Le
dernier sondage Harvard Harris (août 2025) a produit un chiffre choc :
60 % des Américains de 18 à 24 ans déclarent soutenir Hamas plutôt
qu’Israël, quand on leur demande de choisir « lequel des deux camps »
ils appuient le plus. Tous les autres groupes d’âge restent massivement
pro-israéliens : jusqu’à 89 % chez les 65 ans et plus.
La
statistique est authentique, confirmée par les données officielles du
Harvard CAPS/Harris Poll. Mais pour l’interpréter, il faut la replacer
dans son contexte : un été 2025 marqué par la reconnaissance officielle
d’une famine à Gaza par l’ONU le 22 août, plus de 62 000 morts
palestiniens depuis le 7 octobre 2023, et un président Trump qui
multiplie les ventes de bombes et bulldozers à Israël, tout en parlant
ouvertement de déportations vers l’Égypte et la Jordanie.
Ce
sondage ne signifie pas que la Génération Z « adore » le Hamas. En
réalité, dans la même enquête, les jeunes sont 63 % à désapprouver la
conduite du Hamas, mais 71 % à désapprouver celle d’Israël. Leur
basculement exprime moins une sympathie active qu’un rejet viscéral des
actions israéliennes. Les images brutes de Gaza, visibles en continu sur
TikTok, nourrissent un sentiment de génocide en temps réel.
À
l’opposé, les seniors restent arrimés au vieux récit fondateur : Israël
comme rempart de l’Occident, héritier de la Shoah, allié naturel des
États-Unis. Pour eux, les atrocités présentes ne contredisent pas le
récit, elles en sont une continuation. On retrouve ici plusieurs
ressorts : mémoire historique, désensibilisation après des décennies de
guerres, consommation d’informations filtrées par la télévision
traditionnelle, et surtout peur du chaos : les plus âgés privilégient la
stabilité et les États, quitte à fermer les yeux sur l’horreur.
Ce
qui rend ce clivage encore plus cruel, c’est la démographie. Les 18–24
ans ne représentent que 30 millions de personnes, soit environ 9 % de la
population américaine. Les 65 ans et plus sont 62 millions, soit 19 % –
plus du double. Et surtout, la participation électorale des seniors
dépasse 70 %, contre moins de 50 % chez les jeunes.
Résultat : la
jeunesse peut bien saturer les réseaux sociaux de slogans
pro-palestiniens, elle reste électoralement minoritaire et
sous-représentée. Les urnes donnent mécaniquement raison aux vieux, et
donc à la politique pro-israélienne.
Deux camemberts suffisent à
le montrer : celui des jeunes est plus rouge (pro-Hamas), mais petit ;
celui des vieux est bleu (pro-Israël), et deux fois plus large.
Moralement la génération montante se révolte, politiquement elle pèse
peu.
On
pourrait croire que ce clivage traverse les partis. Mais en réalité,
sur l’essentiel, démocrates et républicains votent de la même manière :
les budgets militaires, les livraisons d’armes, les résolutions de
soutien. Quelques élus progressistes (AOC, Tlaib, Omar…) dénoncent
Israël avec force, mais finissent souvent par avaliser des paquets
budgétaires qui incluent l’armement.
Les jeunes ne sont pas dupes :
ils voient que les deux camps institutionnels appliquent la même ligne
de fond. D’où leur désenchantement politique : ils ne votent plus,
convaincus que le système est verrouillé. Les vieux, eux, continuent à
voter massivement, parce qu’ils croient encore au système – ils ont vécu
dans un monde où l’illusion démocratique fonctionnait, où leur voix
semblait compter.
C’est cette asymétrie qui explique la situation
actuelle : une jeunesse radicalisée par Gaza mais absente des urnes,
face à un bloc senior qui valide par son vote la continuité du soutien à
Israël.
On
comprend alors pourquoi Trump, malgré une opinion globale qui bascule
(60 % des Américains rejettent de nouvelles livraisons d’armes à Israël,
50 % estiment qu’Israël commet un génocide), peut continuer à agir
comme si de rien n’était. Le système est porté par les seniors, qui
votent, qui croient encore au processus électoral, et qui maintiennent
leur fidélité à Israël.
Les jeunes, eux, vivent l’histoire
autrement : ils voient la famine, les bombardements, les corps. Mais ils
se savent minoritaires et désarmés politiquement. D’où leur fuite hors
des urnes et leur sur-activité dans l’espace symbolique – réseaux
sociaux, manifestations, actions campus. Ils deviennent la mauvaise
conscience morale d’un pays dont la politique étrangère est fixée par la
génération de leurs grands-parents.
Le
chiffre des 60 % « pro-Hamas » chez les 18–24 ans n’est pas une
aberration, mais le symptôme d’un basculement moral et générationnel. Il
révèle une Amérique où deux réalités coexistent :
Les jeunes : saturés d’images brutes, révoltés par l’atrocité, désabusés par la politique, en rupture avec le récit dominant.
Les vieux
: enracinés dans la mémoire d’Israël victime, fidèles à un système
électoral qui leur donne encore du pouvoir, et donc garants du statu
quo.
Entre ces deux mondes, c’est une collision.
La rue et les réseaux s’indignent, les urnes verrouillent. Et pendant ce
temps, les bombes continuent de tomber sur Gaza.
Sources :