme un vecteur de la crise écologique. Ce faisant, nous risquons de manquer une opportunité : celle de rechercher de nouvelles cartographies de la réalité qui, en utilisant un langage systémique, sans approche réductionniste ou déterministe, tentent de décrire de nouvelles formes d’organisation et de relations entre les agents, humains et non-humains, dans le cadre de la crise de Gaïa.

Pour fournir des perspectives dans cette direction, parmi beaucoup d’autres, il y a deux possibilités : l’une est d’imaginer des mondes futuristes ou des uchronies dans lesquelles les formes de technologie et de connaissance ont également pris d’autres chemins, l’autre est de suggérer de nouvelles théories d’organisation basées sur des expériences réelles vécues dans des contextes sociaux. Ces deux voies ont été empruntées ces derniers mois par deux textes, respectivement la fabula spéculative Cronache del Boomernauta de Giorgio Griziotti (Mimesis, 2023, à paraître en 2025 chez c&f éditions) et l’essai artistique Moleculocracy d’Emanuele Braga (Nero, 2023).

Les deux textes, sans surprise, sont des entités difficiles à catégoriser, des ONNI (objets narratifs non identifiés), suivant une désignation proposée dans le passé, et tous deux mettent en évidence la possibilité et la nécessité d’hybrider l’écologie avec des épistémologies des relations, la connaissance scientifique avec des formes de militantisme. Le récit du premier commence par l’apparition à l’auteur d’un voyageur temporel qui, à l’instar de l’Éternaute d’Oesterheld et López, vient parler d’autres mondes, futurs et futuristes. Le boomernaute dit avoir participé à des périodes de mouvements et de révolutions dans les années 1960 et 1970, pour finir par raconter ses exploits sur les médias sociaux, où il est tombé sur une milléniale, une jeune sorcière qui jette son sortilègec avec un puissant OK BOOMER obligeant le malheureux à voyager dans une nouvelle dimension intemporelle, dans laquelle il est confronté à une collision impitoyable entre ce qu’étaient ses opinions et convictions politiques et un environnement en constante accélération, truffé de néologismes et d’acronymes étranges, comme la Gov Q ou Gouvernance Quantique, qui a succédé à la Gov Neolib des années 1970 et à l’épidémie nekomémétique qui a rendu Gaïa invivable. 

En réponse à la crise, l’élite planifie la Grande Évasion, l’exil de la classe privilégiée de la Terre vers une colonie spatiale, présentée comme le début de la colonisation de l’espace par l’homme. Mais la crise de Gaïa sera l’occasion pour la Sphère Autonome de développer des Technologies d’Affect Multispécifique (TAM) et de donner naissance à un mouvement de sémio-hacking qui, en utilisant les abstractions des réseaux, pourra inventer d’autres formes de coexistence que celles imposées par le capital. C’est dans la même veine que les sémio-hackers que dans Moleculocracy, en ce qui concerne les pratiques sociales et l’organisation des mouvements, on part du concept d’algorithme, non pas entendu au sens strictement numérique, mais comme une procédure et un processus bien défini, donc comme un outil possible d’investigation et de cartographie des protocoles qu’un agrégat de sujets peut mettre en place. Outre les “algorithmes dissidents” produits dans l’espace MACAO, Braga attire l’attention sur les exemples provenant des nouveaux mouvements écologiques tels que Extinction Rebellion et Dernière Génération (on pourrait en dire autant des nouvelles formes de simili-syndicats comme la Tech Workers Coalition), caractérisés par une codification très bien définie et précise des processus décisionnels, expérimentant de nouvelles façons de faire de la politique avec une approche similaire à l’approche scientifique du test et de l’évaluation, et rompant ainsi avec une tradition qui supposait que les pratiques de consensus étaient déjà données et délivrées par l’Histoire. Un processus qui pourrait s’apparenter à une science de l’organisation, une nouvelle tectologie à l’ère des plates-formes.

C’est le mécanisme de rétroaction qui permet au processus de se régénérer : « Après quelques années, nous avons réalisé qu’il n’y a pas de design parfait, même s’il est politiquement orienté.  Ce qui maintient la communauté en vie, c’est plutôt une sorte de boucle en spirale, un désir continu de définir sa propre forme d’organisation, son propre mécanisme [...] pour le faire muter, le réécrire, le faire dérailler »., Toujours dans cette direction, la critique de l’extensibilité infinie des processus que fait Braga est emblématique ; il utilise l’analogie de la reproduction cellulaire : sommes-nous capables de comprendre quand une pratique sociale ou artistique peut être améliorée par une croissance d’échelle, ou quand au contraire cette croissance conduit à une dégradation de ses capacités de transformation ? En bref, quand est-il préférable de penser à une reproduction de la cellule initiale, à une prolifération de petits processus coexistants ? Encore une fois, afin d’élaborer des concepts utiles pour définir la crise systémique, les deux textes accordent une attention particulière à l’entropie et à son opposé néguentropique, des concepts de thermodynamique que déjà en 1880, avant Georgescu-Roegen, le jeune socialiste ukrainien Sergueï Podolinsky avait suggéré dans des échanges de lettres avec Marx et Engels d’inclure dans la théorie du capital une vision écologique, en introduisant une théorie du travail-énergie à côté de la théorie de la valeur-travail.

Comme le rapporte Joan Martinez Alier dans Ecological Economics, commentant les théories de l’Ukrainien, Engels écrit à Marx : « Après sa très précieuse découverte [sic !], Podolinsky s’est égaré, parce qu’il a voulu trouver dans le domaine des sciences naturelles une nouvelle preuve de la justesse du socialisme et a donc mélangé des choses de la physique avec des choses de l’économie ».

Selon Martinez, cependant, ce passage représentait « une occasion manquée cruciale dans le dialogue entre le marxisme et l’écologie », et peut-être aussi, dirais-je, une occasion manquée pour le débat sur les possibilités et les limites des analogies physiques-biologiques dans le domaine social et politique.

En ce sens, je pense que les deux textes qui viennent d’être publiés vont dans une direction intéressante. Le langage de la physique et des sciences dures dans la description des phénomènes sociaux ne doit pas induire en erreur : nous ne sommes pas du côté de la sociophysique académique qui essaie de trouver un modèle mathématique qui explique tout, mais nous sommes plutôt devant des tentatives de produire un glossaire, un imaginaire, de nouveaux mots qui provoquent des concaténations de pensées utiles pour élaborer notre être dans les choses et dans la crise. En écho, et ce n’est pas surprenant, on trouve la parenté selon Donna Haraway, le fait de se faire parent au sein du problème, d’où sa propre recherche d’un dictionnaire. « Bien que le passé humain soit toujours pertinent, la question cruciale était la formation d’alliances multi-espèces qui ouvriraient la voie à la biocénisation. Les origines dramatiques de la situation d’effondrement étaient moins importantes que la direction que prenait un avenir dans lequel la biomachine néguentropique prendrait soin des populations humaines restantes ».

On pense aussi à la tentative de Bogdanov de construire une science de l’organisation susceptible d’être appliquée à des phénomènes réels, voire aux processus d’initiation et/ou d’effondrement des mouvements, en construisant un lexique formel pour décrire les processus sans être nécessairement réductionniste ; ce n’est pas un hasard si Bogdanov lui-même a utilisé un néologisme que l’on dirait aujourd’hui plus proche de la science des réseaux que de la physique. Pourrait-on, par exemple, décrire le potentiel d’engagement d’un processus collectif en termes de rétroaction qu’un·e activiste pourrait trouver dans ce processus particulier ? Si les grandes mobilisations du début du millénaire, jusqu’au début des années 2010, voyaient encore une possibilité d’action sur le réel à travers les actions d’un gouvernement, la crise de la démocratie a également conduit au recul de cette possibilité d’action (voir le référendum grec), conduisant à un manque de possibilité de rétroaction de l’action politique. D’une certaine manière, cette rétroaction, les nouveaux mouvements (écologistes, transféministes et autres...) l’ont recréée à une échelle différente, à travers la construction de processus territoriaux par le bas ou grâce à des moments de partage, d’attention et de soutien psychique sur les places et dans les moments d’agrégation eux-mêmes. Essayer de développer des concepts adéquats pour expliquer les processus de prise de décision et d’organisation est un défi que les deux textes cités ici semblent relever.

D’autres éléments communs aux deux textes sont la centralité des relations avec le non-humain et donc l’urgence d’une nouvelle théorie de l’agentivité, la reconnaissance des processus de subsomption et de leurs mécanismes, l’idéologie du réseau et l’identification du sujet à travers les échanges relationnels. Si, comme le rappelle Spagnul dans la préface de Boomernautauta, la science-fiction est l’effort d’une intelligence collective pour saisir ce à quoi elle n’est pas encore prête, de la même manière on peut dire que la forme d’essai pseudo-autobiographique de Moleculocracy ressemble à une collection de notes qui laissent ouverte une possibilité d’élaboration en cours. Peut-être alors que les deux textes, dans un effort perpendiculaire, expriment le besoin de trouver des formes d’expression pour cette phase historique, une nouvelle science-littérature de spéculation, qui pourrait naître de l’expérience d’une usine autogérée aussi bien que d’un mouvement de jeunes écologistes ou même des interactions impensées entre ceux-ci et l’alien, entre notre histoire militante et une altérité encore inconnue ou impensée à l’intérieur de Gaïa.